| Aragon | |
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Auteur | Message |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Aragon Lun 30 Avr 2007, 05:48 | |
| Je ferai de ces mots notre trésor unique Les bouquets joyeux qu’on dépose au pied des saintes Et je te les tendrai ma tendre ces jacinthes Ces lilas suburbains le bleu des véroniques Et le velours amande aux branchages qu’on vend Dans les foires de Mai comme les cloches blanches Du muguet que nous n’irons pas cueillir avant Avant ah tous les mots fleuris l’á-devant flanchent Les fleurs perdent leurs fleurs au souffle de ce vent Et se ferment les yeux pareils à des pervenches Pourtant je chanterai pour toi tant que résonne Le sang rouge en mon coeur qui sans fin t’aimera Ce refrain peut paraître un tradéridéra Mais peut-être qu’un jour les mots que murmura Ce coeur usé ce coeur banal seront l’aura D’un monde merveilleux où toi seule sauras Que si le soleil brille et si l’amour frissonne C’est que sans croire même au printemps dès l’automne J’aurai dit tradéridéra comme personne
in "Les amants séparés" | |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Aragon Lun 30 Avr 2007, 05:49 | |
| Les lilas et les roses
Ô mois des floraisons mois des métamorphoses Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé Je n'oublierai jamais les lilas ni les roses Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés
Je n'oublierai jamais l'illusion tragique Le cortège les cris la foule et le soleil Les chars chargés d'amour les dons de la Belgique L'air qui tremble et la route à ce bourdon d'abeilles Le triomphe imprudent qui prime la querelle Le sang que préfigure en carmin le baiser Et ceux qui vont mourir debout dans les tourelles Entourés de lilas par un peuple grisé
Je n'oublierai jamais les jardins de la France Semblables aux missels des siècles disparus Ni le trouble des soirs l'énigme du silence Les roses tout le long du chemin parcouru Le démenti des fleurs au vent de la panique Aux soldats qui passaient sur l'aile de la peur Aux vélos délirants aux canons ironiques Au pitoyable accoutrement des faux campeurs
Mais je ne sais pourquoi ce tourbillon d'images Me ramène toujours au même point d'arrêt A Sainte-Marthe Un général De noirs ramages Une ville normande au bord de la forêt Tout se tait L'ennemi dans l'ombre se repose On nous a dit ce soir que Paris s'est rendu Je n'oublierai jamais les lilas ni les roses Et ni les deux amours que nous avons perdus
Bouquets du premier jour lilas lilas des Flandres Douceur de l'ombre dont la mort farde les joues Et vous bouquets de la retraite roses tendres Couleur de l'incendie au loin roses d'Anjou
LOUIS ARAGON «Le Crève-Coeur» Gallimard 1940
Louis Aragon oeuvres poétiques complètes Gallimard, «la Pléiade», deux volumes, | |
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Moon Animation
Nombre de messages : 8306 Age : 34 Localisation : Seattle Date d'inscription : 16/12/2006
| Sujet: Re: Aragon Lun 16 Juil 2007, 19:34 | |
| Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps À quoi bon puisque c'est encore Moi qui moi-même me trahis Moi qui me traîne et m'éparpille Et mon ombre se déshabille Dans les bras semblables des filles Où j'ai cru trouver un pays.
