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| | Pierre Jourde | |
| | Auteur | Message |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 09:13 | |
| Pays perdu, chez l’esprit des peninsules.
A ce livre qui fit grand bruit, nul ne contestera son écriture. Le fil principal est le retour au pays, et l’enterrement d’une figure de ce village.
Commence alors le rituel des visiteurs à la maison du défunt, l’evocation des survivants, comme squelettes ou démons d’ « une sauvagerie rustique », les trognes, et parfois la permanence d’un sourire angélique sur un visage défunt émacié.
Comme les chouans de Balzac, les habitants semblent appartenir à des populations primitives – ici les Mongols ou les Tadjiks, à la fois grotesques et attendrissants, avec leurs histoires tragiques quotidiennes : les mutilations dues à la machine, les yeux énucléés, les corps brisés, les hanches rompues.
Les divinités du lieu, l’Alcool avec ses farces bacchiques, la Crasse et la Merde relèvent des scènes épiques et burlesques d’Aristophane. | |
| | | Seb pilier
Nombre de messages : 950 Date d'inscription : 26/02/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 09:45 | |
| - rotko a écrit:
- Pays perdu, chez l’esprit des peninsules.
les habitants semblent appartenir à des populations primitives Je crois avoir lu qu'ils étaient tellement contents de la façon dont ils avaient été dépeints dans son livre qu'ils lui ont cassé la figure quand il est revenu faire un tour au village. Comme quoi l'écriture n'est pas un exercice de tout repos. Sebhome | |
| | | Syl pilier
Nombre de messages : 1553 Age : 61 Localisation : Belgique Date d'inscription : 23/01/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 09:54 | |
| Oui, oui, Sebhome, tu as raison. Ca a d"ailleurs été porté auprès des tribunaux cette affaire-là. (Comme quoi Jourde n'avait peut-être pas tout à fait tort dans sa description des gens "du cru" ! ) | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 10:38 | |
| Au départ, en connaissance de l'affaire transmise par la presse, je n'avais pas specialement de sympathie pour Jourde qui s'était mis à dos les villageois. Je crois qu'il faut lire le livre en dehors de cette polémique, sinon on s'arrête sur des passages dévalorisants, en oubliant la totalité de la fresque. Au village, ce dût être une lecture "à clés"; choquée par des mots et des images, une colère qui en lieu clos s'est enflée toute seule. J'ai choisi en extrait un des aspects littéraires de l'oeuvre : les scènes d'un monde "à l'écart", en voie de disparition, sous le regard d'un enfant qui se rappelle des machoires sans dents, des anecdotes truculentes telles qu'on peut les raconter au bistrot ou chez Rabelais. En même temps, le lecteur comme l'auteur est un citadin qui regarde un village resté au début du XIXe, avec son manque d'hygiène et de commodités, et un abandon général dû à la solitude : le linge sale entassé dans un coin de la pièce, si j'en crois jean-claude kaufmann, est une pratique courante chez les citadins célibataires. Ici nous sommes en milieu rural avec des veufs et des isolés. Quant à l'alcool, il fait partie de tous les rituels, funéraires autant que festifs. Jourde célébre des rites bacchiques, en gardant l'oeil sur des dégâts réels. Maupassant restait réaliste, Jourde se rapproche d'Aristophane et de la verve Jean des Entommeures. | |
| | | Sphynx pilier
Nombre de messages : 350 Date d'inscription : 08/01/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 10:39 | |
| Pays perdu, c'est LE chef d'oeuvre de Jourde, à mon avis, pour ce qui est de ses romans. Une belle écriture, une prose poétique que rien ne distrait. Le sujet n'a rien d'original et a été traité mille fois, c'est juste que la langue sonne juste, mais avec un son de glas. Le monde rural tel qu'il le décrit (on est loin des paysanneries " terroir et traditions") est en train de s'éteindre, c'est une question de quelques années
Je me dis quand même qu'il aurait pu épargner les [sur]vivants en fictionnant les lieux où en ne décrivant pas des gens aussi facilement reconnaissables. Ce qui lui est arrivé montre bien que sa peinture est juste, et ça pose moins le problème de la liberté de témoignage et d'écriture que celui de la délicatesse envers autrui, à fortiori quand autrui est son cousin ou son voisin de village. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 10:43 | |
| - Citation :
- On parcourt le territoire d'une mauvaise plaisanterie mythologique, la parodie grinçante des puissances originelles.
