Patrick Modiano

maïa a écrit:

Ceci dit, je suis impatiente de lire celui-ci : j'ai eu l'impression qu'avec Un pedigree, le précédent, Modiano était enfin allé jusqu'au bout de quelque chose : cette vérité intime de l'enfance, d'un rapport au père effrayant, traumatisant... Il avait 'dit" pour la première fois, sans voile, ce autour de quoi il tournait depuis tant d'années à travers le filtre du romanesque.
Alors ? Va-t-il se désimpliquer ? Arriver à la fiction pure ? Ou recommencer à tourner autour d'un nouveau secret ??
J'attends !

Et tu n'es pas la seule ! Tu as une telle passion quand tu parles de ce que tu aimes, que cela donne envie de lire sans même savoir de quoi il retourne !
J'adore ça, bon ça ne doit pas être joli joli quand tu n'aimes pas mais ça me plaît aussi !

rotko a écrit:

C'est aussi une vraie stratégie commerciale avec une promotion concertée : larges extraits dans Lire du mois d'octobre + les émissions signalées.

Il est bien lancé

Oui mais ça c'est un peu la même chose pour chaque auteur...Rien de comparable avec la folie Nothomb ou Werber, cependant^^.

Là, ce qui m'a frappé, c'est l'extrême concentration des interventions (entretiens, articles dans tous les journaux) au moment où la "rentrée littéraire" était déjà faite.

J'ai eu l'impression que l'editeur en faisait le chaval de dernière heure qui allait bouleverser les pronostics et rafler la mise.

je crois y voir une stratégie éditoriale bien programmée, et je le dis sans nullement viser à dévaloriser Modiano.

une voix discordante.

Citation :

Même si nous respectons Modiano et lui reconnaissons d’évidentes qualités techniques, nous nous sentons étrangers à son écriture, qui nous semble d’un autre siècle. Nous n’avons pas vécu l’apparition fracassante de son auteur dans le paysage littéraire français.

Doit-on, d’ailleurs, se plier à l’adoration d ‘un écrivain face à son encensement passé dans les médias, qui selon nous favorise la folie actuelle ? Certainement pas. Et il est inutile de nous accuser de jeunisme : nous sommes par exemple fans de John Irving, un auteur de la même génération de Modiano, que l’on taquine également car « il écrit toujours le même livre ».

La "folie Modiano", donc, ne passera pas par nous. C’est dit, et nous assumons les éventuelles railleries à venir.

culture-café

Je suis de retour
et me dois de faire une mise au point à propos de Modiano.
Je n'ai pas dit "a priori" que j'aimerais ce livre qui vient de sortir. Je n'ai pas eu le temps de l'acheter, encore ! J'ai juste dit que je lis Modiano depuis des années, chaque fois qu'il sort un nouvel ouvrage, avec plus ou moins d'enthousiasme, mais avec toujours un certain bonheur de lecture.
Et comme, avec Pedigree, il est pour la première fois passé du romanesque à l'autobiographie (ou autofiction ?) pour affronter directement ses fantômes, je suis curieuse de voir comment il va revenir à l'ancienne manière.
Je vous en parlerai seulement quand je l'aurai lu.
Qu'il soit "promu" par l'éditeur comme tous les "produits" qui sortent, c'est sans doute normal, même s'il n'en a pas vraiment besoin puisqu'il a ses fidèles ... C'est la règle du jeu, hélas, qui fait qu'une daube absolue est présentée comme un chef d'oeuvre au même titre qu'un vrai chef d'oeuvre (ceux-là, ils sont rarissimes !)
En tout cas, il n'est pas en piste pour les "prix littéraires", et c'est tant mieux

C'est Pierre Le Tan, dont on a déja parlé sur ce fil qui fait la couverture de voyage de noces



et ce paysage immobile, comme enfoui dans le passé, correspond bien à ce qu'on ressent à la lecture.

Citation :

« Le passé et le présent se mêlent dans mon esprit par un phénomène de surimpression »

.

Voyage de noces.

Le narrateur fuit son entourage, et au lieu de faire le voyage prévu au Brésil, se rend en plein été à Milan. Il apprend que dans son hôtel, une Française vient de se suicider.

