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 Malraux, l'Espoir

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nicyrle
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MessageSujet: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyLun 01 Avr 2013, 17:46

Petite présentation pour un grand livre : L’espoir.
Dans les premiers jours de la guerre civile d’Espagne, en juillet 1936, Malraux s’engage dans l’aviation du gouvernement républicain pour lutter contre Franco et devient chef d’escadrille. Il participe à la lutte jusqu’en février 1937. Son roman L’Espoir doit évidemment beaucoup à son expérience de combattant, il paraîtra en décembre 1937 chez Gallimard.

Le roman, qu’on peut qualifier d’épique, commence dans la nuit du 18 au 19 juillet 1936, date du putsch franquiste, et s’achève en mars 1937 avec la victoire des républicains. Cependant, les repères de temps précis sont peu nombreux pour focaliser l’attention du lecteur sur des scènes essentielles, ce qui oblige à un effort si on veut reconstituer la chronologie exacte.

Il est construit en trois parties de longueur décroissante :
1 – L’illusion lyrique, elle-même découpée en deux sous-parties : a) L’illusion lyrique, b) Exercice de l’Apocalypse.
2 – Le Manzanares, découpée en a) Être et Faire, b) Sang de Gauche.
3 – L’Espoir.

L’action, qui dure donc huit mois, se déroule en Espagne, dans des villes comme Madrid, Tolède (les deux lieux les plus importants) mais aussi à Barcelone, Brihuega, Guadalajara, Valence, Aranjuez, San Isidro, Albacete, et dans des villages de la Sierra de Guadarrama ou leurs environs.
Mais une large place est faite aux combats dans les airs qui, parfois, entraînent le lecteur au-dessus des lieux déjà cités ou dans le ciel de Palma de Majorque, Malaga, Albarracin et j’en passe !
Cette multiplicité des lieux est une source de difficultés pour la lecture mais en changeant ainsi constamment de lieu, on a pleinement conscience de la rapidité, du désordre et de la dispersion des événements de cette guerre civile.

Malraux a lui-même tiré un film magnifique de son roman en 1939, sous le titre : Espoir, sierra de Teruel. La déclaration de guerre bloqua sa sortie qui n’intervint qu’en 1945.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyJeu 04 Avr 2013, 05:27

Nicyrle a écrit:
Je relis actuellement L'Espoir, œuvre prévue en lecture accompagnée pour avril. J'ai présenté le roman sur le fil ad hoc et je compte essayer de résumer le contexte historique qui peut être utile je crois J'attends un peu ?

Citation :
que du bien ! oui, des rappels du soulèvement de Franco, et des grèves des asturies, seront utiles. Pour les anarchistes de la Fai (Fédération anarchiste iberique) et des communistes de l'ugt,(union générale des travailleurs) on s'y retrouve à peu près dans le texte. c'est vrai qu'il y a aussi la CNT, mais c'est un peu la pagaille sur le terrain.

Le début de l'Espoir plonge dans l'action : en direct, les échanges courts et injurieux, parfois comiques, entre les républicains et les insurgés fascistes de Franco. On passe rapidement d'une scène à l'autre, de Madrid à Barcelone, dans la précipitation joyeuse des communistes et anarchistes enthousiastes : élan des combattants qui défient l'adversaire et la Mort dans des actions spectaculaires ; telles les ruées de voitures fonçant sur des cibles :

"Une armoire à glace de la barricade fonça comme un coup sur les phares du camion qu'elle reflétait dans la frenétique crécelle du fusil mitrailleur du Négus. Lamasse desmeubles s'ouvrit comme une porte enfoncée."

L'écriture est cinématographique avec un zoom et une bande son, des lignes droites ou obliques dont on n'a pas fini de parler car Malraux est un artiste visuel : au milieu du chaos il fait parler un sculpteur et un peintre qui côtoient dans la dynamique fraternelle des hommes d'action comme le Negus et Puig, parfois des adversaires d'hier comme le capitaine de gardes civils.

En mineur, l'ombre de l'illusion lyrique :

les Espagnols savent se battre, ils ne savent pas combattre.

Il faudrait une stratégie, orienter ce mouvement horizontal.
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MessageSujet: l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyJeu 04 Avr 2013, 05:34

Les fins de chapitre marquent, tels des coups de gong.

Pour le plaisir, un autre exemple de l'écriture cinematographique : mouvement et bande son extérieure, c'est une portée de musique, parfois avec des haut-parleurs, ici avec des salutations humaines :

"Contre les voitures fascistes lancées à travers les rues obscures avec leurs mitraillettes, dévalaient les voitures réquisitionnées : et au-dessus d'elles, le salud obsédant, abandonné, repris, scandé, perdu, unissait la nuit et les hommes dans une fraternité d'armistice."
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyJeu 04 Avr 2013, 13:17

Au moins dans un premier temps, j'ai pensé utile de reconstituer non pas tout l'historique de la guerre d'Espagne mais le contexte précis dans lequel s'inscrit L'Espoir, à la fois pour avoir les idées plus claires et pour voir ce qu'en fait Malraux qui, parfois, prend des libertés de romancier.