Cet attelage impressionnant que vous avez croisé sur la route était mené par Jupiter en personne, torse nu, maîtrisant avec facilité la puissance du monstre grondant qui tire son char, on reconnaît sa barbe, sa musculature et son regard étincelant.
Dérrière lui, juché sur l'amoncellement de barres odorantes qui brillent au soleil, massif et brut, Vulcain vous considère. Plus tard, on trouvera Vulcain trébuchant, la parole empâtée, un peu d'écume séche au coin des lèvres. | |
| | | Sphynx pilier
Nombre de messages : 350 Date d'inscription : 08/01/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 10:47 | |
| Il y a un passage très beau, aussi (je n'ai plus le livre, help, Rotko!) sur le vin qui coule dans le verre en crevant la toile d'araignée.... | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 11:43 | |
| - Citation :
- La variété des boissons et des récipients contibue à la légende des maisons sales. Car il faut bien y boire, toute visite exige son canon de rouge, à la rigueur du café. Inutile de biaiser, le verre de sirop peut comporter plus de risques que le vin. on espère vaguement que l'alccol désinfectera un peu.
Il y a ceux qui font passer le café dans de vieux bas. Ceux qui le réchauffent dans une boîte de petits pois posée à même le feu.
Dans une ferme l'étrangeté du service atteignit un jour des beautés fabuleuses. Il devait s'agir de verres protocolaires, que l'on sort rarement, réservés peut-être à des invités de marque.
Des araignées confiantes les avaient emmaillotés. Le vin fut versé sans autre précaution, et le filet de pinard creva la toile poussiéreuse. | |
| | | Sphynx pilier
Nombre de messages : 350 Date d'inscription : 08/01/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 12:00 | |
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| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 12:07 | |
| l'avis de Josyane Savigneau - Citation :
- Après quatre tentatives peu remarquées ; à côté d'essais
universitaires il récidive, à 48ans, avec un roman au titre séduisant,Pays perdu . Ou plutôt monde perdu, le monde paysan, celui de ce hameau, dans une montagne aux hivers rudes, où le narrateurrevient avec son frère et où a vécu leur père. A partir de là, tout est affaire de goût ou d;idée qu'on a de la littérature.
Si on parvient à lire ces phrases ; « On dirait que le temps accumule lui-même de vieilles culottes froissées. Tout ce qu'on néglige mais dont on ne se séparerait jamais, tout ce dont la conscience se détourne mais qui poursuit cependant sa vie larvaire, linge sale et torchons déchirés, vieux outils, édifie lentement le monument nauséabond de l'abandon » ; si l'on trouve juste l'image d' « un moutard livide, fertile en obscénités », alors on peut aimer ce livre. | |
| | | Sphynx pilier
Nombre de messages : 350 Date d'inscription : 08/01/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 03 Mar 2008, 12:29 | |
| Cet avis fait sourire quand on sait comment Jourde étrille cette critique dans ses pamphlets (La littérature sans estomac et Petit déjeûner...)
Pays perdu, c'est le seul roman de Jourde que j'ai aimé. Les autres n'ont pas cette unité, ce ton. Je n'ai pas trouvé bon Festin secret, qui raconte les affres d'un jeune prof confronté à la dégringolade du langage et son corollaire, la violence des ignares. Il y déclame ses idées par le biais de ses personnages C'est schématique, romanesquement pas top top, même s'il y a de beaux passages toujours très bien (trop bien ?) écrits. | |
| | | Seb pilier
Nombre de messages : 950 Date d'inscription : 26/02/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Mer 05 Mar 2008, 14:45 | |
| - rotko a écrit:
- ... il faudrait leur recommander " la litterature à l'estomac" de Pierre Jourde.
