Michèle Gazier, La Fille.

au Seuil.

Prologue

Chacun sait que le couple mère-fille est déterminant pour la femme, mais aussi pour le couple.
Des études lui ont été consacrées comme celle de Caroline Eliacheff, Nathalie Heinich, Mères-filles que je recommande.

Michèle Gazier, bien connue des lecteurs de Télérama, livre avec la fille un récit à la fois passionnant et propice à la réflexion : la conduite de la mère, ici très directive, à la suite de mésaventures personnelles et d'un esprit rigide, bourrée de principes, et confite en pensée bigote, influence sa petite dernière, qui reste dans son giron, inexplicablement passive.

Ça me fait penser à des membres de ma famille, ça... Quoique la mère n'a pas eu de "mésaventures personnelles" ; elle a juste eu une éducation, qu'elle reproduit à sa manière. La fille est passive, et a si peur de déplaire à ses parents (et notamment à sa mère) que ça a donné lieu à des scènes assez... terrifiantes, en un sens. Mon père, à noël, lui avait ainsi offert un CD avec des tubes, un CD à la fois pour faire la fête et pas cucul ; bah vous auriez dû voir, elle avait l'air désemparée, et elle a caché le CD pour que personne ne le voit. J'ai l'impression qu'on lui a mis dans la tête qu'il ne fallait écouter que de la musique classique.

Il est normal que des livres comme celui-là provoquent des résonances personnelles. On ne sait pas tout de la vie de nos proches, et dans beaucoup de familles il y a des tabous et des secrets.

Je lisais dans graines de possibles de Nicolas Hulot qu'il s'est découvert un grand-père que tout le monde lui disait mort !

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Le récit.

On le verra par les extraits, le livre retient par son écriture, et l’auteur a judicieusement évité le JE, première personne ici invraisemblable. Car « la fille » manque d’identité et de personnalité, ses prénoms fictifs et le titre du livre en témoignent.

L’auteur ne prétend pas non plus tout savoir et asséner à chacun ses vérités : elle reconstitue ce qu’elle sait (ou invente), et s’arrête aux portes de la vraisemblance : « rien n’indique » dit-elle à plusieurs reprises, comme si la vie était trop complexe pour être éclairée pleins phares par un auteur "je-sais-tout".

A d’autres moments, elle dit s’appuyer sur des photos qu’elle commente brièvement : l’attitude, l’éclat du regard, autant d‘indices de ce qu‘on imagine des pensées de la silencieuse.

Bien sûr, tout cette prudence renforce l’ « effet de réel », et la reprise par Marthe des expressions maternelles « se faire un sang d’encre », « faire une croix sur quelque chose », fait entendre deux voix dont l’une copie l’autre, comme l’adolescente, sa mère-modèle.

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La mère est directive, c’est elle qui veut établir son fils, comme elle régente tout dans la maison, selon des principes personnels stricts :

Citation :

" Elle aurait tant voulu guider [son fils] vers une promise à son image : droite, stricte, honnête. Avec un peu de bien et beaucoup de religion."

Ses humeurs font l’ambiance, elles indiquent la météo et le programme du jour :

Citation :

La mère a son visage des mauvais jours. On ne peut rien lire dans ses yeux glacés. Elle a grossi depuis sa ménopause et avec ses cheveux gris tirés et ses tenues sombres, elle est impressionnante. Une vraie forteresse. Marthe essaie d’accrocher son regard. En vain . La mère poursuit son discours programme avec la fermeté d’un homme politique que aucune intervention ne trouble.

Citation :

Lorsqu’elle rentre de l’office, la mère a la sérénité des saintes qu’on voit sur les images pieuses. C’est comme si son visage était défroissé. Il semble que, désormais, rien ne pourra l’atteindre.

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Soumise à sa mère qui joue sur sa situation de « veuve vivant seule avec des enfants à charge », et dont les déceptions avec ses aînés - qui prennent le large, donnent lieu à de bruyants soupirs, la petite dernière cède au chantage affectif.

Elle voit le monde par les yeux de sa mère, ce qui explique une vie étroite avec des tabous hérités :

Citation :

« Marthe sait que sa mère n’aime pas les hommes. Elle les trouve sales, gluants de désir, menteurs »

Combien de filles restent ainsi isolées, se dévouant pour leur seule maman ?

Que font-elles de leur vie, retranchées dans l’étroit cocon maternel ?

Citation :

« Attendre, c’est à cela que se résume sa vie. Attendre le Prince Charmant, attendre le bon vouloir maternel, attendre que le monde bouge autour d’elle. Attendre… Est-elle consciente de sa passivité ? »

Et il y en a de ces femmes mutilées ! celles qui servent de secrétaires pour leur mari médecin ou dentiste, ou artisan, et dont l’unique activité aura été de servir de subalterne, ouvrant la porte et tenant le registre…

Bref, ce livre m’a plu, il n’accable pas « la fille », ni « la mère » toutes deux prisonnières de rôles sociaux et de leurs liens étroits.

L’écriture, concise, offre une vision sagace des situations, en même temps qu’un grand plaisir de lecture.