Contexte historique de L'Espoir :

- 13 juillet 1936 : assassinat de Calvo Sotelo, chef de la droite monarchiste, par des officiers favorables au régime républicain.
- 17 juillet 1936 : insurrection des troupes du Maroc espagnol qui s’étend à d’autres garnisons en Espagne, les jours suivants. Le général Franco est à la tête de la rébellion.
- 19 juillet 1936 : José Giral, Président du conseil et républicain de gauche fait distribuer des armes au peuple à Madrid et Barcelone pour résister au pronunciamento militaire.
- 21 juillet 1936 : combats dans la Sierra de Guadarama au nord-ouest de Madrid.
- août 1936 : un tiers du pays est aux mains des franquistes (Maroc espagnol, nord-est de l’Espagne et Séville), le reste résiste.
- 14 août 1936 : Franco contrôle toute la frontière hispano-portugaise après la jonction à Badajoz du front nord et du front sud.
- 16 août 1936 (Malraux parle du 14 août) : progression nationaliste vers Medellin arrêtée par l’aviation républicaine.
- 27 septembre 1936 : prise de Tolède par les franquistes qui délivrent des nationalistes retranchés dans la forteresse de l’Alcazar avec des otages depuis le 21 juillet.
- octobre 1936 à janvier 1937 : Madrid est constamment attaquée et bombardée par les franquistes. Le gouvernement se retire à Valence, laissant la ville sous le contrôle d’une junte militaire républicaine dirigée par le général Miaja. Le 5e régiment communiste met en place une résistance militaire et une défense civile avec l’appui des premières Brigades internationales envoyées par le Komintern depuis l’Union Soviétique. Les franquistes essaient sans y parvenir d’isoler Madrid en la coupant des troupes républicaines de la Sierra de Guadarrama qui résistent héroïquement.
- 8 février 1937 : prise de Malaga par les troupes fascistes italiennes, entraînant un exode massif de la population civile.
- mars 1937 : les républicains concentrent leurs forces à l’est dans la Sierra de Terruel ; en même temps, du 8 au 18 mars 1937, a lieu la bataille de Guadalajara qui sera finalement prise par les républicains ainsi que Brihuega. Madrid est désormais à l’abri d’un encerclement franquiste.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyVen 05 Avr 2013, 07:44

il est aussi question d'épisodes anterieurs qui ont laissé des traces : les grèves des mineurs des Asturies.

Au mois de mars 1934 se tient au Centre des Sociétés ouvrières d’Oviedo une assemblée de toutes les organisations ouvrières de la région des Asturies, convoquée par la Confédération régionale du Travail des Asturies, Léon et Palencia, d’influence anarcho-syndicaliste, et par l’U.G.T.
La principale mission de cette réunion, convoquée par des socialistes et des anarcho-syndicalistes, est d’arriver à l’unité d’action de toutes les forces ouvrières des Asturies moyennant la création d’un organisme unitaire et de combat, l’Alliance ouvrière révolutionnaire, dans les Asturies

Le cri de cet octobre socialiste : U.H.P. (Unies, Hermanos Proletarios ! — Union, Frères Prolétaires !) reste aujourd’hui plus vivant que jamais dans la conscience collective des vaillants travailleurs asturiens


les grèves insurrectionnelles des Asturies
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyVen 05 Avr 2013, 09:25

Le début du roman semble plonger d’emblée le lecteur dans l’action. Rotko, tu soulignes, à juste titre, que Malraux est un visuel mais c’est aussi un auditif, si j’ose dire, voire un musicien. « Un chahut de camions » ouvre le livre et le premier mot évoque autant une image que des bruits.. Le narrateur omniscient qui s’exprime ajoute sa propre voix pour donner dès les premières lignes des éléments à caractère général, d’ordre politique et géographique, avant de nous faire entrer dans le central téléphonique où se trouvent Ramos et Manuel. Les sons et les voix vont alors nous arriver de partout. Très vite, ce même narrateur semble participer à l’action, en tout cas il en est le témoin fortement impliqué : « le gouvernement avait enfin décidé… », « Il était temps »… Rapidement aussi les différents « acteurs » s’imposent à travers une voix qui les rassemble toutes « Sauf la Navarre, coupée, la réponse avait été ou bien : le Gouvernement est maître de la situation, ou bien : les organisations ouvrières contrôlent la ville… ». À ce moment, la scène est de plus en plus théâtralisée avec une succession de répliques, une multiplicité de voix, en particulier celles, anonymes, des correspondants téléphoniques et de brèves indications qui s’appartentent à des didascalies du genre « Ramos devenait prudent. » Plus loin dans le texte, le dialogue est ponctué par l’interrogation récurrente : « Qui parle ? » d’où un paradoxe car on a l’impression d’un certain désordre et en même temps naît dans cet anonymat une forme d’unanimité.
Le côté dramatique est accentué par le choix du cadre nocturne (que Malraux privilégie souvent dans ses œuvres) « cette nuit où le temps n’existait plus. » « chargée d’un espoir trouble et sans limites ».
Je trouve cet incipit remarquable à tous points de vue : il crée une ambiance faite de violence alors que rien de décisif ne se produit pour l’instant et on en retrouvera l’écho à la fin du roman.


