Jean Giraudoux

depuis le temps que j'avais dit que je posterai...

Je voulais surtout parler de La guerre de Troie n'aura pas lieu, mais comme Rotko m'y a invité, je parle un peu avant de l'auteur.

Jean Giraudoux est né en 1882, il fait des études littéraires, d'abord au lycée de Chateauroux, puis il fait son hypokhâgne et sa khâgne à Lakanal (Sceaux), avant d'intégrer l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm en 1903. Après les lettres, il s'intéresse rapidement à l'allemand et devient un germaniste averti. Il se dirige ensuite vers la carrière diplomatique, qu'il mènera toute sa vie en parallèle avec l'écriture. Pendant la Première Guerre mondiale, il participe à la bataille de la Marne, puis à l'expédition des Dardannelles, et est plusieurs fois blessé.

C'est surtout pendant l'entre-deux guerre et après la défaite de 1940 que s'affirme l'ambiguïté du personnage. Dans les années 1920 et 1930, il reprend sa carrière de diplomate au quai d'Orsay, il est secrétaire d'ambassade à Berlin. Il suit les gouvernements successifs dans leur ligne de conduite du "préserver la paix à tout prix" alors que les intentions d'Hitler sont claires. Quelques années avant la guerre, un poste important est même créé spécialement pour lui : "commissaire général à l'Information au Quai d'Orsay" (en gros, il gérait ce qu'on disait aux Français de la politique étrangère du gouvernement ; dans la préface de l'édition Pléiade, son fils Jean-Pierre Giraudoux dira de son père "ce doux entre les doux devient le Goebbels français" je trouve que cette citation résume bien l'étrangeté du personnage). Son comportement par rapport aux autorités vichystes a fait aussi couler beaucoup d'encre : il est certes mis à la retraite en 1941, mais il garde de bonnes relations avec le régime, et réside non loin, à Cusset.

D'un côté, ses propos parfois racistes choquent nos consciences contemporaines (dans Pleins pouvoirs, essai paru en 1939, il parle des Arabes comme de "races primitives ou imperméables dont les civilisations, par leur médiocrité ou leur caractère exclusif ne peuvent donner que des amalgames lamentables"). Cela dit, il faut replacer tout ça dans le contexte de l'époque, où les Français sont majoritairement xénophobes (ça explique, mais n'excuse pas). Jacques Body parle plutôt d'un patriotisme obsédant chez Giraudoux, qui peut aller jusqu'au nationalisme.
D'autre part, ses qualités de germaniste et de diplomate l'ont fait rêver d'une Europe unie dans les années 1920. Même si ce rêve s'évapore dans les années 1930, je pense qu'on peut comprendre de ce fait qu'il ait approuvé l'attitude qui consistait à faire tout pour éviter la guerre, quitte à s'allonger par terre devant Hitler. Concernant Vichy, Jacques Body pense qu'il aurait ménagé l'Etat français par prudence ou intérêt, mais que sa sympathie allait vers la Résistance. Il ne faut pas oublier que son fils Jean-Pierre répond dès le 19 juin à l'appel du général de Gaulle.

Voilà un personnage bien difficile à cerner (j'espère d'ailleurs ne pas être trop embrouillée, j'ai eu du mal à rassembler tout de manière claire). J'ai trouvé aussi cette ambiguïté dans La guerre de Troie, où il m'a semblé qu'en même temps il cautionnait le fait qu'il fallait se battre pour éviter la guerre, mais où il montre aussi un profond désenchantement vis-à-vis de la capacité des politiques à éviter cette guerre.

Je fais un appel à tous ceux qui connaissent bien Giraudoux, ce serait intéressant de connaître votre avis. Parce que je me la pète un peu là, mais je ne savais presque rien de lui il y a encore quelques mois ; j'ai juste été regardé ma préface de La guerre de Troie, du théâtre complet Pléiade, et parcouru quelques articles de lettreux sur lui.

Je fais un deuxième post pour La guerre de Troie parce que c'est un peu long...

La guerre de Troie n'aura pas lieu (jouée pour la première fois en 1935), c'est en filigrane la guerre de 39, latente, et qu'on ne pourra pas éviter. Le sujet prête à la mécanique de la tragédie, où on a l'impression que le rouleau compresseur du destin s'abat sur les personnages sans qu'ils n'y puissent rien changer. Donc plutôt classique.

