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 Terre promise

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Pascal.Dufrénoy
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Pascal.Dufrénoy
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MessageSujet: Le chant du Neker 4   Terre promise - Page 2 EmptyMar 27 Juin 2006, 09:35

Le chant du Neker (4).



Résumé des épisodes précédents : Le Bourgmestre Uyttebroek a été assassiné dans la tour Ouest. Pour la première fois, les protagonistes de cette sombre affaire ont été confrontés à « quelque chose »…. Malheureusement, la cause de tous leurs malheurs a disparu dans la nuit…
Suite à ces péripéties, vous pourriez me demander : « Pour quelles raisons vous entêtez-vous à demeurer dans cette funeste cité si terriblement persécutée ? »
Beaucoup d’autochtones sont dans l’expectative. On ne compte plus les départs et les déménagements. C’est à peine si l’on se parle encore. Riante, autrefois, la petite ville est abattue. Les habitants fuient par familles entières, préférant ce sort navrant à celui qu’inflige le monstre chantant. Pflumm veut sa revanche. C’est lui, à présent, qui défie la créature hurlante.
Il est retourné à son silence hostile ; il nous a seulement conseillé de clore au crépuscule les portes de la cité. Dès la tombée du jour, nous investissons l’estaminet devenu pour l’occasion fortin et quartier général de nos maigres troupes. Nous n’en sortons qu’à de rares occasions. J’ai questionné Hubert- Félix au sujet de notre furieuse équipée et de son judicieux coup de fusil ; il ne parvient qu’à balbutier une explication obscure.
- Je ne sais trop, dit-il ; enfin, il me semble bien avoir vu une masse sombre, un masque… Ici il cessa perplexe… Je ne trouve pas de description valable pour définir ce que c’est, reprit-il. Mais indéniablement, c’est l’ombre gigantesque qui, le premier soir, était campée dans la rue près de la place du beffroi.
C’est tout le discours que je pus obtenir de lui. Mais mon air peu convaincu le troubla davantage…
Une soirée de la fin du mois de septembre, quelques rares et tardifs clients s’empressaient de regagner leurs pénates… Malgré les aléas du temps, il avait bien fallu procéder à la réouverture de l’établissement… Dans l’attente de quoi… Malheureusement, nul ne le savait… Comme le dernier consommateur franchissait le porche, Pieter remontant de la cave fit claquer la porte contre le chambranle et nous cria de venir en toute hâte.
Je sentis que l’odeur pestilentielle avait déjà envahi l’escalier et l’ample cellier.
- Ne perdons pas un instant, dis-je, descendons !
Pieter se mit à trembler et s’affaissa sur les marches ; il était d’une blancheur cadavérique. Du fond de la cave nul bruit ne se faisait entendre. J’attendis stoïquement l’attaque ou le chant de l’être maléfique : les relents putrides infestaient le sous-sol comme une empreinte odieuse… Une signature corrosive…
Pflumm nous tira par la manche et verrouilla la porte dans son dos.
- Que faites-vous ? Criai-je… Nous le tenons… Voyons !
- Le croyez-vous, véritablement, mon cher Haegeman… Ne le sous-estimez pas…
Son regard se fixa sur la cave barricadée, menaçante et ténébreuse. Le carillon du beffroi fit entendre sa mélodie déconcertante.
C’est ainsi que nous comprîmes que la créature possédait ses entrées partout dans la cité.
*

