Florence Aubenas, le quai de ouistreham

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chez POINTS DOC .

La journaliste raconte une expérience de vie : se faire passer pour une femme sans diplômes, tenter de trouver n’importe quel emploi, quelles que soient les conditions : travail tôt le matin, tard le soir, journée fractionnée, boulots d’appoint.

On vit le parcours du combattant, avec les entretiens d’embauche, les stages, mais aussi la population drainée qui se débat dans toutes sortes de difficultés, problèmes de transports, de contact par téléphone, attitudes attendues, que dis-je, souhaitées ? Non ! Exigées.

Les différents protagonistes sont pris sur le vif, ceux qui recrutent, les demandeurs, les annonces qui détaillent les tâches à accomplir.

C’est la radiographie de toute une frange de population qui a basculé dans la vie précaire, où le lendemain ne prépare que de mauvaises surprises.

Pas de discours ou d’analyses, des faits, du vécu, mais pas du « reality show » comme vu à la télé !

Et même si on sait ou si on se doute de tout ce qu'elle raconte, on reste sur le Q...
Ça m'a quand même bien tourneboulée qu'un livre de ce genre puisse sortir en France dans la plus parfaite indifférence. Mais bon, ce n'est pas le premier. Mais quand même. Mais bon...

Ce livre a tout de même reçu plusieurs prix dont le prix Joseph Kessel remis au festival Etonnants voyageurs de St Malo et il y a un an il était en tête des ventes d'essais avec plus de 200000 exemplaires vendus.

J'ai en effet été étonné que personne n'en parle sur GDS* par exemple, et derrière le ton "neutre" de florence Aubenas (j'en suis à la moitié du livre), j'ai ressenti la condescendance de certains regards, le mépris de certains intervenants.

Le livre précise aussi les mutations au sein de Pôle emploi : exit les travailleurs sociaux, au profit de "commerciaux" plus efficients. Les dossiers sont plus vite expédiés, les entretiens, raccourcis pour traiter rapidement "la clientèle".

Une question-test, décisive, est posée en début d'entretien :" que faites-vous en arrivant à votre poste de nettoyage ?"

Spoiler:

On sent la procédure éliminatoire.

le quai de Ouistreham

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Un article de journal, un reportage aurait souligné le dédain des syndiqués pour les précaires, incapables même de rédiger des tracts, au point qu’ils sont faits à leur place - et sans les consulter.

Dans ce livre, on vit la situation de l’intérieur, on sent les courbatures, le désir épuisant de frotter, la saleté des sanitaires, le découragement ou l’abattement quand les godasses d’un chauffeur routier laissent des empreintes sur le carrelage fraîchement passé à la serpillière.

Dégoût de soi, abandon, irritation devant la passivité des autres, à moins qu’on ne se résigne à la situation. Qui donc aurait la force de nager à force de boire la tasse ?

Ce sera chacun de voir quelles pourraient être ses réactions.

Florence Aubenas décrit et raconte, au lecteur d’éprouver. Le hasard a fait que je lis ce livre au moment où il est question de « femme de chambre qu’on trousse ou qu’on saute » - et que ce n’est pas si grave.

Dans le quai de Ouistreham, on leur prête l’oreille - ce qui est rare.

extraits

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« tu verras, tu deviens invisible quand tues femme de ménage. Tu ne peux pas savoir le nombre de choses qu’on a dîtes ou faites devant moi et que je n’aurais jamais dû savoir .»