Par petites séquences on voit revenir à la lumière des souvenirs de rencontres entre Jean, le narrateur, et la Française suicidée alors qu’elle vivait en couple avec un certain Rigaud.

Des surimpressions entre les époques et les personnages constituent la trame du récit, instaurant des rapprochements entre des situations identiques et des expériences douloureuses de l’enfance et de l’âge adulte.

Citation :

« Je me suis revu, vingt ans auparavant, en compagnie d’Ingrid et de Rigaud dans la demi pénombre devant le bungalow. Autour de nous des éclats de voix et des rires semblables à ceux qui me parvenaient maintenant de la terrasse. J’avais à peu près l’âge d’Ingrid et de Rigaud et leur attitude, qui me semblait si étrange à l’époque, était la mienne ce soir. »

Ainsi le narrateur, comme en un rêve éveillé, revoit ou imagine ce que furent les épisodes et les pensées intimes d’Ingrid et de Rigaud : leurs vingt ans, mais aussi ce qu’ils ont gardé de leur enfance.

Modiano excelle à rendre des atmosphères ambiguës, faussement tranquilles, car fragiles et menacées, où des personnages comme des ombres sont à la fois proches et tenues à distance du narrateur comme du lecteur.

Ce dernier subit à son tour le malaise vécu par le narrateur à l’évocation de ces personnes qu’il a connues par intermittences.

Dans le café de la jeunesse perdue.


Je l'ai ouvert hier soir tard, et je viens de le refermer.
Pas pu le lâcher, peu dormi.
Petite musique habituelle reconnaissable dès les premières lignes. En même temps, Modiano semble, avec Pedigree avoir réglé leur compte à ses fantômes personnels, au moins pour un temps, et avoir retrouvé une veine purement romanesque. Encore que... Récurrence de l'absence, de l'absence de soi à soi, au monde et aux autres - la seule solution pour que votre vie soit inscrite sur la portée du monde, c'est que quelqu'un un jour, écrive dans un carnet que vous étiez là, à telle heure, à tel endroit...
Récurrence de la déambulation dans un Paris où la magie des lieux ( et toujours des lieux précisément nommés, géographiquement exacts) s'apparente de plus en plus à une conception ésotérique de la ville - vous verrez cette histoire des zones neutres, des premières pentes et des suivantes... Récurrence de cette obsession de la mémoire et des enfances malheureuses.
J'ai beaucoup aimé. Apprécié aussi qu'il y ait ici quatre narrateurs, quatre points de vue différents sur cette même histoire tragique de Louki.
Je vous laisse découvrir

maïa a écrit:

Dans le café de la jeunesse perdue.


Je l'ai ouvert hier soir tard, et je viens de le refermer.
Pas pu le lâcher, peu dormi.
Petite musique habituelle reconnaissable dès les premières lignes. En même temps, Modiano semble, avec Pedigree avoir réglé leur compte à ses fantômes personnels, au moins pour un temps, et avoir retrouvé une veine purement romanesque. Encore que... Récurrence de l'absence, de l'absence de soi à soi, au monde et aux autres - la seule solution pour que votre vie soit inscrite sur la portée du monde, c'est que quelqu'un un jour, écrive dans un carnet que vous étiez là, à telle heure, à tel endroit...
Récurrence de la déambulation dans un Paris où la magie des lieux ( et toujours des lieux précisément nommés, géographiquement exacts) s'apparente de plus en plus à une conception ésotérique de la ville - vous verrez cette histoire des zones neutres, des premières pentes et des suivantes... Récurrence de cette obsession de la mémoire et des enfances malheureuses.
J'ai beaucoup aimé. Apprécié aussi qu'il y ait ici quatre narrateurs, quatre points de vue différents sur cette même histoire tragique de Louki.
Je vous laisse découvrir

J'y ai retouvé aussi l'esprit situationniste de l'époque, les nuits passées dans les cafés à refaire le monde, les images en noir et blanc (ça je ne sais pas pourquoi), bref j'ai surfé sur ma jeunesse et la vague m'a engloutie.

Les filles, vous me torturez... mais continuer continuer, je voudrais le lire là tout de suite !

Et si vous voulez parler de l'auteur, continuer aussi ! j'ai la chance ou la bêtise de découvrir l'homme/auteur, j'ai envie d'en savoir plus et vos sentiments !