Pierre Jourde n'a pas toujours raison, mais il vise souvent juste. En tout cas il stimule... Oui, je l'avais lu, il y avait aussi des passages assez réjouissants sur Christine Angot et ses répétitions, Camille Laurens et ses expressions toutes faites, Philippe Sollers et sa cour, etc. Je trouve que son problème et celui de son compère Eric Naulleau (ils ont commis un Jourde & Naulleau censé se substituer au bon vieux Lagarde & Michard de notre enfance!), c'est qu'une fois assassinés tous les auteurs ou presque, ils n'ont plus grand monde à nous proposer à la place. Seb | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Mer 05 Mar 2008, 15:49 | |
| Dans la littérature à l'estomac, je ne vois que Pierre Jourde comme auteur.
J'aime son style incisif, et le Begbeider démaqué me venge de l'ennui éprouvé à lire "nouvelles sous ectasy", à un moment où, naïf patenté et certifié conforme, j'ignorais tout de cet omnipresent des medias.
La charge est bonne et utile, puisque Begbeider est critique sur Lire, je crois ? Un peu de décrassage fait du bien, et au moins on appréciera un auteur pour de bonnes raisons.
Bobin ou le Ravi de la crèche le débarrasse des quelques facilités auxquelles j'avais succombé. Pour autant je ne jette pas Bobin sur le fumier, et je lirai volontiers ce qu'il dit du Journal littéraire de Paul Léautaud.
Si les commérages ne sont pas dénués de douceur, selon la formule d'Amos Oz - phrase à resituer dans son contexte qui n'est pas favorable, j'aimerais bien savoir où Jourde s'en prend à Savigneau.
J'ai surpris celle-ci à mentionner Hafid Aggoun comme bon prétendant au goncourt (était-ce en 2005 ?), alors que manifestement elle ne l'avait pas lu, et que la promotion de cet auteur avait été orchestrée de manière malhonnête et spectaculaire. Je peux le prouver.
Je lirai aussi ce que Jourde dit de Jean Pierre Richard : j'aime ce que ce dernier dit de Stendhal, et tout particulièrement de la chartreuse dont Moon parlait récemment. | |
| | | Seb pilier
Nombre de messages : 950 Date d'inscription : 26/02/2008
| Sujet: Re: Pierre Jourde Mer 05 Mar 2008, 16:14 | |
| - rotko a écrit:
- Dans la littérature sans 'estomac, je ne vois que Pierre Jourde comme auteur.
oui, celui qu'il a coécrit avec Eric Naulleau est un autre livre (un choix de textes à enseigner aux enfants à la place de nos classiques) - rotko a écrit:
- j'aimerais bien savoir où Jourde s'en prend à Savigneau.
Je crois que c'est - indirectement - dans le chapitre sur Sollers, où il exécute également Viviane Forrester. Mais il s'en est aussi pris à elle dans divers organes suicidaires. Il paraît que, du temps où elle dirigeait le Monde des Livres, un éditeur avait déclaré : "Faire un portrait de Josyane Savigneau aujourd’hui, c’est comme tenter un portrait de Staline de son vivant." Seb | |
| | | rotko pilier
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| Sujet: Re: Pierre Jourde Mer 05 Mar 2008, 16:25 | |
| je vais voir. En tout cas je trouve ses charges bien envoyées, vives et réjouissantes, à la différence des professeurs de désespoir de Nancy Huston, livre qui allie hargne et mauvaise foi dans son réquisitoire : deux exemples. Un oubli de taille : Céline ne figure pas dans ses ecrivains désespérants, et quoi qu'on pense de l'écrivain et de l'homme, son absence laisserait donc penser qu'il est optimiste ? Le pire : trouver à Thomas Bernhardt une "ressemblance psychologique" avec Hitler en dit long sur le sérieux de l'argumentation de Nancy Huston (sans préjuger de la qualité de ses romans que je n'ai pas lus). | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 07 Avr 2008, 05:08 | |
| Le Tibet sans peine de Pierre Jourde (Gallimard, la blanche) parle de periples au Zanskar sur lemode caustique. - Citation :
- Traverser des glaciers et des tempêtes de neige avec un équipement de promeneur estival nécessite autant d'inconscience que de ténacité.
