Christian GAILLY

Je n'ai pas trouvé son nom dans l'index, donc voilà: un auteur qui aurait du mal à dissimuler son appartenance aux fameuses Editions de Minuit, ou a renier l’héritage Nouveau-Roman qui en découle, et encore moins une certaine affiliation avec le style de Jean Echenoz. Lorsqu’un roman commence par la phrase: "Le piano n’était pas le violon d’Ingres de Simon Nardis”, on a du mal à ne pas esquisser un sourire en se sentant tout de suite en territoire connu: celui de atmosphères sournoises et des phrases courtes mais toujours très pince-sans-rire, qui suffisent cependant à étoffer de petits romans rondement bien bouclés, avec un bon paquet de virgules et de personnages filiformes qui hantent un décor angulaire aux ombres jaunes, avec beaucoup de Jazz dedans. “Un soir au Club” est de ceux-là, que je ne peux m’empêcher de vous conseiller de lire d’urgence, tant il brille de subtilités littéraires et de raccourcis émotionnels renvoyant autant à Duras qu’au plus noir Goodis. “Au fond, je n’avais pas envie de jazz, encore moins de musique, j’avais juste envie de vivre, une minable petite envie de vivre.”

Nuage rouge, Éditions de minuit, Paris, 2000, Prix France Culture, 2000

Un soir au club, Éditions de minuit, Paris, 2001 Prix du Livre Inter, 2002

Voici sur le site des éditions de minuit ce que dit le cinéaste Alain Resnais de l'incident qu'il adapte à l'écran.

un soir au club a été adapté à l'ecran par jean Achache

prochain livre de Christian Gailly, Lily et Braine (Minuit),

Citation :

Le soldat Braine revient désemparé au sein de sa famille, après avoir fait la guerre. Est-ce qu’il faut renouer ou, au contraire, rompre avec celui qu’il a été? On est chez le plus jazzy de nos écrivains français:

.

J'ai entendu Christian Gailly, présenter Lily et Braine paru chez Minuit. Intéressant !

Christian Gailly, fan de livres americains et surtout de films, est comme vous le savez, très en vogue pour les adaptations à l'écran, dont récemment, à partir de l'incident, les herbes folles d'Alain Resnais.

Au départ de l'histoire de Lily et Braine, une photo trouvée par C. Gailly, représentant le visage totalement détruit d'un soldat, tel qu'il n'avait jamais pu en voir dans les films de guerre - dont il est pourtant un spectateur friand.

A partir de cette photo, il reconstruit la vie du soldat, en famille, en couple etc. et s'identifie au personnage. Il disait avoir écrit l'histoire dans un moment de malaise personnel.

1/2

Christian Gailly, les oubliés, Éditions de Minuit.

Au premier abord, on est surpris : les phrases sont courtes, inachevées, parfois un ou deux mots, comme un bafouillement de l’auteur devant l’histoire. De plus le récit commence en plein dans l’action, comprenez en plein dans un camion !

Tout cela serait-il gratuit ? Non, car ce style hésitant sert au narrateur, le traduit. Les mots ébauchent, esquissent, hésitent…

Annoncer à son épouse la mort de son ami Paul (on la sait à la 3e ligne du récit) n‘est décidément pas facile :

« Ne te presse pas trop. Car une fois là-bas, il va bien falloir. Qu’est-ce que je vais lui dire ? Je ne vais pas pouvoir. Je me connais, se dit-il. Je vais me mettre à rire.
Avance. Dans le bruit de la nuit qui commence, avance. Peux pas. Si, tu peux. Peux plus. Si tu peux encore. Écoute-moi. »

On serait embarrassé à moins. D’autant que pour macabres et tragiques qu’elles soient, les choses ont aussi un côté saugrenu, où l’humour affleure, malgré lui.

« J’ai menti pour vous faire patienter. Elle : Me faire patienter ? Lui : Oui enfin. Je veux dire. Retarder le moment. Autant que possible. Où je devrai dire la vérité. Alors elle, bien sûr. Jacqueline : quelle vérité ? Brighton : Paul n’a plus de voiture. »

2/2 les oubliés

Il nous faut quelques pages pour entrer dans le jeu comique de l’auteur, puis son dessein se précise, et il accumule les gags : ainsi dans l’épisode du chat Albert :

« Albert ! Ça suffit ! hurla Moss. Brighton qui lui aussi se prénommait Albert, s’entendit interpeller d’une manière qui lui rappela son père. »

D’ailleurs l’auteur joue aussi avec le lecteur à qui il fait, dans l’action, des annonces prématurées, aussitôt désavouées.

« On verra çà. Nous n’en sommes pas encore là. Dînons d’abord. »

Et puis il y a les personnages :

dans le tandem Brighton-feu Schooner, le défunt menait la barque.

Brighton se retrouve maintenant seul maître à bord.

Par amitié pour son pote, il va tirer les marrons du feu ! tant mieux pour lui !

1/2 Christian Gailly, Dernier amour, chez Minuit.

Épuisant, d’être un musicien !