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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyVen 05 Avr 2013, 16:08



Citation :
ce même narrateur semble participer à l’action, en tout cas il en est le témoin fortement impliqué

oui, et on le voit dans la suite > II exercice de l'Apocalypse.

On devine bien vite que Malraux est Magnin, se donnant une place de premier plan, selon des échos. Il scrute les visages, ausculte les possibilités de chacun, et tient un journal bien daté, ce qui plonge directement dans l'Action, terme clé chez Malraux.

Citation :
"Chacun savait que, pour ceux qui l'attendraient, sa propre mort ne serait pas autre chose que cette fumée de cigarettes nerveusement allumées, où l'espoir se débattait comme quelqu'un qui étouffe."

Regard sur les opérations, mais aussi jugement des hommes et des motivations, ce qu'est pour eux la Révolution et être un Révolutionnaire, compte tenu d'un aspect romanesque qui tient aussi de la comédie.

on y trouve même de l'humour : qu'est qui prédispose un mineur d'Alès à vouloir être aviateur ?

Parmi les motivations :

Citation :
"Dans chaque patelin qu'a pris Franco, tout devient plus esclave : non seulement les nôtres, ça va de soi, mais les gosses qu'on remet chez le curé, les femmes qu'on remet à la cuisine. Tous les opprimés, qu'ils le soient d'un façon ou d'une autre, sont venus combattre avec nous..."

Des considérations aussi sur la nécessité de la stratégie, et l'importance de la technique : inutile de faire des barricades contre des avions...
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyVen 05 Avr 2013, 16:43

Je me suis livrée à une petite réflexion sur le titre de la première partie, repris pour la première sous-partie : L’illusion lyrique.

Shade dit à Lopez : « Tout homme a besoin de trouver un jour son lyrisme. » (chap. 4) Un peu avant, il avait déjà souligné qu’ici « les hommes sont comme les gosses. » et que « Ce qui domine tout en ce moment, ici, c’est la bonne humeur. ». C’est une façon de mettre en valeur la spontanéité du peuple combattant, sans arrière-pensée d’aucune sorte, les franquistes et avec un certain « romantisme » ; à cet égard, on trouve des expressions significatives, en particulier pour caractériser Puig l’anarchiste, avec « sa biographie romanesque », sa « veste de cuir et un fort revolver, – costume non sans romantisme sous son turban sale et ensanglanté. » Quand il arrive dans une auto réquisitionnée,« les clameurs joyeuses emplirent la rue » car « le goût des chefs commençait . » Sa mort héroïque est elle-même imprégnée de lyrisme, on le voit « se dresser d’un coup, appuyer ses deux poings sur le volant comme sur une table, avec le cri de l’homme à qui une balle vient de casser les dents. » ; le chapitre s’achève sur son image : « Le Négus […] regardait Puig, caché par son turban, effondré sur le volant, tué. »
Ce lyrisme est une « illusion » qui ne favorise pas l’efficacité de l’action, au contraire. Au chapitre 2 de la 3e section, Garcia parle de « deux ou trois mythes assez dangereux » et le résultat c’est que « L’Espagne est aujourd’hui couverte de barricades, – contre l’aviation de Franco. » et la conclusion implicite est qu'il va donc falloir adopter une vraie stratégie.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyVen 05 Avr 2013, 18:10


Malraux, l'Espoir Milici10

oui, une imagerie romantique ou romanesque comme on voudra ;

Citation :
"Ramos voyait se multiplier devant lui le geste étrange de l'ennemi tué dans sa course, un bras en l'air et les jambes fauchées, comme s'il tentait de saisir la mort en sautant."

fin du chap 2 p 84 chez Folio.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyVen 05 Avr 2013, 21:45

rotko a écrit:


oui, une imagerie romantique ou romanesque comme on voudra ;

Citation :
"Ramos voyait se multiplier devant lui le geste étrange de l'ennemi tué dans sa course, un bras en l'air et les jambes fauchées, comme s'il tentait de saisir la mort en sautant."

fin du chap 2 p 84 chez Folio.
"Romanesque", certes sous la plume de Malraux ! Et "romantique" parce que c'est le mot (ou "romantisme") qu'il emploie à plusieurs reprises, sans oublier que le "lyrisme" va tout à fait avec !
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyLun 08 Avr 2013, 15:17

nicyrle a écrit:
"Romanesque", certes sous la plume de Malraux ! Et "romantique" parce que c'est le mot (ou "romantisme") qu'il emploie à plusieurs reprises, sans oublier que le "lyrisme" va tout à fait avec !

