Roberto Saviano

Gomorra

J’avais vu le film qui m’avait interrogée mais laissée sur ma faim ; car passé le choc des images, il me restait beaucoup de questions et je n’avais pas saisi les méandres de la camorra et les subtilités de son fonctionnement. J’ai donc acheté le livre de Roberto Saviano et je suis satisfaite…
Dans le film ne sont repris que des moments clés. Mais dans son ouvrage, l’auteur nous démontre et démonte tous les mécanismes du Système.
Car on utilise plutôt ce terme dorénavant. C’est, en effet, de ce dont il s’agit : un véritable système qui, se servant du jeu de l’ultra libéralisme, est une vaste entreprise faite pour générer de l’argent, toujours plus d’argent. Un système avec sa hiérarchie, ses divers investissements économiques légaux et illégaux, ses chantiers et entrepôts et ateliers et magasins et etc, ses effectifs paramilitaires. Qui se ramifie vers l’Europe de l’est, mais aussi en Ecosse, Allemagne, aux Etats Unis…
Trafics de drogues et d’armes sont explicitées. Dont un chapitre qui nous fait faire la connaissance de Monsieur Kalacnikov. Ou encore un passage qui explique les tests pratiqués sur des drogués pour juger de la validité des doses de la coupe de la drogue…
Mais ces trafics ne sont que la base ; car l’enjeu important est devenu l’entreprise, les parrains sont des investisseurs d’entreprises mondiales. Du textile à l’immobilier, du traitement des ordures aux denrées alimentaires. Ce que vous mangez, les vêtements griffés que vous portez peuvent provenir du trafic de la camorra. Hallucinant et…terrifiant ! Roberto Saviano nous dissèque tous les enjeux, subtilités et on comprend l’ampleur du problème avec effroi.
Car le Système est si bien conçu que nul ne peut y échapper, l’emprise de la camorra est sur tout et tous. Et si un parrain disparait, son empire continuera de lui survivre et un autre parrain le remplacera.
L’auteur nous livre aussi ce qui pourrait passer pour des anecdotes si le sujet n’était si grave. Comment les parrains fabriquent leur image de marque en s’inspirant des films hollywoodiens. Leurs goûts littéraires et artistiques et les investissements qui vont avec. Leurs habitations. L’emploi des surnoms qui permet de marquer un individu et lui confère son aura…
Et surtout sont montrés avec pudeur, mais non sans force, tous les « petits », les rouages de cette machinerie. Et encore le rôle des femmes.
Un livre passionnant. Clair et explicite. Un ouvrage plus qu’utile pour une réelle prise de conscience.

Chez Folio gallimard.

Finalement le système a l'air d'être si parfait qu'il ne peut être éradiqué ?

je croyais qu'il était surtout implanté geographiquement et humainement en Sicile ?

Saviano prend-il parti sur le bien-fondé des accusations visant des chefs de gouvernement italiens ?

l'un d'eux était particulièrement visé, mais son nom m'échappe...

Réponses d'après ce que j'ai compris...

Citation :

« Finalement le système a l'air d'être si parfait qu'il ne peut être éradiqué ? »

Oui c’est cela. Le système est si bien monté et huilé qu’il fonctionne quoiqu’il arrive. Cela est du aussi au système économique. A l’heure de l’ultralibéralisme et de la mondialisation, les investissements et capitaux ne peuvent plus être surveillés. Il faut d’infinis recherches pour repérer la circulation de l’argent et démanteler un cartel. Et même si cela réussit, il y aura toujours d’autres investisseurs ou d’autres investissements. Je dirai que c’est la gangrène générée par le capitalisme moderne.

Citation :

« Je croyais qu'il était surtout implanté géographiquement et humainement en Sicile ? »

Il ne s’agit pas ici de la mafia sicilienne, la Cosa Nostra. Il s’agit de la camorra napolitaine dont le bastion est la Campanie. Ces « mafias » ont des contacts, mais fonctionnent différemment. La camorra reconvertit son argent sale dans un système économique d’entreprises à l’échelle mondiale.
Par exemple. La marque Valentino. Des modèles sont détournés et copiés, fabriqués par d’habiles couturiers ou tailleurs en ateliers, revendus avec la griffe Valentino dans les boutiques d’Allemagne, de Paris, New-York ou de Californie. Le tout géré du début à la fin par la camorra.
Ou encore. En Ecosse, Aberdeen. Le frère d’un parrain s’y est installé et a investi dans le développement de cette région sinistrée,a développé le tourisme. Les écossais sont contents. Et de jeunes italiens qui veulent immigrer, s’ils ont des connaissances dans le milieu, peuvent s’y rendre et sont assurés d’y trouver du travail. A priori tout est légal. Sauf l’argent de l’investissement initial. C’est un véritable fief de la camorra.

Citation :

«Saviano prend-il parti sur le bien-fondé des accusations visant des chefs de gouvernement italiens ?
L'un d'eux était particulièrement visé, mais son nom m'échappe... »

Roberto Saviano évoque peu de noms politiques. Parce que la camorra essaie d’éviter le plus possible de se mêler aux politiques de façon illégale. Pour éviter la mauvaise publicité et garder la discrétion de ses investissements. Parce que les investissements illégaux sont camouflés par les légaux et qu’à l’époque de l’argent fictif il est très facile de s’y perdre. Difficile de retrouver des traces.

Oui, c'est un livre très bien construit et argumenté. Il complète parfaitement le film qui en effet laisse un peu en état de choc. La Camorra est partout, absolument partout : du traitement des déchets aux jeux. A Naples, en Italie, dans le Monde. Tout fait partie du Système et tous les rouages sont bien liés (et huilés).
Depuis, je ne mange plus ma mozzarella de la même façon, croyez-moi (mais je continue quand même).