Coeur léger coeur changeant coeur lourd Le temps de rêver est bien court Que faut-il faire de mes nuits Que faut-il faire de mes jours Je n'avais amour ni demeure Nulle part où je vive ou meure Je passais comme la rumeur Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable On avait mis les morts à table On faisait des châteaux de sable On prenait les loups pour des chiens Tout changeait de pôle et d'épaule La pièce était-elle ou non drôle Moi si j'y tenais mal mon rôle C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern Entre La Sarre et les casernes Comme les fleurs de la luzerne Fleurissaient les seins de Lola Elle avait un coeur d'hirondelle Sur le canapé du bordel Je venais m'allonger près d'elle Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages Il y volait des oies sauvages Qui criaient la mort au passage Au-dessus des maisons des quais Je les voyais par la fenêtre Leur chant triste entrait dans mon être Et je croyais y reconnaître Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche Ses cheveux tombaient sur ses hanches Et la semaine et le dimanche Elle ouvrait à tous ses bras nus Elle avait des yeux de faÏence Elle travaillait avec vaillance Pour un artilleur de Mayence Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville Et la nuit montent les civils Remets du rimmel à tes cils Lola qui t'en iras bientôt Encore un verre de liqueur Ce fut en avril à cinq heures Au petit jour que dans ton coeur Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent. | |
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Moon Animation
Nombre de messages : 8306 Age : 34 Localisation : Seattle Date d'inscription : 16/12/2006
| Sujet: Re: Aragon Lun 16 Juil 2007, 19:36 | |
| Ce passage, déjà sougliné dans le fil Rainer Maria Rilke par Rotko, est absolument splendide. Moi qui adorais déjà Aragon pour son Aurélien, et ses courts récits... - Citation :
- Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages Qui criaient la mort au passage Au-dessus des maisons des quais Je les voyais par la fenêtre Leur chant triste entrait dans mon être Et je croyais y reconnaître Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent. | |
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clmemont pilier
Nombre de messages : 941 Date d'inscription : 20/06/2006
| Sujet: Re: Aragon Ven 03 Aoû 2007, 17:08 | |
| Il n'y a pas d'amour heureux
Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux
Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux | |
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Moon Animation
Nombre de messages : 8306 Age : 34 Localisation : Seattle Date d'inscription : 16/12/2006
| Sujet: Re: Aragon Dim 16 Sep 2007, 16:33 | |
| Nous étions faits pour être libres Nous étions faits pour être heureux Comme la vitre pour le givre Et les vêpres pour les aveux Comme la grive pour être ivre Le printemps pour être amoureux Nous étions faits pour être libres Nous étions faits pour être heureux
Toi qui avais des bras des rêves Le sang rapide et soleilleux Au joli mois des primevères Où pleurer même est merveilleux Tu courais des chansons aux lèvres Aimé du Diable et du Bon Dieu Toi qui avais des bras des rêves Le sang rapide et soleilleux
Ma folle ma belle et ma douce Qui avais la beauté du feu La douceur de l'eau dans ta bouche De l'or pour rien dans tes cheveux Qu'as-tu fait de ta bouche rouge Des baisers pour le jour qu'il pleut Ma folle ma belle et ma douce Qui avais la beauté du feu
Le temps qui passe passe passe Avec sa corde fait des nœuds Autour de ceux-là qui s'embrassent Sans le voir tourner autour d'eux Il marque leur front d'un sarcasme Il éteint leurs yeux lumineux Le temps qui passe passe passe Avec sa corde fait des nœuds
Nous étions faits pour être libres Nous étions faits pour être heureux Le monde l'est lui pour y vivre Et tout le reste est de l'hébreu Vos lois vos règles et vos bibles Et la charrue avant les bœufs Nous étions faits pour être libres Nous étions faits pour être heureux | |
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joce22 pilier
Nombre de messages : 667 Age : 73 Localisation : Paris Date d'inscription : 10/09/2007
| Sujet: Re: Aragon Dim 11 Nov 2007, 08:48 | |
| Tu n'en reviendras pas
Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le travers en deux Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve On glissera le long de la ligne de feu Quelque part ça commence à n'être plus du jeu Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule le train des dernières lueurs Les soldats assoupis que ta danse secoue Laissent pencher leur front et fléchissent le cou Cela sent le tabac la laine et la sueur
Comment vous regarder sans voir vos déstinées Fiancés de la terre et promis des douleurs La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit Déjà vous n'êtes plus qu'un nom d'or sur nos places Déjà le souvenir de vos amours s'efface Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri
Louis Aragon, Le Roman inachevé, 1956
mis en musique et chanté par Léo Ferré | |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Aragon Dim 17 Fév 2008, 06:33 | |
| Odeur des myrtils Dans les grands paniers Que demeure-t-il De nous au grenier ?