oui, et les mots clés ont de l'importance chez Malraux, qui accompagne le mot romanesque de l'adjectif "suspect" au sens de 'il faut s'en méfier'.

chapitre VII 2e partie Folio p. 260

Citation :
La dynamite lui semblait une arme romanesque, et par là suspecte


Lire Malraux, c'est se rappeler des thèmes dans d'autres oeuvres, celui de la mort et de la comédie dans la condition humaine, mais aussi, vu la multiplicité des personnages, et les allusions à des faits antérieurs, noter des références à des pages précédentes, au gré de la réapparition des protagonistes et de leurs caractéristiques, verbales ou comportementales, ou par le rappel d'actions antérieures.

Ainsi on parle de la lettre de Hernandez à la femme de Moscardo à Tolède (Folio p.230) dont il se souvient à la fin de la 2e partie (Folio p.236).
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyMar 09 Avr 2013, 09:23


Exercice de l’Apocalypse

Une vue panoramique de la guerre, centrée sur Tolède et l' Alcazar, avec des scènes à terre, et des séquences aériennes, des actions et des discussions.

Ces dernières, peut-être un peu longues, occupent la vie des miliciens qui évoquent le passé, en attendant l’action, et la vie des « chefs » : la discipline des communistes s’oppose au laisser aller des anarchistes qui admettent n’importe qui dans leurs rangs, au risque de se faire infiltrer par des éléments douteux.

L’action : « elle rend heureux avec plénitude » dit Hernandez, et des épisodes sont brefs mais spectaculaires : le lance flammes dans les souterrains de l’Alcazar, ou le bombardement aérien sur la forteresse.

C’est l’occasion aussi de connaître les hommes et de voir leurs valeurs :

Parmi leurs motivations principales, le rejet de l’Église.

« Les paysans reprochaient à l’Église d’avoir toujours soutenu les seigneurs, approuvé la répression qui suivit la révolte des Asturies, approuvé la spoliation des Catalans, enseigné sans cesse aux pauvres la soumission devant l’injustice, alors qu’elle prêchait aujourd’hui la guerre sainte contre eux ». p.208

« Elle a enseigné deux choses : à obéir et à dormir » p 207.

Et le refus de l’humiliation:

« La droite et la gauche espagnoles sont séparées par le goût ou l’horreur de l’humiliation » P 243.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyMar 09 Avr 2013, 09:52

Mon approche de Exercice de l’Apocalypse :

Le découpage du livre en parties, sous-parties et chapitres est compliqué. À la fin de la première partie L’illusion lyrique, se trouve un dialogue très important entre Garcia, un ethnologue, « l’un des chefs des Renseignements », qui conclut ce qui précède et annonce ce qui suit. Pour Garcia, qui l’explique à travers son rapport, les objectifs n’ont pas été atteints, il faut absolument structurer le combat à venir :
Citation :
L’Apocalypse veut tout tout de suite ; la résolution obtient peu – lentement et durement. Le danger est que tout homme porte en soi-même le désir d’une apocalypse. Et que, dans la lutte, ce désir, passé un temps assez court, est une défaite certaine, pour une raison très simple : par sa nature même l’Apocalypse n’a pas de futur.
Même quand elle prétend en avoir un. […]
Notre modeste fonction, monsieur Magnin, c’est d’organiser cette Apocalypse…
À la page précédente, p.138, il est question d’« Apocalypse de la fraternité ». C’est donc clairement la conséquence vouée à l’échec de l’« illusion lyrique ». Malraux joue du double sens du mot. L’« apocalypse », mot d’origine grecque, c’est la révélation : dans le combat spontanément initié par le peuple, les hommes ont la révélation de la « fraternité » et c’est ce qui touche Magnin et justifie son engagement :
Citation :
Le rêve de liberté totale, le pouvoir au plus noble et ainsi de suite, tout ça fait partie à mes yeux de ce pour quoi je suis ici.
Mais l’« apocalypse », c’est aussi la fin du monde, sa destruction, une « défaite » dit Garcia, qui, lui, l’envisage sous cet angle :
Citation :
[l’Apocalypse de la fraternité] doit se transformer, sous peine de mort.
L’organiser c’est, selon Garcia, la « modeste fonction » qui leur revient.
À partir de là, la structure du roman se précise. La partie intitulée Exercice de l’Apocalypse s’achèvera logiquement par un échec et la mort très symbolique d’un personnage comme Marcelino. C’est seulement après cet « exercice » que les troupes républicaines vont peu à peu se structurer en une véritable armée porteuse d’un « espoir » réaliste cette fois.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyMar 09 Avr 2013, 09:57

Une citation, en écho à ce que tu as écrit, rotko :
Citation :
La guerre la plus romanesque, celle de l’aviation, pouvait-elle finir ainsi ? p. 560
Et une remarque :
Les vieux avions de l’escadrille de Magnin, à la fin du livre, sont qualifiés de « délégation de l’Apocalypse » avec un retour en quelque sorte sur l’ « apocalypse» du début.