L'équipée est rapportée avec une verve comique teintée d'autodérision. A la description des paysages sublimes et de l'hospitalité généreuse des Tibétains répond celle du progressif délabrement physique et moral du voyageur et de ses compagnons dans la dureté de l'épreuve l'éditeur. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Sam 30 Mai 2009, 05:13 | |
| Jourde est un polemiste, ce qui n'est pas un défaut, loin de là, on n'est pas obligé de le suivre sur tous les terrains. le voici sur bibliobs, il parle de la culture et des conformismes. - Citation :
- Le régime sarkozyste est un grand ami de la culture. Il restera dans les annales comme l'équivalent du siècle d'Auguste, du siècle de Louis XIV, un âge d'or où florissaient les arts, où les créateurs, protégés par le Prince, donnaient le meilleur d'eux-mêmes. Il suffit d'observer le chef de l'Etat en personne : la République s'est-elle jamais enorgueillie d'un président d'une telle élégance dans ses manières, dans son langage? Dès qu'on l'écoute, on sent le lettré, l'homme de goût, l'ami des arts. D'ailleurs, il a un peu la diction du rappeur, c'est la même délicatesse dans l'approche des problèmes humains, la même appétence pour les montres voyantes et le luxe ostentatoire de nouveau riche.
Dès qu'on l'entend parler, on a l'impression que trois filles peu couvertes, équipées de gros seins, vont se tortiller lascivement derrière lui en faisant les chœurs. Avec un baggy, une chaîne en or et une dent du même métal, il ferait un tabac au zénith. Si la suite est de la même eau, plus la peine de boire du pinard. | |
| | | Modiano pilier
Nombre de messages : 231 Age : 33 Date d'inscription : 23/01/2009
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 01 Juin 2009, 22:55 | |
| - rotko a écrit:
- Dans la littérature à l'estomac, je ne vois que Pierre Jourde comme auteur.
Mon cher rotko, Il me semble que tu as commis une petite erreur; La littérature à l'estomac est un pamphlet de Julien Gracq, le titre de l'oeuvre de Jourde (voulait-il lui rendre hommage?) est La Littérature sans estomac. Je l'ai lu, et j'ai surtout ri, plus que retenu beaucoup. Mais je crois que le vocabulaire était un peu ésotérique... | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Mar 02 Juin 2009, 04:47 | |
| - Modiano a écrit:
-
Il me semble que tu as commis une petite erreur; La littérature à l'estomac est un pamphlet de Julien Gracq, le titre de l'oeuvre de Jourde (voulait-il lui rendre hommage?) est La Littérature sans estomac.
c'est vrai ! fallait donc rectifier, merci Modiano. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Lun 18 Oct 2010, 09:19 | |
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Prochain lance flammes de Pierre Jourde: C'est la culture qu'on assassine. A paraître en janvier 2011 chez L'Esprit des péninsules.
Ce sera une attaque en règle "de quelques imposteurs que certains font passer pour de grands créateurs". Jourde dénonce "une véritable entreprise de démolition de la culture."
Quand l'attaque fait mouche, on se réjouit ; s'il est injuste, on peut répondre. De toute façon, c'est salutaire et vivifiant.
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| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Sam 15 Sep 2012, 17:54 | |
| Affaire Millet.Pierre Jourde : Pourquoi je n'aurais pas signé le texte d'Annie Ernaux [pour exclure Millet du comité de lecture de chez Gallimard.] Mes deux fils aînés sont ce qu’on appellerait aux Etats-Unis colored. Issus du métissage, comme dirait Libération. Pour le Bidochon moyen, qui ne s’arrête pas aux nuances de peau, ce sont des Nègres, quoi. 50% Massif central, 37,5 % Antilles, 12,5% Arménie. Ils sont très beaux. La marraine de l’aîné, ma meilleure amie, est une négresse, elle aussi, tout comme son parrain. Nègre aussi mon plus vieil ami, connu à treize ans au collège. Mâtiné d’Indien du Brésil et de Noir mon filleul, qui est comme un fils.