Ombre mon royaume J'y retrouverais Les anciens arômes Et les noirs portraits
Les enfants qui dorment Les fauteuils boiteux Les ombres difformes La trace de jeux
C'était moi peut-être Ou peut-être vous Les yeux des fenêtres Sont vides et fous
Dans les mois de paille Il fait doux guetter Le cri court des cailles Divisant l'été
Le vent se repose Aux bords bleus du temps Les hérons gris rose Marchent sur l'étang
Il me semble entendre Un train loin d'ici Dans les osiers tendres Le jour est assis
La fin d'août paresse Et les arbres font Des lentes caresses Aux plafonds profonds
Mémoire qui meurt Photos effacées Rumeur ô rumeur Des choses passées
Louis Aragon | |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Aragon Sam 15 Mar 2008, 12:24 | |
| Je vous salue ma France, arrachée aux fantômes ! Ô rendue à la paix ! Vaisseau sauvé des eaux... Pays qui chante : Orléans, Beaugency, Vendôme ! Cloches, cloches, sonnez l'angélus des oiseaux !
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle, Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop. Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle, Sol semé de héros, ciel plein de passereaux...
Je vous salue, ma France, du les vents se calmèrent ! Ma France de toujours, que la géographie Ouvre comme une paume aux souffles de la mer Peur que l'oiseau du large y vienne et se confie.
Je vous salue, ma France, où l'oiseau de passage, De Lille à Roncevaux, de Brest au Montcenis, Pour la première fois a fait l'apprentissage De ce qu'il peut coûter d'abandonner un nid !
Patrie également à la colombe ou l'aigle, De l'audace et du chant doublement habitée ! Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles Mûrissent au soleil de la diversité...
Je vous salue, ma France, où le peuple est habile À ces travaux qui font les jours émerveillés Et que l'on vient de loin saluer dans sa ville Paris, mon coeur, trois ans vainement fusillé !
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe Cet arc-en-ciel témoin qu'il ne tonnera plus, Liberté dont frémit la silence des harpes, Ma France d'au-delà le déluge, salut ! | |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Aragon Sam 15 Mar 2008, 12:30 | |
| on reconnaît la comptine
Orléans, Beaugency, Notre -Dame de Cléry (bis) Vendôme, Vendôme Quel chagrin, quel ennui, de compter toutes les heures Quel chagrin, quel ennui, de compter jusqu’à minuit Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry (bis) Vendôme, Vendôme
voici son air | |
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Akemi pilier
Nombre de messages : 164 Age : 37 Localisation : Marseille Date d'inscription : 15/08/2007
| Sujet: Re: Aragon Sam 15 Mar 2008, 14:10 | |
| Je vous laisse mon préféré, c'est sur la vie qui passe vite, la vieillesse et la mort qu'on voit arriver mais les mots sont merveilleux.
