kafka, lettre au père.

Il va être temps de parler de la lettre au père

mes premières impressions :

- l'emploi de la deuxième personne donne au lecteur l'impression d'être pris à partie.

- la lettre au père est une remise en cause radicale de l'éducation autoritaire et de la prééminence de l'adulte. Il humilie son fils par des reproches, des attitudes ironiques, des jugements dénigrants sur tout ce qui ne vient pas de lui.

Lettre au père

Je ne l'ai pas encore fini donc comme toi Rotko ce sont les premières impressions.

Le père écrase et humilie son fils. Pourtant mon sentiment pour l'instant est que tout en dénonçant cette éducation reçue il y reste soumis. Kafka pointe du doigt les attitudes de son père mais souvent on dirait qu'il regrette tout aussitôt et tente d'atténuer son propos comme si le père lisait par dessus son épaule.

Avez-vous la même impression ?

Pour tous ceux d’entre nous qui ont eu le Malheur d’avoir des rapports difficiles avec un parent au point de vous « pourrir l’existence », et qui malgré cette souffrance d’être incompris de la personne la plus proche de nous physiquement et affectivement, la lecture de « La lettre au père » de Franz Kafka peut être salutaire ou terriblement désespérante ! J’ai lu et succombé dans ma jeunesse inquiète au vertige mental des grandes œuvres de Kafka ( Le Procès, Le Château, La Métamorphose), mais je n’ai jamais eu la curiosité de lire « La lettre au père », considérant à tort que c’était une œuvre secondaire. Oh que Non !! Et c’est grâce à l’invitation du Forum pour les « Lectures de mars » que je viens d’achever la lecture de cette œuvre troublante et profondément révélatrice de l’angoisse de l’existence que Kafka a tenté dans toute son oeuvre, avec une maîtrise parfaite du langage, à en déchiffrer les raisons et les mystères.

« La Lettre au père « n'est pas un virulent règlement de comptes ni même un réquisitoire. Franz Kafka établit tout simplement un constat très amer.
La très envahissante énergie de son père a fini par le comprimer, corps et âme. La voix tonitruante d'Hermann fait taire celle de Franz. La présence physique de l'un fait de l'ombre à la silhouette fragile de l'autre. Ce très inégal rapport de forces s'étend à la vie entière de l'écrivain. Ses goûts personnels, ses amitiés et ses impossibles projets de mariage, vont dépendre de la sentence paternelle qui devient incompréhensible et arbitraire.

Mais, Kafka ne cesse de voler au secours de l'accusé. C'est l'image du père, bien plus que le père réel, qui est la cause du sentiment de culpabilité qui ronge l'écrivain, au point que, comme le dit Joseph K. dans Le procès: «Il craint que la honte ne lui survive.» A. RosaLire, mars 199
Ni cris, ni insultes, ni lamentations sur soi-même: cette lettre de Kafka à son père - qu'il ne lui adressera jamais - est le plaidoyer d'un enfant réclamant le simple droit d'exister.
Voici un extrait du livre qui résume très partiellement la richesse et la complexité du propos de l’auteur :

"A cela répondit par la suite ta souveraineté spirituelle. Grâce à ton énergie, tu étais parvenu tout seul à une si haute position que tu avais une confiance sans bornes dans ta propre opinion. Ce n'était pas même aussi évident dans mon enfance que cela le fut plus tard pour l'adolescent. De ton fauteuil, tu gouvernais le monde. Ton opinion était juste, toute autre était folle, extravagante, anormale. Et avec cela, ta confiance en toi-même était si grande que tu n'avais pas besoin de rester conséquent pour continuer à avoir raison.

Il pouvait aussi arriver que tu n'eusses pas d'opinion du tout, et il s'ensuivait nécessairement que toutes les opinions possibles en l'occurrence étaient fausses, sans exception.
Tu étais capable, par exemple, de pester contre les Tchèques, puis contre les Allemands, puis contre les Juifs, et cela non seulement à propos de points de détail, mais à propos de tout, et pour finir, il ne restait plus rien en dehors de toi. Tu pris à mes yeux ce caractère énigmatique qu'ont les tyrans dont le droit ne se fonde pas sur la réflexion, mais sur leur propre personne. C'est du moins ce qu'il me semblait."

C’est à la lecture de « La Lettre au père » que l’on se rappelle de ce que Kafka disait à propos de la littérature:

« Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous »

Je l'avais lue il y a longtemps et c'est vrai, comme ce père avait troublé les espoirs de son fils. On peut tuer sans armes.

Citation :

Ni cris, ni insultes, ni lamentations sur soi-même: cette lettre de Kafka à son père - qu'il ne lui adressera jamais - est le plaidoyer d'un enfant réclamant le simple droit d'exister.

Darek a raison. Le modèle unique transmis, voire imposé par le père, étouffe les épanouissements personnels. On voit en lui une présence autoritaire et dogmatique. C'est vrai dans beaucoup de domaines, et la libération consiste sans doute métaphoriquement à "tuer le père", c'est-à-dire le modèle admis et qui se présente comme seul viable.

Cela explique sans doute, pour une part, le fossé des générations, et le recours des artistes (écrivains et musiciens) à d'autres modèles que celui des prédécesseurs. Inutile de faire des romans comme Zola ou de la poésie comme Ronsard ou Baudelaire, ils ont porté la forme à la perfection, il faut aller vers "l'inconnu pour trouver du nouveau". D'ailleurs le monde évolue, et sa perception aussi.

Dans cette lettre, il ne s'agit pas de"braquer" le destinataire éventuel, mais de faire comprendre et passer le message, qui est de s'ouvrir aux autres et de respecter les personnalités. On peut y voir aussi un aspect nocif de la hiérarchie : le drapier considère les employés comme des subalternes, et même des inférieurs.

