Björn Larsson [Suède]

Citation :

"Il faut inciter les lecteurs de polars à s'aventurer vers autre chose"

oui, chacun fait son évolution comme il l'entend, et ce salon des auteurs nordiques permet aussi de découvrir des auteurs moins connus des grains.

c'est le cas avec Björn Larsson dont l'Express publie un intéressant entretien.


Aussi, dans le livre de Poche, Long John Silver de Björn Larsson.

le pirate rectifie le portrait donné par Stevenson.

J'ai lu Le cercle celtique, dont j'ai un très bon souvenir. On est dans une ambiance vraiment fantastique.
C'est du polar de très bon niveau et original. Bien meilleur que ceux qui sont connus, pour cause de battage médiatique.

Cet entretien est génial, extrêmement intéressant ! Et maintenant je bien envie de lire cet auteur ! Malheureusement pas en suédois, il faudra donc que je me contente d'une traduction et il faudra que j'attende de pouvoir me la procurer.

Spoiler:

le cercle celtique est chez Folio policier 458 pages.

Je ne connais rien de cet auteur, mais l'entretien m'a fascinée, on y trouve de nouvelles idées à retenir, une intelligence hors du commun, et une maîtrise de la langue française qui éveille ma jalousie. Tout dans l'entretien est de grand intérêt. mais à la question A quoi sert la littérature?que peut faire de mieux un écrivain? je dirais que c'est l'une des meilleures réponses que j'ai entendues:

B.L. Donner de l'espoir à ceux qui n'en ont pas, donner une voix à ceux qu'on a réduits au silence, inspirer de la confiance à ceux qui en manquent, défendre la dignité de chacun et constamment, sans cesse, dénoncer les abus de pouvoir et les injustices, quelles que soient leurs couleurs politiques. Et veiller à ne pas écrire des romans qui existent déjà : à quoi bon réinventer la roue ? Offrir aux lecteurs, en les aidant à exercer leur imagination, une étincelle d'espoir, même en racontant les pires horreurs et crimes commis par les êtres humains.

*

Aaaaahhhhhh purée !
Comment ai-je pu parcourir Grain de Sel sans m'apercevoir plus tôt qu'un fil existait sur le génial Björn Larsson !!!

Un homme et un écrivain que j'admire et dont je partage la vision des choses, quasiment en tout et pour tout.
Certains livres de lui m'ont aidée à tenir dans de très dures périodes de ma vie, et m'aident encore...


Vous ne douterez pas bien sûr que son roman Long John Silver m'a envoûtée au plus haut point. Les citations dans ma signature sont directement tirées de ce roman. Le portrait effectivement rectifié qu'il donne du célèbre pirate de Stevenson nous donne une envie terrible, un désir hélas pour toujours inassouvi, de rencontrer pour de vrai cet homme hors du commun, ce Silver que l'on ne connaîtra jamais en vrai car n'ayant jamais existé. Mais on aimerait tant qu'il ait existé, et même à notre époque... Oui, nous sommes tragiquement orphelins de ce pirate magnifique, de ce père fictif, d'encre (d'ancre) et de papier... et la fin du roman est, à ce titre, encore plus bouleversante...
Si le monde était rempli de John Silver, il se porterait tellement mieux (même si notre pirate Long John est unique et qu'il ne doit y en avoir, au fond, qu'un et un seul exemplaire...) !

John Silver est un homme assoiffé de vie et de liberté. Et pour vivre, nous dit-il, il faut être prêt à n'avoir aucune pitié, aucun scrupule envers toutes les autorités de l'humanité qui, au nom de la religion, de la royauté omnipotentes, musellent les peuples et leur désir d'émancipation, et maintiennent les consciences humaines courbées et réprimées, pour notre soi-disant bien. Le prix à payer pour celui qui s'échappe du troupeau et veut vivre sa vie librement, être maître de lui-même et incite les autres à en faire autant : la potence.
Au fond, quand on y regarde bien, c'est brûlant d'actualité !!!

Vivre et être libre, nous disent encore Björn Larsson et John Silver, c'est l'être, mais pas aux dépens d'autrui ; l'on ne peut être libre que sous le regard d'autrui, c'est bien vrai. Car seul au monde, qui peut encore observer et signifier notre liberté vis-à-vis de lui ? John nous dit encore que tous ceux qui ont tenté de l'asservir ne sont plus là pour le dire : il les a expédiés ad patres, et il a eu raison. Car s'ils lui ont cherché des noises, c'était bien sans raison. Silver n'a jamais été de ceux qui provoquaient gratuitement. Son hostilité et sa cruauté ont toujours été en réponse à des ennuis qu'on lui a causés. Parce qu'il veut être libre et boire la vie jusqu'à la lie et revendique plus que quiconque le droit individuel à la liberté. Sans jamais, bien entendu, tomber dans l'excès égoïste du débordement de sa liberté sur celle d'autrui, donc l'impératif catégorique (car je pense que c'en est un) de ne jamais être libre au détriment d'autrui, et d'éliminer toute liberté qui se croit omnipotente, tout abus de pouvoir, toute forme d'asservissement de la vie.

Long John Silver est aussi, dans cette optique, un avatar de son auteur.
Ainsi, je vous conseille à tous de lire Besoin de liberté, un brillant essai écrit directement en français par M. Larsson.


Dans cet ouvrage, il nous raconte sa vie sous l'égide de son besoin de liberté. Björn Larsson nous exhorte à ne jamais tout prendre pour acquis, à ne jamais nous laisser faire, à nous battre quand notre droit le plus intime à l'individualité est bafoué.
À choisir ses relations, à ne jamais se laisser abuser et entraîner dans des relations malsaines qui nous tirent vers le bas. Entre autres.

