Carson McCullers

Quel ne fut pas mon étonnement , que dis-je, ma stupéfaction , que dis-je mon choc , en découvrant que Carson McCullers, pourtant annoncée dans le menu de la Littérature américaine et l'un des auteurs phares de ce qu'on appelle quelquefois la littérature sudiste, n'avait pas encore son fil!!! Là-dessus, j'entrepris immédiatement d'y remédier...

Il y aurait beaucoup à dire sur cet écrivain-prodige, qui se destinait initialement à la musique mais qui n'a pu aller au bout de son rêve car physiquement trop fragile(ce dont elle parle avec sensibilité dans une nouvelle intitulée Wunderkind), qui a réussi à se faire une place dans une littérature essentiellement masculine (et tellement écrasée par la figure tutélaire de William Faulkner que certains ont qualifié Carson, injustement à mon avis, d'écrivain mineur).

Pour moi, tout a commencé avec la lecture de Reflets dans un oeil d'or, qui a été un choc (livre très court, écrit dans un style à la fois économe et magistral, atmosphère de baraquements militaires très prenante). Cela m'a incité à lire tous les autres, avec une préférence pour Le coeur est un chasseur solitaire et, un très léger cran en-dessous, La ballade du café triste.

La personnalité de l'écrivaine, sa fragilité (c'était une grande fille un peu gauche et souvent malade)

sa vie assez mélancolique avec un mari alcoolique et lui-même écrivain malheureux, sont également assez fascinantes. Lire à ce sujet une très belle biographie (plutôt l'enquête biographique d'un admirateur littéraire): A la recherche de Carson McCullers, de Jacques Tournier.

Pour ceux qui ne connaissent pas, vous pouvez y aller les yeux fermés (enfin bon, faudra quand même les entrouvrir pour lire les bouquins ): chez Carson McCullers, tout est bon...

Allez-y, tout est bon, oui, mais préparez vous à soupirer si vous êtes enclin à la mélancolie.

Le coeur est un chasseur solitaire, qu'est ce que c'est beau et triste...
Les personnages sont tous murés dans leur solitude comme à l'écart du monde sous un soleil aveuglant. Cette enfant qui essaie de se fabriquer un violon, ce muet, grande âme toute simple, qui aime un Grec qui ne pense qu'à manger, cette petite fille pouponnée par sa mère et fardée comme une star qui tourne pour faire admirer sa robe et reçoit un coup de fusil donné par un garçon qui précipite ainsi sa famille dans le malheur... On les a encore dans la tête longtemps après les avoir rencontrés dans le roman.

Ont été éditées récemment des nouvelles de jeunesse de cet auteur.Elle avait quatorze ans, je crois , quand elle a écrit la première (Je ne me souviens plus du titre): une histoire banale d'une fille qui ne veut pas aller dans son nouveau collège parce qu'elle est certaine qu'elle n'y aura aucun ami. Quand on lit ça en ayant lu le reste avant, quand on connait un peu la vie de l'auteur, c'est aussi émouvant qu'une vieille photo. Naissance d'un écrivain.

Mea culpa.
je n'ai pas lu le livre , mais j'ai vu le fim de John Huston, avec Marlon Brando et Elizabeth Taylor....

Un chef d'oeuvre.....
Si vous avez l'occasion.....

Depuis que j'ai lu et étudié The Member of the Wedding, Frankie Addams en français, lors des mes études, je me répète régulièrement qu'il faut que je lise d'autres oeuvres de Carson McCullers. Non seulment parce qu'une étude d'un passage m'a valu un 16/20 ( ), mais surtout parce que j'ai énormément aimé le style, le climat douloureux mais tellement fort et fascinant, de l'univers de l'auteur.
Ce court roman raconte en trois chapitres le passage difficile d'une jeune fille de l'enfance à l'adolescence. Elle se sent seule, comme on peut le ressentir quand on a 12 ans dans une famille où les rapports semblent difficiles. Elle semble perdue entre son petit frère de 6 ans, et son frère aîné, qui se marie le lendemain.
Dans chacune des trois partie, elle est nommée d'une façon différente, comme pour souligner la confusion de Frankie, perdue et déstabilisé par le temps qui passe, ce qu'elle semble comprendre et ressentir pour la première fois.
Une adaptation non officielle et librement inspirée a été faite il y a une vingtaine d'années par Claude Miller avec Charlotte Gainsbourg, sous le titre L'Effrontée.