Utopie a écrit:

Les filles, vous me torturez... mais continuer continuer, je voudrais le lire là tout de suite !

Et si vous voulez parler de l'auteur, continuer aussi ! j'ai la chance ou la bêtise de découvrir l'homme/auteur, j'ai envie d'en savoir plus et vos sentiments !

Même chose pour moi ! en plus j'ai du lire cet auteur mais je suis incapable de me souvenir quoi? en plus je ne trouve rien dans ma "biblio par ordre alphabétique"
si je viens de retrouver: villa triste et rue des boutiques obscures mais je ne sais plus du tout l'effet que cela m'avait fait car ça fait quelques années ...

Dans le café de la jeunesse perdue.

Suite aux commentaires de Maïa et de Joce, je l'ai eu et dévoré.

Je n'en dis pas plus pour le moment et attendrai la fin du mois puisque il fait partie de la lecture commune.

Je peux dire que j'ai vraiment beaucoup aimé !!!

prépare quand meme ton petit topo, car ca nourrit les echanges ! sinon tout le monde dit "ouais c'est bien", "super" ou "peut mieux faire"

je caricature evidemment, vous avez vu ?

C'est la lecture commune donc ... j'attends la fin
Tu ne le veux pas ce livre z'au fait ?

Rues des boutiques obscures

Citation :

Drôles de gens. De ceux qui ne laissent sur leur passage qu’une buée vite dissipée. Nous nous entretenions souvent avec Hutte de ces êtres dont les traces se perdent. Ils surgissent un beau jour du néant et y retournent après avoir brillé de quelques paillettes. Reines de beauté. Gigolos. Papillons. La plupart d’entre eux , même de leur vivant, n’avaient pas plsu de consistance qu’une vapeur qui ne se condensera jamais. Ainsi Hutte me citait-il en exemple un individu qu’il appelait « l’homme des plages ». Cet homme avait passé quarante ans de sa vie sur des plages ou au bord des piscines, à deviser aimablement avec des estivants et de riches oisifs. Dasn les coins et à l’arrière-plan de photos de vacances, il figure en maillot de bain au milieu des groupes joyeux mais personne ne pourrait dire son nom et pourquoi il se trouve là. Et personne ne remarqua qu’un jour il avit disparu des photographies. Je n’osais pas le dire à Hutte mais j’ai cru que « l’homme des plages » c’était moi. D’ailleurs je ne l’aurais pas étonné en le lui avouant. Hutte répétait qu’au fond, nous sommes tous des « hommes des plages » et que « le sable-je cite ses propres termes- ne garde que quelques secondes l’empreinte de nos pas ».

J'aime énormement ce passage, je ne peux pas m'empecher de le garder à l'esprit à la lecture d'autres Modiano.

Merci Moon, c'est effectivement très beau, enfin cela me touche beaucoup aussi.
Je crois que je vais lire tous les Modiano !
L'auteur est touchant en plus... je suis en train de tomber amoureuse

Utopie a écrit:

Merci Moon, c'est effectivement très beau, enfin cela me touche beaucoup aussi.
Je crois que je vais lire tous les Modiano !
L'auteur est touchant en plus... je suis en train de tomber amoureuse

on te comprend Utopie
je ne peux pas te mettre la photo mais va voir
ICI

Utopie a écrit:

C'est la lecture commune donc ... j'attends la fin
Tu ne le veux pas ce livre z'au fait ?

je suis avec Dora Bruder pour l'instant, on verra plus tard, merci

Je n'ai pas encore Dora Bruder, et je mets mon impression pour l'autre.

Je rappelle pour les intéressés queDans le café de la jeunesse perdue est un livre voyageur actuellement chez Fontelle.

Merci Marie pour le lien, il y a des extraits de certains livres et des mots intéressants.

Dora Bruder : J'ai du mal à accrocher un peu comme Pedigree que j'avais abandonné...

Quelques mots d'explication seront peut-étre utiles.

Par hasard j'ai lu recemment voyage de noces qu'on voit sur ce fil. or on trouve déja dans ce livre la petite annonce :

Citation :

"on recherche une jeune fille, seize ans, visage ovale, yeux gris, manteau sport brun etc.."