J'ai lu ce livre avec intérêt il y a plus d'un an et je ne l'ai plus sous les yeux. Je me rappelle tout de même en être sortie avec des impressions contrastées, parfois contradictoires. Ainsi, j'ai perçu cette neutralité de l'auteur qui "décrit et raconte", comme tu le dis, Rotko, ce qui donne au livre un côté documentaire et objectif. Mais du coup, me sont apparus des aspects qui m'ont davantage dérangée : par exemple, une sorte de découverte d'un monde que nul n'aurait jamais remarqué faute de l'avoir regardé ; or, qui n'a pas vu des femmes de ménage en action dans un bureau, un magasin, une salle de spectacle, un lycée... ? J'entends bien qu'on puisse me rétorquer que dans le livre, les choses sont vécues de l'intérieur par l'auteur qui s'est mêlée à ces femmes, je dis bien "mêlée" car elle n'est pas l'une des leurs, elle a une culture, un vécu tout différents et surtout un projet d'écriture ; je n'ai pas les passages en mémoire, mais je me rappelle avoir trouvé presque naïfs certains récits ou descriptions. Je ne mets pas en doute la sincérité ni la bienveillance de F. Aubenas que j'apprécie comme journaliste et comme femme. Mais, en somme, les dés étaient pipés d'entrée, puisqu’elle était là incognito.
Je me suis demandée si toutes ces travailleuses de l’ombre ne s’étaient pas senties trompées, voire trahies quand elles ont eu connaissance du livre, du moins pour celles qui en ont entendu parler ou (qui sait ?) l’ont lu. J’ai cherché en vain des échos de leurs réactions dans la presse : a-t-on jugé sans intérêt de les interviewer, ont-elles refusé de répondre, n’ai-je pas trouvé l’article que je cherchais ? J’ai aussi le souvenir, malheureusement vague, du passage ou l’auteur explique qu’elle met un terme à son expérience au moment où elle est sur le point de décrocher un CDI pour ne pas accaparer un emploi stable (je ne suis pas sûre du mot employé) ; mais quand elle occupe un emploi en CDD, elle en prive aussi quelqu’un qui en a un besoin vital.

Merci pour tes remarques pertinentes, Nicyrle ;

j'y apporte personnellement des bémols : je ne sais rien de la femme de ménage qui nettoie le bar, je ne l'imagine pas victime d'agences d'intérim qui négocient des contrats juteux, sur son dos, en réduisant les temps d'intervention et sans payer les dépassements d’horaire etc...

Ici Florence Aubenas joue le jeu à fond : elle refuse d'être la propriétaire d'une voiture, elle prend ces boulots qu'une femme sans ressources ne peut refuser, et elle en assume toutes les vicissitudes, "la pénibilité" comme on dit.

Y a-t-il tromperie ? comme dans toute oeuvre et expérience prétendument vécue. Elle s’est donné une règle, vivre cette expérience jusqu’à l’obtention d’un CDI, acceptant tout…

Le ton neutre, je le trouve aussi dans l'absence de jugement (et de réactions !) devant ces travailleuses précaires qui ont des rêves dérisoires -s'installer comme marchand de pizzas, vivre à la compagne dans un mobil home, des réflexions incongrues, des "ignorances crasses", à nos yeux, des mesquineries, et entre elles des comportements violents, injurieux ou dévalorisants.

soyons clairs avec un exemple : dans le domaine de l'information, des "interviewés" fulminent contre les journalistes qui trahissent des confidences dites hors micro ...

j' approuve cette "trahison de la confiance", car elle brise le discours mensonger et tout fait, servi pour abuser le public.

Je partage ce que dit Rotko. Nous croisons bien sûr tous de ces femmes "de l'ombre", mais de là à imaginer ce qu'elles vivent. Un exemple de prise de conscience dérisoire et absolument terrible de leur situation :

Citation :

Je monte dans le Tracteur [une vieille voiture qu'on lui a prêtée], péniblement. Il ne démarre plus. (...) J'ai tout à coup conscience de la fragilité de mon organisation, l'impression d'être à la merci de tout et de tout le monde. Il faudrait que je trouve autre chose, au cas où, tout d'un coup, un détail ferait écrouler l'ensemble.

Combien d'entre nous arrivent à concevoir cette survie sur le fil du rasoir ?

extraits

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Le conseiller de Pole Emploi :

Les chiffres du chômage doivent s’améliorer quoi qu’il arrive. Cette réunion en était un des moyens On convoque une catégorie de chômeurs, cadres, RMistes, peu importe. Une partie ne viendra pas, et sans justificatif, c’est statistique. Ils seront radiés. « Ce n’est pas grave », avait tempéré le conseiller. Il peuvent se réinscrire après, s’ils veulent, mais cela permet de faire chuter les chiffres, même pour quelques jours.

Rotko et Luca, je comprends très bien votre point de vue et les nuances apportées ; je les partage d'ailleurs au moins en partie. Il reste, dans mon cas personnel, que j'ai parfois côtoyé d'assez près ces personnes de l'ombre, d'où sans doute ma façon de réagir et mes interrogations ou mes réserves (légères). Je pense, comme vous, que l'éclairage donné par F. Aubenas est intéressant et mérite d'être largement divulgué. Hélas, je le crains, les choses ne sont pas près de changer.