Par contre j'ai également vu Reflets dans un oeil d'or, film époustouflant par ses parti pris de mise en scène assez extrême : Marlon Brando est tout en non-jeu dans son personnage coincé dans les conventions sociales et les tabous, la photo du film dans des tons dorés de toute beauté. Le film est ressorti sur Paris il y a quelques années sur une copie restaurée et dorée, c'est comme ça que je l'ai découvert. Donc j'abonde dans le sens de Fontelle : si jamais le film passe près de chez vous au ciné, ou à la télé, n'hésitez pas, c'est un chef d'oeuvre (malheureusement, pas de DVD en France ).

Seb a écrit:

Pour moi, tout a commencé avec la lecture de Reflets dans un oeil d'or, qui a été un choc (livre très court, écrit dans un style à la fois économe et magistral, atmosphère de baraquements militaires très prenante).

Et bien voilà, j'ai abordé Carson McCullers par reflets d'or..., et je trouve que tu as parfaitement décrit ce que j'ai ressenti : économe et magistral.

Je mets un grain

et je vais continuer ma lecture de cette superbe auteure.

Carson Mc Cullers , après Joyce Carol Oates, un de mes auteurs fétiches
Je partage l'emballement des grains ci-dessus

Tchipette a écrit:

Seb a écrit:

Pour moi, tout a commencé avec la lecture de Reflets dans un oeil d'or, qui a été un choc (livre très court, écrit dans un style à la fois économe et magistral, atmosphère de baraquements militaires très prenante).

Et bien voilà, j'ai abordé Carson McCullers par reflets d'or..., et je trouve que tu as parfaitement décrit ce que j'ai ressenti : économe et magistral.

Et ce n'est pas tout, j'ai réussi à décrire ce que tu as ressenti AVANT MÊME que tu le ressentes...

Seb le magicien !

J'ai découvert très récemment grâce à mes études : j'étudie The Member of the wedding, et j'ai vraiment beaucoup aimé. Je ne connaissais pas cet auteur et je suis contente de l'avoir découverte. L'ambiance est vraiment particulière, ces crépuscules moites dans la cuisine, la solitude, l'incompréhension, les illusions. Ce que j'aime, c'est qu'on sait dès le début que Franckie ne pourra jamais partir avec son frère et sa fiancée, c'est impossible, mais McCullers a le talent de nous y faire croire, et de nous faire partager le désespoir de Franckie quand elle rentre chez elle après le mariage. Au niveau de l'ambiance, j'ai trouvé qu'on pouvait déceler des points communs avec [/i]Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur[i] d'Harper Lee : ambiance sudiste, chaude, de ville désertée, de solitude, et puis les 2 fillettes ont le même âge. Et le cousin de Franckie peut être comparé à l'ami de vacances de Jem et Scout.

Pour moi elle préfigure Joyce Carol Oates... McCullers et Flannery O'Connor sont des auteurs historiques qui nous renseignent mieux sur la civilisation américaine que els livres d'histoire

Je ne connaissais pas cet auteur. Je viens de lire l'ensemble de ses nouvelles publiées dans La Pochothèque : quel talent, y compris dans les nouvelles de jeunesse. On sent que certains thèmes sont récurrents, le passage à l'âge adulte, les problèmes liés à l'alcoolisme, le racisme, la maladie, la musique. Je n'ai cherché à m'informer sur l'auteur qu'après avoir lu tous ces textes mais je devinais déjà la part autobiographique à l'origine de l'écriture. Enfin, j'ai été fascinée par cet art du détail précis qui survient juste au bon moment sans insistance. J'ai particulièrement aimé "Un problème familial" et "Un souffle qui vient du ciel".
En parcourant le fil, je ne peux qu'être incitée à me plonger dans les romans mais j'en avais l'intention !

J'ai commencé La ballade du café triste de Carson McCullers.

Moon a écrit:

J'ai commencé La ballade du café triste de Carson McCullers.

bonne idée ! je pensais à elle à propos de reflets dans un oeil d'or, adapté à l'ecran avec Elizabeth Taylor...

le fil de Carson McCullers...

rotko a écrit:

Moon a écrit:

J'ai commencé La ballade du café triste de Carson McCullers.

bonne idée ! je pensais à elle à propos de reflets dans un oeil d'or, adapté à l'ecran avec Elizabeth Taylor...

le fil de Carson McCullers...

Je découvre Carson McCullers et je suis conquise.
Du coup je vais continuer avec les autres nouvelles du recueil.

« Celui qui passe » dans la ballade du café triste, livre de poche biblio.

