Maximilien Barthélemy François de Robespierre (
le père de l’incorruptible ) tente adolescent d’embrasser l’état monastique. Il reste à peine deux mois au couvent.
Derrière les motivations religieuses, il y aurait eu le souhait du père s’opposant consciemment ou inconsciemment , à ce que son fils lui succédât. Quand à la vocation de B.F , elle avait plutôt été fantasmée.
Barthélemy François de Robespierre étudia par la suite le droit à l’université de Douai , puis après sa licence, il devint à son tour avocat au conseil d’Artois , où on le retrouvera aux côtés de son père le 30 Décembre 1756.
Marquant la souffrance psychique , une répétition de l’épisode juvénile ne tarda pas à apparaitre.
En Janvier 1758 après des bans publiés deux jours auparavant le jeune avocat de vingt cinq ans , donc majeur , épousait Jacqueline Margueritte Carraut , mineure âgée de vingt deux ans et enceinte de près de cinq mois !
Là encore il y avait eu de la part de B.F un pas en arrière , une dérobade , qui en appelait une autre.
La séduction de Jacqueline , simple écart qu’aurait dû effacer un mariage rapide , s’était compliqué en raison de la problématique psychologique du jeune homme .
Une nouvelle fois il avait reculé , comme de la prise d’habit , montrant à nouveau que pour lui , la castration n’était pas symboliquement acceptée.
Et puis surtout , le recul , il l’avait affiché devant la paternité. Il fuyait la castration et ne pouvait tenir la position phallique.
Il ne pouvait reprendre ce que son père avait semblé , avec bonheur , avoir transporté de Carvin , l’héritage symbolique de la longue lignée des De Robespierre. La cassure avait bien eu lieu , et elle se révélait dans les actes du fils.
Jacqueline Marguerite Carraut , épouse de Maître Barthélemy François de Robespierre , avocat au barreau d’Arras , mit au monde le 6 Mai 1758, Maximilien Marie Isidore (
le futur incorruptible ).
Le fils aîné entrait dans la filiation des De Robespierre , sans reserve aucune. Pourtant il revenait de loin et avait bien failli n’être qu’un bâtard ( né hors mariage ) . Mais malgré la remise en ordre , il restait un mal venu !
Le 8 Février 1760 naquit Marie Marguerite Charlotte
Le 28 Décembre 1761 naquit Henriette Eulalie Françoise
Le 21 Janvier 1763 naquit un second garçon Augustin Bon Joseph
Le 16 Juillet 1764, Jacqueline Carraut mourut , après avoir mis au monde , douze jours plus tôt , un enfant qui ne vécut que quelques heures.
Son mari , maître Barthelemy françois de Robespierre , semble avoir été absent lors de la sépulture………….Refus d’accepter la réalité ? Culpabilité ecrasante ?
Jacquline Carraut n’eut elle pas des difficultés à faire preuve d’amour envers ses enfants ?
Pourtant, Maximilien eut sa mère pour lui seul durant plus de dix huit mois , c’est-à-dire jusquà ce que la grossesse suivante ait été bien avancée. Or c’est pendant ces premiers mois de la vie de l’enfant que la qualité des relations avec la mère est fondamentale. Il est évident, à l’observation des troubles majeurs présentés plus tard par Maximilien, qu’il fût , dans son premier âge, la victime d’un manque d’amour.
Enfin on ne doit pas écarter l’hypothèse de l’existence chez Jacqueline Carraut d’une maladie physique en évolution ( la tuberculose ). Tout cela dut faire de Maximilien un enfant mal aimé.
L’absence de cet amour ne permit pas d’effacer la culpabilité et la honte liée aux circonstances de la conception de Maximilien , qui se trouva plus ou moins consciemment rejeté par sa mère.
A la mort de sa mère Maximilien avait six ans : il l’avait pour ainsi dire toujours connue enceinte.
Combien l’enfant devait les détester ces grossesses et ces nourrissons qui lui ravissaient sa mère jusqu’à la lui enlever définitivement ; Car Jacqueline Carraut était bien morte du « mal d’enfants « , victime « des œuvres « ou « des amours « du père , ainsi que la mère de Jean Jacques Rousseau.
Celui-ci , dans Les Confessions rapporte comment sa mère , jeune belle et délaissée , confrontée à la passion de son entourage , « pressa « son mari qu’elle aimait tendrement , de revenir ; Ce dernier , parti à Constantinople comme ‘ horloger du sérail « … quitta tout et revint. Je fus , continue t’il , le triste fruit de ce retour . Dix mois après , je naquis infirme et malade ; je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de mes malheurs « . Parallèle saisissant !
Mais plus que l’enfant , c’était bien, dans l’un et l’autre cas, le père qui se trouvait désigné comme le responsable de tous ces maux.
Claude Manceron ( Les Hommes de la Liberté ) écrira de Maximilien : « Il se comportera toujours comme si son père n’avait pas existé «
C’est bien là tout le secret ressort de sa vie. On comprend mieux l’impossible identification de Maximilien, son repli sur sa propre image, dans un narcissisme désespéré .
(
le rapporteur de cette étude fait remarquer ,avec un certain plaisir , que ce narcissisme s’applique donc également à JJ Rousseau …. Voir article dans GDS )
B.F de Robespierre va s’engager dans la voie de l’instabilité totale ……………….
Une chose est certaine , c’est que depuis la mort de sa femme , il était seul.
Les quatres enfants , abandonnés par leur père , avaient été recueillis par la famille.
