Yasmina Khadra [Algérie]

Bonjour, à tous.

Depuis des années, on m'abreuve de toutes sortes d'inepties. Espion, plagiaire, Système, m'attribuant des nègres de tout gabarit. Pourquoi ? Je l'ignore. Jalousies, probablement. Au pluriel. Il se trouve, parmi mes détracteurs, des individus qui ont contracté la khadraphobie. Ils sont dans le délire, et la haine la plus atroce. Certains pensent qu'il suffit de semer des calomnies pour défigurer l'image d'un homme. D'autres, qu'il suffit de s'attaquer à moi pour se faire connaître. Ces derniers omettent l'essentiel. Pour mériter l'intérêt, il faut travailler. Pour devenir un romancier célèbre, il faut faire montre de générosité et de talent.

Pour revenir à cette histoire de plagiat, cela fait partie d'une gesticulation parano qui se poursuit depuis très longtemps, raison pour laquelle je n'ai pas jugé nécessaire de m'attarder dessus. Ceux qui pensent avoir un problème avec moi font fausse route; ils ont un problème avec eux-mêmes. Cette gesticulation donc relève de la pathologie. Pour ma part, je n'ai jamais lu ni eu entre les mains le livre en question. Ni même entendu parler de cette histoire somme toute ordinaire.

Les récits racontant les amours interdites entre un autochtone et une Européenne, un Noir et une Blanche, un Musulman et une Juive, un riche et une pauvre, un noble et une roturière se ressemblent toutes. Même conflit communautaire, même ségrégation raciale, même réaction grégaire. Les similitudes dont il est question sont parfaitement récurrentes dans l'ensemble de ces histoires d'amour. Que souvent la mort brutale sanctionne.
Mon roman n'a rien à voir avec ces histoires d'amour. C'est d'abord l'histoire de l'Algérie coloniale. Emile n'intervient qu'à la 3ème partie du roman. Les deux premières, Jenane Jato et Rio Salado, sont, à eux seuls, deux Grands romans.

Depuis toujours, la littérature a mis l'Amour au-dessus de TOUT.
Pour la première fois, dans mon histoire à moi, c'est l'Honneur qui est au-dessus de tout. Une approche unique. Une histoire extraordinaire. Mais n'est pas littérateur qui veut. Encore moins les énergumènes que la haine aveugle au point où ils ne se rendent même pas compte du ridicule qu'ils incarnent.

Pourquoi les années 30 ? Pour garder vivant mon personnage aujourd'hui. J'ai voulu qu'il témoigne d'une époque. J'ai fait mon calcul de façon à ce qu'il aie 80 ans aujourd'hui, l'âge de la lucidité, puisque l'avenir est derrière soi et que devant, il n'y a que le passé. L'âge des prières et des bilans. L'âge peut-être du pardon et de la réconcilation. Bref, de la maturité.

Pourquoi Aix-en-Provence ? Pour rendre hommage à une ville où j'ai vécu 8 ans et qui m'a inspiré mes plus grands romans. Ca a toujours été mon voeu. Ne jamais cultiver la rancune; de toujours dire merci pour le peu de chose que je reçois.

Quant à cette similitude avec le départ des Pieds-noirs, il s'agit de l'Histoire. Personne ne l'a inventé, tout le monde l'a subi. C'est l'HISTOIRE. Qui peut plagier l'HISTOIRE ? Sinon, comment occulter l'un des moments majeurs de l'Algérie coloniale, le moment des plus effroyables déchirures?... Bizarre, cette "similitude"... Autant amputer une aventure de son aboutissement, un récit de sa fin... J'avoue que j'ai trouvé la signalisation de "cette similitude" comme un aveu de mauvaise foi doublé d'un crétinisme jusqu'auboutiste.
Quant au cimetière ? C'est là où vont se recueillir toutes les mémoires blessées. Comme dans tous les films, et dans tous les romans qui parlent de retrouvailles tardives, de remords irreversibles.

Peut-on accuser "Indigènes" de plagier "Il faut sauver le Soldat Ryan" ?
Ou "Le docteur Jivago" de plagier "Autant en emporte le vent", ou ce dernier de s'inspirer grossièrement de "Guerre et paix", malgré tant de "similitudes".
Mais le ridicule n'a jamais tué personne.

IMPORTANT :Mon roman n'est pas une histoire d'amour entre un autochtone et une pied-noir. Cet amour n'a jamais existé. Son élan a été rompu dès la première approche. Jonas ne s'en rendait même pas compte. Il N'AIMAIT PAS Emilie. Ce n'est qu'au mariage d'Emilie et de Simon, qu'il s'est mis à se poser la question de savoir qu'elle était la nature réelle de ses sentiments. Le doute s'est mu en cas de conscience, en culpabilité. Son amour ne s'éveillera que beaucoup trop tard, après l'assassinat de Simon et le départ d'Emilie pour Oran. Mais était-ce vraiment l'Amour ou bien seulement une tentaive désespérée de se racheter auprès d'une fille qu'il avait blessée, voire humiliée...

Dommage que je sois contraint de vous éveiller à la complexité, à la profondeur et à la singularité d'un roman formidable. Il ne s'agit pas d'une histoire d'Amour ORDINAIRE. C'est l'histoire d'un gâchis, d'un grave malentendu qui aura survécu aux traumatismes de la guerre et de l'exil.

Si je réponds à vos questions, c'est pour vous dire ceci: L'Internet est devenu la plus grande décharge publique de l'univers où se régalent jusqu'à satiété les détritivores les plus ignobles. C'est pourtant un espace que je leur concède volontiers puisque tous les autres leur sont inaccessibles.

Autre chose, apprenez à apprécier par vous-mêmes les situations, les êtres et les choses. Et rappelez-vous ceci : les minables ne sauraient déceler l'intégrité des autres. Ils passeraient devant la grâce du Seigneur qu'ils ne verraient que leur propre laideur. Mes détracteurs font partie de ce cheptel perfide et lâche et je me réjouis de les voir se diluer dans leur propre fiel.

"Ce que le jour doit à la nuit" est une oeuvre magique, belle, exceptionnelle. Et comme toutes les oeuvres grandioses, elle ne fait frémir que les gens qui en sont dignes. Et vous êtes déjà plus de 600 000 à avoir porté, avec moi, ce roman fraternel.

Avec toute ma gratitude.
Yasmina Khadra