Par les sabots maudits de Belzébuth… Comment fait-elle ?
Il y a une présence dans les sous-sols, mais dotée d’une existence hostile et aliénée, qui tente de survivre. Pflumm le sait-il ? Il est plus sombre que jamais, mais, il écoute… L’oreille au plancher ou sur la porte de la cave, désormais condamnée… Au grand dam des anciens, les privant ainsi des précieuses liqueurs qu’elle renferme… Il semble plutôt attendre le moment de l’affrontement final, remettant sans cesse cette confrontation, comme saisi d’un scrupule inexplicable… Mon existence s’est transformée en une sorte de cauchemar éveillé. Pieter semble lui-même faire partie du peuple malfaisant des êtres de la nuit.
Pendant la journée, je le croise parfois au détour d’une ruelle ; il conserve sur lui en permanence un solide couteau de chasse… Autour du cou, un scapulaire du Mont des Cats, qu’il caresse de temps en temps en soupirant…
Un matin, lors d’une de ces entrevues, il me dit assez vivement que je ferais mieux de repartir pour Dunkerque, voir plus loin encore, et, comme je haussai les épaules, il me hurla d’une voix terrible, que j’étais la cause de tous les malheurs de cette pauvre cité…
Pieter aurait-il connaissance d’éléments qui échappent à mon entendement ?
Ce n’est plus le brave jeune homme qui se dévouait, il y a quelque mois à peine, pour le plus grand plaisir de la clientèle, mais un masque de rage où le regard fiévreux brille d’un éclat maladif… Il me considère parfois avec malveillance, voire une sorte de fureur contenue… Quel est son secret ?
Est-ce le besoin de savoir, un désir morbide d’en terminer ou la curiosité scientifique qui m’a poussé ?
Ah ! S’il existe un dieu de miséricorde sur cette planète… Qu’il ait pitié de nous… Et qu’il pardonne mon inconscience…
Je venais d’allumer les lampes derrière le comptoir lorsqu’un frottement étouffé se fit entendre derrière la porte barricadée…
Pfuiiiieee…… Pfuiiiieeeee…
Je ne songeais qu’à nos pauvres compagnons évanouis ou trépassés et scrutai les alentours. Il n’y avait personne dans la salle à demi éclairée, la porte luisait faiblement à côté de l’escalier… Le pauvre Pflumm rompu par la fatigue de nombreuses nuits de veille dormait à l’étage… Pieter, de plus en plus perturbé s’était réfugié chez le vicaire, jeune ecclésiastique terrifié par les événements…
Pfuiiiieee…… Pfuiiiieeeee…
Cela venait de la cave. Je m’approchai de la porte et posai l’oreille contre le bois poli par les années… N’y tenant plus, je donnai un tour à l’énorme clé et j’entrouvris l’huis… J’inspectai minutieusement le palier du haut/ Tout était habituel et paisible, le bruissement avait cessé. Je m’avançai de quelques mètres… Et, en un instant, je me sentis glacé jusqu’aux os. J’avais peine à respirer. Aussitôt, le chant lancinant se fit entendre tout à côté, obsédant, insoutenable :
- Uhuéééééé ! Uhééééééé ! Pfuieeeeeeeee … Et des glissements , des bruits de reptation s’amplifièrent dans le fond du sous-sol.
J’étais décidé à affronter ma panique et l’abomination qui se trouvait cachée dans la pénombre. Je perçus un léger clapotis comme un « ploc » de carpe, le matin à la surface d’un étang. L’être, la créature, semblait s’éloigner !
Pfuiiiieee…
Alors le chant se transforma en hurlements de douleur, des gémissements semblables aux lamentations humaines, la complainte des damnés… Et je fus troublé par ce tumulte… La grille qui donnait sur la douve, dans le fond du cellier fut secouée et grinça… Un bruit de siphon… Plus rien… Pfuieee… En s’amenuisant…… fuiee…
Des pas sonnèrent par-dessus la trappe ; lentement, je remontai l’escalier, l’instant n’était pas encore venu…
Pflumm était campé dans la salle éclairée, le fusil à la main ?
- Vous l’avez vu, dit-il ? Soucieux…
- Dans le reflet de la douve, et je remercie Dieu que ce ne fut qu’un bref instant…
J’avais maintenant une vague idée de l’adversaire qui nous tourmentait…



Le Neker et moi-même allons prendre quelques semaines de vacances, je ne sais pas si elles sont méritées, mais ma foi, elles sont les bienvenues….
Rassurez-vous ou au contraire…. Craignez son retour… Nous n’en avons pas terminé avec ce singulier personnage… En attendant à toutes et à tous, les chanceux qui partiront, les moins chanceux qui vont rester ou travailler, je souhaite beaucoup de bonnes choses et également du repos si cela est possible….
A la rentrée pour (comme le dit la formule consacrée…) de nouvelles aventures
Amitiés
Pascal
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Pascal.Dufrénoy
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MessageSujet: le chant du Neker (5)   Terre promise - Page 2 EmptyDim 24 Sep 2006, 16:22

Le chant du Neker (5).