Thèmes et mots, chez Malraux, se répondent en effet d’une œuvre à l’autre et à l’intérieur d’une même œuvre.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyJeu 11 Avr 2013, 14:28

Oui, la mort individuelle "qui transforme la vie en destin" n'est pas une solution pour une guerre efficace, et le mot " comédie" revient à plusieurs reprises dans cette fin de partie.

La scène symbolique du peloton d'exécution sera le dernier spectacle visuel (un calvaire christique ?). Les allusions à des tableaux précis ainsi qu'au cinéma (lumière de studio) témoignent des soucis de Malraux.

l'Espoir naît aussi des grains qui germent (268);
Citation :
Un monde sans espoir est irrespirable

Citation :
tu regardes les miliciens en ne voyant en eux que leur comédie, si rien en toi n'est lié à l'espoir qui est en eux, alors, va en france : qu'est ce que tu veux faire ici ?
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyMer 17 Avr 2013, 17:42

Deuxième partie : Le Manzanares
Le titre donné à cette partie est emprunté à l’« étroite rivière », citée p. 395, qui coule à l’ouest de Madrid. La première sous-partie est intitulée « Être et faire ». Garcia parlant avec Pradas, Manuel et Golovkine, avait dit (p.245) :
Citation :
Rien n’est plus difficile que de faire penser les gens sur ce qu’ils vont faire.
Et, un peu plus loin, reprenant et précisant l’idée, il avait répondu à Hernandez, commandant de Tolède (p. 249) :
Citation :
Les communistes veulent faire quelque chose. Vous et les anarchistes, pour des raisons différentes, vous voulez être quelque chose… C’est le drame de toute révolution comme celle-ci.
Pour Hernandez, toute action doit être en accord avec la morale individuelle et la révolution devrait être faite par « les hommes les plus humains » (p.248). Garcia voit là une réaction d’intellectuel, totalement inefficace :
Citation :
[…] les hommes les plus humains ne font pas la révolution, mon bon ami : ils font les bibliothèques ou les cimetières. Malheureusement…
Ce titre « Être ou faire » montre qu’il y a encore doute entre les deux attitudes. Ainsi, Leclerc, p. 327 et sq. par son comportement, sa fuite, son refus de « lâcher [les bombes] au hasard, sur les nôtres » est dans l’« être » et son chef sait bien que « Leclerc, en général, n’était nullement un lâche ». Lui-même se définit p. 333 comme « un communiste d’avant-guerre ». Implacable, Magnin va le renvoyer en France avec interdiction de remettre les pieds en Espagne. Car l’escadrille est désormais « assimilé[e] à l’armée espagnole » p.350 et la discipline seule assurera une efficacité collective :
Citation :
Ceux qui ne sont pas d’accord partent demain matin.

Le chapitre suivant (chap. V) s’ouvre sur le départ du gouvernement pour Valence. On est en pleine incertitude quant à l’issue des combats menés. Inexorablement, la guerre se durcit.

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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptySam 20 Avr 2013, 05:48


Etre humain, c'est aussi lutter contre la mecanique des chars, des tanks, opposer une liberté fondamentale à une "fatalité". Des échanges entre les personnages parlent de la foi (Guernico), de l'Art et de la mort (Le vieux Jaime), de la souffrance.

Le fascisme est caractérisé par la terreur,(circulaire de Franco : les bombardements doivent faire le plus de morts possible) l'anti-intellectualisme (épisode Miguel de Unamuno), l'infiltration et la trahison (les chefs républicains abatttus par derrière, puisque les tireurs fascistes ont infiltré les troupes républicaines).

La fresque de Malraux fait revenir des personnages connus auparavant, c'est pourquoi il est bon de repérer les passages antérieurs.

Ne participe pas à la "comédie" ni à "la tragédie", la belle figure de Guernico. Dans les ambulances, comme dans la stratégie, il faut de la cohérence et de la discipline pour être efficace.

De très belles scènes visuelles, avec verticales, (bombes), horizontales (ambulances), et obliques, dans le tableau de Madrid bombardé. Les sons président à certaines scènes, sensations diverses qui donnent de la présence.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptySam 20 Avr 2013, 16:15



Depuis le lance-flammes de l'Alcazar, Ler Negus s'est réfugié dans ce combat souterrain qu'il aime, où presque tout combattant est condamné, où il sait qu'il mourra, et qui garde quelque chose d'individuel et de romantique.
Folio 490.
Citation qui confirme ce que disait Nicyrle, à propos de l'équivalent "romanesque = romantique" dans la partie 'l'Illusion lyrique".

Bien des passages et des réflexions mériteraient d'être notés ou médités dans "Sang de gauche"

La distinction entre lepenseur et l'homme d'action, le premier visant à "expliquer " - ce qui n'est pas justifier, et le second contrait d'agir demanière manichéenne, ce qui constitue une tragédie.

