Black-Label L-G. Damas

Léon-Gontrand Damas (1912-1978)
Black-Label
Poèmes
Editions Gallimard


Père spirituel du mouvement de la Négritude, avec Césaire et Senghor, Léon-Gontran Damas, né en 1912 à Cayenne, est l’une des figures les plus marquantes de la littérature guyanaise . Avec eux, il s’insurge contre l’art formaté de l’Occident.

Son engagement littéraire est lié à ses revendications politiques. Exilé à Paris, la guerre lui permet d’affirmer sa résistance physique et intellectuelle. Antimilitariste et antifasciste, son militantisme bien affirmé avec Robert Desnos et Marguerite Duras, entre autres, il lutte contre Vichy et l’occupation, ce qui lui a causé de graves ennuis avec la Gestapo. Il est soutenu par Louis Aragon, André Breton et Philippe Soupault.

Dans son recueil de poèmes intitulé Black-Label, il cite Claude Mackay en épigraphe. Ses vers traduisent la solitude, la peur de perdre la femme qu’il aime.

"Tu étais au bal
Et moi
Parmi d'autres
A même la piste enduite
Et patinée de steps
De stomps
De slows
De swings
De sons
De blues
Et de la table où un blanc à lunettes
S'ennuyait à lire un journal, son journal.
Je te regardais boire un Canadian Club
Fasciné peut-être
Soudain son regard
Affronta le mien.
Mais de toi ou moi qui déjà n'étions
Qu'un seul désir insatisfait
Je ne sais plus lequel
Vint au devant de l'autre
Alors que l'orchestre scandait
Esclavo soy
Je ne sais plus lequel
Et ce fut le vertige.
Accrochée à tes pas
Accrochée à tes yeux
Accrochée à ton âme
Je me laissai aller
Au rythme de ton drame.
Et j'en vins à souhaiter en moi-même
Que le chemin à parcourir fût aussi
Long que le temps mis
A nous voir l'un et l'autre
Face à face au carrefour.
Brisant l'effroi qui nous rendait muets.
Tu m'avais dit
" Je me ris du hasard mais jamais du destin "

Black-Label contient des poèmes empreints d’amertume et d'une certaine désillusion que la rébellion du passé de L.-G. Damas met au grand jour.

Le titre Black-Label évoque une revendication et affiche sans complexe, le fait d’être né noir. Cette revendication révèle la douleur intense subie par les souvenirs de l’esclavage, il fait également allusion à la marque de whisky avec laquelle il tente de noyer sa peine. Il exprime autant ses regrets que ses obsession.

Black-Label, est un recueil de poèmes mais pourrait aussi être une musique ou un chant marquant le désespoir avec des notes de blues, un refrain en quatre vers: "BLACK-LABEL à boire / pour ne pas changer / Black-Label à boire / à quoi bon changer."

Merci de ce post, Aelita

Voilà un poète que je ne connais pas et dont les extraits que tu proposes me donnent vraiment envie de faire la connaissance.

bonne pioche ! merci, grâce a toi, on va le decouvrir
Léon GONTRAN-DAMAS

Citation :

Il est des choses dont j'ai pu n'avoir perdu
tout souvenir
et brimades en bambou
pour toute mangue tombée
durant l'indigestion de tout morceau d'histoire de France

et flûte

flûte de roseau
jouant sur les mornes des airs d'esclaves...
pendant qu'aux savanes des boeufs sagement ruminent
pendant qu'autour des zombies rôdent
pendant qu'ils éjaculent les patrons d'Usine
pendant que le bon nègre allonge sur son grabat dix à quinze
heures d'usine.

(Pigments - 1937)

Léon GONTRAN-DAMAS

Pour Alejo Carpentier

Il est des nuits sans nom
il est des nuits sans lune
où jusqu'à l'asphyxie
moite
me prend
l'âcre odeur du sang
jaillissant
de toute trompette bouchée

Des nuits sans nom
des nuits sans lune
la peine qui m'habite
m'oppresse
la peine qui m'habite
m'étouffe

Nuits sans nom
nuits sans lune
où j'aurais voulu
pouvoir ne plus douter
tant m'obsède d'écoeurement
un besoin d'évasion

Sans nom
sans lune
sans lune
sans nom
nuits sans lune
sans nom sans nom
où le dégoût s'ancre en moi
aussi profondément qu'un beau poignard malais

(Pigments, 1939)


source : http://membres.multimania.fr/fdl/Litterature.htm

Je ne connaissais pas....
J'iame !
Merci Aelita

Je suis ravie de vous avoir donné envie de connaître ce poète et je vous remercie de m'en avoir fait part.

C'est à A L.G. DAMAS que Senghor a dedié le

POEME LIMINAIRE d' Hosties noires


Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?

Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas - non !- les louanges d épée mépris vous enterrer firmament
Vous n’êtes pas des poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France....