J'arrive où je suis étranger:
Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est passager C'est un peu fondre comme le givre Et pour le vent être léger J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière D'où viens-tu mais où vas-tu donc Demain qu'importe et qu'importe hier Le coeur change avec le chardon Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe Touche l'enfance de tes yeux Mieux vaut laisser basses les lampes La nuit plus longtemps nous va mieux C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne Mais l'enfant qu'est-il devenu Je me regarde et je m'étonne De ce voyageur inconnu De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence Mais pas assez vite pourtant Pour ne sentir ta dissemblance Et sur le toi-même d'antan Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte Le sable en fuit entre nos doigts C'est comme une eau froide qui monte C'est comme une honte qui croît Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose C'est long de renoncer à tout Et sens-tu les métamorphoses Qui se font au-dedans de nous Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde Quelle est l'heure de tes marées Combien faut-il d'années-secondes A l'homme pour l'homme abjurer Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est passager C'est un peu fondre comme le givre Et pour le vent être léger J'arrive où je suis étranger. | |
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Moon Animation
Nombre de messages : 8306 Age : 34 Localisation : Seattle Date d'inscription : 16/12/2006
| Sujet: Re: Aragon Mer 28 Mai 2008, 15:20 | |
| La rose et le réséda
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats Lequel montait à l'échelle et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Qu'importe comment s'appelle cette clarté sur leur pas Que l'un fut de la chapelle et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Tous les deux étaient fidèles des lèvres du coeur des bras Et tous les deux disaient qu'elle vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Du haut de la citadelle la sentinelle tira Par deux fois et l'un chancelle l'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Ils sont en prison Lequel a le plus triste grabat Lequel plus que l'autre gèle lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Un rebelle est un rebelle deux sanglots font un seul glas Et quand vient l'aube cruelle passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Répétant le nom de celle qu'aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas Il coule, il coule, il se mêle à la terre qu'il aima Pour qu'à la saison nouvelle mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas L'un court et l'autre a des ailes de Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle le grillon rechantera Dites flûte ou violoncelle le double amour qui brûla L'alouette et l'hirondelle la rose et le réséda | |
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Sourifleur habitué(e)
Nombre de messages : 11 Age : 64 Localisation : Belgique Brabant Wallon Date d'inscription : 30/08/2008
| Sujet: Re: Aragon Lun 29 Sep 2008, 17:56 | |
| Voici un poème que j'aime particulièrement :
Les mains d'Elsa
Donne-moi tes mains pour l'inquiétude Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude Donne-moi te mains que je sois sauvé
Lorsque je les prends à mon pauvre piège De paume et de peur de hâte et d'émoi Lorsque je les prends comme une eau de neige Qui fond de partout dans mes main à moi
Sauras-tu jamais ce qui me traverse Ce qui me bouleverse et qui m'envahit Sauras-tu jamais ce qui me transperce Ce que j'ai trahi quand j'ai tresailli
Ce que dit ainsi le profond langage Ce parler muet de sens animaux Sans bouche et sans yeux miroir sans image Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots
Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent D'une proie entre eux un instant tenue Sauras-tu jamais ce que leur silence Un éclair aura connu d'inconnu
Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme S'y taise le monde au moins un moment Donne-moi tes mains que mon âme y dorme Que mon âme y dorme éternellement.
ARAGON | |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Aragon Lun 29 Déc 2008, 15:00 | |