Maximilien et Augustin , les deux garçons , allèrent chez leur grand père Carraut , les deux filles se retrouvèrent chez leur grand-mère et les tantes de Robespierre.
Maximilien de Robespierre , âgée de douze ans , obtint sur la demande du grand père Carraut , l’une des quatres bourses convoitées lors de la rentrée scolaire de 1769 , pour suivre ses études au Collège Louis le Grand.
Sur les 12 ans passés par Maximilien à Louis le Grand , il reste peu de témoignages. Aussi chacun a pu s’imaginer à sa convenance , le mûrissement secret de celui qui deviendra l’incorruptible.
Silencieux , et surtout solitaire , c’est ainsi que nous le décrivent aussi bien son condisciple Fréron , que l’abbé Proyart, sous principal du collège.
« Jamais , écrit le premier, il ne se mêlait aux jeux de ses camarades ; il se promenait seul à grands pas , toujours rêveur , et l’air malade « . Quel secret cet adolescent portait il en lui ?
Secret si redoutable et si pesant qu’il accaparait sa pensée et le condamnait au mutisme.
On évoque évidemment la nécessité de cacher la déchéance paternelle , l’humiliant naufrage de la famille de Robespierre.
Mais plus profondément on pense bien sûr à la persistance de fantasmes originaires , confortés par les circonstances de la mort de sa mère.
( ces formations de la fantaisie , celle de l’observation du commerce sexué parental, celle de la séduction, de la castration et d’autres , je les appelle fantaisies originaires .
Sigmund Freud, Communication d’un cas de paranoïa. 1915 )
Ainsi l’isolement de Maximilien rendait compte d’une évidente position mélancolique , celle du deuil impossible où il se croyait un être d’exception , prédestiné à accomplir une mission rédemptrice.
Maximilien de Robespierre obtint sa licence en droit le 17 Mai 1781.Il fut reçu avocat au parlement de Paris le 2 Aout suivant;
Passons sur son élection à l’académie d’Arras en Novembre 1783.
L’année 1788 évoquait l’imminence de « grands changements « et on ne s’étonnera pas de voir Robespierre se lancer dans l’arène électorale .
Le 5 Juillet 1788 , par un arrêté du conseil d’état , la monarchie avait annoncé la convocation des Etats Généraux, et invité toute personne instruite à donner son avis sur la question.
En Janvier 1789 Robespierre publia son premier texte politique : « A la Nation artésienne sur la nécessité de réformer les Etats d’Artois et sur les moyens de parvenir à ce but « .
Le 3 Avril 1789 il fut choisi parmi les premiers pour former le corps électoral aux Etats Généraux.Le 9 Juillet 1789 , une députation de 24 membres est envoyée auprès du Roi pour lui demander le retrait des troupes concentrées autour de Paris.
Ainsi aux côtés de Mirabeau lui-même, de Pétion , de Barère , de Tronchet , mais aussi du duc de La Rochefoucauld , du comte de Clermont-Tonnerre , de l’Abbé Grégoire et de l’archevêque de Vienne, Maximilien Robespierre sortait de l’anonymat et se hissait à la dimension de l’histoire.
En Juin 1791 , Robespierre était , et pas seulement sur le plan affectif , un homme seul. Aucune figure paternelle crédible depuis la chute de Mirabeau n’était apparue ; on n’assistait plus qu’à des ébauches de relations narcissiques aboutissant soit à des affrontements destructeurs , ceux avec Duport , Lameth ou Barnave , soit à des fusions éperdues , celles avec Camille et Pétion , où l’autre se trouvait comme avalé , avant d’être rejeté et devenir à son tour le mauvais objet à abattre.
Devant ce désert affectif, on peut supposer que la fuite en avant dans le « toujours plus « en faveur des « damnés de la terre « ou dans le « toujours moins « pour les nantis, revêtant un aspect suicidaire inéluctable.
Ce même mois de Juin , aux jacobins , le club de Robespierre , se produisit une grave scission.Le voyant menacé, un des Jacobins, l’entrepreneur de menuiserie Maurice Duplay, lui offrit de le recevoir chez lui.
L’Incorruptible découvrit quelque chose qui lui était inconnu et quand même temps il avait toujours attendu: une famille, une vraie, comprenant outre les parents , quatre filles et un fils .
Pour la première fois de son existence , Maximilien allait il accéder à une relation triangulaire du type œdipien ?
Michelet , après avoir décrit l’ambiance de la maison Duplay, insisté sur la chaleur évidente qui s’y développe autour de Maximilien et rappelé que durant la première année de son séjour ce dernier « y travaillait tous les jours « , souligne une sorte de transfert par lequel il aurait tenté de résoudre les problèmes psychiques dont il souffrait.
Mais bien loin d’avoir fonctionné comme une cure , c’est-à-dire en apportant à Maximilien les moyens de s’affranchir des exigences inconscientes qui avaient entravé son développement affectif , sa vie chez les Duplay ne fit que le conforter dans une position de toute puissance infantile, niant la loi du père et refusant un choix sexuel autre que sa propre personne.
Le 20 Avril 1791 l’Assemblée Nationale déclare la guerre au roi de Bohème et de Hongrie par un vote quasi unanime.Cette décision capitale , à laquelle Robespierre s’était toujours opposé , aura des conséquences opposées aux intentions de ceux qui l’ont prise : la guerre va perdre Louis XVI. Elle va briser Brissot et ses amis .
Elle portera Robespierre au pouvoir avant de le mener à l’échafaud comme les deux autres !