Patrick Modiano

Tchipette a écrit:

Je ne connais pas suffisament Paris pour reconnaitre les lieux, mais nous étions deux sur ses pas!

Ah bien tant mieux, je me demandais si l'effet se produisait du fait que je connaisse ! Je suis contente car cette impression est plaisante, heureuse de la partager !!!

Tchipette fait justement remarquer que : "il n'y a pas de père".

Et chez Modiano, c'est étrange !
Quand j'ai lu Pedigree, que, contrairement à Mona j'ai beaucoup aimé, je me suis dit que Modiano avait enfin réussi à dire ce autour de quoi il tournait depuis le début de son oeuvre, c'est-à-dire à parler d'une manière cette fois réellement autobiographique de ce père qui fut un salopard collabo et voyou, et qui ne s'était pratiquement pas occupé de lui. Sans le présenter comme un personnage de roman. En lui réglant son compte une fois pour toute.

Je m'inquiétais pour la suite de son oeuvre. Comment rebondir quand on a enfin pu aller jusqu'au bout de l'aveu ?

Eh bien, je n'ai pas été déçue, contrairement à ce que je craignais. Retrouvant la veine romanesque (encore que... il a bien dû lui aussi déambuler dans ces cafés !) il nous offre une belle histoire, des personnages toujours nostalgiques, de nouvelles balades dans son Paris. J'ai beaucoup aimé aussi la multiplication des voix, et c'est assez rare chez ce romancier que le narrateur ne soit pas unique.

Ecriture toujours aussi classique et poétique. Du grand Modiano... Ouf

Joce a fait allusion aux situationnistes. Peux-tu en dire plus ? A part, bien sûr, le fait que le titre est emprunté à Guy Debord...

Dora Bruder, de Patrick Modiano, chez Gallimard

Avec la voix de Didier Sandre, dans le coffret DVD, le texte de Modiano prend plus de présence, celle d’un témoin enquêteur sur une fugueuse de jadis, il suit ses traces et/ou celle de ses proches, au cours de promenades dans Paris et dans différents services administratifs.

Ses propres souvenirs lui reviennent , et il pense, au hasard des pavés, à des auteurs aimés qu’il aurait pu rencontrer et il y mêle des souvenirs obscurs de drames personnels ; il imagine Dora Bruder croisant son propre père :

Citation :

« Peut-être ai-je voulu qu’ils se croisent, mon père et elle, en cet hiver 1942. Si différents qu’ils aient été, l’un et l’autre, on les avait classés, cet hiver là, dans la même catégorie de réprouvés. Mon père non plus ne s’était pas fait recenser en octobre 1940 et, comme Dora Bruder, il ne portait pas de numéro de « dossier juif » . Ainsi n’avait-il plus aucune existence légale et avait-il coupé toutes les amarres avec un monde où il fallait que chacun justifie d’un métier, d’une famille, d’une nationalité, d’une date de naissance, d’un domicile »

Je vais sans doute être la seule à écrire que décidemment, je n'accroche pas à Modiano..

J'avais déja lu de lui "Rue des boutiques obscures" et "Les boulevards de ceinture", sans en avoir d'autres souvenirs qu'un vide parfait, où surnagent des descriptions et encore des descriptions de promenades dans Paris, et la sensation d'un ennui "chic" sans fin...

J'ai , hélas , retrouvé les mêmes sensations dans "Le café de la jeunesse perdue"

J'ai l'impression d'avoir lu le même livre pour la troisième fois

C'est grave Docteur

Je ne suis pas le docteur de garde, mais je pense que chacun a le droit d'apprécier ou non un auteur. Tu le dis, c'est parfait.

Modiano dit bien par exemple la continuité entre jour de noces et Dora Bruder.

Dans ce dernier livre (Dora Bruder) il n'est nullement question d'oisifs ou de fêtards, et l'ennui n'est pas "chic" !

Il intègre au récit des descriptions de photos ou des lettres authentiques, comme des pièces qui jalonnent la recherche de la vérité sur les « disparitions » organisées.

On pense à W ou le souvenir d’enfance de Pérec, au dossier de « Suite Française », le livre d’Irène Némirovski, et aux pièces du Mémorial de la Shoah.

Signes d’une administration aux ordres qui classe et déporte, le nez sur ses fiches, consciencieuse et bornée, détruisant les individus.