A mes enfants, de bons paysans français pure souche du Massif central ont jeté des pierres en les traitant de «sales bougnoules». Ce jour-là, mes fils auraient pu y laisser leur peau. Ce pour quoi j’ai fait condamner en justice les bons Français en question. A ceux qui parlent de racisme, je peux donc dire que je sais de quoi je parle, moi, je connais la question, je la connais dans la chair de mes enfants.
Lorsque Millet est incommodé par la présence de Noirs dans le métro, ça me concerne très directement. Je lui réponds que mes enfants et mon filleul sont tout aussi français que lui, qu’ils connaissent Molière par cœur et jouent du Ravel, qu’ils sont à leur place dans le métro parisien, et que ses propos sont dégueulasses. Il se place objectivement du côté de ceux qui ont jeté des pierres. Et là, on ne négocie pas: on casse la gueule.
Casser la gueule, c’est précisément ce que j’ai fait il y a quelques années en Auvergne, lorsqu’on lapidait mes enfants. J’ai pu en sortir vivant en grande partie grâce aux leçons de Yacine, champion du monde de boxe française, un sale bougnoule, lui aussi, pour qui j’ai infiniment de respect et d’affection, même si ce n’est pas toujours le cœur léger qu’on le rejoint sur un ring, vous pouvez m’en croire.
Et là, je ne relève que les propos les plus anodins de Millet. Des dizaines de jeunes gens sont morts, massacrés de sang froid par un tueur abject. Mais pour Richard Millet, c’est Millet la victime. Il ose demander: «Pourquoi me tuez-vous?» On atteint là le fond de l’obscène. Que Millet soit un homme intelligent, sensible, un très bon écrivain et un très bon éditeur, très au-dessus, pouvait-on espérer, de ces conneries, voilà qui constitue une circonstance aggravante. Dénoncer ce qu’écrit Millet est plus que légitime, c’est une nécessité, c’est un devoir.
Mais demander le renvoi, se regrouper, signer des pétitions, c’est une autre affaire. En bas du texte d’Annie Ernaux, je relève des signatures de gens envers qui j’ai de l’estime, de l’admiration et de l’affection parfois, entre autres François Bon, Bernard Desportes, Jean-Baptiste Gendarme, Mathieu Larnaudie, Laure Limongi, Gérard Macé, Eric Marty, Christian Prigent, Michel Quint, Jean-Marie Blas de Roblès, Jean Rouaud, Lydie Salvayre, Boualem Sansal, Philippe Forest, et Annie Ernaux elle-même. J’en oublie. Estime, admiration, affection qui ne sont en rien affectées par mon désaccord avec leur démarche. A ces gens de bonne foi, je voudrais simplement dire ceci.- Spoiler:
Millet est obsédé par la pureté. Pour moi, la pureté, c’est la mort. La vie, la création excluent la pureté. Les purs tuent au nom de la pureté, raciale, religieuse, tout ce qu’on voudra. Mais précisément, l’épuration est la plus mauvaise réplique à apporter à ces obsédés de la pureté. C’est leur répondre sur le même mode. En France, nous adorons les épurations rituelles, nous nous y livrons régulièrement, comme si nous pensions éliminer par là le mal. On n’épure pas plus la littérature qu’on ne l’expurge. Tout le mal qu’il y a en l’homme, c’est aussi ce qu’elle a à porter, oui, y compris «l’apologie de la violence» et le «mépris de l’humanité». Ce qu’il y a d’inhumain en l’homme, elle a à le porter. Cher Jean, cher Bernard, cher Christian, chère Lydie, cher Eric, que j’admire, vous qui êtes d’excellents écrivains, des êtres charmants, souvenez-vous de Jean Paulhan. Ce grand résistant s’est opposé à l’épuration à la Libération, il s’est battu contre la censure qu’on voulait faire subir aux écrivains collaborateurs, il a travaillé à leur permettre de publier, notamment Céline, cette ordure. Donnerons-nous des leçons à Paulhan? Ne répondons pas à la pureté par la pureté.