Attention ! dans l'enfant qui voit et écoute, il y a un juge.

quelques réflexions opportunes sur les adultes qui aiment à dire "de mon temps", pour faire la morale aux générations suivantes :

Citation :

" je ne prétends pas que notre situation soit forcément plus favorable que ne l'était la tienne, [....] nous sommes simplement désavantagés par le fait que nous ne pouvons pas nous vanter de notre détresse, ni nous en servir pour humilier les autres, ainsi que tu le faisais."

Il ne faut pas se fier à la simplicité apparente de Kafka. Il peut facilement mener sur de fausses pistes, voire des labyrinthe. Kafka ne dit jamais: attention ce que je vais dire là est important! Le trivial et le crucial sont énoncés sur un même ton... Et puis tout le temps une sourde ironie presque inhumaine ("le rire sans poumon" du personnage Odradek dans Le souci du père de famille).

Dans la lettre au père par exemple. Tout semble en place pour un complexe d'Oedipe digne des manuels de psychologie... Mais est-ce que Kafka y croit vraiment? Est-ce qu'il pense que la violence du père est cause de ses peines? Rien de moins sûr. Ainsi au détour d'un paragraphe il lance comme si de rien n'était: "Je ne dis pas, naturellement, que ton action sur moi soit seule cause de ce que je suis devenu. Ce serait exagéré (et je tombe même dans cette exagération)". Une exagération qui lui permet de construire le très beau texte de La lettre au père. Est-ce à dire que Kafka est un menteur? Non. Simplement Kafka fait de la littérature. Tout le temps.

Quand Kafka dit que rien ne l’intéresse à part la littérature il faut le prendre au mot. Tout est prétexte à construction littéraire. Là il a pris son père, ailleurs c'est sa fiancée ou encore des souris ou l'Amérique... "Donnez-moi de la boue, j'en ferai de l'or" disait Baudelaire. Kafka n'en fait peut-être pas de l'or mais il transforme tout ce que lui propose le monde en matériau littéraire. Et quand on est Franz Kafka on ne l'est pas par intermittence. Dans sa correspondance et dans sa vie Kafka garde le même style que dans ses fictions. Par exemple sa correspondance avec Felice. Une jeune fille qu'il n'a vu qu'une fois et à laquelle il envoie des tonnes de lettres (admirables d'ailleurs) et construit toujours des obstacles pour ne pas la revoir. Parce que l'intérêt pour Kafka c'est d'écrire et rien d'autre. Certes il aime Felice et il aimera Milena, certes il en veut à son père... Mais tout cela est surtout un bon stimulant, un bon prétexte pour écrire.

Bref Kafka a réussi ce tour magistral de fabriquer un personnage auquel tout le monde a cru et auquel nous croyons toujours. Un personnage nommé Kafka.

Sur Kafka, il faut lire Kafka ou l'innocence diabolique (tout est dans le titre!) d'Alexandre Vialatte, un des meilleurs traducteurs de son oeuvre et puis l'incontournable Kafka, pour une littérature mineure de Gilles Deleuze et Felix Guatari.

WalidB tu me coupes l'herbe sous le pied.

Je ne connais pas le contexte de la lettre au père, et je l'ai prise au premier degré, à tort semble-t-il, mettant en relief les points suivants.

- une réflexion pertinente de Kafka sur l'appartenance ideologique et religieuse du père à sa classe sociale. Un regard de sociologiue avant la lettre qui lui permet de critiquer ou d'apprécier la part d'engagement de son père dans la société (aspect religieux, notamment).

- la dénonciation de l'adulte désireux de donner à ses enfants les mêmes valeurs qu'il a reçues en héritage, y compris un projet professionnel, et le rejet (par l'ironie ou le refus) de toute autre optique ou choix de vie.

- la conscience du modèle parental qui influe sur la vie amoureuse des enfants, un thème développé actuellement par les psy : ils expliquent souvent la faillite du ménage par l'image du père ou de la mère idéalisée par un conjoint.

Rotko, tu peux être fier, les commentaires des grains de sel , deviennent de plus en plus intéressants, on a besoin de poursuivre la lecture.

rotko a écrit:

WalidB tu me coupes l'herbe sous le pied.

Ce n'était pas le but. Ce que j'ai proposé n'est qu'une lecture parmi d'autres. Et y en a plein de lectures, c'est la preuve que quelque chose dans son oeuvre échappe à ce que l'on peut en dire. Son ami Max Brod fait même de Franz une sorte de Saint et de ses écrits des récits mystiques (et ça se tient en plus).
Ce que tu dis de la relation parent-enfant me semble aussi très pertinent. Kafka remet profondément en question le modèle où veut l'enfermer son père. Et la manière kafkaïenne est assez spéciale. En guise de rébellion Kafka dit à son père: oui je te comprends, je comprends ce qui te poussais à agir ainsi. Du coup Franz prend l'avantage, c'est lui qui enferme son père dans un modèle. Et hop voici vaincu le père autoritaire. Je pense que c'est Deleuze qui disait que Kafka écrit comme une araignée fait sa toile. Et il est redoutable à ce jeu.

J'ai trouvé que la mère tenait un rôle important : tampon , femme ( ce n'est pas franchement évident) mère et elle ne sait comment s"en sortir entre ses enfants et son mari qui envahit tout

Idem pour la judaîté, un point ou selon Kafka son père et lui auraient pu se retrouver si son père avait plus que des principes religieux de surface hérités pour la plupart

C'est vraiment intéressant à lire même si j' encline à penser comme Wali. C'est néanmoins un très grand moment de littérature