Résumé des épisodes précédents : Nos amis comprennent avec désarroi que la créature chantante à ses entrées partout dans la cité, une fois encore le rendez-vous démoniaque a avorté… Mais la nature de la créature ne semble pas inconnue à l’un des protagonistes de cette histoire sinistre…
Je me suis procuré un microscope, des réactifs chimiques, des pinces et des boîtes à échantillons. Rien n’a bougé. Lorsque je suis redescendu, l’humidité s’était évaporée jusqu’à la dernière trace, mais l’air ambiant était saturé par des remugles fétides. Puis une atmosphère de malaise m’entoura imperceptiblement déposant une humeur poisseuse sur mon visage…
Je suis revenu, amenant toujours mon attirail scientifique. Le chuintement pervers s’était maintenant tu, mais l’éclat jaune de la lampe était plus inquiétant, plus glauque eût-on dit.
Pflumm m’observe, semble-t-il, fiévreusement, il arpente le quartier de la tour à l’estaminet…
J’ai entrepris une tactique plus élaborée pour mon enquête infructueuse. Je laisse des signes ostentatoires de mon passage dans la cave. Comme cela semble curieux de semer des indices qui risquent de provoquer une nouvelle rencontre, entrevue que je redoute au plus haut point.
J’ai l’impression bizarre que la créature m’épie. Elle m’attend au détour d’une douve ou d’un fossé, souvent, une terreur panique s’empare de moi…
Un halo blafard de jour moribond pénétrait par le soupirail. Je vis Pieter descendre l’escalier glissant, en cette fin d’après-midi. Il se mouvait à pas comptés, cachant de manière imparfaite le tremblement de ses membres. Alors je sentis que la créature, tapie dans l’ombre embuée était inquiète ; la lumière sembla se rétracter autour de nous, vacillante, maladive, et j’entendis ce pitoyable :
- Pfuiiiieee…… Pfuiiiieeeee…
Le gémissement de Pieter se perdit dans les sonorités infâmes. Je fis un signe d’apaisement et gagnai le premier palier : une manière de retraite dérisoire que je crois pratiquement inutile, mais seule praticable.
L’angoisse s’était installée pour un moment sur nos vies, et j’en conçus une curieuse exaltation…
Le moment est arrivé…
La place du Beffroi où le cher et misérable Erwan a disparu résonne d’un vent sonore.
Sous la voûte agitée des nuages, le bourg semble figé. Seul, un mugissement rébarbatif de bête malade, d’immonde gargouille et de clapotis sordides répond à la plainte de la tempête.
La créature semble plus téméraire. Elle cherche le contact ; immédiatement, je la devine dans la cave ; c’est une chose difficilement descriptible, c’est une sensation d’immense dégoût qui m’entoure. Je m’efforce de lui faire face, et je la sens hésitante comme un courant d’air méphitique.
Je rassure d’un regard pas très convaincu Pieter lové dans un coin…
Vingt-trois heures dix : voilà que survint l’instant décisif...
Nous étions remontés dans la salle commune du Lion Rugissant, toutes les lampes en veilleuse, Pflumm barricadait les fenêtres. Instantanément, je perçus la présence répugnante. Je fis un signe affolé de la main et, me retournant, je rencontrai les yeux ardents de Pflumm dans le miroir derrière le bar.
- Maudite bête de Satan ! Hurla-t-il.
Et, brusquement, il boucla la porte de la cave. La créature était enfermée avec nous.
- Je ne veux pas ! Hurla Pieter.
Je l’avais vue monter dans l’ombre du corridor, ce monstre des enfers, alors que nous nous terrions ici. Elle traînait un peu la patte, conséquence de la blessure infligée par Maître Pflumm dans la tour. Finalement la bête (en était-ce une ?) était vulnérable…
Pflumm s’avança vers le fond de la pièce vers la présence sifflante et pestilentielle, il brandissait entre ses longues mains maigres une lourde hache de bûcheron…
- Approche donc, Saleté ! Tu vas mourir maintenant et je pense que mourir est, pour toi, une formalité, un retour vers ton foyer infernal. Va rejoindre ton maître cornu, erreur de la nature ! Maudite chose ! M’entends-tu ? Me comprends-tu ?
Il avait éructé cela en termes saccadés et enragés, vivement je levai plus haut ma lanterne et je vis dans le halo un masque grotesque et immonde…
Comment décrire ce faciès ? Un croisement ignoble entre le saurien écailleux et un regard de batracien ancestral, pourtant le visage, mais peut-on appeler cela un visage, gardait une ébauche de traits humains, l’esquisse maladroite d’un créateur dément…
Aussitôt la hache siffla dans l’air lourd…
- Pfuiiiieee…… Pfuiiiieeeee… siffla la gargouille repoussante.
Et tout à coup, laborieusement, mais avec une intonation misérable, Le monstre balbutia d’une voix grasse et tourmentée : Professsssssseuuuur Haegue… Hag…Haegeman Pfuiiiieee......
Je me précipitai vers la porte barricadée secouant frénétiquement le chambranle…
- Pflumm, pour l’amour du ciel, laissez-moi sortir, s’il vous plaît !
-Etes-vous fou, Haegueman ? Restez, voyons ! Nous la tenons enfin…
Pieter sanglotait terriblement à mes côtés, suppliant Hubert Félix Pflumm à son tour… De nouveau, le fer de la hache se leva… Je fermais les yeux de manière enfantine comme pour échapper à ce cauchemar sans fin… Malgré moi, je vis le visage de Pflumm pâlir et la hache lui échapper des mains.
La porte de la cave contre toute attente venait de s’ouvrir en grand, frappant le mur violemment et je devinai plus que je ne vis une main décharnée sortant d’une manche de bure faire un geste impératif vers le monstre plaintif… Une voix étrange susurra un ordre dans une langue incompréhensible et un reflet bleuâtre forma une aura autour de l’apparition…
- Elle se sauve, vite, elle va nous échapper une fois de plus…
La créature comme galvanisée par je ne sais quelle force démoniaque se rua dans l’embrasure béante et obscure, ainsi, à cette minute où tout allait basculer dans l’horreur, la porte claqua sur le monstre dans un bruit sourd et définitif, la lueur sous le seuil s’étiolant déjà… Un coassement lointain :
- Hag…Haegeman Pfuiiiieee.....
Une lassitude sans bornes s’empara de moi. Autant que mes forces me le permirent je me remis debout et m’avançai dans la pièce dévastée. Je vis Pieter, prostré, les yeux dans le vide, et je compris que son esprit, à lui aussi s’était réfugié dans un endroit inaccessible aux horreurs de ce monde. Pflumm était inconscient mais semblait encore en vie.