Au début de sa biographie de Sainte Lydwine de Schiedam, Huysmans, et c’est l’auteur qui s’exprime très clairement, appelle à brûler les juifs. C’est sans ironie, pour le coup, et c’est immonde. Allons-nous brûler Huysmans? Non. Nous dirons ce que représente cette pensée, nous l’analyserons, sans indulgence. Dans le Dictionnaire des Lettres française du XXe siècle, publié dans la «pochothèque», j’ai écrit, à la notice Henri Vincenot, ce que personne n’avait jamais dit: fêté à la télévision, adulé comme un bon papy régionaliste, Vincenot était en fait un antisémite pur jus. Le Pape des escargots est une dénonciation en règle du juif corrupteur qui détourne du droit chemin le brave petit Français bien enraciné dans les vraies valeurs du terroir. Tout s’est passé comme si personne n’avait jamais lu Vincenot, qui plastronnait sur les plateaux télé. Je déplore qu’on ne l’ait pas attaqué. J’aurais déploré qu’on l’interdît ou qu’on se mît à faire des pétitions.
La campagne contre Millet a porté ses fruits. Il vient de quitter le comité de lecture de Gallimard. Je ne crois pas qu’il y ait là de quoi être fier. Je préfère rester dans la ligne de Paulhan.
Comme Renaud Camus, Millet est obsédé par l’invasion de la France par les hordes barbares venues d’Afrique. C’est le fond du problème, et de son libelle sur Breivik. Sa manière d’aborder cette question est, pour moi, à la fois délirante, confuse et nocive. Mais l’irénisme de ceux qui lui répondent me gêne aussi parfois. La folie de Millet devient un épouvantail commode qui permet d’esquiver la question. LA question, celle sur laquelle on s’écharpe immanquablement, en se traitant à qui mieux mieux de fasciste, de raciste ou de bobo bien-pensant. D’un côté, un délire paranoïaque, l’éloge de la pureté. De l’autre, le refus d’admettre qu’il puisse y avoir le moindre problème, car parler de problème, c’est déjà être raciste. Deux manières de refuser le réel.
Ma détestation de la pureté mortifère, dans tous les domaines, fait que, pour nous en tenir à la question ethnique, je n’aime rien tant que croiser des couples mixtes. A chaque coup, c’est plus fort que moi, ça m’attendrit. J’aspire à une France avec des Indiens, des Marocains, des Polonais, des Chinois, des Viets, des Colombiens, des Haïtiens, des Maliens, des Egyptiens, des Ethiopiens, des Portugais, des Turcs, se mélangeant joyeusement, avec leurs coutumes, leurs langues, leurs traditions, leurs cuisines, leur histoire, leur hospitalité, leurs vêtements, leurs religions, parce que c’est la vie, la richesse, la joie, la diversité, l’humanité. Comme il y a une France avec des Bretons et des Basques. Il y a quelque part dans le sud de l’Egypte un Mohammed El Adly Hassen que j’appelle mon frère. Quelque part dans l’Himalaya un Vinod que j’ai aimé. Tout le contraire de Millet, quoi. Mais je ne veux pas qu’on attente à la liberté. Je m’explique. Le réel et le refus du réel, je voudrais les illustrer ici par deux anecdotes.
Première anecdote. Invité dans une émission de Frédéric Taddei sur les banlieues, il y a trois ou quatre ans, j’ai raconté ceci. J’étais professeur à Creil, banlieue difficile s’il en est. Au cœur de la question de l’immigration, en tous cas plus près du cœur de la question que le Boulevard Saint-Germain. J’enseignais la littérature dans une classe de chaudronnerie, et ça se passait plutôt bien. Ces futurs chaudronniers étaient tous de bons petits Français de souche. Ils m’expliquaient après les cours qu’ils n’aimaient pas les Arabes, qui les volaient et les agressaient. Je ne les ai pas sermonnés. Je ne leur ai pas fait la morale. Si je les avais traités de racistes, si leur avais dit que leur «sentiment d’insécurité» ne correspondait pas à la réalité de Creil, ils m’auraient ri au nez, parce que je leur aurais menti, et j’aurais contribué à faire des électeurs du Front National.