Mais dans le tragique les relations entre les personnages sont parfois telles qu'ils ne peuvent pas se comprendre, et ça en devient parfois absurde, voire drôle. C'est étrange, et très moderne je trouve, car se mélange à l'oppression du destin une espèce de rire jaune. On se moque des vieillards qui se pâment devant Hélène (I, 5) :

Spoiler:

Les personnages paraissent très humains, à l'exception d'Hélène, froide, elle semble flotter au-dessus du monde qui s'agite. J'ai trouvé ce personnage très étrange, mais en même temps fascinant. Hector est celui qui se démène le plus pour éviter la barbarie de la guerre, et il est d'autant plus attachant qu'on sait l'inutilité de son action. Le face à face Hector - Ulysse à l'acte II est d'ailleurs magnifique, entre le jeune Hector encore idéaliste, et la résignation d'Ulysse.

Enfin, les métaphores sont nombreuses, parfois très poétiques et parfois crues : II, 5, Hécube compare la guerre à un cul de singe (cf. ci-dessous). Je crois que ce passage montre bien l'ambivalence que donne Giraudoux à la guerre : radieuse en apparence dans la cause de son combat pour ceux qui la défendent (Hélène et sa beauté symbolisent l'enjeu), mais horrible dans sa réalité.

La guerre cul de singe :

Spoiler:

Superbe Giraudoux ! La Guerre de Troie n'aura pas lieu mais aussi Amphytrion 38 : l'échec de la puissance divine face à la force de l'amour humain m'avait beaucoup marqué. Je me souviens d'une réplique de Mercure, signifiant à Jupiter qu'il était un Amphytrion trop parfait.
Il y a aussi Ondine, que je m'apprête à relire (cela remonte au collège) pour les besoins du travail...

Clertie a écrit:

La guerre de Troie n'aura pas lieu (jouée pour la première fois en 1935), c'est en filigrane la guerre de 39, latente, et qu'on ne pourra pas éviter. Le sujet prête à la mécanique de la tragédie, où on a l'impression que le rouleau compresseur du destin s'abat sur les personnages sans qu'ils n'y puissent rien changer. Donc plutôt classique.

Les personnages paraissent très humains, à l'exception d'Hélène, froide, elle semble flotter au-dessus du monde qui s'agite. J'ai trouvé ce personnage très étrange, mais en même temps fascinant. Hector est celui qui se démène le plus pour éviter la barbarie de la guerre, et il est d'autant plus attachant qu'on sait l'inutilité de son action. Le face à face Hector - Ulysse à l'acte II est d'ailleurs magnifique, entre le jeune Hector encore idéaliste, et la résignation d'Ulysse.

Parlant des personnages de sa pièce, Giraudoux disait :

Citation :

Je les prends avant qu'ils soient entrés dans la légende, alors qu'ils sont encore "inemployés", que personne n'a parlé d'eux, même pas Homère.

C'est dire que l'auteur fait ce qu'il veut de ses personnages. En ce qui concerne Hélène, je ne la trouve pas froide, elle est sensible et fine, je crois même que dans la pièce elle est l'un des porte-parle de l'auteur ; elle est, dit-elle,"très à l'aise" avec "les malheureux" en qui elle voit ses"égaux" et les oiseaux (très joli passage dans la scène 8 de l'acte II) ; "je suis née d'un oiseau", rappelle-t-elle (le cygne-Zeus qui s'unit à Léda). Elle incarne une beauté légère et aérienne mais devenue enjeu d'une guerre, elle est l'instrument du destin. Elle est toute prête à repartir pour Sparte, elle veut bien faire ce qu'on lui demande mais en même temps elle n'est pas dupe. L'une de ses répliques à Hector est essentielle :

Citation :

Mais n'allez pourtant pas croire, parce que vous avez convaincu la plus faible des femmes, que vous avez convaincu l'avenir. I,9

Il y a en elle une voyante ou plutôt il y a ce qu'elle voit et il y a ce qu'elle ne voit pas . Elle voit les objets et les êtres "colorés", Pâris par exemple mais elle ne voit pas Ménélas, ni le bateau qui la ramènera ni surtout la Paix.
Hélène parle beaucoup avec des images et des métaphores et c'est dans ces moments-là qu'elle estr la plus poétique et la plus vraie, la plus réaliste aussi :

Citation :

Vous voyez un moyen de vaincre l'obstination des miroirs ? I,9

Oui, tu as raison, je me suis mal exprimée. En fait, moi j'ai eu l'impression que par cette manière de voir les choses, ce que tu rappelles très justement, avec des couleurs, etc, le personnage d'Hélène en devient à part, différent des autres, et incompréhensible par eux. C'est ce que j'ai voulu dire, mais le terme "froide" était très mal choisi.
Je trouve ce personnage tellement complexe que j'ai du mal à la cerner, et donc je projette sur elle sans raison une certaine antipathie qu'elle n'a pas vraiment. Désolée

