Le salon des Verdurin.

Les Verdurin tiennent encore salon...Dans leur salon virtuel, ils écoutent en se pâmant la sonate de Vinteuil et les vertugadins des femmes sont couleur puce parce que ça prend moins la poussière. La mâchoire de Madame Verdurin l'empêche toujours de vraiment sourire, et de son oeil de poule elle surveille des poussins picorant sagement le grain versé dans une ornière bien tracée et ne buvant que les paroles de la maîtresse de céans. Madame Verdurin est persuadée que son salon est le plus prestigieux, celui qui donne le ton, le bon ton. Ses goûts sont exquis, les rimeurs qu'elle invite la font frissonner d'aise, convaincue qu'elle est d'inhaler en les écoutant des effluves littéraires qui imprègnent tout son être d’une essence immortelle. (Le lecteur ébahi peut comprendre « essence » comme « senteur » - voir « essence de pin »- ou s’il est un tant soit peu porté vers la philosophie, comme « ipséité » ) Ses invités sont triés sur le moucharabieh (ça fait mieux que volet, non ?) et les impudents qui osent proclamer leurs attirance pour des auteurs de dernière zone comme Lavis ou Museau sont boutés hors de son logis sans tergiversation.
Mais Madame Verdurin a un problème car elle a une rivale dont le salon est plus ancien que le sien, dont le cuisinier concocte des petits fours supérieurs à ses brioches et chez qui, comble d’horreur, Vinteuil a accepté d’aller jouer sa sonate ! Elle a beau se répandre en imprécations contre cette rivale, elle supporte mal de ne pas savoir de quoi l’on discourt lors de ses soirées. Alors elle y envoie des espions, des visiteurs anonymes noyés dans l’ombre protectrice de leur insignifiance, des ces gens qui tendent leur chapeau en bredouillant un nom que personne ne retient, mais qu’on laisse entrer, complaisamment ou par négligence.
Il lui ont rapporté qu’on avait dit du mal en ces lieux sataniques de quelques-uns de ses protégés, de ces auteurs dont elle susurre à l’oreille de qui veut entendre qu’ils sont absolument « géniaux », qu’ils sont l’âme même des lettres de l’époque, de ces auteurs qu’elle gave de brioches et qu’elle ébouillante de thé au jasmin ! Ciel ! Comment riposter à l’affront ? Madame Verdurin décide alors de se démultiplier (eh oui, c’est terrifiant, il y a désormais plusieurs Verdurin !) et de répondre en sa salle de réception richement lambrissée, appuyée, languissante, au piano, dans sa nouvelle robe puce, point par point, à ces attaques ignobles. Sublime – mais maladroite – contre-attaque ! Elle parsème son discours de mots de l’ennemie, ose de subtils sous-entendus, joue à celle qui improvise alors que la partition n’est qu’un contre-chant déguisé…
L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais Madame Verdurin n’a pas prêté grande attention à un visiteur qui a tendu timidement son chapeau, a bafouillé un nom que personne n’a retenu, a refusé la brioche, s’est noyé dans l’ombre –un coin du salon que n’atteignait pas la lueur des bougies, a écouté, puis est reparti en riant sous cape et a donné au cocher du fiacre l’adresse de… la rivale !

C'est une belle histoire, et je ne te savais pas, Maia, si experte en Verdurinerie. C'est un aspect de Proust satirique que je t'ignorais. On n'en finit pas de faire des découvertes en chemin.

Proust est beaucoup trop grand pour que j'ose le pastiche ! Mais je suis convaincue que les personnages des Verdurin peuvent-être utilisés sans vergogne pour s'amuser un peu

C'est bien ça, non, le propre des vrais grands ? Créer des personnages qui prennent force de mythes...
Ça m'étonnerait que certaine concierge ait cette capacité

Moi, ça m'a bien fait rire en tout cas, j'exige une suite... salée