Citation :
Le grand intellectuel est l'homme de la nuance, du degré, dela qualité, de la vérité en soi, de la complexité. Il est par définition, par essence antimanichéen.

Or les moyens de l'action sont manichéens parce que tout action est manichéenne. A l'état aigu dès qu'elle touche lesmasses.Mais même si elle ne les touche pas. Tout vrai révolutionnaire est un manichéen-né. Et tout politique"

D'autre thèmes mériteraient aussi d'être notés : le rôle du chef, amené à "perdre son âme", et l'évolution d'une révolution vers le pouvoir.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptySam 04 Mai 2013, 22:11

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la 2e partie avant d’aborder la sublime et brève 3e partie, L’espoir. Au chapitre II de « Sang de gauche », il y a tout un passage que je trouve magnifique : au milieu des cris, des détonations, des bruits de moteurs au sol et dans les airs, les incendies se multiplient partout, par-dessus le « roulement ininterrompu de la bataille ». Les secours s’activent, « efficaces » selon la constatation de Ramos. Dans ce décor apocalyptique, il semblait que « la ville tout entière se fût éveillée dans l’effroi. »
Citation :
Un milicien paysan dont le pansement s’était défait regardait son sang descendre tout le long de de son bras nu et tomber goutte à goutte sur l’asphalte : dans cette sombre lumière, la peau était rouge, l’asphalte noir était rouge, et le sang, brun clair comme du madère, devenait en tombant d’un jaune lumineux, comme celui de la cigarette de Ramos.
On dirait une toile de Goya, éblouissante d’horreur et de beauté. Commence alors « un ballet lugubre » dans lequel Malraux peint le tableau dansant d’une ville en feu, d’un peuple agonisant : le désordre et l’horreur, transfigurés, deviennent poétiques ; la description progresse au travers du mouvement chaotique de l’auto de Ramos et de ses arrêts ; il siffle pour appeler des ambulances, dirige le faisceau de sa torche sur les blessés couchés ou debout qui surgissent de toutes parts. La vision que nous avons est celle de Ramos et nous avons chaque fois ses réactions d’homme qui heurte des civières, s’arrête, repart, passe devant des corps allongés, « regarde avec pitié ».
Les jeux d’ombre et de lumière dominent, accentuant le désordre et les déformations, empêchant le repérage. Le rouge, le noir, le blanc ou le blafard dominent en couleurs violentes. Les notations sonores s’amplifient peu à peu, rendant la scène plus dramatique encore : le « ballet lugubre » semble d’abord presque silencieux puis on commence à entendre le « chahut des bombes, des avions, des canons lointains et des sirènes qui se perdaient ». Une « fulguration » est suivie d’un impressionnant « silence » qui accompagne « un exode séculaire » mais reprend « l’inépuisable grondement des avions », puis un « cri longuement immobile », des « claquements », les cloches des ambulances… et au milieu de tous ces sons, les animaux ajoutent leurs « hurlements » ; enfin, des coqs devenus « déments », « frénétiques, exaspérés, commencèrent à hurler à la mort le chant sauvage de la pauvreté. » C’est l’enfer dans toute son horreur avec des odeurs « de brique chaude et de bois brûlé »
Les blessés qui surgissent ont quelque chose de désincarné, ils se ressemblent au point de ne pouvoir être différenciés,« tous semblables devant les décombres », ce sont « des corps allongés », des « paysans du Tage », un « peuple courbé ». Dans cette uniformité tragique, s’opère une réconciliation idéologique :
Citation :
Anarchistes, communistes, socialistes, républicains, comme l’inépuisable grondement de ces avions mêlait bien ces sangs qui s’étaient crus adversaires, au fond fraternel de la mort…
Le lyrisme incantatoire du passage est manifeste et élève au rang de mythe cette fuite pathétique. La fin du chapitre est, à mes yeux, sublime :
Citation :
La torche éclairait [le blessé] de haut, promenait sur son visage l’ombre des graminées qui poussaient entre les pierres du perron ; Ramos, dans l’inlassable frénésie des coqs, regardait avec pitié ces fines ombres indifférentes, peintes avec une précision japonaise sur ces joues qui tremblaient.
À l’extrêmité de la bouche tomba la première goutte de pluie.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyLun 13 Mai 2013, 08:25