*

Je termine cette chronique, installé au petit bureau de ma chambre. Qu’ai-je vu ? Qu’allons-nous donc devenir ? Pflumm malgré une forte commotion va mieux et Pieter se remet doucement, mais il n’a plus prononcé un mot depuis cette nuit… Qu’est-ce donc ? Que peut-être cette créature qui ne semble pas seule et être sous contrôle… La nuit dernière, alors que je profitais des dernières lueurs du jour à la fenêtre, j’ai de nouveau entendu prononcer mon nom près de la tour… Elle va revenir… J’attends…


Ici s’achève brusquement, il manque quelques feuillets… Le premier chant de ce manuscrit ténébreux…
À suivre …/…
Le chant du Neker 6 – La semaine prochaine….
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Pascal.Dufrénoy
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MessageSujet: Chroniques du Houtland - 27 septembre 2006   Terre promise - Page 2 EmptyMer 27 Sep 2006, 13:41

CHRONIQUES DU HOUTLAND.



27 septembre 2006.

« J'ai rêvé d'un monde de soleil dans la fraternité de mes frères aux yeux bleus ».
Léopold Sédar Senghor

Il s’appelait Momo Bangoura… Vingt-deux années auparavant, il était né à Ngor un village lébou situé au Nord de la presqu'île du Cap Vert. Le soleil était brûlant en ce mois de juin 1940, mais le ciel bleu n’éclairait pas les ruelles de Dakar… Non… Momo était à Haubourdin, dans le nord de la France…
Je suis assez vieux pour que mes parents et mes grands-parents me content ces histoires, et oui, c’était de l’histoire même si à cette époque, beaucoup de gens pensaient que l’histoire s’arrêterait là… Nos anciens ne bénéficiaient pas encore des bons soins du psy de service préposé aux syndromes post-traumatiques… Il fallait faire avec… Je me souviens encore de ces paroles lourdes, de ces souvenirs terribles, les morts qui s’entassaient de part et d’autre de la « grand-route », les chevaux affolés et assoiffés se coinçant dans l’étroit couloir des maisons à la recherche de l’eau, ce n’est pas très large chez nous, il faut se serrer pour faire de la place… Bêtes et hommes mêlés dans la mort. Des cadavres en chéchia rouge flottant à la surface de la Deûle, du château de Beaupré dévasté et de ce jeune officier encerclé dans la villa St-Gérard se faisant sauter la cervelle après une dernière lettre à ses parents… Juin 1940, le brasier et la débâcle… Ils nous en contaient de drôles d’histoires les parents et pourtant…
Oui, il s’appelait Momo Bangoura, il était juché sur le plancher d’un grenier, en haut d’une maison à l’entrée du village d’Emmerin… Tenant en enfilade la départementale, attendant, les barbares… Je ne dis pas les Allemands comme nos anciens, parce que nous savons maintenant que le fanatisme et la cruauté n’ont pas de patrie, l’intolérance pas de racines, ni de drapeaux, non… La haine s’enfonce en nous comme une lame glacée, c’est tout… Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Écrit Léopold Sédar Senghor… Avons-nous seulement appris cela ? L’avons-nous enfin compris ?
Alors, il a suffi d’un film, pour qu’un gouvernement, peu importe sa tendance, (ne sont-ils pas tous les mêmes, nos politiciens étriqués et amnésiques ?) Se souvienne brusquement de ces anciens combattants là ? Si au moins le cinéma possède ces vertus, alors, vive le cinéma…