Clertie, tu as tout à fait raison de dire qu'Hélène est un personnage complexe et j'ajouterai que Giraudoux accentue son mystère d'une certaine façon en la rendant, pour reprendre ton adjectif, "incompréhensible" aux autres ; c'est aussi pour cette raison que je crois important de souligner son côté voyante, elle a des points communs avec Cassandre !
Personnellement je trouve qu'Hélène est, avec Electre (autre pièce admirable), un des personnages les plus attachants et les plus réussis de Giraudoux.

Jean Giraudoux est né à Bellac (Limousin) en 1882.
Il est reçu à l’École normale supérieure en 1903.
Passionné par la culture germanique, il fait un séjour en Allemagne en 1905. Il se rend aussi aux États-Unis en 1907. À partir de 1910, Giraudoux devient diplomate et, en 1921, il devient chef du service des œuvres françaises à l’étranger. En 1924, il est nommé chef des services de presse du Quai d’Orsay. En 1928, il rencontre Louis Jouvet qui crée toutes ses pièces : Amphitryon 38 (1929), Judith (1931), Intermezzo (1933), La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), Électre (1937) et Ondine en 1939.
Pendant l’entre-deux-guerres, Giraudoux est le plus grand dramaturge de la scène française.
Inspecteur diplomatique, Giraudoux parcourt le monde entier.
En 1939, il est nommé commissaire à l’Information. Après la défaite, il démissionne et part dans sa famille près de Vichy. Il revient à Paris en 1943.
Giraudoux est mort en janvier 1944 à Paris.




Je viens de lire d'une traite Eclectre



Acte1:Exilé pendant vingt ans du palais où son père Agamemnon est mort dans des circonstances mystérieuses après la guerre de Troie, Oreste est revenu incognito à Argos le jour même où l'on va célébrer les noces de sa soeur, Electre, avec un jardinier. Considérant que cette union risque d'être une source d'ennuis, le président du tribunal et sa jeune femme, Agathe, s'opposent à ce projet formé par le régent Egisthe et la reine Clytemnestre. Un mystérieux mendiant, qui est peut-être un dieu, laisse entendre qu'Egisthe, aussi bien qu'Electre, vont se "déclarer", c'est à dire obéir au destin qui est le leur. Apparaissent alors Electre et Clytemnestre. La jeune fille pressent la culpabilité dune mère qu'elle hait et trouve en son frère, qui lui a révélé son identité, un allié précieux. Convainquant le jeune homme de la double culpabilité d'Egisthe et de Clytemnestre, Electre fait d'Oreste le bras de sa justice et de sa vengeance. Lorsque Clytemnestre, à son tour, reconnaît Oreste, elle essaie de toucher en lui la fibre filiale. Mais Electre veille, empêchant toute faiblesse d'un frère pourtant tenté par la paix et le bonheur. Tous deux s'endorment côte à côte, veillés par le Mendiant qui s'interroge sur les circonstances de la mort d'Agamemnon.

Acte2:Au lever du jour, Electre s'éveille et, sur les conseils du Mendiant, accorde un bref répit à son jeune frère avant l'accomplissement de sa mission. Après une scène qui a dévoilé l'infidélité d'Agathe, Electre révèle les deux vérités que la nuit lui a apportées : leur mère a un amant et Agamemnon a été assassiné.

Après une scène de ménage vaudevillesque qui a opposé le Président et sa jeune épouse, Egisthe apparaît soudain, transfiguré par la révélation de son rôle de roi. Mais, s'il affirme comprendre Electre, il n'obtient d'elle ni reconnaissance, ni rémission. La jeune fille reste inflexible, indifférente à l'attaque soudaine des Corinthiens qui menacent d'envahir la cité, indifférente à tout ce qui n'est pas de l'ordre de son exigence absolue. A force de harceler sa mère, elle lui fait avouer qu'elle haïssait son mari. Pour Electre, désormais, tout est parfaitement clair. Oreste peut accomplir sa mission, Egisthe et Clytemnestre tombent sous ses coups. La vengeance d'Electre est consommée.