Paul Cédrat vit des moments pénibles puisque entre Haydn et Beethoven, son quatuor, d’une grand lenteur, ne recueille que l’impatience tapageuse des auditeurs. Pas étonnant qu’il n’aille pas bien, Paul Cédrat, d’autant qu’en amour, on en est au temps de « quand pars-tu, mon amour ? »

Tout cela serait fort mélancolique si Gailly ne racontait les moments de Paul Cédrat avec une pointe d’humour : les attentes des auditeurs pensant vainement qu’à un mouvement lent doit succéder un mouvement vif et gai, un allegretto enfin, alors que c’est un adagio encore plus sinistre...

On vit avec notre musicien un « présent étiré », avec des phrases interrompues, des réflexions personnelles inachevées, des scènes aimablement croquées comme dans ce petit dialogue :

La jeune fille le rappela. Monsieur Cédrat ? Oui, dit Paul. Le corsage blanc : vous devez néanmoins régler quelque chose. Ah bon ? dit Paul. Quoi ? Les lunettes mode : Vos consommations. Quelles consommations ? Le chignon strict : celles de votre chambre. Le minibar. Vous n’avez rien bu ? Attendez voir, dit Paul.

Il avait envie de la taquiner. S’abstint, vu le genre de la fille : Si, dit-il, un whisky ou deux. Certains soirs. A vrai dire tous les soirs.

Cocasserie des dialogues, inattendu des situations, fausses déductions et vrais malentendus, Gailly détend et amuse, même dans les moments pas vraiment drôles.

Le musicien part se détendre.  La villa s’appelle « les Flots bleus »

(à suivre)

2/2 Christian Gailly, Dernier amour, chez Minuit.


L’univers de Christian Gailly est fait de rencontres, de moments qu’il faut saisir et qui donnent une nouvelle chance.

Par moments aussi le personnage en lice se fait son petit cinéma, il se berce d’imaginations, il en sourit, s’en amuse, ou s’il est vraiment un peu naïf ( comme nous le sommes tous), l’auteur l’indique, d’un trait léger, comme avec affection.

Ajoutez à cela que le lecteur est pris à témoin, et cette impression de camaraderie fraternelle se ressent à la lecture.

Un petit passage ?

Citation :

Le cœur de la nageuse sembla se bloquer. Je dis sembla. Ce ne fut qu’une impression. Elle avait le choix entre deux solutions. Elle s’approcha. La brave petite. Elle a du cran. Se pencha sur Paul. Le trouva beau. C’est normal la maladie l’avait rendu joli. Grâce à elle il était devenu beau ce visage plein de paix et de repos, la peau sur les os. Mais çà, franchement.

Amateur fervent des poulains de l'écurie "Editions de Minuit", je recommande bien évidemment la lecture des romans de Chistian Gailly, dont "Les Evadés". Un style syncopé, des phrases en suspens, des dialogues sans rejet (à la ligne), de courts chapitres (67 pour 230 pages), une intrigue policière américano-française close sur une dernière note singulière.

Eric Reinhardt des "Inrockuptibles" en dit ceci (extrait) : "Les Evadés" est un roman très romanesque, en CinémaScope et en Technicolor, aux résonances de série B. Mais "Les Evadés" est peut-être aussi une parabole sur la solidarité, sur la beauté du sentiment collectif."

des confidences révélatrices
 

Citation :

Le cinéma est très présent dans mon style d'écriture. Très jeune, j'ai été marqué par un grand nombre de films. Il n'y avait pas de livres à la maison. Mes romans sont conçus comme des mises en scène. J'écris avec ce que j'ai, avec ce qui s'offre à ma disposition. Je ne suis pas un grand inventeur d'histoires. Alors quand je tiens un chauffeur de taxi, je n'ai pas envie de le lâcher trop vite. Cela m'a pris beaucoup de temps, mais j'ai appris à ne plus mépriser le peu que j'ai sous la main, à respecter la rareté, voire la banalité, de ce qu'on possède. Les choses ne sont pas forcément abondantes, mais elles sont uniques. Après il faut travailler avec ça. Faire et écrire avec.»

 
la musique
 

Citation :

Après le fiasco d'un de ses concerts, Paul dit à ses musiciens: "Il n'y a pas de peine perdue. Vous allez utiliser la force de cette émotion, ce chagrin, cette colère, cette déception. Toute cette force." J'y crois très fortement. Les musiciens de jazz savent utiliser leur souffrance pour la transformer en force de création. J'ai longtemps été saxophoniste de jazz. Mon drame de jazzman, c'est que j'ai trouvé ma voix très tôt. Avant même de savoir que c'était la mienne.

Très influencé dans les années 1960 par John Coltrane, j'ai pris le train du jazz en marche sans me soucier d'avoir des garde-fous techniques ou académiques. J'étais envoûté par la sonorité et le flux de Coltrane, par son phrasé inimitable. Je me suis embarqué dans des recherches de sonorité qui m'ont conduit très loin. J'ai joué au bord du précipice, du vide. Cela m'a fait très peur. C'est pourquoi j'ai finalement abandonné le jazz. Au fond, en jouant je prenais tous les risques. Je cherchais une explosion, ou plutôt une implosion, d'émotions. Je sortais de mes concerts anéanti.

 
c'est un bon écrivain qui disparaît