| Dans l'ecriture ou la vie, Jorge Semprun parle du beau poème d'Aragon, qui évoque les survivants des camps nazis. Chanson pour oublier Dachau Nul ne réveillera cette nuit les dormeurs Il n’y aura pas à courir les pieds nus dans la neige Il ne faudra pas se tenir les poings sur les hanches jusqu’au matin Ni marquer le pas le genou plié devant un gymnasiarque dément Les femmes de quatre-vingt-trois ans les cardiaques ceux qui justement Ont la fièvre ou des douleurs articulaires ou Je ne sais pas moi les tuberculeux N’écouteront pas les pas dans l’ombre qui s’approchent Regardant leurs doigts déjà qui s’en vont en fumée Nul ne réveillera cette nuit les dormeurs Ton corps Ton corps n’est plus le chien qui rôde et qui ramasse Dans l’ordure ce qui peut lui faire un repas Ton corps n’est plus le chien qui saute sous le fouet Ton corps n’est plus cette dérive aux eaux d’Europe Ton corps n’est plus cette stagnation cette rancoeur Ton corps n’est plus la promiscuité des autres N’est plus sa propre puanteur- Spoiler:
Homme ou femme tu dors dans des linges lavés Quand tes yeux sont fermés quelles sont les images Qui repassent au fond de leur obscur écrin Quelle chasse est ouverte et quel monstre marin Fuit devant les harpons d’un souvenir sauvage Quand tes yeux sont fermés revois-tu revoit-on Mourir aurait été si doux à l’instant même Dans l’épouvante où l’équilibre est stratagème Le cadavre debout dans l’ombre du wagon Quand tes yeux sont fermés quel charançon les ronge Quand tes yeux sont fermés les loups font-ils le beau Quand tes yeux sont fermés ainsi que des tombeaux Sur des morts sans suaire en l’absence des songes Tes yeux Homme ou femme retour d’enfer Familiers d’autres crépuscules Le goût de soufre aux lèvres gâtant le pain frais Les réflexes démesurés à la quiétude villageoise de la vie Comparant tout sans le vouloir à la torture Déshabitués de tout Hommes et femmes inhabiles à ce semblant de bonheur revenu Les mains timides aux têtes d’enfants Le coeur étonné de battre Leurs yeux Derrière leurs yeux pourtant cette histoire Cette conscience de l’abîme Et l’abîme Où c’est trop d’une fois pour l’homme être tombé Il y a dans ce monde nouveau tant de gens Pour qui plus jamais ne sera naturelle la douceur Il y a dans ce monde ancien tant et tant de gens Pour qui toute douceur est désormais étrange
Il y a dans ce monde ancien et nouveau tant de gens Que leurs propres enfants ne pourront pas comprendre Oh vous qui passez Ne réveillez pas cette nuit les dormeurs | |
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Lîlâ pilier
Nombre de messages : 1598 Date d'inscription : 08/01/2009
| Sujet: Re: Aragon Lun 12 Jan 2009, 13:28 | |
| Un poème qui est non seulement mon préféré d'Aragon, mais en plus celui qui me touche le plus dans toute la poésie que j'ai pu lire (et pourtant, d'innombrables textes ont pu me parler et m'atteindre!):
Le fou d'Elsa (extrait)
Il y a des choses que je ne dis a Personne Alors Elles ne font de mal à personne Mais Le malheur c'est Que moi Le malheur le malheur c'est Que moi ces choses je les sais
Il y a des choses qui me rongent La nuit Par exemple des choses comme Comment dire comment des choses comme des songes Et le malheur c'est que ce ne sont pas du tout des songes
Il y a des choses qui me sont tout à fait Mais tout à fait insupportables même si Je n'en dis rien même si je n'en Dis rien comprenez comprenez moi bien
Alors ça vous parfois ça vous étouffe Regardez regardez moi bien Regardez ma bouche Qui s'ouvre et ferme et ne dit rien
Penser seulement d'autre chose Songer à voix haute et de moi Mots sortent de quoi je m'étonne Qui ne font de mal à personne
Au lieu de quoi j'ai peur de moi De cette chose en moi qui parle
Je sais bien qu'il ne le faut pas Mais que voulez-vous que j'y fasse Ma bouche s'ouvre et l'âme est là Qui palpite oiseau sur ma lèvre
O tout ce que je ne dis pas Ce que je ne dis à personne Le malheur c'est que cela sonne Et cogne obstinément en moi Le malheur c'est que c'est en moi Même si n'en sait rien personne Non laissez moi non laissez moi Parfois je me le dis parfois Il vaut mieux parler que se taire
Et puis je sens se dessécher Ces mots de moi dans ma salive C'est là le malheur pas le mien Le malheur qui nous est commun Épouvantes des autres hommes Et qui donc t'eut donné la main Étant donné ce que nous sommes
Pour peu pour peu que tu l'aies dit Cela qui ne peut prendre forme Cela qui t'habite et prend forme Tout au moins qui est sur le point Qu'écrase ton poing Et les gens Que voulez-vous dire Tu te sens comme tu te sens Bête en face des gens Qu'étais-je Qu'étais-je à dire Ah oui peut-être Qu'il fait beau qu'il va pleuvoir qu'il faut qu'on aille Où donc Même cela c'est trop Et je les garde dans les dents Ces mots de peur qu'ils signifient