Je les ai écoutés, et puis j’ai été voir un autre de mes élèves, dans une autre classe, un jeune homme d’origine maghrébine, un Arabe, quoi, dont j’appréciais la finesse, l’intelligence posée. Je lui ai demandé quelque chose de très difficile, qu’il a accepté. Il est venu, courageusement, dans la classe des chaudronniers, et pendant une heure il leur a parlé. Il leur a expliqué ce que c’était qu’être un Arabe à Creil. Ils ont discuté, sans mâcher leurs mots. Et je sais que cela a quelque peu bouleversé les positions arrêtées dans les esprits.
Pendant que je racontais ça, sur le plateau, m’écoutait un ancien conseiller de Lionel Jospin. La gauche, quoi. Et puis il est intervenu. Pas pour me dire que j’avais lutté activement contre le racisme, pas pour me couvrir de médailles pour le travail accompli, non non, pas du tout. Il est intervenu pour dire ceci: «il est indigne d’un professeur d’employer sans cesse comme vous le faites le mot Arabe». J’en suis resté pantois. Donc, il ne faut pas dire qu’on est Arabe. Et si être Arabe est un problème pour certains, comment aborder et traiter le problème, sinon en reprenant le mot? C’est par ce genre d’attitude qu’une certaine gauche prétendument antiraciste empêche en réalité toute lutte concrète contre le racisme. C’est l’esprit de la pureté; ne prononçons pas le mot, ne voyons pas la chose.
Deuxième anecdote. L’an dernier, mon fils aîné, le sale bougnoule, donc, se promenait sur les Champs Elysées avec un ami très visiblement homosexuel. Ils se sont fait agresser par un groupe de racailles qui voulaient casser de l’homosexuel. Admirez la cocasserie de la chose: un «noir» se battant avec des «jeunes issus de l’immigration» pour défendre un homosexuel. Zut alors. La situation n’est pas pure. Où est le Bien? D’où vient que ces racailles voulaient la peau d’un pédé? Est-ce qu’il faut faire l’impasse sur la dimension culturelle de la chose? Est-ce que mon fils était raciste en cognant des jeunes «issus de l’immigration»? Est-ce que l’immigration massive de personnes venant de pays où l’imprégnation religieuse est très forte ne pose aucune espèce de problème à la laïcité, et par là à la liberté?
A cette question Millet répond par un repli qui sent le rance. Mais ce n’est pas une raison pour nier la question, et écrire gentiment, comme Le Clézio ici-même, que «la question du multiculturalisme est caduque». A une amie au teint mat qui se fait traiter de salope dans le bus parce qu’elle ne porte pas le voile, je n’ai qu’à répondre: «tu nous embêtes, la question du multiculturalisme est caduque». A un copain médecin qui se fait agresser par des barbus exigeant un médecin femme pour leur sœur, il faut dire: «Où est le problème? Puisqu’on te dit que la question du multiculturalisme est caduque». A ma voisine juive qui a émigré en Israël à force de se sentir agressée dans mon quartier du XXe arrondissement, j’aurais dû dire: «franchement tu es dégueulasse de nourrir l’islamophobie». L’obsession de Millet est perverse, mais la question du multiculturalisme n’est pas caduque, elle est brûlante, c’est son déni qui est dangereux. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas lutter contre les idées de Millet en disant juste que c’est un salaud et que tout est parfait dans le meilleur des mondes, comme l’aurait voulu le conseiller de Jospin. L’immigration, cette immigration tant redoutée par Millet et Camus, c’est une richesse. Mais c’est aussi parfois un problème.
Il y a des banlieues où des groupes de jeunes machos, imbibés des rudiments d’une culture patriarcale et d’une caricature de religion, oppressent les femmes, manifestent leur haine des juifs et des homosexuels, attentent à la liberté de se déplacer, de croire ce qu’on veut, de manger ce qu’on veut, de s’habiller comme on veut, de fréquenter qui on veut. Je n’aime pas l’idée que mon ami Salah doive dissimuler son homosexualité à ses compatriotes Marocains, ni se cacher pour boire un coup. Il y a, en Millet, du fasciste, c’est entendu. Et applaudir Anders Breivik, c’est écœurant. Que dire de ceux qui ont applaudi naguère celui qui a brûlé vive une jeune fille? Qui brûlent vives de jeunes femmes dans les autobus? La haine des juifs, des femmes, des homosexuels, de la mixité, cela a un nom, cela s’appelle aussi du fascisme. Et la pauvreté n’est en rien une excuse. Un fasciste pauvre est quand même un fasciste. Et sur beaucoup de gens aussi pauvres que lui, il exerce sa tyrannie. Il y a des libertés que nous avons mis des siècles de luttes à obtenir, mais on a par moments le sentiment d’une régression. Si on se tait, on met en danger les libertés acquises.
