Laurence Sterne [Angleterre]

Vie et opinions de Tristram Shandy, Laurence Sterne (un mot sur sa vie), traduction de Charles Mauron.

Et Tristram Shandy fut conçu...

Citation :

-Pardon mon ami, dit ma mère, n'avez vous pas oublié de remonter la pendule?

-Grand Dieu ! s'exclama mon père, non sans un effort pour étouffer sa voix, depuis la création du monde, une femme n'a-t-elle jamais interrompu un homme par une question si sotte ?

Car le père de Tristram est d'une exactitude extrême...

Citation :

Pour donner un échantillon de l'extrême exactitude dont il fût, à vrai dire, l'esclave, il s'était, pendant de nombreuses années, fixé comme une règle immuable de remonter de ses propres mains la grande pendule sur le palier de l'escalier de derrière, le soir du premier dimanche de chaque mois, et cela toute l'année. Il ne manquait pas plus de le faire que le dimanche d'arriver. Et comme à l'époque dont je parle il avait entre cinquante et soixante ans, il avait été peu à peu conduit à concentrer à la même date divers autres devoirs familiaux, afin, confiait-il à mon oncle Toby, afin de se débarasser de tous en une seule fois et d'éviter tout le reste du mois leur hantise importune.

Génial, Tchipette.
J'adore les "divers devoirs familiaux" et le "Pardon mon ami..."

Quelques 200 pages et digressions plus tard, Tristam nait. Las, les forceps ont endommagé son nez.

De l'importance des nez dans la famille Shandy.

Citation :

-Voilà une exigence extravagante, s'écria mon bisaïeul en froissant le papier qu'il jeta sur la table. D'après le compte que voici votre fortune, madame, s'élève à deux mille livres, pas un shilling de plus, et vous voudriez que je vous en fisse trois cents de revenus dotal.
-C'est, répondit ma bisaïeule pour compenser chez vous une absence presque totale -de quoi ?- de nez.

Et de nous expliquer, qu'en terme de nez nous ne saurions comprendre autre chose que le nez.

A propos du fort long nez d'un voyageur, provoquant perplexité chez les moniales et moult disputations théologiques entre luthériens, partisans de la raison, et catholiques défenseurs de la foi.

Citation :

- Ce nez est au delà de la raison, cria un docteur, d'un côté.
- Il est en deçà, crièrent les autres.
- Article de foi, cria l'un.
- Sornette ! répliqua l'autre.
- Le fait est possible, cria l'un.
- Il est impossible, dit l'autre.
- La puissance de Dieu est infinie, crièrent les Naziens ; il peut faire n'importe quoi.
- Il ne peut rien faire, répliquèrent les Antinaziens, qui implique contradiction.
- Il peut douer de pensée la matière, dirent les Naziens.
- A peu près, dirent les Antinaziens, comme vous pouvez faire un chapeau de velours avec une oreille de truie.
- Il peut faire que deux et deux fassent cinq, proclamèrent les docteurs Catholiques.
- C'est faux, dit le parti adverse.
- Un pouvoir infni est un pouvoir infini, arguèrent ceux qui tenaient pour la réalité du nez.
- L'infinité ne s'étend qu'au possible, objectèrent les Luthériens.
- Par Dieu qui est dans le ciel, affirmèrent les docteurs Catholiques, la Toute-Puissance peut créer un nez aussi gros que le clocher de Strasbourg.

Mais au delà de la farce, reste la critique :

Citation :

On ne disait plus un mot du nez de l'étranger dans la dispute, il avait juste servi comme une frégate à les mener en haute mer dans le golfe de la théologie scholastique et tous maintenant fuyaient la tempête.
L'ardeur et la vraie science sont en raison inverse.
[ ]Moins ils comprenaient, plus ils s'échauffaient [ ]

Merci de nous remettre en mémoire cet écrivain allègre et inventif qu'admirait Diderot.

Un titre et un auteur dont j'ai ouî dire mais jamais lu...
Tu me donnes envie de commencer

Et qu'en as-tu pensé ? Je projette de le lire très bientôt

Marie kiss la joue a écrit:

Et qu'en as-tu pensé ? Je projette de le lire très bientôt

Un tout petit peu long au début, mais ensuite, c'est jubilatoire, aussi bon que lors de ma première lecture !