Ne me regardez pas dedans Qu'il fait beau cela vous suffit Je peux bien dire qu'il fait beau Même s'il pleut sur mon visage Croire au soleil quand tombe l'eau Les mots dans moi meurent si fort Qui si fortement me meurtrissent Les mots que je ne forme pas Est-ce leur mort en moi qui mord
Le malheur c'est savoir de quoi Je ne parle pas à la fois Et de quoi cependant je parle
C'est en nous qu'il nous faut nous taire
Louis Aragon (1963) | |
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Lîlâ pilier
Nombre de messages : 1598 Date d'inscription : 08/01/2009
| Sujet: Re: Aragon Mar 10 Mar 2009, 19:05 | |
| Devant ce silence Je ne sais rien Rien d'autre que toi Que toi-même... Qui me dira ton nom Pour joindre l'espérance | |
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Seb pilier
Nombre de messages : 950 Date d'inscription : 26/02/2008
| Sujet: Re: Aragon Mar 10 Mar 2009, 19:15 | |
| - joce22 a écrit:
- Tu n'en reviendras pas
Louis Aragon, Le Roman inachevé, 1956 comme on dit aujourd'hui, c'est du lourd! | |
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Luce14 pilier
Nombre de messages : 56 Age : 36 Date d'inscription : 15/05/2009
| Sujet: Re: Aragon Lun 18 Mai 2009, 17:13 | |
| Louis Aragon LES YEUX D'ELSATes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer S'y jeter à mourir tous les désespérés Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L'été taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L'iris troué de moire plus bleue d'être endeuillé Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche Par où se reproduit le miracle des Rois Lorsque le coeur battant, ils virent tous les trois Le manteau de Marie accroché dans la crèche Une bouche suffit au mois de mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hélas Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux L'enfant accaparé par les belles images Écarquille les siens moins démesurément Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages Cachent-ils des éclairs dans cette lavande ou Des insectes défont leurs amours violentes Je suis pris au filet des étoiles filantes Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août J'ai retiré ce radium de la pechblende Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu Ô paradis cent fois retrouvé reperdu Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa | |
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darabesque pilier
Nombre de messages : 2846 Age : 81 Localisation : picardie Date d'inscription : 03/09/2009
| Sujet: Re: Aragon Mar 27 Oct 2009, 16:44 | |
| L'affiche rouge (poème d'Aragon)
Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes Ni l'orgue ni la prière aux agonisants Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servis simplement de vos armes La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants L'affiche qui semblait une tache de sang Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents Tout avait la couleur uniforme du givre A la fin février pour vos derniers moments Et c'est alors que l'un de vous dit calmement Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le coeur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant
et pour l'écouter, magnifiquement interprété par Léo Ferré
LA | |
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poeme pilier
Nombre de messages : 1290 Age : 50 Date d'inscription : 26/10/2009
| Sujet: Re: Aragon Mar 27 Oct 2009, 17:27 | |
| coucou il est magnifique ce poeme et leo ferre le chante magnfiqiuement bien je trouve son interpretation d'aragon plus juste que celle de ferrat il y a le poeme l'etrangere qui est magnifique aussi qui relate l'enfance d'aragon a la pension de famille Il existe près des écluses Un bas quartier de bohémiens Dont la belle jeunesse s’use A démêler le tien du mien En ballade on s’y rend en voiture Ordinairement au mois d’août Ils disent la bonne aventure pour des piments et du vin doux.
On passe la nuit claire à boire On danse en frappant dans ses mains On n’a pas le temps de le croire Il fait grand jour et c’est demain On revient d’une seule traite Gais sans un sous vaguement gris Avec des fleurs plein les charrettes Son destin dans la paume écrit.
Celle-ci par là vite vit De l’odeur des magnolias Sa robe tomba tout de suite Quand ma hâte la délia En ces temps là j’étais crédule Un mot m’était promission Et je prenais les campanules Pour des fleurs de la passion.
