D’emblée, un sourire et une voix, et des yeux, des yeux candides. Il fallait partir de là pour dresser le portrait. Le sourire de Max s’était insinué en elle. Il signait et soulignait tout en même temps une œuvre de chair, et il était la marque indélébile, voulue par lui, désirée par elle, de sa présence de chair et de sang qui avait pris racine en elle. Il marquait la présence indéfectible de Max, sa sourde présence, même quand il était absent. L’enfant portait le même sourire, l’enfant était la réplique exacte de Max, le lien, l’union sacrée, la présence divine des gènes de Max mêlés aux siens tant que vivrait l’enfant. Du sperme devenu sourire, sa réplique de chair ambulante, l’enfant concentrait en lui toutes les indélicatesses de Max.
Un jour lointain, elle avait eu le tort de lui rendre son sourire et de laisser ainsi s’installer entre eux une connivence. Au fil des années, cette connivence était devenue la prison doucereuse de ses fantasmes. Même en son absence, elle percevait le sourire de Max en elle comme le sceau de sa présence. Il était le signe imparable du lien qui l’unissait à Max, l’homme par excellence.
Max, le sculpteur d’âme, la parfaite coïncidence du vide et du plein faite homme, Max le doucereux, le pervers, Max, à la folie… Où qu’elle portât ses regards, il était là, dans le miroir de la salle de bain, sur les nombreuses photos de lui qui jonchaient sa mémoire, dans le lit conjugal, sur le plat de son ventre, sur ses épaules nues.
Tous les mots se faisaient l’écho de sa présence obsédante. La femme, qu’elle avait été en des jours à peine meilleurs, devenait sous les yeux et les mains de Max la mère à l’enfant, la travailleuse acharnée, la bonniche sympa, le petit bout de femme qu’on sort comme une potiche, l’élan souverain de la politesse joviale qui ouvre toutes les portes du cœur.
Le jeu ne cesserait jamais. Le sourire était ancrée en elle. Et s’il n’y avait que cela ! Mais il y avait aussi, au fond d’elle, la voix douce et impérieuse, la violence voilée de Max sûr de ses droits. La voix ne disait presque rien, elle portait une pensée indigente. Max, le grand homme, avait la voix bien timbrée, un rien métallique, où roulait toujours un zeste de colère…
L’admiration mal placée, le mauvais investissement libidinal, la sécurité fallacieuse procurée par la vérité scientifique, le charme du scientifique bon teint, l’intelligence radieuse du matheux sans tripes ni cœur, la mollesse et l’indolence du fils à papa, tout cela faisait tout un homme, et cet homme, c’était Max.
Max menait une vie de pacha reclus. En bon citoyen d’une nation ennemie des arts, il vivait rivé à sa télévision. Musicien frustré, artiste raté, écrivain velléitaire, il était tout cela sans doute, et le charme avait opéré. Bête de sexe massive, étalon bonasse, Max trônait dans le ventre de sa conquête, à défaut d’avoir des mains amoureuses et des yeux curieux, une langue fureteuse et une bouche avide.
Et tout cela serait peu de choses, s’il n’existait quelque part dans le monde une main et une voix prêtes à réduire Max à néant. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, rien que la mort…