Roberto Arlt - [Argentine]

Roberto Arlt, Buenos Aires 1900-1942
Fils d'un émigrant prussien et d'une mère italienne, il grandit et vit à Buenos Aires, dans les quartiers pauvres.
Journaliste, il écrit son premier roman en 1926, et propose des chroniques hebdomadaires au journal argentin El Mundo. Il meurt jeune d'une crise cardiaque.
Deux de ses romans sont actuellement ré-edités chez Belfond : les sept fous et Les lance-flammes qui en sont la suite. On trouve également les chroniques Eaux fortes de Buenos Aires chez Asphalte, recueil des chronique parues dans El Mundo.

Roberto Arlt a une voix puissante, un langage mêlant l'argot, le castillan, les expressions des immigrés italiens, d'europe de l'est, de France... c'est le langages des bas fonds, des pauvres. Ses romans nous font connaître des personnages exaltés, décalés, désespérés, et surtout Roberto Arlt nous raconte la ville et sa misère qui conduit l'homme à la révolte, le condamne à la violence.

C'est une des voix les plus originales de l'Amérique latine.

Arlt a été célébré par Onetti, Cortazar, Bolaño, et si on l'a volontiers opposé à Borgès, l'intellectuel précieux et précis, c'est une erreur, il ne s'oppose pas à Borgès, il le complète.

Super, ils sont dans ma mediathèque, ainsi que la danse du feu (el amor brujo) chez Belfond aussi.

Je l'ai aussi à la maison. J'aimerais avoir le temps de le lire car il a l'air original.

Mais avant, je dois lire, littéralement retrouver mon cher Reinaldo Arenas.

Que j'avais découvert, émerveillée, à 19 ans. Hélas, sa vie fut fugace et je m'apprête à lire son dernier livre, ses dernières confessions de séropositif.

Dur.

je ne peux me soustraire à envoyer moi aussi quelques lignes sur "les Eaux Fortes" de Buenos Aires
Dans ce recueil nous trouvons les célèbres chroniques qu’il écrivait chaque jour pour le journal « el Mundo » entre les années 1928 et 1933. Le genre est un ensemble de journalisme et de feuilleton. Arlt jetait un regard ironique et moqueur sur les prototypes de la ville, il les présentait avec leur psychologie singulière et défilaient chaque jour, le vieux célibataire, la vielle fille, le trompeur, le parasite jovial, le je-m’en-foutiste , celui qui a toujours raison, celui qui fait le mort etc…et tant d’autres personnages pittoresques surgis des entrailles de cette nouvelle Bs As, profondément secouée par la vague d’immigration et les changements sociaux.
Il était très doué pour écrire ces pages ,qui devenaient polémiques quand il s’agissait de défendre ses idéaux d’écrivain, son langage argotique ; il se moquait des académiciens, de la politique et des politiciens ; des écrits pétris d’intelligence et d’humour. Le journal se vendait comme de petits pains. Je crois que vous l’avez en français, je le recommande chaleureusement
Il a beaucoup de citations j’en mets une :
suite: la citation
:

la citation, l'une de ses nombreuses

« Si vous voulez avoir un concept »clair » de l’existence, Vivez- Pensez- Agissez- Soyez sincère- Ne vous trompez pas à vous-même- Analysez- Etudiez-vous. Le jour que aurez fait connaissance avec vous-même, souvenez vous de ce que je vous dis : Dans aucun livre vous ne trouverez rien qui puisse vous surprendre. »[quote]

Les sept fous

Citation :

Employé à la compagnie sucrière, Erdosain a pris l'habitude de puiser dans la caisse. Dénoncé, il est sommé de rembourser 600 pesos et sept centimes, et découvre le même jour que sa femme le quitte.
Aux abois, il part trouver l'Astrologue, un être aussi mégalo que délirant, qui a pour projet de foncer une société secrète financée par les revenus d'une chaîne de maisons closes.

Les sept fous sont les sept personnages lancés dans cette incroyable société. Ils oscillent entre folie, hallucinations et effrayante lucidité au rythme d'une langue qui suit les états d'âme de ces paumés inspirés, qui décident d'aller jusqu'au bout de leur implacable logique de fous.