A chaque fois tout recommence Toute musique me saisit Et la plus banale des romances M’est éternelle poésie
Nous avions joué de notre âme Un log jour une courte nuit Puis au matin bonsoir madame L’amour s’achève avec la pluie. | |
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darabesque pilier
Nombre de messages : 2846 Age : 81 Localisation : picardie Date d'inscription : 03/09/2009
| Sujet: Re: Aragon Mar 27 Oct 2009, 17:32 | |
| Ferré y met peut-être plus de "tripes", cela doit venir de là. Mais l'affiche rouge est vraiment un monument ! l'étrangère aussi bien sûr il n'y a vraiment rien à jeter. dans un autre genre: les yeux d'Elsa Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer S'y jeter à mourir tous les désespérés Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L'été taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L'iris troué de moir plus bleu d'être endeuillé Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche Par où se reproduit le miracle des Rois Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois Le manteau de Marie accroché dans la crèche Une bouche suffit au mois de Mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hélas Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux L'enfant accaparé par les belles images Écarquille les siens moins démesurément Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où Des insectes défont leurs amours violentes Je suis pris au filet des étoiles filantes Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août J'ai retiré ce radium de la pechblende Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu Ô paradis cent fois retrouvé reperdu Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa [b] | |
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Saladlover pilier
Nombre de messages : 42 Age : 34 Localisation : Partout et nulle part à la fois. Date d'inscription : 26/10/2009
| Sujet: Re: Aragon Mar 27 Oct 2009, 17:50 | |
| Léo Ferré quel homme, quelle voix, quelles aspirations. J'aime tout ce qu'il a fait. Mais ma chanson préférée reste "les Anarchistes".
https://www.youtube.com/watch?v=_1PcOsbJbLI
Y'en a pas un sur cent et pourtant ils existent La plupart Espagnols allez savoir pourquoi Faut croire qu'en Espagne on ne les comprend pas Les anarchistes
Ils ont tout ramassé Des beignes et des pavés Ils ont gueulé si fort Qu'ils peuv'nt gueuler encore Ils ont le cœur devant Et leurs rêves au mitan Et puis l'âme toute rongée Par des foutues idées
Y'en a pas un sur cent et pourtant ils existent La plupart fils de rien ou bien fils de si peu Qu'on ne les voit jamais que lorsqu'on a peur d'eux Les anarchistes
Ils sont morts cent dix fois Pour que dalle et pour quoi ? Avec l'amour au poing Sur la table ou sur rien Avec l'air entêté Qui fait le sang versé Ils ont frappé si fort Qu'ils peuvent frapper encor
Y'en a pas un sur cent et pourtant ils existent Et s'il faut commencer par les coups d'pied au cul Faudrait pas oublier qu'ça descend dans la rue Les anarchistes
Ils ont un drapeau noir En berne sur l'Espoir Et la mélancolie Pour traîner dans la vie Des couteaux pour trancher Le pain de l'Amitié Et des armes rouillées Pour ne pas oublier
Qu'y'en a pas un sur cent et pourtant ils existent Et qu'ils se tiennent bien le bras dessus bras dessous Joyeux, et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout Les anarchistes
P.S. Je dévie du sujet j'espère que vous m'en voudrez pas trop. | |
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poeme pilier
Nombre de messages : 1290 Age : 50 Date d'inscription : 26/10/2009
| Sujet: Aragon Mar 27 Oct 2009, 18:30 | |
| pour repondre a darabesque oui celui la est magnifique aussi il loue l'amour qu'il portait a elsa meme si a la fin de sa vie il ne croyait plus en cet amour un autre est pas tres emouvant et tres bien ecrit aussi: Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenêtres Tu me rends la caresse d'être Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaître Notre histoire jusqu'à la fin
C'est miracle que d'être ensemble Que la lumière sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme à son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble
Pour la première fois ta bouche Pour la première fois ta voix D'une aile à la cime des bois L'arbre frémit jusqu'à la souche C'est toujours la première fois Quand ta robe en passant me touche
Ma vie en vérité commence Le jour où je t'ai rencontrée Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce à ma démence Et qui m'as montré la contré Que la bonté seule ensemence
Tu vins au cœur du désarroi Pour chasser les mauvaises fièvres Et j'ai flambé comme un genièvre A la Noël entre tes doigts Je suis né vraiment de ta lèvre Ma vie est à partir de toi
Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse | |
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Constance pilier
Nombre de messages : 1650 Date d'inscription : 01/10/2009
| Sujet: Re: Aragon Dim 01 Nov 2009, 14:57 | |
| "Louis Aragon a écrit ce poème en 1955, en mémoire du groupe Manouchian, résistants étrangers fusillés par la Gestapo le 21 Février 1944. L'annonce de leur condamation s'était faite par une affiche reproduisant leurs photographies, et qui est restée sous le nom de "l'Affiche rouge". Le 16 Novembre 1943, Missak Manouchian se rendait à un rendez-vous pour rencontrer sur les berges de la Seine Joseph Epstein, autre résistant. Ils se font tous les deux arrêter et leur groupe respectif est démantelé. Deux strophes du poème d'Aragon s'inspire directement de la dernière lettre de Missak Manouchian."
