Rafael Sanchez Ferlosio - [ Espagne]

Rafael Sanchez Ferloso, Les eaux du Jarama, chez Bartillat.

Un roman choral ?

Pas au sens des films actuels qui racontent des histoires différentes et les font se rejoindre !

Ici tout le monde parle en même temps, et le lecteur est bien forcé d’entendre, car tout se déroule en temps direct.

On a l’impression d’être dans un film type hôtel du nord dans la scène du banquet : mêmes voix, même verve populaire :

Citation :

- Mais tu vas te taire, phénomène de foire ? S’écria don Marcial. Avec ta voix de trompette on dirait que tu enfonces un roseau dans les oreilles chaque fois que tu élèves la voix !

- Phénomène de foire, pas plus que toi, pieds plats ! Tu as un pied qui va vers la France et l’autre vers le Portugal !

- mais écoutez-le, ce jus de torchon ! Il a le culot de chercher les défauts des autres ! Vous vous rendez compte, les études que ses parents ont dû faire pour mettre au monde un produit aussi ingrat ! Ah ! Ils nous ont fait un beau cadeau !

De jeunes madrilènes, en couples, se retrouvent près du fleuve, et c’est la joie : baignades, conversations, pique-nique à l’extérieur et danse à l’auberge. Le roman éclate de vie, à toutes les heures de la journée, avec rires, brouilles passagères, intrigues et idylles, petites aventures et quelques maux de tête à cause du vin, de l’entrain, et de la chaleur. Les scènes sont très présentes.

Citation :

- Dis donc, vieux ! Déjà sept heures et demie. Ils doivent en avoir plus qu’assez de nous attendre.

Peu à peu ils s’élevaient, laissant dessous d’eux, derrière eux la foule de la rivière. Il y avait encore d nombreux groupes dispersés dans les arbres et sur l’autre rive,parmi les buissons au bord du champ jaunâtre ; quelques corps nus, aussi sur le ciment du barrage, presque chromés, maintenant à contre jour. Les ombres despécialiser qui bordaient le canal étaient fines, et très longues

- C’est crevant.

Fernando soufflait.

Autant s’attarder un peu sur les bons moments de ce week-end au bord de l’eau.

Citation :

Il y avait encore des gens sous les arbres ; on entendait le murmure paisible des conversations, parmi les group d’ombre : on voyait pulluler les points lumineux des cigarettes, comme des vers luisants de braise rouge.

Des pieds bronchèrent contre le corps recroquevillé de Daniel ; une vox dit « pardon » et le corps par terre , lui répondit par un grognement incompréhensible. De très fines raies parallèles, au-dessus de la noirceur, très haut, par l’ouverture étroite ; des chauves souris fugaces, sur la nuit diaphane.

Plus tard, ce sera le drame, inattendu.

Ces deux caractéristiques - un récit nourri presque exclusivement de dialogues et des scènes en temps direct, ne doivent pas décourager le lecteur.

Les dialogues sonnent authentiques et justes, symptomatiques des générations et classes sociales, et révèlent les aspirations comme les déconvenues d’une jeunesse turbulente et sympathique dans son appétit de vivre.

Le roman fait aussi du Jarama, puissant et imprévisible, un élément métaphysique obscurément ressenti par les humains aux petites préoccupations .

Rafael Sánchez Ferlosio, fils de l'écrivain Rafael Sanchez Mazas dont on parle dans les soldats de Salamine de Javier Cercas a reçu le prix Nadal pour les eaux du Jarama en 1955 et le prix Cervantès pour l’ensemble de son oeuvre.

Rafael Sanchez Ferlosio est l'auteur de Ruses et aventures d'Alfanhui (Verdier, 1989) et de Témoignage de Yarfoz (Actes Sud, 1991).



Autre livre : Nous aurons encore de mauvais moments, chez Rivages Poche

Citation :

Le roman fait aussi du Jarama, puissant et imprévisible, un élément métaphysique obscurément ressenti par les humains aux petites préoccupations.

Citation :

Petit, il l’est, le Jarama, bien sûr l’été ; mais ce qu’ils [les Madrilènes] ne savent pas, c’est que les eaux de cette rivière ont des pattes et des griffes comme les bêtes, pour accrocher les gens et les digérer en un clin d’œil […]
C’est des eaux, ça, qui ont plus d’une couche, avec plein de recoins, de replis et de doublures. Comme une chose vivante ; plus bourrée de tromperies que la queue d’un renard et plus perverse que si c’était des nœuds de vipères qui coulaient dans son lit. C’est pas quelqu' un cette rivière. Pas quelqu'un à qui ont peut se fier. Et une hypocrite à faire peur.