A mes yeux, une nouvelle très réussie, car riche d’évocations. Le regret des amours passées, la gêne à retrouver la femme aimée dans un nouveau couple, alors que soi-même on n’a pas de relation stable… tout cela surgit de cette petite nouvelle, comme l’air de piano joué autrefois.

Alors on ment, comme fait dans Fargo des frères Coen, l’ancien camarade d’école, qui veut cacher son actuelle détresse.

J’ai donc bien aimé les sentiments vécus par le protagoniste, ses questionnements sur lui-même, en face du bonheur tranquille des autres, ses résolutions, même perçues comme sans lendemain.

Il fallait meubler le présent.

Carson Mc Cullers

La ballade du café triste
Un petit village, perdu, dans le Sud des Ëtats-Unis, mélancolique, comme le paysage qui l’entoure.
Miss Amélia Evans, une femme grande, froide et farouche, ressemblait par son allure,à ce même village. Mariée depuis des années, son mariage n’avait duré que dix jours. Femme aux multiples affaires, d’abord un magasin, usurière, distillatrice de whisky, elle menait une vie tranquille, puis un jour sa vie a changé.
Elle a changé parce que le hasard , sous la forme d’un nain bossu, est arrivé au village, elle l’aime et avec lui, le magasin devient un café, pour la grande joie des habitants. L’histoire est drolatique, presque une farce, je n’ai pas accroché, les personnages pas attirants. La scène de la lutte furieuse à coups de poings, entre Amélia et son ex-mari, m’a dégoûtée, et la réaction incroyable du nain m’a laissée perplexe.
En résumé, cette œuvre m’a déplu, je m’attendais à autre chose. Je n’ai rien lu de cette auteure, c’est sûrement bien écrit, mais elle n’a pas écrit pour moi.

Moon a écrit:

Je découvre Carson McCullers et je suis conquise. La ballade du café triste est d'une justesse incroyable. C'est aussi merveilleusement écrit...

Il serait bon qu'on en parle en effet, car cette ballade mérite son nom :

Le récit est toujours épique (proche de la geste), souvent dramatique (dans ce sens, synonyme de complainte), parfois comique.

on a en effet un exemple de littérature orale, où l'auditeur-lecteur est pris à témoin.

A votre avis, qui raconte l’histoire ?

La ballade du café triste

1/2

Puisque personne ne bronche et que

Citation :

Midi, Roi des Étés, épandu sur la plaine

fait sommeiller les grains vaillants, je lance ma petite notice en demandant aux lecteurs en cours de ne pas lire mon billet.

Le conteur est très présent, qui s’adresse à son auditoire, lui indique les points à retenir, fait des annonces pour ménager le suspens et garder l’attention de son public.

« N’oubliez donc pas ce Marvin Macy, car il jouera un rôle effrayant dans ce qui va suivre; »

Il fait tout pour le retenir, et comme l’histoire se déroule sur une longue durée, il a le soin de ménager les temps forts. C’est un vrai bonimenteur.

« Et maintenant regardons ces années paresseuses et arrêtons-nous à ce fameux samedi soir, six ans après l’arrivée en ville de Cousin Lymon. »

Au départ il présente un village de western dans lequel il n’arrive rien, sauf les lointains échos de scandales passés qui éclairent le présent de certain personnages-clés, comme Amelia, épicière rigoureuse et guérisseuse. Tout le monde a donc affaire à elle.

Deux arrivées inopinées changent la donne,

- le bossu qui, contre toute attente, s’incruste dans le café jusqu’à en paraître le patron, dont la difformité physique renverrait à des capacités exceptionnelles dans d’autres domaines. Juste compensation de la nature !

- Marvin Macy, devancé par une réputation détestable, dont on pressent que le retour sera l’objet d’un règlement de compte. Curieusement, comme dans une épopée naïve, l’univers en est perturbé, y compris le climat.

Citation :

« Comme on pouvait s’y attendre, Marvin Macy apporta aussitôt le malheur avec lui. Le temps changea dès le lendemain et devint étouffant A l’aube il flottait dans l’air une chaleur étouffant lourde et gluante, le vent charriait l’odeur écœurante des marais, et de frêles moustiques aux sifflements stridents avaient envahi le château d’eau. »

On bascule alors du récit réaliste type western, à l’épopée de caractère fantastique

La ballade du café triste
2/2

Amadak a écrit:

L’histoire est drolatique, presque une farce

Exactement, la situation devient loufoque dès qu’Amelia décide de s’entraîner au punching ball pour vider sa querelle existentielle avec Marvin Macy, et cet affrontement devient un divertissement à grand spectacle.