Dora Bruder est un livre émouvant qui dans une grande sobriété jette un regard rétrospectif sur des existences passées et transforme les vies en destins.

Le narrateur cherche à s’identifier avec la disparue, à la retrouver en reprenant les mêmes itinéraires, vu qu’il a en commun avec elle les fugues, les mauvais souvenirs et les mauvais rêves.

Fontelle:

Citation :

C'est grave Docteur

Ne t´en prive pas, car vivant à l´etranger, c´est très pratique pour moi, lorsqu´à peine arrivée en France, je visite une libraire, ayant déjà un peu degrossi les livres qui m´attirent parce que vous en avez parlé en positif et en négatif sur ce même Forum.

J'ai lu Dora Bruder il y a pas mal de temps je l'ai lu avec le plan de Paris sur les genoux jouant les enquetrices avec l'auteur on sait plus si c'est vrai ou faux et je me souviens à la fin il me responsabilisait je dois me souvenir du passé et à ça j'adhère totalement

Tchipette a écrit:

il y a les déambulations dans Paris,!

fontelle a écrit:

des descriptions et encore des descriptions de promenades dans Paris, et la sensation d'un ennui "chic" sans fin...

berne a écrit:

J'ai lu Dora Bruder il y a pas mal de temps je l'ai lu avec le plan de Paris sur les genoux jouant les enquetrices avec l'auteur

Modiano dans Dora Bruder dit être sujet à des sensations de vide ou de malaise dans certaines rues et ce serait le declencheur ou l'effet de certaines de ses histoires :

p30

Citation :

Vers 1968, je suivais souvent les boulevards,jusque sous les arches du métro aérien [...] je ne savais encore rien de Dora Bruder et de ses parents. Je me souviens que j'éprouvais une drôle de sensation en longeant le mur de l'hôpital Lariboisière, puis en passant au-dessus des voies ferrées, comme si j'avais pénétré dans la zone la plus obscure de paris [...]

p 36

Citation :

je me souviens que pour la première fois j'avais ressenti le vide que l'on éprouve devant ce qui a été détruit, rasé net. je ne connaissais pas encore l'existence de Dora Bruder. Peut-être mais j'en suis sûr- s'est elle promenée là, dans cette zone qui m'évoque les rendez-vous d'amour secrets, les pauvres bonheurs perdus.

Cette intervention d'une sensation de malaise déclenche des souvenirs personnels :
p 55

Citation :

je pensais en écrivant ce roman à certaines femmes que j'avais connues dans les années 60 : Anne B, Bella D- du même âge que Dora- et qui avaient été, pendant l'occupation, dans la même situation qu'elle, et auraient pu partager le même sort, et qui lui ressemblaient sans doute.

Tout devient alors habité par la tragédie, jusqu'au film qu'aurait pu voir Dora, et que le narrateur ne peut plus regarder sans penser aux spectateurs de jadis, maintenant disparus :

p.82

Citation :

Ce film imprégné par les regards des spectateurs du temps d e l'Occupation - spectateurs de toutes sortes dont un grand nombre n'avaient pas survécu à la guerre.

J'ai terminé de lire Dora Bruder, c'était mon premier Modiano et ça y est, je suis sous le charme de l'écriture
J'adore la façon dont l'auteur évoque Paris,ses rues, le temps qui passe...son écriture m'a souvent fait penser à celle d'Annie Ernaux. Une écriture simple,dépouillée mais qui fait d'autant plus d'effets.
En refermant le livre, on se surprend à penser à cette Dora, et à continuer la reconstitution de son parcours, à partir de ce 14 décembre 1941...

Une émission qui aurait fait plaisir à Fontelle, un peu réticente sur Modiano, était la séance de pastiches sur France-culture ce midi. Les intervenants proposaient des textes qui auraient pu être ecrits par Modiano, et un texte authentique. Il fallait bien entendu identifier les vrais auteurs.

J'aime bien les pastiches, malicieux et démystificateurs, ils permettent de mieux voir le ton d'un écrivain, voire de se moquer de ses travers.

"Une sensation de malaise qui déclenche des souvenirs personnels"

C'est vrai... Là ,je vais un peu me répandre, tant pis...

J'allais chaque année (1952 -1960)passer un mois de vacances à Drancy, dans la famille de ma marraine, morte de tuberculose à 18 ans.

