Jacqueline de Romilly

Hier s'est éteinte une très grande dame. Jacqueline de Romilly incarnait pour moi la parfaite humaniste. J'ai eu la chance de suivre les cours de ce professeur de Grec à la Sorbonne. D'emblée, elle m'a éblouie. Elle était exigeante mais savait convaincre chacun de se surpasser pour l'amour d'une langue et d'une civilisation qu'elle mettait au-dessus de tout. Sa mort m'attriste mais d'un autre côté je pense que la perte de la vue a dû être terrible pour elle, ces dernières années. D'autre part, la disparition programmée de l'enseignement du grec et le latin ne pouvait que lui être insupportable. J''entends encore sa voix forte et bien timbrée proclamer la nécessité de faire un "détour" par ce qui paraît "inutile" et "inactuel" pour appréhender la société d'aujourd'hui dans toute sa complexité.
Jacqueline de Romilly a-t-elle eu le temps de s'exprimer sur le tout nouveau CAPES de Lettres Classiques, sans latin ni grec ? J'ai l'impression de devenir un dinosaure !

Tu as bien fait, Nicyrle, de poster ce message, en hommage à quelqu'un comme elle.
A vrai dire je ne la connaissais même pas jusqu'à il y a deux mois, où je suis tombé sur un de ses livres, vendu d'occasion : "Dans le jardin des mots". C'est un Livre de Poche, un recueil de tous les articles qu'elle a publié dans une revue, "Santé Magazine", où elle tenait une rubrique intitulée assez spirituellement "Santé de la langue". Elle ne parlait dans ces articles que de la vie des mots, des étymologies curieuses, des pédantismes grotesques "plus dangereux même que l'ignorance", etc. J'ai vraiment aimé lire ces courts articles (2 ou 3 pages) dans le métro, le bus, le train de banlieue. On en tire le plaisir d'une sorte de discussion avec quelqu'un de très cultivé, non sans un léger humour de bon ton, un peu "vieille France" certes, mais vu ce qu'on nous sort actuellement, je me tourne parfois vers ce ton.

Jacqueline de Romilly a écrit de nombreux livres. A coté d'essais pleins d'érudition et passionnants, on trouve aussi des livres plus légers comme celui dont tu parles, Ernst, qui est un pur régal. Je pense aussi à un recueil de nouvelles assez étonnant, Sous des dehors si calmes, dans lequel on suit une femme qui dit "je" mais n'est pas l'auteur bien que, sans doute, elle lui doive quelque chose ici ou là ! Je me souviens également d'un petit livre plein d'humour, Le sourire innombrable, dans lequel l'helléniste raconte des anecdotes parfois cocasses sans hésiter à se moquer d'elle-même. Et toujours avec un stylre peut-être suranné ou académique, diront certains, mais tout simplement beau et qui lui était naturel.

Oui, une grande dame, dont les dernières apparitions en public étaient moins brillantes...

je garderai d'elle son analyse d'Hector dans L'Iliade. Le héros malheureux avait touché son coeur.

Son dernier ouvrage, paru en juin dernier, est, semble-t-il, une belle réussite malgré les conditions difficiles dans lesquelles il a été conçu. Je ne l'ai pas encore lu mais voici un extrait de ce qu'en disait Romains Brethhes dans Le Point :

Citation :