Un dernier extrait...où l'on apprend la mort du frère de Tristam Shandy

Citation :

Mon oncle Toby commenca alors de lire à mi-voix
- - - - -
- - - - -
- - - - -
- - - Parti !
dit mon oncle Toby.
- Où ? Qui ? cria mon père .
- Mon neveu, dit mon oncle Toby
- Sans permission ? Sans argent ? Sans gouvernement ? s'écria mon père stupéfait.
- Non, mon frère, il est mort, dit mon oncle Toby.
- Sans maladie ? s'écria de nouveau mon père

Pierre Bayard qu'on connaît pour
Comment améliorer les oeuvres ratées ?
par Bayard , Pierre
2000 Minuit

ou Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?
et auquel on s'interessait pour sherlock Holmes

s'interesse aux plagiaires par anticipation : pour lui Sterne, écrivain historiquement du XVIIIe, serait un contemporain posterieur au nouveau roman, car introducteur de formes nouvelles.

Humour et virtuosité, ma foi, Sterne ne désavouerait pas !

le plagiat par anticipation est publié dans la collection du paradoxe chez minuit.
Sophocle a plagié Freud, Voltaire, Conan Doyle, ou Fra Angelico Jackson Pollock, et Maupassant, marcel Proust.

Vivement intéressée par Tristam Shandy. Je l'avais découvert dans un film très drôle et "so british" dont je n'arrive plus à me souvenir du titre (C'est une bande d'acteurs qui répètent et jouent pour un réalisateur qui veut tourner la vie de Tristam Shandy; époque contemporaine et fiction ancienne se mêlent pour la délectation du spectateur). Donc j'avais cherché l'ouvrage sans le trouver; peux-tu m'en donner les références exactes et où se le procurer (je peux le commander); merci Tchipette!

puis-je répondre à la place de Tchipette ?

Spoiler:

Ravie ; merci Rotko!!!
Je vais à Valenciennes jeudi prochain et à la Fnac; peut-être l'auront-ils...Sinon je le commande ici. Merci

Pour information; j'ai retrouvé le titre du film "Tournage dans un jardin anglais" de Michael Winterbottom.

Excellent film un tantinet longuet (certainement voulu), mais afin de l'apprécier vraiment, il vaut mieux avoir déjà entamé la lecture de Tristram Shandy, ou du moins connaitre les thèmes abordés, sinon y a quand même gros risque de s'ennuyer a partir de la moitié du film.

Je viens de refermer les 600 pages et j'aurais bien aimé que Sterne ait pu poursuivre et savoir comment s'étaient élucidés les amours de l'oncle Toby et de la veuve... De digressions en digressions notre auteur nous entretient sur tous les sujets avec un humour et une sagacité ironique plus que plaisants; jamais on ne s'ennuie et c'est tout au long très drôle, "so british"; à la fois savant et gai, érudit et comique. Un vrai régal de lecture.

Mea culpa !
je n'avais pas vu qu'il y avait un fil consacré à Sterne....
je viens de finir Tristam Shandy et j'en suis enchantée!
je le recommande à quiconque aime la bonne littérature.
Pour en savoir plus sur lui et son oeuvre voir Wikipédia qui fait une bonne analyse de son oeuvre !

PS pour Nymphea:
j'ai lu l'édition 2004 par "Tristam" traduction Guy Jouvet dans laquelle on apprend tout sur les amours de Tobie et de la veuve

pour compléter le plaisir de relire Tristram Shandy,
dans n'importe laquelle de ses traductions - toutes sont à savourer - on peut aussi découvrir une Shandy-ienne,
Cécile Guilbert,
L'écrivain le plus libre,
ed Gallimard, l'Infini
2004

fontelle a écrit:

PS pour Nymphea:
j'ai lu l'édition 2004 par "Tristam" traduction Guy Jouvet dans laquelle on apprend tout sur les amours de Tobie et de la veuve

Confusion.
Je pensais que l'auteur avait pour but de continuer les aventures de la veuve dans les volumes qu'il n'a pas pu écrire, et que d'autre part ce sujet n'était jamais entièrement développé par facétie et pour nous tenir en quelque sorte en haleine tout en nous parlant d'autres choses diverses et variées...Ou je n'ai rien compris ou nous n'avons pas la même lecture(?)...Mon propos précédent était une formule de rhétorique quelque peu ironique...

Nymphéa a écrit:

ce sujet [les amours de la veuve] n'était jamais entièrement développé par facétie et pour nous tenir en quelque sorte en haleine tout en nous parlant d'autres choses diverses et variées

Ma lecture est ancienne, mais Sterne n'hesitait pas en effet à mener son lecteur en bateau. D'où le choix qu'en a fait Diderot comme modèle dans Jacques le Fataliste, où on attend toujours les amours de jacques