La 3e partie, intitulée L’espoir (6 chapitres seulement) débute le 18 février 1937 avec une ellipse de deux mois. Elle est nettement plus courte que les précédentes, la plus longue étant la première , celle qui met en place les deux thèmes essentiels de « L’Illusion lyrique » et de « L’Apocalypse ». Avec la dernière, on assiste à la victoire décisive de Guadalajara, le 18 mars 1937, qui concrétise et symbolise l’espoir des Républicains.
La participation à cette ultime bataille de l’escadrille de Magnin est une invention romanesque (Malraux lui-même n’y était pas), bienvenue car, tout au long du roman, elle est omniprésente.
Les premières lignes du chapitre 1 précisent :
Citation :
Les ministres n’étaient plus les mêmes, les combattants portaient un uniforme, Franco avait failli prendre Madrid, l’armée populaire se constituait. ; mais la guerre était toujours la guerre, et, si tant d’hommes avaient trouvé la mort et tant d’autres leur destin, ni Vargas ni Magnin n’avaient beaucoup changé.
L’avion de Sembrano et d’Atteignies est obligé d’amerrir tout près du rivage. Le transport des blessés jusqu’à l’hôpital est pathétique. Une scène fugitive est évoquée p. 513 : la voiture qui transporte les hommes, quoique pleine, s’arrête pour recueillir un vieillard et un bébé. Le vieillard « se casa sur l’aile » et Pol lui tendit sa main gauche pour qu’il puisse s’agripper. Le médecin est troublé par l’image de
Citation :
cet ouvrier étranger qui allait de nouveau combattre, tenant le poignet du vieux paysand d’Andalousie devant le peuple en fuite […] il s’efforçait de ne pas les regarder. Et pourtant la part la plus profonde de lui-même demeurait liée à ces mains, - la même part qui les avait fait s’arrêter tout à l’heure, celle qui reconnaît sous leurs expressions, les plus dérisoires la maternité, l’enfance ou la mort.
Le chapitre s’achève sur une autre image expressive, celle d’une salle d’hôpital qui « s’emplissait de la fraternité des naufragés » p. 514.

Le chapitre 2 relate la fameuse bataille de Guadalajara.
Au chapitre 3, Magnin part au-dessus de Terruel avec trois avions et détruit 16 appareils ennemis mais celui de Gardet tombe dans la montagne tout près de Valdelinares. Les paysans accompagnent les blessés dans la longue et périlleuse descente vers Linares tandis que d’autres montent à leur rencontre avec Magnin.

La descente de ce cortège, p. 554 et sq. est un véritable morceau de bravoure sur le plan littéraire qui trouve également sa traduction imagée inoubliable dans le film de Malraux.
C’est grandiose et dépouillé à la fois. Le cadre austère de la gorge contribue à accentuer une impression de démesure, de silence et de solennité. La marche lente et pesante est rendue par le rythme des phrases, tout un jeu subtil des sonorités, en particulier les allitérations (passage à lire à voix haute pour mieux l'apprécier !). Les « hommes », les « femmes en noir », les « porteurs » qui changent sont désignés collectivement, ils représentent tout un peuple pauvre et noble qui donne le peu qu’il a et d’abord son infinie compassion. La marche, comme stylisée, obéit à un cérémonial qui transforme la scène en un véritable Chemin de Croix (aussi saisissant à l’image que dans le texte), empreint de souffrance physique mais aussi de victoire spirituelle, d’une sorte de mysticisme.
Citation :
Et toute cette marche de paysans noirs, de femmes aux cheveux cachés sous des fichus sans époque, semblait moins suivre des blessés que descendre dans un triomphe austère. p. 560
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyLun 13 Mai 2013, 10:41

merci Nicyrle pour ces analyses fouillées. Je suis resté faute de temps au seuil dela troisième partie, que je reprendrai sans doute, si j'ai des "disponibilités", comme on dit.

J'avais remarqué comme toi la puissance visuelle de ce cortège funèbre descendant en zig zag sur la colline, morceau d'anthologie qui me fait placer Malraux et Hugo au pinacle des écrivains visuels.

J'ai vu aussi Espoir sierra de terruel, et la reprise de cet épisode qui, avec la charge de la barricade par une voiture, sont des scènes marquantes du film - à se demander si Malraux n'avait pas déja l'idée d'un film, ce que je crois volontiers, vu les allusions au cinéma dans le texte.
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyLun 13 Mai 2013, 11:06

rotko a écrit:
merci Nicyrle pour ces analyses fouillées. Je suis resté faute de temps au seuil dela troisième partie, que je reprendrai sans doute, si j'ai des "disponibilités", comme on dit.

J'avais remarqué comme toi la puissance visuelle de ce cortège funèbre descendant en zig zag sur la colline, morceau d'anthologie qui me fait placer Malraux et Hugo au pinacle des écrivains visuels.