A de petites différences près, Ingrid Teyrsen est son nom dans voyage de noces, on reconnaît l'annonce qui ouvre Dora Bruder, et ses caracteristiques physiques et vestimentaires.

Dans un entretien publié au bulletin gallimard 1997, Modiano raconte que, frappé par cette annonce et par l'adresse qu'elle mentionnait, il a consulté le memorial de la deportation des juifs de france, trouvé le nom de Dora Bruder et des renseignements ur ses parents.

Par serge Klarsfeld, il a pris connaissance de fiches de la prefecture de police et du camp de Drancy. Il a écrit aux religieuses qui tenaient l'école où Dora avait été pensionnaire.

C'est donc un long travail de documentation, d'enquête, et de maturation qui amène Modiano du roman (terme qu'il emploie pour voyage de noces) à ce texte de Dora Bruder qui n'est même pas étiqueté comme un récit.

A plusieurs reprises, j'ai trouvé dans Dora Bruder des mentions exactes et vérifiables de personnages et de lieux, tant réels - comme les rapports d'Antonin Artaud avec le docteur Fervière, pour prendre un exemple, que romanesques, les reférences aux Misérables, par le biais de Jean Valjean et Cosette.

A noter toutefois que Modiano restitue ainsi le trajet des deux fugitifs :

Citation :

"la seule manière d'échapper [aux hommes de Javert], c'est de suivre la petite rue du Chemin-Vert-Saint-Antoine.

Et soudain, on éprouve une sensation de vertige, comme si Cosettte et jean Valjean, pour échapper à Javert et à ses policiers, basculaient dans le vide : jusque-là, ils traversaient les vraies rues du paris réel, et brusquement ils sont projetés dans le quartier d'un Paris imaginaire que Victor Hugo nomme le Petit Picpus. Cette sensation d'étrangeté est la même que celle qui vous prend lorsque vous marchez en rêve dans un quartier inconnu."

Remarque à appliquer sans doute au texte de Dora Bruder.

Le café de la jeunesse perdue de Modiano

Comme dans le premier livre Quartier perdu que j’ai lu de Modiano, cette impression d’être sur ses pas. Je pense que ce sentiment vient du fait de connaître les rues et lieux dont il parle, je me le demande, cela rajoute sûrement une autre dimension

Pour cette raison et celle que je supposais rien qu’au titre du livre, je savais que lire ce livre serait nostalgique, à la nostalgie de Modiano, le lecteur ne participe-t-il pas en y apportant la sienne ?

Pour ma part rien de triste dans celle-ci, c’est l’ensemble qui m’a beaucoup touché plus que la vie de l’un ou de l’autre.

On ne peut pas dire que la surprise est au rendez-vous dans ce livre, on sent venir la fin, la fin de la jeunesse, de certaines vies, du temps à rêver sa vie. C’est donc un tableau juste et émouvant que j’ai vu à travers les mots.

Il y a un thème qui me passionne également, c’est cette vie dans les bistrots, je pense que c’est ainsi dans les grandes villes.

La diversité des cafés, café d’ouvriers, d’étudiants, par métier également, les chics, enfin selon le quartier, le lieu où ils se situent. Ce sont des lieux de vie, d’échange, de rencontres, d’observations passionnantes sur la vie humaine. Lieux d’études aussi, nous y travaillions au lycée et étudiants, on peut écrire, lire, bavarder, se taire, ne rien faire, y être amoureux, ce sont de petits havres de paix où sans se connaître forcément, on se reconnaît.

J’ai donc adoré ce livre et j’aime l’écriture de Modiano qui nous conduit en douceur mais sans hésitation au cœur des êtres humains.

Il y a la parfaite écriture :

Citation :

C’est donc un tableau juste et émouvant que j’ai vu à travers les mots.

il y a les déambulations dans Paris, la sublimation de cette ville en Monde (les "pentes", les territoires neutres),

il y a aussi la vie dans les cafés, les bruits, la fumée, les alcools, les gens, les discussions que l'on devine âpres,

il y a la nostalgie attendue,

il n'y a pas de père,

il n'y a pas de surprise, que du plaisir à le lire.


Je ne connais pas suffisament Paris pour reconnaitre les lieux, mais nous étions deux sur ses pas!