C'est ainsi qu'il a fait plusieurs séjours en prison pour avoir refusé à plusieurs reprises le service militaire...

Pour être libre et vivre sa vie comme on l'entend (avec, toujours, l'éthique de ne jamais déborder sur celle d'Autrui), il ne donne aucune recette, car hélas, cela n'existe pas. C'est un combat de tous les jours, jamais acquis, au fond, toujours à recommencer...

Autant Björn Larsson a voulu vivre et être libre et y est parvenu dans une certaine mesure, dans sa mesure à lui, autant son personnage, Long John Silver (car oui : ce roman est tellement brillant que Long John Silver n'appartient et ne peut plus appartenir après ça à Stevenson !!!), est grouillant, débordant de vie : il est la Vie lui-même, l'archétype parfait du surhomme nietzschéen, la vision réalisée de Nietzsche, d'ailleurs.

Oublions le Silver de Stevenson, que pour ma part, j'ai toujours trouvé trop fade...

Mes deux références sûres, personnellement, sont les suivantes : le Silver de Björn Larsson, et le Silver de feu Osamu Dezaki, qui est à l'origine de l'adaptation en manga du roman de Stevenson, en 1978. Cette adaptation a pas mal vieilli quant à la qualité des images, mais n'a rien perdu de sa fraîcheur et est très fidèle à son modèle de 1881...
Je vous invite à entendre et voir l'épique générique français qui met la patate !


Dans le manga, Long John Silver est un fort bel homme, d'une très impressionnante stature et qui n'a plus rien de "la figure grosse comme un jambon" que lui avait attribué Stevenson, mais qui a bien plutôt un port altier, presque aristocratique parfois. Les Japonais sont géniaux : ils vous rendent merveilleusement beaux des visages qui, au départ, avaient pour vocation d'être laids (car un pirate, ça ne peut pas être beau, en principe...). Cela n'a rien d'édulcoré, au contraire ! Si l'esprit est beau, alors le corps doit être beau (bon, c'est très grec ça à la base, comme conception)... Et c'est peut-être fallacieux, mais le Silver de Björn Larsson a pour moi le visage et le corps du Silver d'Osamu Dezaki. Les deux se confondent et se fondent entre eux parfaitement dans mon esprit.

Björn Larsson est aussi un navigateur hors pair, car selon lui, la liberté en mer est totale.
C'est pour cela que sa connaissance de la mer, de la géographie maritime et de la vie des pirates (à propos desquels il rétablit quelques importantes vérités loin des clichés que nous nourrissons toujours à leur égard) lui a permis de nous livrer ce roman sublimissime qu'est Long John Silver.

Je ne cesse de penser que B. Larsson a su voir à travers le personnage mal exploité de Stevenson tout le potentiel réel qu'il renfermait, celui qu'il nous présente magistralement dans son roman, publié en 1995.

Attention, je ne dis pas que Stevenson n'aimait pas son pirate, au contraire ! Stevenson, rappelons-le, était atteint depuis ses plus jeunes années d'une maladie pulmonaire incurable qui l'a tué. Il lui était impossible de supporter le climat du nord et devait donc aller se ressourcer dans des contrées exotiques qui lui étaient propices. Il avait le désir d'aventure, je pense, du fait de son emprisonnement forcé en Écosse, et Long John devait représenter pour lui, autant qu'aux yeux désillusionnés du jeune Jim Hawkins, le second héros de son roman, le désir de transgression et de liberté absolue.
D'ailleurs, n'oublions pas que dans sa jeunesse, Stevenson n'en a fait qu'à sa tête et a mené une vie de bohème, notamment en France...

Dans le roman Long John Silver, ce dernier remet bien à sa place Jim Hawkins et sa bande de bien-pensants moralisateurs qui ont le popotin bien au chaud : Livesey, Trelawney, Smollett... C'est notamment pour rétablir sa vérité auprès du gamin qu'il rédige ses mémoires. Qui sont ces bouffons, en effet, pour s'être octroyé le droit de récupérer au nez et à la barbe de Silver le trésor de Flint, dont Silver fut le quartier-maître ? Eux n'auraient jamais pris la peine d'affranchir des esclaves noirs, bien au contraire, alors que Silver, lui, l'a fait.

Et puis, le brio de B. Larsson réside aussi dans le fait que Silver rencontre, durant son périple, un homme, un écrivain, qui a lui bel et bien existé et écrit sur les pirates... je ne vous en dis pas plus et laisse le suspens à son comble... Mais la rencontre entre un homme de pure fiction et un homme qui fut il y a des siècles bel et bien de cher et d'os est réussie au plus haut point.
Tout s'imbrique à merveille dans ce roman, même lorsque Silver casse le traitement chronologique qu'il avait commencé à opérer pour nous raconter sa vie...

Chasseur des abus de pouvoir, homme de justice, homme de liberté, sans jamais tomber gratuitement dans la démesure du "je suis tout permis", justement...

Quand je me sentirais prête, je crois bien que j'écrirai une lettre à Björn Larsson pour le remercier, tout simplement.

Je remets en lien l'entretien qui vous avait tant plu à l'époque : ici.
Je suis tout à fait d'accord avec lui quand il dit qu'il faut inciter les lecteurs à diversifier leurs lectures, à ne pas s'enfermer uniquement dans un genre ou dans l'autre, et surtout, à se défaire de la vision que les auteurs nordiques ne savent rien pondre d'autre que des polars... My God... Bon, il est vrai aussi que je récuse toutes les modes littéraires quelles qu'elles soient...