SHINE

Pour Louis Armstrong

Avec d’autres
des alentours
avec d’autres
quelques rares
j’ai au toit de ma case
jusqu’ici gardé
l’ancestrale foi conique

Et l’arrogance automatique
des masques
des masques de chaux vive
jamais n’est parvenue à rien enlever jamais
d’un passé plus hideux
debout
aux quatre angles de ma vie

Et mon visage brille aux horreurs du passé
et mon rire effroyable est fait pour repousser le spectre des
lévriers traquant le marronnage
et ma voix qui pour eux chante
est douce à ravir
l’âme triste
de leur por-
no-
gra-
phie

Et veille sur mon cœur
et mon rêve qui se nourrit du bruit de leur
dé-
gé-
né-
rescence
est plus fort que leurs gourdins d’immondices
brandis

L .-G. Damas joue avec le vocabulaire. Il utilise le pluriel masques à la fois pour désigner les visages, mais les hommes qui les portent. Leur expression montre ce qu’ils ont de destructif dans leur ressemblance à la chaux vive. Matière qui est la fois blanche et corrosive.

Sa référence à un passé comparé à un horrible monstre, qui demeure dans la mémoire de l’homme noir, peut signifier un rapport à l’oubli volontaire, dans les manuels scolaires, d’évincer toute la période de l’esclavage.

L.-G. Damas utilise la typographie pour émietter ou désintégrer les mots pornographie et dégénérescence, dans le but de révéler, la déchéance d’un peuple et de sa civilisation.

Frontispice de pigments de leon Gontran Damas par franz masereel

Le film de jean Michel Martial consacré à L.G Damas, le nègre fondamental (DVD productions de la lanterne RFO Guyane) retrace sa vie et donne une idée intéressante de son action : né en Guyane en 1912, il rencontre Césaire en Martinique, puis étudie en France les langues orientales, le droit et les lettres.

Sa poésie s’inspire des poètes noirs américains comme Langston Hughes : il écrit en français, « dans la langue de l’oppresseur », et il lui insuffle du rythme et une forme nouvelle : plus de rimes et d’hémistiches, mais des vers libres et l’assonance. Il revendique la fierté d’être nègre. Son recueil « pigments » (Présence Africaine), sera préfacé par robert Desnos.

Il étudie l’ethnologie avec Marcel Mauss, se rend en Guyane pour une étude à la fois journalistique et ethnologique actuellement publiée sous le titre « retour de Guyane » chez Jean-Michel Place où il dénonce la colonisation d’une France soucieuse de ses seuls intérêts. En 1948 il est élu député de Guyane.

Daniel Maximin, Aimé Césaire, Raphaël Confiant parlent avec chaleur de ce père de la négritude, aux multiples facettes, qui travailla pour l’Unesco et enseigna aux USA à l’université de Washington..

« Veillées noires » est un recueil de contes guyanais. On doit aussi a Damas Latitudes françaises une anthologie des poètes d’expression française qui donne place à des auteurs africains mais aussi japonais et chinois.

La complainte du nègre

Pour Robert Goffin

Ils me l'ont rendue
la vie
plus lourde et lasse

Mes aujourd'hui ont chacun sur mon jadis
de gros yeux qui roulent de rancoeur
de honte

Les jours inexorablement
tristes
jamais n'ont cessé d'être
à la mémoire
de ce que fut
ma vie tronquée

Va encore
mon hébétude
du temps jadis
de coups de corde noueux
de corps calcinés
de l'orteil au dos calcinés
de chair morte
de tisons
de fer rouge
de bras brisés
sous le fouet qui se déchaîne
sous le fouet qui fait marcher la plantation
et s'abreuver de sang de mon sang de sang la sucrerie
et la bouffarde du commandeur crâner au ciel.

Léon-Gontran Damas, Pigments, 1937.

Hoquets est l'un des meilleurs, des plus abordables et des plus vrais.

Sympa ce post

LG Damas fait souvent allusion aux noirs americains comme Langston hugues ou Richard Wright.

Alain Mabanckou, dont je reparlerai à propos de la lettre à Jimmy, confirme qu'en France les écrivains americains étaient bien mieux considérés que les africains ou caribéens.

Il adresse sa lettre à Baldwin, et ce regard contemporain sur un "ancêtre" est très instructif.

D'autre part Mabanckou écrit ici de manière limpide.

Un poème long, à lire en entier, pour son rythme, les répétitions et assonances qui scandent le texte. Un Poème qui charrie toute l'histoire du peuple noir, déporté, résigné, réprimé, révolté.

On a souvent, à juste titre, souligné le rythme de blues de ce poème.

ce recueil est un "coup de coeur" du public dans ma mediathèque. Il lui faudrait une interprétation orale, car cette poésie est faite pour ëtre déclamée.

Citation :

Aimé Césaire, Prophétie

Prophétie

Là où l'aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois

là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux

là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d'une ruche
plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit l'espace et lève
à rebours la face du temps
là où l'arc-en-ciel de ma parole est chargé d'unir demain
à l'espoir et l'infant à la reine,

d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan
d'avoir gémi dans le désert
d'avoir crié vers mes gardiens
d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes

je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant
de la scène ourle un instant la lave
de sa fragile queue de paon puis se déchirant
la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et
je la regarde en îles britanniques en îlots
en rochers déchiquetés se fondre
peu à peu dans la mer lucide de l'air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.

j'aime tous ses poèmes et particulièrement celui-là.

on a un fil sur les graffitis, voici un poème :

Dans son poème Black Label, Damas évoque bien entendu les malheurs de son peuple, sans oublier, idée qui m’est chère, ceux qui intériorisent le regard avilissant d’autrui, jusqu’à nourrir le mépris d’eux-mêmes, le dégoût physique, et la dépréciation morale.