J'ai vu aussi Espoir sierra de terruel, et la reprise de cet épisode qui, avec la charge de la barricade par une voiture, sont des scènes marquantes du film - à se demander si Malraux n'avait pas déja l'idée d'un film, ce que je crois volontiers, vu les allusions au cinéma dans le texte.
Il n'est pas certain que Malraux ait eu l'idée d'un film en écrivant son livre, en fait on n'en sait rien. En revanche, des spécialistes (en particulier Jean Carduner dans La création romanesque chez Malraux )ont montré que tous les romans de Malraux sont organisés selon un savant découpage, avec des plans, des jeux de scène, des déplacements par travelling, bref des procédés cinématographiques évidents. Pour en revenir à L'espoir, Denis Marion, assistant de Malraux pour Sierra de Teruel, a dit que "ce film ne devait pas être et n'a pas été une adaptation du livre". Il a précisé que le scénario avait été conçu en fonction de moyens d'expression propres à l'écran et il a fait remarquer que de nombreuses séquences étaient originales. Le raid sur le terrain franquiste et la chute d'un avion dans la montagne figurent néanmoins dans les deux œuvres.
Pour le reste du roman, je croirais volontiers que Malraux romancier "fonctionnait" souvent de cette façon, en privilégiant la construction "dramatique" (au sens de théâtral comme dans l'antiquité) aussi bien pour une structure d'ensemble que pour des "scènes" particulières. Plusieurs passages (évoquant le peuple, une foule) font penser au chœur antique, ou à des scènes bibliques. Parfois, Malraux fait référence directement au théâtre ou au cinéma. J'ai en tête un passage (quel chapitre ?) où les façades des maisons sont peintes en trompe l'œil et portent un "masque", et un autre où trois obus éclatent comme trois coups de théâtre. A un moment, on voit (je crois que c'est Lopez) un immeuble qui brûle "comme au cinéma", il y a d'autres références explicites...
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyLun 13 Mai 2013, 12:39

c'est un vrai plaisir de vous lire, Nic et Rotko ! même si je n'ai pas lu ce dont vous parlez si bien. Malraux, l'Espoir 3838771924 Malraux, l'Espoir 3838771924
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyLun 13 Mai 2013, 12:51

chapeau Ysandre kado
Ce livre magnifique est fascinant. Tu le liras un jour, tu verras par toi-même...
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MessageSujet: Re: Malraux, l'Espoir   Malraux, l'Espoir EmptyMar 21 Mai 2013, 18:05

Du chapitre 4 de la dernière partie, je retiendrai une expression déjà citée parce qu’elle fait écho au début du roman :
Citation :
[…] c’était la fin de la guérilla, la naissance de l’armée. p. 570
Le chapitre 5 est intéressant parce qu’il rassemble les personnages principaux du roman :
Manuel, le solitaire, qui a choisi pour compagnon un chien-loup « ex-fasciste » ( !) Dans l’église, il joue à l’orgue pour le colonnel Ximénès le Kyrie de Palestrina, scène surréaliste, sublime et touchante d’affection virile réciproque.
Magnin reste obsédé par les paysans espagnols et le sort incertain qui les attend. On sent qu’il continue à douter de l’ordre communiste.
Garcia comprend que cette Guerre d’Espagne est le prélude à d’autres grands bouleversements qui toucheront les empires coloniaux (p. 580). Ses propos sont presque ceux d’un visionnaire. Il médite sur les mystères de la guerre :
Citation :
[…] après huit mois de guerre, il y a quelque chose qui reste à mes yeux passablement mystérieux : l’instant où un homme décide de prendre un fusil. […] ce qui m’intéresse, c’est l’instant, le déclenchement.
Et surtout :
Citation :
On dirait que le combat, l’Apocalypse, l’espoir, sont des appeaux dont se sert la Guerre pour prendre les hommes. Après tout, la syphilis commence par l’amour. Le combat fait partie de la comédie que presque tout homme se joue à soi-même, et il engage l’homme dans la guerre comme presque toutes nos comédies nous engagent dans la vie. Maintenant, la guerre commence. p. 581-82
Le rapprochement entre l’espoir et la syphilis est plus qu’audacieux !

Le pessimisme, sensible dans ces pages, prépare le chapitre 6 et la fin du roman avec les réflexions de Manuel revenant à pied au casernement à travers les rues de Brihuega. Il a déjà dit à Ximénès, après avoir annoncé que désormais il en a fini avec la musique, p. 576 :
Citation :
Je crois qu’une autre vie a commencé pour moi avec le combat ; aussi absolue que celle qui a commencé quand j’ai pour la première fois couché avec une femme… La guerre rend chaste…
Une idée analogue est reprise à la fin du livre : « Il était né après la guerre, né à la responsabilité de la mort » p. 589.
En même temps, Manuel a également conscience que d’autres événements peuvent encore le changer et orienter autrement le cours de sa vie :
Citation :
Un jour il y aurait la paix. Et Manuel deviendrait un autre homme, inconnu de lui-même, comme le combattant d’aujourd’hui avait été inconnu de celui qui avait acheté une petite bagnole pour faire du ski dans la Sierra. p.589
Ainsi, le roman s’achève sur une idée récurrente chez Malraux : aucun homme n’a de destin tracé à l’avance, c’est ce qu’il vit qui le fait évoluer et le transforme :
Citation :
Manuel entendait pour la première fois la voix de ce qui est plus grave que le sang des hommes, plus inquiétant que leur présence sur terre, - la possibilité infinie de leur destin (c’est moi qui souligne cette belle expression). p. 590
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