Commerçants prospères, belle maison,il suffisait de traverser le boulevard pour accéder à la "galerie marchande" en dessous des énormes et grises "barres" des logements HLM qui dataient déja....

J'y allais à reculons faire des achats, malgré la librairie, mal à l'aise, je ne savais pas pourquoi (J'avais entre 6 et 10 ans à l'époque...)
Je m'y sentais mal...

Ce n'est que 20 ans plus tard que j'ai appris ce qui s'y était passé et que j'ai cru comprendre...

Je n'ai jamais compris, je ne veux pas croire que les lieux gardent une mémoire des faits, mais c'est troublant...

Livre de chevet... commencé avant-hier, et terminé hier... c'est dire s'il m'a plu...

:ffleur: La Place de l'Etoile", premier roman de Modiano
Aussi brillant que grinçant, le premier roman de Patrick Modiano met en scène le destin d’un Juif antisémite pendant la guerre.


En exergue de cet étonnant récit, une histoire juive :
« Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit : "Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Étoile ?"
Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine. »
*
Voici, annoncé en quelques lignes, ce qui anime le roman : l'inguérissable blessure raciale. Le narrateur, Raphaël Schlemilovitch, est un héros hallucinatoire.
*
À travers lui, en trajets délirants, mille existences qui pourraient être les siennes passent et repassent dans une émouvante fantasmagorie.
*
Mille identités contradictoires le soumettent au mouvement de la folie verbale où le Juif est tantôt roi, tantôt martyr et où la tragédie la plus douloureuse se dissimule sous la bouffonnerie.
*
Ainsi voyons-nous défiler des personnages réels ou fictifs : Maurice Sachs et Otto Abetz, Lévy-Vendôme et le docteur Louis-Ferdinand Bardamu, Brasillach et Drieu la Rochelle, Marcel Proust et les tueurs de la Gestapo française, le capitaine Dreyfus et les amiraux pétainistes, Freud, Rebecca, Hitler, Eva Braun et tant d'autres, comparables à des figures de carrousels tournant follement dans l'espace et le temps. Mais la place de l'Étoile, le livre refermé, s'inscrit au centre exact de la « capitale de la douleur ».
*
Ce "roman" ne ressemble à rien de connu... mais facsinant.
Si vous désirez en savoir plus, rendez-vous sur mon blog (voir dans mon profil).
amitié et bonne soirée lecture.

le texte placé en exergue de place de l'Etoile 1er livre de Modiano, paru en 1968, actuellement chez Folio.

Citation :

« Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit : “Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Étoile ?” Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine. »

Je n'ai pas accroché à son dernier roman "dans le café de la jeunesse perdue".
Rien que le titre déjà..caricatural et ronflant.
Sinon, c'est du très classique Modiano..obsession des noms de rues et des endroits sombres. ça se lit tranquillement mais rien de nouveau sous le soleil modianesque.

"dans le café de la jeunesse perdue".

Citation :

Rien que le titre déjà..caricatural et ronflant.

tu es bien sévère pour le titre.

que dirais-tu donc d'A la recherche du temps perdu, ou les illusions perdues ou voyage au bout de la nuit ?

je te laisse Une oeuvre déchirante d'un génie renversant de dave Eggers

j'oubliais splendeurs et misères des courtisanes.

Igitur a écrit:

Je n'ai pas accroché à son dernier roman "dans le café de la jeunesse perdue".
Rien que le titre déjà..caricatural et ronflant.

Ah moi au contraire je trouve ça très poétique, ça nous change des titres de Marc Levy où il met amours, amis, et ensuite il change l'ordre selon les romans. J'adore ce titre, en fait.

Modiano comme on s'y attendait aime Modiano. Et le livre, qu'en as-tu pensé ? Je ne l'ai pas encore lu mais c'est dans mes projets. Le problème c'est que Modiano a des thèmes, des obsessions et qu'il s'y cantonne un peu. J'ai donc laissé son dernier livre traîner dans ma bibliothèque...

Moon a écrit:

Modiano comme on s'y attendait aime Modiano. Et le livre, qu'en as-tu pensé ? Je ne l'ai pas encore lu mais c'est dans mes projets. Le problème c'est que Modiano a des thèmes, des obsessions et qu'il s'y cantonne un peu. J'ai donc laissé son dernier livre traîner dans ma bibliothèque...

