La philosophie dans le boudoir (Sade - Christine Letailleur)

Christine Letailleur, pour faire tenir La philosophie dans le boudoir, de Sade, dans deux heures, a du couper pas mal de texte, mais ce qui en reste est assez savoureux. Plus aurait probablement été difficilement supportable puisque chez Sade les personnages sont des concentrés d'énergie lubrique ; ils ne présentent pas les différentes humeurs par lesquelles passent les vraies personnes.

Le décor est minimaliste : quelques beaux rideaux rouges, deux tabourets noirs, un petit portique mobile auquel pend un autre rideau rouge, quelques rares lumières mais très efficaces du fait du placement impeccable des acteurs, un fond tout noir.

Les costumes, à part les culottes, sont d'un style ancien : corsets à lacets, longues chaussettes blanches, souliers noirs. Une femme chatte toute de noir vêtue, masquée, laconique, blonde, fait penser à Catwoman et s'affaire principalement à tirer les rideaux en courant.

En dehors des déclamations les personnages dansent des farandoles, ou font des galipettes, ou des bonds. Cela pourrait paraître étrange, mais est bien adapté à l'expression du plaisir de groupe.

Les acteurs sont impressionnants de précision dans les gestes, ils évoluent parfaitement ensemble quand il le faut, parfois statiques, parfois feux follets ; leur diction est claire - quoiqu'un peu rapide à mon goût.

Parfois ils sont placés de manière à mimer l'acte charnel, mais avec des décalages : Madame de Saint-Ange en déshabillé est allongée sur le dos tandis que Dolmancé nu du bas se tient au dessus d'elle de telle sorte qu'elle "parle à son cul", tandis que les phrases qu'ils prononcent décrivent une autre sorte d'accouplement.

Parfois, au lieu d'être disposés tous ensemble en un tableau, ils défilent rapidement l'un après l'autre en jetant à chaque passage les quelques lignes qu'ils s'échangent.

Pas mal d'humour, mais aussi, parfois, de la gravité, comme lorsque sont lus des extraits de la brochure "Français encore un effort si vous voulez être républicains" par dessus une bande-son à fort volume faisant entendre l'enregistrement sourd d'un brasier mêlé de clameurs de foule. Ce son de brasier, joué en boucle, pourrait aussi être celui qu'émettrait une lourde roue.

A mon avis l'esprit de Sade y est.

troglodyte a écrit:

Parfois ils sont placés de manière à mimer l'acte charnel, mais avec des décalages : Madame de Saint-Ange en déshabillé est allongée sur le dos tandis que Dolmancé nu du bas se tient au dessus d'elle de telle sorte qu'elle "parle à son cul", tandis que les phrases qu'ils prononcent décrivent une autre sorte d'accouplement.

Voilà qui répond de manière ingenieuse à ce qu'on pensait être une difficulté du spectacle.

A ton avis quel dialogue exprime le mieux la pensée de Sade dans la philosophie dans le boudoir ?

troglo a écrit:

Une femme chatte toute de noir vêtue, masquée, laconique, blonde, fait penser à Catwoman et s'affaire principalement à tirer les rideaux en courant.

Je crois qu'on la voyait sur le lien que tu avais donné, présentant le spectacle. Il ne passe pas à Bruxelles, sinon j'aurais bien été le voir.

Seuguh a écrit:

ne passe pas à Bruxelles, sinon j'aurais bien été le [ou la] voir.

tu peux rêver...

troglodyte a écrit:

Christine Letailleur, pour faire tenir La philosophie dans le boudoir, de Sade, dans deux heures, a du couper pas mal de texte, mais ce qui en reste est assez savoureux.
[...]
A mon avis l'esprit de Sade y est.

C'est ce que l'on m'a appris, couper du texte pourquoi pas même si certains n'apprécient pas, mais le parti pris de ne pas faire des spectacles trop longs*, il vaut mieux sortir léger que totalement repu.
Ce n'est pas un manque de respect pour un auteur mais une mise en valeur et en scène de l'esprit d'un texte et/ou d'un auteur...
Exercice passionnant ...


* parfois quelques spectacles méritent la longueur, à mon avis cela devrait rester des exceptions

troglodyte a écrit:

Ce son de brasier, joué en boucle, pourrait aussi être celui qu'émettrait une lourde roue.

Cela m'évoque l'enfer ...

Heureux qui a pu voir ce spectacle ... raconte encore

Pour Seuguh voici une photo de la femme-chat, enfin Troglodyte confirmera...

Troglo tu en parles très bien
et l'important est que tu puisses nous dire que l'esprit de Sade n'a pas été trahi c'est ce que j'en ai compris
bravo aux artistes!

La "metteuse" en scène a quand même mis son... grain de sel, en ajoutant quelques petites phrases, et deux amusants personnages qui, en tirant un rideau d'un air assez benêt, poussent des "ho" et des "oh" et des "roh" indiquant à la fois qu'ils sont choqués par ce qui vient d'être dit par les fêtards lubriques, et qu'ils souhaitent en entendre davantage.

Je me dois de vous rapporter la vision enchanteresse que j'ai eue avant le spectacle, pendant que nous étions dans la file d'attente. Là se tenait une assez grande jeune femme plutôt chic. Ses beaux cheveux d'or étaient retenus en arrière et en haut de sa tête, qu'elle portait noblement, par un large papillon mauve assorti à ses boucles d'oreilles. Vêtue d'un très sage manteau gris, elle n'en était pas moins là, parmi cette foule, attendant de voir jouer une pièce sulfureuse. Peut-être a-t-elle à peine vingt ans !

Me vint alors la vision de cette beauté froide et classique sagement assise devant le piano familial dans un grand salon carrelé, faiblement éclairée par la sourde lumière de l'après-midi pluvieuse, interprétant subtilement Ah vous dirais-je maman, que l'on put entendre pendant la pièce, tout en se délectant à l'idée que, le soir venu, elle irait, à l'insu de sa maman, belle et stricte grisonnante, humer à pleins poumons les effluves des obscénités fleuries du marquis écrivain. Qu'il aurait aimé la flageller, cette Eugénie apparement ingénue !

Sade tant d'années après sa mort te fait encore fantasmer sur ses fantasmes ! c'est du grand art !