Strophes pour se souvenir
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes Ni l'orgue ni la prière aux agonisants Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servi simplement de vos armes La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants L'affiche qui semblait une tache de sang Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre À la fin février pour vos derniers moments Et c'est alors que l'un de vous dit calmement Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le coeur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant
(poème issu du "Roman inachevé", qui a été mis en musique et chanté par Léo Ferré )
Lettre d'adieu de Missak Manouchian à son aimée ...
- Spoiler:
Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.
Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.
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Clertie pilier
Nombre de messages : 404 Age : 32 Date d'inscription : 11/08/2011
| Sujet: Re: Aragon Sam 27 Aoû 2011, 14:37 | |
| Poème extrait du recueil Elsa (1959). Je l'aime beaucoup pour ses jolies métaphores et la force d'une passion qui ne peut se dire que difficilement. "Je vais te dire un grand secret"
Je vais te dire un grand secret Le temps c'est toi Le temps est femme Il a Besoin qu'on le courtise et qu'on s'asseye À ses pieds le temps comme une robe à défaire Le temps comme une chevelure sans fin Peignée Un miroir que le souffle embue et désembue Le temps c'est toi qui dors à l'aube où je m'éveille
C'est toi comme un couteau traversant mon gosier Oh que ne puis-je dire ce tourment du temps qui ne passe point Ce tourment du temps arrêté comme le sang dans les vaisseaux bleus Et c'est bien pire que le désir interminablement non satisfait Que cette soif de l’œil quand tu marches dans la pièce Et je sais qu'il ne faut pas rompre l'enchantement Bien pire que de te sentir étrangère Fuyante La tête ailleurs et le cœur dans un autre siècle déjà Mon Dieu que les mots sont lourds Il s'agit bien de cela Mon amour au-delà du plaisir mon amour hors de portée aujourd'hui de l'atteinte
Toi qui bats à ma tempe horloge Et si tu ne respires pas j'étouffe Et sur ma chair hésite et se pose ton pas
Je vais te dire un grand secret Toute parole À ma lèvre est une pauvresse qui mendie Une misère pour tes mains une chose qui noircit sous ton regard Et c'est pourquoi je dis si souvent que je t'aime Faute d'un cristal assez clair d'une phrase que tu mettrais à ton cou Ne t'offense pas de mon parler vulgaire Il est L'eau simple qui fait ce bruit désagréable dans le feu
Je vais te dire un grand secret Je ne sais pas Parler du temps qui te ressemble Je ne sais pas parler de toi je fais semblant Comme ceux très longtemps sur le quai d'une gare Qui agitent la main après que les trains sont partis Et le poignet s'éteint du poids nouveau des larmes
Je vais te dire un grand secret J'ai peur de toi Peur de ce qui t'accompagne au soir vers les fenêtres Des gestes que tu fais des mots qu'on ne dit pas J'ai peur du temps rapide et lent j'ai peur de toi Je vais te dire un grand secret Ferme les portes Il est plus facile de mourir que d'aimer C'est pourquoi je me donne le mal de vivre Mon amour
trop beau | |
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| Sujet: Re: Aragon | |
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| Aragon | |
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