Mémoires d’un eunuque dans la Cité InterditeDan Shi –
PicquierDan Shi est un historien Chinois ayant recueilli le témoignage d’un authentique eunuque, dans les années 60.
Celui-ci a servi dans la dernière maison impériale, celle qui céda le pas à la république, en 1912.
Le livre est donc à concevoir comme un document humain et politique sur le fonctionnement séculaire d’une société cruelle et totalement fermée aux droits fondamentaux de l’homme.
Yu Chunhe, comme de nombreux paysans de la fin du 19è, meurt de faim, et débarque à Pékin pour travailler. C’est un adolescent de 15 ans, qui est
loin d’imaginer la réalité de la société urbaine de son époque, comme par exemple le trafic des enfants, qu’on castre de force, pour les enrôler dans l’armada de serviteurs (disons d’
esclaves) au service des puissants. Entre autres, de la famille impériale.
Il fait l’objet d’un de ces marchés abjects, sans le savoir…
Piégé, il est castré.
Je vous passe les détails de cette mutilation sexuelle odieuse et faite à vif (à
ne pas faire lire aux hommes…) pour arriver à l’intérêt de ce livre : la vie de la cour.
Cour impitoyablement dirigée à son époque par l’impératrice Cixi, épouvantable sorcière ayant fait assassiner le maximum de gens (eunuques, concubines, courtisans, etc…).
Yu Chunhe est au service d’une concubine, justement. L’occasion de découvrir que des milliers de castrés, dont la vie n’a aucun prix, sont sacrifiés chaque jour pour les caprices (délirants !) de l’élite.
Les meilleurs eunuques, les plus ambitieux, peuvent agir dans l’ombre, comme de véritables éminences grises et faire régner la terreur sur les autres tout en usurpant les prérogatives des souverains si sensibles à la flatterie.
J’ai rarement lu un récit aussi dur.
Humiliations, indifférence, meurtres par étouffement, intrigues, mensonges, jalousies sont le lot quotidien des eunuques.
Cette pratique de la castration est aussi vieille que la Chine mais a connu des aléas suivant les dynasties. Certaines l’ont interdite (non par humanisme !) par conscience du pouvoir de nuisance extraordinaire de ces êtres ni hommes, ni femmes, perpétuellement frustrés et avides de richesses.
De quoi méditer sur les limites de l’avilissement humain (il n’y en a pas !) et malgré tout, sur les rapports dominants/dominés.
Cixi elle-même sera dépendante toute sa vie de son eunuque favori qui influencera nombre de ses décisions.
Monde troublant, perfide, ambigu, mettant à nu la nature humaine, dans toute sa bassesse.
Ce qui choque : l’absence
totale de compassion et de limites. L’impératrice peut vous ordonner de vous suicider sur le champ, et vous le faites !
Il est à noter que l’auteur a un peu « adouci » le texte en rapportant quelques anecdotes personnelles sur Yu Chunhe (son enfance, son premier amour…), ce qui teinte le texte d’une sentimentalité bienvenue, au milieu de tant de noirceur.
Ce livre est un classique à recommander, mais accrochez-vous…