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 Adèle : 4 ans.

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Harelde
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Harelde


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MessageSujet: Adèle : 4 ans.   Adèle : 4 ans. EmptyJeu 26 Aoû 2010, 14:15

Le bain (1/3)

- Adèle, ma chérie !
La voix de mon père, grave, forte, retentissant depuis l’étage et portant jusqu’au bout de la rue. S’il passait rapidement sur la première syllabe, il tenait la seconde qui promettait de ne jamais s’éteindre.

- Adèle !
Et de deux.
Cette fois, elle s’allongea plus encore. Mais probablement moins que la prochaine si d’aventure je persistais dans le mutisme que j’observais chaque fois qu’il m’appelait avec cette insistance : cela ne me disait rien qui vaille. Trois minutes que nous ne nous étions vus et je lui manquais déjà. Pourtant lorsque nous nous étions croisés – furtivement, moi courant et poussant le carton de couches à bord duquel avait pris place mon petit frère, lui nous évitant de justesse une pile d’assiettes dans les mains –, il s’était étonné de nous trouver encore une fois dans ses jambes.

- Adèle !
Et de trois.
Ma supposition venait de se vérifier. Il ne lâcherait pas l’affaire : ça sentait le pâté ! Ne pas tirer trop fort sur la corde, donner un peu de mou afin d’éviter qu’elle ne se rompe :
- Quoi ?
- Au bain.

Encore ? Etait-il sérieux ? Je le craignais : l’heure n’était pas à la rigolade, on ne se taperait les cuisses en peinant à reprendre notre souffle. J’avais l’impression de passer ma vie dans la baignoire à barboter dans quinze centimètres d’eau. Je ne sais pas les vôtres, mais mes parents se posaient en maniaques de la savonnette. Tous les soirs à 19h00 précise le scénario se répétait invariablement du lundi au dimanche et du premier au dernier jour de l’année. Ce devait être écrit dans les Saintes Ecritures : « Cinq heures après la moitié du jour, le bain à tes enfants tu donneras ». Une régularité d’horloger helvète à faire pâlir de jalousie la SNCF contre laquelle mon père tempêtait continuellement en des termes fleuris qui n’auraient jamais dû atteindre mes oreilles d’innocente jeune fille – ce qui ne manquait jamais de faire rouspéter ma mère : « Vincent ! Surveille ton langage. La petite est là. ». Elle ne se souciait pas encore des oreilles encore plus innocentes de mon frères qu’elle jugeait trop jeune pour capter et retenir ces mots interdits et si croustillants. Et tout aussi invariablement, je me devais de marquer mon désaccord. D’autant plus fermement que mes espérances étaient vaines et seraient balayées d’un revers de main. Pour l’honneur, le panache – magnifique – et avec l’énergie du désespoir, je répliquais :
- Non !

Un baroud d’honneur que je jugeais d’une grande sobriété et d’une fermeté péremptoire. Je me montrais très fière de ce point d’exclamation : une gifle retentissante claquant sur la joue adverse.


Dernière édition par Harelde le Lun 30 Aoû 2010, 11:54, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Adèle : 4 ans.   Adèle : 4 ans. EmptyJeu 26 Aoû 2010, 15:02

Le bain (2/3)

Le gant fut relevé :
- Je ne te demande pas ton avis, fit la voix paternelle maintenant toute proche.
- Non !

Cela ne servait plus à rien, je le savais. Mais il ne devait pas s’habituer à me voir capituler si rapidement. Je plantais là mon frère que je continuais de pousser et détalais aussi vite que mes courtes jambes me le permettaient. Je tentais de le déborder par la droite non sans une feinte préalable à gauche. Mais rompu à cet exercice quotidien, il me cueillit au vol et m’emporta dans ses bras. Je hurlais et me débattis aussi vigoureusement que possible. Imperturbable et sûr de sa prise, il entama l’ascension des quinze marches qui le mèneraient à la salle de bain. Je me devais de réagir – et promptement – ou mon échec serait total :
- C’est pas moi qui commence. Marc d’abord : j’ai pas joué longtemps !

A ma grande déconvenue, il n’entra pas dans cette négociation et poursuivait sa montée en silence. Je ne voyais plus aucun subterfuge qui m’aurait permis de redresser ma situation peu enviable. Mais pas question de déposer les armes. Aussi calme intérieurement que gesticulante au dehors, je le harcelais impitoyablement et sans faiblesse. Je cherchais toujours à me dégager et braillais si fort qu’on pût me croire au comble d’une peur panique. Peine perdue : nous atteignîmes malgré tout l’étage et dans sept mètres cinquante le vainqueur recevrait sa couronne.