Le jour se lève sur le spectacle de la ville envahie et mise à sac. Electre a ce qu'elle voulait : la justice intégrale. La vengeance a les couleurs de la solitude et du désespoir. Pourtant, ne peut-on espérer malgré tout et croire en l'aurore naissante ?


désolée d'avoir fait un copié-collé mais pas évident à faire un résumé

merci Pégase

nous rebootons en fin d'après-midi laisse le lien tel qu'il est et tes images apparaîtront automatiquement dès que la manip aura été faite

Quel grand dramaturge que ce cher Jean Giraudoux (j'en viens à m'étonner qu'il y ait si peu de réponses à son sujet)...

La Guerre de Troie n'aura pas lieu, Ondine, Amphitryon 38... Je relis toujours ces pièces avec un plaisir intact, riant ça et là des bons mots des personnages, émerveillés par leur charme poétique...

Je viens tout juste de finir Intermezzo, pièce moins connue de Giraudoux, mais très intéressante. Je me permet de copier/coller le petit résumé (personnel, je l'avoue) que j'ai fais de cette pièce sur mon site ;

Une des trente-huit mille communes de France subit depuis quelques temps une influence mystérieuse, tout devient étrange ; par exemple, ce ne sont plus les riches qui gagnent les gros lots du loto… Et pour cause ! Un spectre serait apparu non loin de la petite ville, et Mlle Isabelle, l’institutrice adulée, entretiendrait une relation avec le spectre. Pour remédier à tout cela, un Inspecteur de l’administration est dépêché sur les lieux. Maintenant, il faut traquer le fantôme… Cette pièce au comique absurde profite largement de la patte brillante de Giraudoux. Son style léger, presque éthéré, paraît fantasque ; mais derrière des mots simples et des expressions joyeuses se cachent des vérités profondes sur l’existence : critique de l’ordre administratif sclérosant et intouchable, satire de l’orthodoxie républicaine et, surtout, nouveau regard sur la mort.
Intermezzo est, comme son nom l’indique, un intermède où la mort et l’amour ne semblent plus être en contradiction. Isabelle et le Spectre entretiennent une relation platonique, à la recherche d’une vérité sur la vie et sur son revers, la mort. La mort n’est plus une fatalité mais un univers féérique qu’il s’agit d’explorer. Cette pièce de Giraudoux n’est pas une pièce facile, l’humour est fin, l’écriture subtile et il ne faut pas hésiter à relire plusieurs fois certains passages. C’est que le dramaturge retourne complètement notre vision des choses, la mort n’est plus le simple négatif de la vie. Cette seconde comédie de Giraudoux est bien plus riche qu’elle n’y paraît de prime abord ; son côté enfantin, magique, humoristique brille et laisse les personnages virevolter à leur guise, dans une atmosphère poétique renouvelée à chaque scène. Cette comédie, surnommée « Songe d’une nuit d’été limousine« , rappelle bien sûr la pièce de Shakespeare, mais elle nous montre aussi l’extraordinaire force dramaturgique de Jean Giraudoux. Fantastique, merveilleux ; en fait, les adjectifs qui qualifient la pièce vont tout aussi bien au dramaturge.

J'ajoute une petite citation :

Citation :

« LE MAIRE, apparaissant avec Viola : Monsieur l’Inspecteur ! Monsieur l’Inspecteur ! La loterie !

L’INSPECTEUR : Qu’est-ce qu’elle a, votre loterie ?

LE MAIRE : Elle est tirée.

L’INSPECTEUR : Pourquoi cette émotion ? Le scandale continue ?

LE MAIRE : Au contraire, tout est redevenu normal, au moment où nous commencions à désespérer. Parle, Viola, je suis hors d’haleine.

L’INSPECTEUR : Normal ? Qui a gagné la motocyclette ?

VIOLA : Le cul-de-jatte de l’orphelinat.

L’INSPECTEUR : Et le gros lot en espèces ?

LE MAIRE : M. Dumas le millionnaire. »

je viens de lire d'une traite Ondine , je posterai un résumé ce soir ou demain

Ondine pièce en 3 actes


difficile de faire un résumé..
:Auguste , un vieux pêcheur et sa femme Eugénie sont inquiets car leur fille Ondine n'est pas rentrée..entre temps survient un chevalier errant, Hans qui doit prochainement épouser Bertha.
Mais,lorsqu'il voit Ondine, fille de seaux il en tombe amoureux et veut l'épouser..
mais Ondine accepte le pacte du roi des Ondins: elle partira et vivra son amour avec Hans, mais si il la trahit, il mourra et Ondine retournera au lac, perdant jusqu'au souvenir de son existence terrestre.