Les sept fous est le premier volet de cette histoire, le volet le plus léger, et déjà il nous entraîne aux confins d'une folie organisée, d'une destruction programmée. Arlt excelle à décrire les affres de ses personnages, leurs doutes, leurs terreurs et cette accablante certitude d'être à tout jamais exclus d'une société qui les broie.

Je signale à tout hasard, que j'ai acheté ce livre qui m'a par ailleurs été offert, et que si l'un d'entre vous souhaite l'avoir, il suffit de m'écrire un MP....je partagerai cette lecture !

on reparlera en détails de Roberto ARLT


Erdosain, le conspirateur tourmenté meneur d'une foule hétéroclite, réapparaît dans Les lance-flammes, (Belfond) plus exalté que jamais. "La saleté m'attire. Je vais vers le perfectionnement du mal", dit-il. Et, parce qu'il est littéralement foudroyé par la douleur de vivre, il ajoute : "Quand fera-t-on enfin le croquis de ma souffrance ?"

Entre le bouge sordide qui lui sert de tanière et les docks faméliques de la capitale argentine, on le verra d'abord fomenter des révolutions impossibles et, peu à peu, s'enfoncer dans les ténèbres avant de choisir le camp du crime et de se donner la mort. A ses trousses, se pressent tous les autres personnages déjà rencontrés dans Les sept fous.

présentation in l'Express.

J'espère bien qu'on en reparlera, l'article dont tu donnes le lien met l'eau à la bouche.

Il faudra que je cherche à la bouquinerie ou à la bibliothèque.

Et merci à Tchipette pour ce sujet

je vous offre une de ses petites Eaux- Fortes, qui ont subjugués les lecteurs Argentins. Il a anticipé prophétiquement les maux qui sont tombés´sur l'Argentine
Notre amie Tchipette a déployé sur le fil toute sa trajectoire.àlire absolument.

Prends garde, gamine, car le temps passe


Aujourd’hui, dans le tramway, je lorgnais une donzelle qui, en compagnie de son fiancé, avait l’air de lui faire une faveur en permettant qu’il soit à ses cotés. De tout le voyage, elle n’a pas dit un seul mot si ce n’est oui ou non. Et pour économiser sa salive, elle bougeait la caboche comme une mule de noria.
L’empoté s’essayait au grand art de la conversation, tout ça pour des prunes ; la belle faisait son intéressante et regardait dans le vide comme si elle y cherchait quelque chose de moins tarte que son compagnon.
Moi,je méditais des colères philosophiques et me faisais toutes sortes de réflexions. Les rues défilaient tandis que le Roméo en remettait une couche et s’adressait à la crâneuse dont les manières m’exaspéraient. Et la toisant, je lui disais in mente :Jeune femme ! je ne te causerai pas du temps, ni du concept mathématicien de ce temps méprisable qu’avaient, Spencer, Poincaré, Einstein et Proust. Je ne te causerai pas de l’espace-temps car tu es trop gourde pour me comprendre ; mais sache entendre ces pensées qui sont celles d’un homme qui a vécu et qui aimerait mieux vendre des légumes plutôt que d’écrire.
« Ne méprise pas le gars que tu trimballes .Non ma p’tite, ne le méprise pas. Le temps cette abstraction mathématique qui remue les méninges des abrutis brevetés savants, existe, ma belle. Il existe, n’en déplaise à ta petite gueule qui , d’ici quelques années, sera plus fripée que le gant d’une vieille ou le costume d’un chômeur.

.prends garde, pisseuse, car les siècles filent !