Je ne supportais pas de perdre mais je m’apprêtais néanmoins à l’inévitable lorsque je pris conscience de l’absence d’un bruit. Un bruit qui aurait dû être là : celui de l’eau qui coulait. Elle ne coulait pas. De deux choses l’une : soit mon père avait rempli la baignoire avant de descendre me chercher (possible), soit il devrait me poser – et probablement même me lâcher – pour se pencher et ouvrir le robinet d’accès malaisé car caché par le pare-douche. Un certain optimisme revint : peut-être pourrais-je m’extirper et gagner un coin de ma chambre. Abri fort précaire, pour ne pas dire illusoire, cela va de soit, mais susceptible de me faire gagner une minute (deux ?) et de repousser d’autant l’échéance.

Encore une seconde et nous y serions. Je me préparais, bandant mes muscles et bloquant ma respiration à la manière d’un coureur de cent mètres l’instant précédant le déclenchement du chrono. Du haut de mon perchoir, j’aperçu ma piscine vide de tout élément liquide, validant ainsi la seconde hypothèse : j’avais un coup à jouer. A la seconde où mes pieds touchèrent le carrelage bleu, je me faufilais et dans mon dos l’entendis pousser un juron que je ne connaissais pas.
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MessageSujet: Re: Adèle : 4 ans.   Adèle : 4 ans. EmptyLun 30 Aoû 2010, 08:48

Le bain (3/3)

Ma chambre n’avais rien d’une pièce tarabiscotée offrant un grand nombre de cachettes : quatre murs peints en rose pâlt posés à angle droit et dessinant un quadrilatère parfait que j’apprendrais plus tard s’appeler un rectangle. Une moquette – également rose –, une commode blanche dans le coin près de la porte donnant la réplique à mon lit trônant à l’autre extrémité, un petit coffre à jouets (mais déjà rempli), et le berceau (rose) d’Aurore, ma poupée favorite et de Toumou son doudou. Ou vouliez-vous que je disparaisse ? Et pourtant je disparus. Je me précipitais et vins me blottir sous ma couette au creux de mon matelas. Au cours d’une grasse-matinée dominicale et câline que je passais dans le lit de mes parents, mon père avait relevé les genoux entrainant à leur suite drap et couverture. Il m’entraina dans cette cabane improvisée sous les yeux rieurs de ma mère. Avec un air de conspirateur, il me dit que là, je serais en sécurité et que jamais personne ne me trouverait. Et certainement pas les monstres.

Il me trouva, lui. Et sans mal. Il avait l’air furax. Dans un réflexe, je protégeais mes arrières de mes mains, m’attendant à une fessée qui ne vint pas. Signe que sa patience malmenée résistait encore. La SNCF n’avait semble-t-il pas trop rogné dessus aujourd’hui : il en restait pour moi. Tant mieux, la marge disponible s’en trouvait augmentée. Soirée fastueuse. Nous tirions chacun de notre côté, lui vers l’avant et le bain qui coulait, moi vers l’arrière et mon lit que j’avais mis sans dessus-dessous. A grand renfort de larmes de crocodile j’abatis mon ultime carte et prétendis avoir subitement besoin de me rendre auprès d’Aurore qui venait de faire une brusque poussée de fièvre. Insensible à ma requête, il ramena la chair de sa chair sur le carrelage bleu dont elle n’aurait dû bouger. Cette fois, il ne me lâcha pas et veilla scrupuleusement à toujours me maintenir d’une main alors que l’autre se battait pour ôter mes vêtements. Je crois avoir fait tout mon possible pour lui compliquer la tâche au maximum.

Enfin, à l’issue d’un temps qui lui parut sûrement très long, je me retrouvais dans l’eau. Elle était chaude à souhait et m’y allongeai avec volupté : quel bonheur infini de se détendre ainsi après une bataille aussi acharnée. Somme toute, ces enchainements n’avaient été qu’une comédie parfaitement orchestrée dans laquelle mon père et moi avions joué le rôle qu’on attendait de nous. Il était lessivé et regrettait feu son célibat tandis que j’embarquais mes pirates à bord de leur navire (avec un drapeau noir flottant au sommet du grand-mât) et mettais le cap à l’Ouest partant à l’abordage du pommeau de douche.

Je jouerais le plus longtemps possible, râlerais au moment de me laver et recommencerais mon cirque lorsqu’il chercherait à me faire sortir de l’eau en arguant que je n’avais décidément pas le temps de jouer convenablement dans cette maison où régnait un despotisme parental tout à fait révoltant.
Avec les éclaboussures en plus.

Ce soir là, je l’entendis confier à ma mère son désir de me chercher un cours de théâtre, que j’avais un don qu’il convenait de valoriser. Ce à quoi elle lui répliqua, le regardant trempé des pieds à la tête :
- Tu ne préfèrerais pas un cours de gym pour canaliser l'énergie qu’elle a à revendre ?

Je m’endormis avec un sourire heureux sur les lèvres.
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