« La Beauté et l'Enfer. Ecrits 2004-2009 », par Roberto Saviano,
trad. de l'italien par Marguerite Pozzoli, Robert Laffont.

Il y parle aussi bien du trafic de cocaïne que de la boxe, et de Michel Petrucciani que des rapports entre BD, épopée et cinéma hollywodien ; il raconte admirablement la venue des gamins de Scampia au festival de Cannes, quand le film de Matteo Garone tiré de « Gomorra » est venu décrocher le Grand Prix 2008 ; il dit avec émotion tout ce qu'il doit à Salman Rushdie etc...

Quelques extraits publiés par bibliobs.

Berlusconi qui n'en rate pas une, s'en prend à Saviano.

Il l'accuse de faire la promotion des gangs et de salir l'Italie.

Réponse de Saviano :

Le détail piquant de l'affaire est que la maison d'édition de Saviano s'appelle Mondadori. Le propriétaire en est un certain Silvio Berlusconi.

L'auteur de « Gomorra » n'a pas manqué de le rappeler en répliquant, dans « la Reppublica », par une lettre ouverte où il se demande si, « quand il y a un incendie, on laisse fuir celui qui a allumé le feu ou si on en rend coupable celui qui a donné l'alerte ».

Il y maintient, au nom des victimes de la Cosa Nostra, que Berlusconi ferait bien de leur présenter illico ses excuses, qu'il est « absurde de préférer le silence » à propos d'entreprises criminelles qui ne demandent que ça, et que rien ne vaut la vérité quand on veut défendre la dignité d'un pays.

L'article de bibliobs.

Condamné à mort par la Mafia napolitaine, il vient de recevoir le prix du livre européen pour «la Beauté et l’enfer» et d’animer sur la RAI une émission suivie par plus de dix millions de téléspectateurs.

Citation :

Ceux qui sont sous protection vivent dans un état d’emprisonnement étrange, parce qu’ils ne savent jamais à quel moment ça s’arrêtera. J’essaie de garder l’esprit libre, même si ça semble ridicule. Mais je pense que je vais bientôt quitter l’Italie pour essayer de réaliser mon véritable chef-d’œuvre : ce ne sera ni un livre ni un film, je veux reconstruire ma vie.

entretien sur bibliobs

Roberto Saviano, le contraire de la mort, chez Robert laffont.

1/2

Traduction de Vincent Raynaud.

La bague est la 2e nouvelle de ce recueil « scènes de la vie napolitaine ».

Le narrateur raconte comme il va chercher une jeune fille au train et ce qu’il aimerait lui faire voir.

Cependant il semblerait que la jeune fille, du Nord, ne soit pas capable de comprendre ce qu’est un village, du Sud :

Citation :

« Elle a remarqué des gerbes de fleurs placées à plusieurs coins de rues. Et aussi des lumignons posés au sol, à hauteur de la cheville. J’aurais aimé lui expliquer, mais je n’ai pas voulu l’effrayer ».

Cette courte nouvelle fait pénétrer dans un monde de silence où tout peut arriver, dans l’incompréhension des gens qui ne sont pas "du coin".

Insensiblement le récit avance jusqu’à une anecdote : une rencontre de jeunes gens discutant sur la place

Citation :

« C’est ainsi que se forme un groupe : on arrive par vagues, on s’en va par vagues »;

L’un est maçon, et sait ce qu’est travailler : trimer, sans arrêt, et de façon répétitive.

Les autres sont menuisiers ébénistes, mais peu à peu le travail se fait rare : aux meubles personnalisés les gens préférent Ikea et son « prêt à meubler universel ».

Roberto Saviano, le contraire de la mort, chez Robert laffont.

2/2


Quelle solution pour les travailleurs sans emploi ? L’exil vers Rome ou différents trafics..

La suite du récit bascule brutalement dans le drame.

C’est très bien écrit, remarquablement traduit, je ne croyais pas que Saviano avait cette écriture : une écriture qui définit et brise le silence.

A cet égard vous n’oublierez pas la fin de cette nouvelle ( 23 pages ): l’image d’une femme qui

Citation :

« redresse lentement la tête, la baisse et continue à attendre ».

La Beauté et l'Enfer : Ecrits 2004-2009


Robert Laffont 320 p.

recueil d'articles publiés entre 2004 et 2009 dans les journaux du monde entier [...] sorte de journal de bord où se mêlent expériences personnelles, souvenirs littéraires et portraits d'hommes et de femmes qui incarnent aux yeux de l'auteur d'authentiques figures de résistance.

Lire l'entretien sur bibliobs.

le combat continue (Robert Laffont). c'est une recueil de 8 récits.

huit récits qui traitent de sujets aussi divers que les nouveaux mécanismes de la censure, l'expansion de la criminalité organisée dans le nord de l'Italie, l'Eglise face à l'euthanasie, les déchets toxiques à Naples ou le tremblement de terre de L'Aquila, et qui donnent à lire en creux un portrait tout en nuances de l'Italie d'aujourd'hui.

Citation :

Je mène une vie bipolaire avec d'un côté, une visibilité infinie dans les médias, et de l'autre, une totale obscurité. C'est très difficile de vivre comme ça. Encore plus quand les gens pensent que si je suis encore vivant, c'est parce que je ne suis pas vraiment menacé. L'écriture me permet de tenir. C'est à la fois ce qui m'a condamné, et ce qui me sauve.

confie l'auteur à 20 minutes.

j'ai relu la bague :

une très belle nouvelle, à la lire, on se dit que les Italiens du Nord ne peuvent comprendre ceux du Sud, aux prises avec la Camorra et la loi du silence. Je confirme, l'image finale d'une femme éplorée qui attend bouleverse le lecteur.

in le contraire de la mort.