Pourtant cet aspect comique ne fait pas oublier le tour fantastique pris par le récit : si on accepte facilement les talents de guérisseuse d’Amelia, on est intrigués, voire stupéfiés, par les pouvoirs quasi magiques de Marvin Macy et de Cousin Lymon.

Le premier exerce un pouvoir absolu sur le second

Citation :

« il avait certainement appris à user de ses sortilèges au pénitencier d’Atlanta. Sinon comment expliquer l’impression qu’il produisait sur Cousin Lymon »

Quant à ce dernier, capable par sa seule présence d’agir « comme un brandon de discorde » sur la clientèle de l’épicerie, il devient une sorte de nain maléfique (avec des oreilles particulièrement mobiles !  on pense à un gnôme nordique), dévoué au mal absolu, caractéristiques absentes au début du récit.

La ballade du café triste mêle le fantastique et le grotesque dans un chronique villageoise populaire, dont l’origine serait sans doute (hypothèse !) à rechercher du côté des "douze mortels" qui apparaissent dans l’épilogue.

J'ai adoré ce livre. Reflets dans un oeil d'or un style particulier qui m'a un peu désorientée au début, et puis le déroulement inexorable de l'histoire. L'opposition entre "les bien pensants", et les "décalés", chaque personnalité est campée d'une façon magistrale.
Après une incusion chez Francis Carco avec Jésus la Caille, j'entame Ballade du café triste je pars jeudi à Niort puis l'ile de Ré, mais je trouverai bien du temps pour lire, enfin, j'espère !

Ysandre a écrit:

J'ai adoré ce livre. Reflets dans un oeil d'or un style particulier qui m'a un peu désorientée au début, et puis le déroulement inexorable de l'histoire. L'opposition entre "les bien pensants", et les "décalés", chaque personnalité est campée d'une façon magistrale.

je suis bien d'accord et j'ai été séduit dès le début de Reflets dans un oeil d'or .

« Un poste militaire en temps de paix est morne. Il s’y passe des choses, mais qui reviennent toujours semblables. Le plan même de l’ouvrage en accroît la monotonie : l’énorme caserne de béton, les rangées proprettes de maisons d’officiers construites toutes sur le même modèle le gymnase, la chapelle, le terrain de golfe et la piscine - ce ne sont que des lignes rigides.

Mais peut-être la tristesse du poste réside-t-elle surtout dans la solitude et dans l’excès de loisir et de sécurité, car du jour où on s’est engagé dans l’armée, on est destiné à emboîter le pas de celui qui va devant vous. »

La suite de l'histoire n'est en rien monotone, puisque l'auteur présente les relations entre les personnages, et leurs désordres intérieurs.
Carson McCullers fouille les acteurs, et n'oublions pas le cheval ! dans cette affaire il joue un rôle déterminant puisqu'il révèle les personnages à eux-mêmes et au lecteur.

J'ai préféré ce récit à la ballade du café triste qui pourtant ne manquait pas d'interesser et d'intriguer.

Je n'ai lu que Clock without hands :
Des personnages très forts du début des années 1950.
JT Malone, un pharmacien qui voit son temps compté à cause d’une leucémie.
Fox Clane Un gros juge raciste qui voudrait restaurer la grandeur du Sud et qui élève seul son petit-fils Jester (qui ne partage pas du tout son point de vue).
Sherman Pew l’assitant personnel du juge, un noir aux yeux bleus, qui finit par démissionner car il ne supporte plus les agissement du vieux juge et qui cherche à s’installer dans un quartier blanc qui lui sera très hostile.

Un roman qui explore les injustices de la société et l'impuissance de notre lutte contre la mort.

chez bibliopoche, notamment. Tu l'as lu en américain ?

oui quand j'étais étudiante. aujourd'hui je crois que j'en serais bien incapable...

1/3

Reflets dans un oeil d’or se situe dans un camp militaire, et met en scène deux couples, celui du capitaine Penderton, et celui du commandant Langdon, ce dernier étant l’amant de Madame Penderton.

Les relations amoureuses - ou simplement sentimentales, y tiennent un grand rôle, qu’il s’agisse de l’attirance sexuelle du soldat Williams pour la femme du capitaine, ou de l’attachement très pur du domestique philippin, Anacleto, pour la femme du commandant.

Carson McCullers soigne l’étude de ses personnages, leur arrière-plan personnel et leurs différentes vulnérabilités, dans une histoire pleine de sensualité, avec des paysages ensoleillés dans les trois quarts du récit.

On suit avec un grand intérêt la vie des protagonistes, dans l’attente du drame annoncé dès l’incipit.