Ces commentaires sont très intéressants !
J'ai commencé la lecture des
Mots, la mort, les sorts il y a quelques semaines mais ai du l'interrompre. Je me rappelle surtout que le récit était très accessible, et même agréable à lire. Je vais m'y remettre dès que j'aurai à nouveau du temps libre.
En attendant, les questions que vous soulevez me rappellent plusieurs de mes lectures.
- rotko a écrit:
- Sur le terrain des superstitions et pratiques médicales, croyez-vous que les guérisseurs n'aient plus cours ? j'en entends parler à propos des verrues,
Là ce n'est pas une lecture, pour le coup
mais j'ai rencontré un "toucheur" quand j'étais môme. C'était au début des années 90. Dans la campagne normande (tiens donc !). Il a prétendu soigné mes verrues (elles étaient très nombreuses ; c'est sans doute pour cela que j'ai été emmenée là-bas malgré un scepticisme évident de ma mère -elle a ri devant le rituel-) en les touchant de son doigt humecté de salive (souvenirs vagues).
Mes verrues sont parties un an après (je n'ai jamais considéré que cela avait un lien, d'autant plus que lui, il leur avait donné 'trois mois' à vivre encore, pas un an). Cela dit aucun médecin ne pourrait expliquer non plus ni pourquoi elles étaient venues, ni comment elles sont parties.
C'était pour la petite anecdote.
Je crois que des exemples comme ça, vécus ou entendus, on en a tous en bagage : preuve que ces croyances parallèles perdurent.
- Nymphéa a écrit:
- Jeanne Favret-Saada insiste sur la spécifité de la sorcellerie. Il n’y a sorcellerie que selon un code rigoureux et toujours le même. Et il faut se souvenir qu’y circule
Citation:
« un affrontement d’une extrême violence entre le sorcier et sa victime, d’une part ; le désorceleur et le sorcier, d’autre part. Pour chacun des protagonistes, la défaite signifiait la mort, en tout cas une atteinte corporelle grave »
Cela peut également être rapproché de l'ouvrage de Lucien Lévy-Bruhl qui regroupe ses trois études sur la mentalité, l'âme et la mythologie primitives (1100 pages réunies sous le titre
Primitifs).
L'ouvrage est un recueil de témoignages, notamment de missionnaires ayant vécu au cœur de tribus "primitives" avec pour objectif de les convertir. L'étendue géographique est large : principalement Afrique ou Amériques ; parfois des comparaisons avec les aborigènes Australiens.
Dans "La mentalité primitive", Lévy-Bruhl évoque la sorcellerie. Dans sa conception du monde où il refuse toute intervention du hasard, le "primitif" attribue tout évènement (y compris la mort, que ce soit une mort violente, de maladie ou de vieillesse) à des causes mystiques.
Tout accident mortel (chute d'un arbre, foudre, noyade, et même dans le cas où un homme est dévoré par un crocodile) en appelait à la désignation d'un sorcier : considéré comme la première cause de la mort (la pourriture de l'arbre, l'orage ou le crocodile n'étant que des instruments). En général, pour venger le mort, le sorcier présumé était exécuté, car le "primitif" redoutait davantage la colère d'un mort qui n'aurait pas eu sa vengeance, qu'une éventuelle erreur dans la condamnation d'un homme.
Il est fait mention aussi de contre-sorts ; en cas de maladie par exemple, les individus pouvaient se rendre chez le médecin de la tribu (lui-même sorcier) pour qu'il devine l'identité de l'ensorceleur et qu'il tente d'inverser le processus (œil pour œil, dent pour dent, en général - même si l'ensorcelé ne meurt pas; si quelqu'un a essayé de le faire mourir, il mérite la mort).
Certaines de ces tribus ont été observées au début du XXème siècle.
- rotko a écrit:
- Comment se fait-il que Claude Levi Strauss et Philippe Descola décrivent en Amérique du sud des pratiques de sorcellerie analogues à celles de la Mayenne, avec le processus de prise en charge du mal et de lutte entre le jeteur de sort et le désensorceleur ?
Cela me fait penser à un passage de Jung où, après avoir raconté quelques rêves "prémonitoires", il compare ce phénomène a priori incompréhensible, à celui des sorts jetés à distance : il dit qu'un tel pouvoir a été considéré en plusieurs endroits éloignés les uns des autres : Amérique du Nord, Angleterre (de la part de mystiques), Tibet ...
- Citation :
- Ces phénomènes semblent pourtant provenir d'une source commune, correspondant à une donnée psychique spécifique dont nous n'avons pas encore connaissance. Au vu de ces différents exemples, je m'oppose formellement à cette attitude qui consiste à s'appuyer pompeusement sur un certain scepticisme pour décréter que tout cela n'est que fumisterie. Ce qui m'intéresse ici est que ces phénomènes apparaissent simultanément dans différentes parties du globe.
Plus loin il se demande "quels facteurs originels ont pu présider à l'élaboration de telles croyances". (
Sur l'interprétation des rêves)
Jung va, à partir de ces réflexions, développer ses concepts d'inconscient collectif et d'archétypes, qui réconcilient la psychanalyse et le mythe ("Nous ne résoudrons pas le fond de la névrose et de la psychose sans la mythologie et l'histoire des civilisations", suppose-t-il).
Nous sommes bien peu nombreux, sur ce fil ; dommage !