Comprenez-moi bien, je n’excuse rien, je ne renvoie personne dos à dos. Je veux dire ceci: il n’y a pas de grande mutation, et l’immigration massive en est une, sans problèmes, comme veut nous le faire croire Le Clézio. Richard Millet, avec tout son immense talent, est l’enfant monstrueux de ce problème, l’enfant pervers qui nous entraîne, depuis des semaines, dans la spirale de sa perversité. Nous avons, comme écrivains, comme intellectuels, à dénoncer le racisme, la xénophobie, l’esprit d’exclusion, la violence. A dénoncer Millet, donc.
Mais nous devons aussi reposer sainement les termes d’une question qu’il a complètement pervertie. Sa pensée malsaine engendre l’attitude malsaine du déni. Il faut prendre en compte le réel dans sa violence et sa complexité. Il y a un idéal avec lequel nous ne pouvons pas transiger, et que nous devons défendre, d’où que proviennent les attaques, c’est la liberté. C’est sur ce plan qu’il faut poser le problème. Le reste, l’origine, la couleur, la religion, on s’en fout. La Liberté comme droit absolu et fondement du vivre ensemble, dès lors qu’elle n’attente pas à la liberté de l’autre. Liberté de croire ce que l’on veut, de manger ce que l’on veut, d’avoir la sexualité que l’on veut, de se marier avec qui on veut, homme, femme, juif, Arabe, musulman, chrétien.
La liberté, nous devons la maintenir pour les gens qui arrivent en France. Ils nous font le cadeau de leur richesse culturelle et humaine, faisons-leur le cadeau de la liberté, comme on échange des présents. Et cessons de penser qu’il y a pour eux une exception à la liberté. Et par là-même, affirmons qu’ils doivent, eux aussi, respecter cette liberté. Le délire de Millet ne doit pas nous empêcher de veiller sur ces libertés. Et ce n’est pas parce qu’on vit dans des banlieues qu’on devrait être privé de cette liberté dont on jouit tranquillement boulevard Saint-Germain.
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| | | Layla Monroc pilier
Nombre de messages : 986 Age : 30 Date d'inscription : 15/01/2012
| Sujet: Re: Pierre Jourde Mer 26 Sep 2012, 07:14 | |
| C'est mon prof de littérature et pratique d'écriture. Et de littérature française x) | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Pierre Jourde Jeu 11 Oct 2012, 05:35 | |
| Maréchal absolu752 p chez Gallimard. Ogre sanguinaire et rabelaisien, le Maréchal règne en despote sur la république d'Hyrcasie. Tout le monde veut sa peau, amis ou ennemis. Mais personne ne sait qui il est en réalité, sauf, peut-être, son vieux confident, qui est aussi son secrétaire particulier, son masseur, son homme à tout faire. Des rebelles tentent de renverser le tyran et l'assiègent dans sa capitale. Il n'envisage pas d'autre solution, pour en finir, que de déclencher l'apocalypse. - Citation :
- mon roman parle clairement des dictatures issues de la colonisation [...] des dictatures personnelles, avec ce qu'elles ont de fou et de baroque. C'est ce qui m'intéressait: la cruauté politique qui pénètre jusque dans la famille.
un entretien sur bibliobs | |
| | | Solweig pilier
Nombre de messages : 477 Date d'inscription : 14/07/2007
| Sujet: Re: Pierre Jourde Mar 19 Nov 2013, 16:02 | |
| J'ai adoré ses Carnets d'un voyageur zoulou dans les banlieues en feu. Une tonne d'ironie déversée sur le politiquement correct. C'est excellent ! | |
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| Sujet: Re: Pierre Jourde | |
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| | | | Pierre Jourde | |
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