La parution de La grandeur de l'homme au siècle de Périclès a tout du testament crépusculaire.
Mais ce testament, adressé judicieusement à deux jeunes touristes "prêts à s'émerveiller de tout" mais n'ayant "aucune connaissance directe de la littérature grecque", est tout sauf sépulcral. Au contraire, il respire la vie et l'envie de partager jusqu'au bout cet amour de la Grèce antique. Et c'est en renouant avec ses premières amours, que ce soit Thucydide (auquel elle a consacré sa première oeuvre en 1947 !) ou la tragédie classique, celle d'Eschyle, Sophocle et Euripide, que la doyenne de nos académiciens balaie des questions contemporaines aussi essentielles que la démocratie, la politique ou l'image du héros.
Avec Thucydide, qui entendait faire de sa Guerre du Péloponnèse "un trésor pour l'éternité", Jacqueline de Romilly montre que les ambitions impérialistes athéniennes analysées par l'historien grec éclairent de manière troublante les grandes guerres du XXe et du XXIe siècle. De même, sa dénonciation de la lâcheté des hommes politiques qui ont succédé à Périclès annonce le clientélisme en vigueur dans de nombreux pays aujourd'hui, et particulièrement... en Grèce. Comme le dit Jacqueline de Romilly,"la lucidité n'est rien sans le secours d'une rigoureuse morale, d'une honnêteté parfaite pour guider les choix politiques. Et dès que ces deux qualités viennent à manquer, les conseils des hommes politiques (disons : des démagogues) perdent toute valeur, toute intelligence, toute prudence, puisqu'ils sont au service des caprices du peuple".
Quant au héros tragique, Oedipe ou Héraclès, il nous offre une élévation dans un monde où "tout est plus grand, plus exigeant, plus passionné". En guise de péroraison émouvante, confessant sa difficulté à écrire ce livre, Jacqueline de Romilly conclut par ce seul mot, digne et magnifique : "Merci." Ne nous y trompons pas. Les remerciements sont d'abord à adresser à cette immense dame qui nous laisse, à nous aussi,"un trésor pour l'éternité".

Un très bel hommage lui est rendu ce jour dans le figaro par Jean d'Ormesson

Citation :

Je ne veux pas critiquer la personnalité de nos deux ministres, Luc Ferry et Xavier Darcos, mais ils n'ont, concrètement, rien fait pour prouver leur attachement aux humanités classiques: aucune déclaration, des établissements laissés à eux-mêmes et encombrés de la difficulté de placer une option, aucune mesure pour que les proviseurs ne finissent pas par se dire que s'ils ne parviennent pas à mettre ces enseignements en place «tout cela n'a pas d'importance»

n'attendez rien non plus de luc Chatel... l'effet de la "princesse de Clèves" se fait sentir là aussi.

un entretien dans l'express

Personnellement je me sens plus proche de jean pierre Vernant que de jacqueline de Romilly dont les propos m'ont semblé quasiment toujours les mêmes.( dans ce que j'ai lu ! il faut préciser).

Vernant explore le terrain du mythe, et a rappelé son engagement de manière chaleureuse.

Entre mythe et politique, Paris, Le Seuil, 1996

rotko a écrit:

Personnellement je me sens plus proche de jean pierre Vernant que de jacqueline de Romilly dont les propos m'ont semblé quasiment toujours les mêmes.( dans ce que j'ai lu ! il faut préciser).

Vernant explore le terrain du mythe, et a rappelé son engagement de manière chaleureuse.

Entre mythe et politique, Paris, Le Seuil, 1996

Il ne faut pas, je crois, comparer l'un à l'autre. Leurs objectifs, leurs centres d'intérêt n'étaient pas les mêmes. J. de Romilly n'a guère exploré le mythe en soi, elle a plutôt étudié la littérature et, à travers elle, la politique, considérant que les Grecs avaient "inventé" entre autres l'histoire, la démocratie et ce qui fondait leur morale (idées de justice, de liberté...) ; c'est de tout cela, justement, que nous sommes héritiers, dit-elle : encore faut-il connaître, revisiter sans cesse cette pensée fondatrice.

Tu as raison, Nicyrle.

Il faut aussi rappeler que Jacqueline de Romilly avait été chassée par Vichy de sa chaire de professeur, à cause de ses origines juives, tout comme Claude Levi Strauss qui ne pouvait plus enseigner pour les mêmes raisons.

Où est passé le post de Crevette sur Jacqueline de Romilly ?

en attendant, je vous propose la couverture du livre avec une réflexion naïve


il a le bras long !