C'est comme qui dirait mon livre préféré. Mais le problème chez moi qui suis nul en analyse littéraire, c'est que j'ai du mal à exprimer ce que j'aime dans mes lectures, c'est pourquoi je serai souvent un peu laconique dans mes messages sur ce forum. ^^

Pour essayer de te répondre, disons que notre ami Patrick évoque des thèmes qui m'intéressent beaucoup comme l'identité et la mémoire, tout en jouant sur la nostalgie dans un style qui est vraiment délicieux. Elliptique quand il le faut, pas trop de métaphores que je déteste, des personnages un peu bohêmes et ma ville préférée...

Dans les titres que j'ai lus de lui, il y a une sorte de nonchalance que j'aime beaucoup ... plus l'écriture, les personnages et la ville comme tu le dis.

J'ai terminé il y a quelques jours dans le café de la jeunesse perdue.
Comme à son habitude il nous fait déambuler dans les rues de Paris à la recherche de traces, d'indices, d'une histoire qu'il faut se raconter pour la faire voyager.

Les livres de Modiano c'est chaque fois les mêmes et chaque fois différent, bref je me suis laissée prendre au jeu comme d'hab !

le vendredi 20 novembre à 20h35 sur France 2.

Une fiction télévisée intitulée "Des gens qui passent", en adaptation du roman de Patrick Modiano « Un cirque passe ».
réalisateur Alain Nahum, avec Laura Smet et Théo Frilet.

Citation :

Paris, 1961. Jean, étudiant en lettres, croise Marie dans un commissariat où il était convoqué pour une raison qui lui échappe. Secrète et mystérieuse, la jeune fille semble déjà marquée par la vie. Elle affabule, brouille les pistes, cherche visiblement à fuir quelque chose.
Jean accepte de lui venir en aide et l'héberge dans le grand appartement familial déserté qu'il partage avec Grabley, un ami de son père. Voulant rompre avec son milieu, Marie fait passer Jean pour son jeune frère

« Un cirque passe ». 1/2

Brume et non-dits chez Modiano.

A lire Modiano, je pense à ces vers d’Aragon,

« Si j’y tenais mal mon rôle,
c’était de n’y comprendre rien »

Ce qui définirait bien son personnage narrateur.

Un sentiment d’étrangeté l’envahit à côtoyer de personnes dont il ignore tout :

Citation :

« je finissais par me demander ce que je faisais là, au milieu de personnes que je ne connaissais pas. »

Citation :

« j’étais ce voyageur qui monte dans un train en marche et se retrouve en compagnie de quatre inconnus »

Il est suffisamment passif pour se contenter de vivre ces instants, sans oser y voir très clair

Citation :

« j’aurais dû lui demander à quel moment et en quelles circonstances, mais j’ai laissé passé l’occasion. »

Citation :

« j’ai pensé que ça ne valait pas la peine que je lui pose ces questions ».

Citation :

« j’ai été tenté de l’ouvrir(l'= son permis de conduire) pour connaître son nom, son adresse, sa date et son lieu de naissance. Mais je ne l’ai pas fait par discrétion»

D’ailleurs il fait de ces incertitudes, de cette brume du passé, une sorte d’art d’écrire.

Citation :

«Aujourd’hui, je revois cette scène de loin. Derrière la vitre d’une fenêtre dans une lumière étouffée, je distingue[…] l’ampoule, sur le pied de lampe, est trop petite et trop faible. Si je remontais le cours du temps et revenais dans cette même pièce, je pourrais changer l’ampoule.
Mais sous une lumière franche, tout cela risquerait de se dissiper »

« Un cirque passe ». 2/2

Quant au lecteur, dirait Moon dans son port, la brume, on s’en aperçoit pas sur l’instant, mais nos vêtements et nous-mêmes en sommes totalement embués.

Le temps éclaire imparfaitement les moments vécus que l’écriture évoque en clairs-obscurs

Citation :

« j’ai mieux connu le quartier quelques années plus tard et je suis passé devant l’immeuble où nous avions rejoint Ansart, cette nuit-là. »

Citation :

« Aujourd’hui je comprends mieux ces allées et venues pour tenter de rassembler les morceaux épars d’une vie »

La mélancolie teinte le récit de ses contours flous :

Citation :

« On est jeune, on néglige certains détails qui auraient été précieux plus tard. »