« C’est sûr, ton jules
«
a une tête de bécasse, un nez hors calibre et des moustaches comme celles d’un phoque. C’est sûr , dans chacune de ses fosses nasales, il pourrait transporter de la contrebande, et il a le regard chassieux d’un domestique sans solde ou d’un pauvre diable sans destin. Certes, il y a des jeunes hommes plus beaux, plus sympathiques, plus dégourdis, plus doués s’agissant de toucher les cordes de ton cœur, plus… tout ce qui plaira à celui qui est en train de me lire.
Oui, cela est exact. Mais le temps passe, bien que Spencer ait dit qu’il n´existait pas et que Einstein ait soutenu que c’est une réalité
de la géométrie euclidienne, qui n’a fichtre rien à voir avec les autres géométries…

Prends garde , gamine, car le temps passe ! Il passe. Et chaque jour le stock d’imbéciles diminue. Chaque jour un zigoto disparaît de la circulation. C’est à ne pas y croire, mais c’est comme ça,y a rien à faire.
« je devine ta pensée, ma grisette. La voici : « il se pourrait que s’en présente un autre meilleur »
« Ouais… mais songe un peu que tous veulent tâter la marchandise, s’assurer de la qualité, savoir ce qu’ils achètent pour aller dire ensuite qu’ils ne l’aiment pas et que diable !
Rappelle-toi que même au marché il est interdit de toucher le beurre et que l’arrêté municipal dans les stands turcs le dit noir sur blanc : « Interdit de toucher la viande » mais ces arrêtés-là, quand on va à la chasse au fiancé, juste avant le coup d’envoi de monsieur le maire, ils n’ont plus cours ; et bien des fois , hélas, il faut enfreindre le code municipal pour arriver à la mairie.
Au dessous la suite

suite
Suite
« Hein? Cet homme est moche comme un gorille? Je te l’accorde ; mais à force de le regarder tu vas le trouver plus beau que Valentino, puis surtout ce n’est pas à sa tête qu’on reconnaît le bon fiancé…Mais aussi au salaire à sa capacité d’amasser du pognon, du sérieux avec lequel il fait son travail… aux promotions qu’il peut avoir…enfin… à des tas de choses.

Et le temps passe ,gamine. Il passe à grand galop : il passe avec fureur. Et chaque jour le stock d’imbéciles diminue ; chaque jour un zigoto disparaît de la circulation, Certains parce qu’ils meurent, d’autres parce qu’ils se réveillent… »
Voilà ce que je pensais dans le tramway où la donzelle faisait des manières avec le monsieur qui l’accompagnait.

Je jure que cette crâneuse n’a pas prononcé une demi-douzaine de mots de tout le voyage, et qu’il n’y avait que moi qui reluquais,d’autres voyageurs avaient remarqué son silence ; et on en avait gros sur la patate parce que c’était un mâle dans la mouise et parbleu ! Même parmi les lions, il y a une sorte de solidarité, involontaire si on veut…

Arrivés dans le quartier de Caballito, la jeune femme a changé de ligne et le crétin est resté sur le trottoir en attendant que le tram fiche le camp. Les yeux dans les yeux, elle d’en haut, lui de la rue, tous deux se regardaient en mimant le plus inconsolable des adieux. Et quand l’engin a démarré, lui, comme qui présente ses respects à une princesse, a enlevé son cappello tandis qu’elle brassait l’air de sa main comme si elle s’était éloignée dans un piccolo navío.
Et scrutant les allures de la dame, de nouveau je me suis fait cette réflexion :

Prends garde , gamine, car le temps file ! Il est encore possible d’attraper le zigoto que tu traites avec tant de suffisances, mais surtout pas d’illusions.

« On voit venir des années de misère, de colère, de révolution, de dictature, de faillites et de concordats. On voit venir les hausses des prix ! Â qui mieux mieux, tout le monde usera ses semelles en cherchant sa croûte Ne joue donc pas à l’indomptable ; traite le bonhomme comme il se doit. Réfléchis. Aujourd’hui tu l’as encore ; demain tu pourrais ne pas l’avoir. Fais lui un brin de causette. C’est encore ce qui coûte le moins. Pense que les hommes n’aiment pas les fiancées silencieuses, parce qu’ils se doutent que , sous le silence , se cache une vilaine pécore, une gonzesse entêtée, rusée et coléreuse. Prends garde , gamine ; car le temps ne revient pas ! »