Momo Bangoura ne brûlait pas des voitures dans une quelconque banlieue oubliée des nantis… Il brûlait des blindés ou d’autres pauvres bougres comme lui, de ces hommes pantins à qui l’on ne demande rien d’autre que de servir de chair à canon… Momo Bangoura ne hurlait pas avec les loups, lui … Il avait peur… vraiment peur… Pas de cette peur infondée et distillée dans nos esprits malades et sur laquelle de véreux technocrates s’appuient pour pouvoir manipuler les foules… Il se foutait royalement de reconnaissance… L’état français lui avait demandé de venir, et il était venu… Oui, Momo Bangoura et tous ses camarades ont bien le droit de se réclamer de ce vieux pays et nous avons le devoir de leur rendre le respect qui leur est dû…
Momo Bangoura ne se réjouira pas de l’augmentation dérisoire d’une pension ridicule pour le prix du sang… Non, il dort, dans ma terre de Flandre, il repose aux côtés de mes grands oncles, Yvon et Jean, de vrais gars « dech’Nord » eux, morts en déportation… Yvon, Jean, Momo ne sont plus ni blancs, ni noirs… De même que Brahim le tirailleur algérien ou Nguyeng l’Annamite ne sont plus des « étrangers » ils font partie de la même famille depuis longtemps… Celle de l’immense cohorte des sacrifiés pour la plénitude et l’épaississement des nantis… Je me console en me disant que je les respecte, parce que si leur sacrifice (a) permit aux générations suivantes d’avoir la liberté de se plaindre, c’est peut-être déjà beaucoup…
Si je vous parle de Momo, c’est parce que j’ai travaillé au quotidien avec son fils Ismaël Bangoura, dont j’ai le privilège d’être l’ami… Quand je lui parle, je ne vois que des rires et de la sympathie, nous parlons de nos anciens, vous savez, les anciens combattants… Leur couleur fut d’abord celle de la crasse, de la peur, celle de la sueur et du sang, le reste…
Je n’irai peut-être pas voir le film, l’actualité récupère tout et le marketing déforme les vrais propos… Non, un matin, j’irai déposer sur une tombe anonyme, un bouquet de fleurs… Ni bleues, ni blanches, ni rouges… Roses comme l’amour et la vie…
Ils s’appelaient, Momo, Rachid, Nguyeng, Yvon, Jean, Otto, John, Samuel, Takeshi… Ils ont eu peur en Normandie, à Berlin, à Dachau, à Sarajevo… Ils continuent de tomber en Irak, En Afrique, En Amérique du Sud…
Ce sont des hommes, des êtres humains, ils veulent vivre, tout simplement…
« Tous les hommes ont les mêmes droits... Mais du commun lot, il en est qui ont plus de pouvoirs que d'autres. Là est l'inégalité »
Aimé Césaire
« Mimoun il a bientôt 40 ans
Mais il est toujours chez sa mère
C'est parce qu'elle est un peu malade
Depuis qu'elle a perdu son père
Et comme c'était lui le plus grand des fils
Il est parti bosser
À l'école, il s'débrouillait bien
L'aurait bien voulu continuer
Comme si la vie s'était posée sur lui
En lui disant "toi tu bouges pas
Les trucs jolis c'est pas pour toi »
Mickey 3 D – Mimoun Fils de Harki
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MessageSujet: Chroniques du Houtland - 04 octobre 2006   Terre promise - Page 2 EmptyMer 04 Oct 2006, 11:59

Chroniques du Houtland.


Le 4 octobre 2006.
Si tu as de la peine… Ecris…



« La vie en elle-même est une toile vide, elle devient ce que vous peignez dessus. Vous pouvez peindre la misère, vous pouvez peindre la folie, cette liberté est votre splendeur. » Osho Rajneesh
Je parcours en sourdine ma cité bouillonnante ;
Pourquoi participer à l’infinie parade
Du quotidien spectacle ?
Dans les marges douillettes des rives du canal
J’imprime les traces infimes de mes pas retenus …
En automne, les berges libérées ont des allures d’errance…
Dans le lointain brumeux, les rumeurs vrombissent…
Mes complices captifs ont égarés les clefs…
Longs vers d’acier puants rampent sur le goudron
Avaleurs d’existence… Bouffeurs de liberté…
Vous transformez le ciel, les visages…
Masques de cire, autrefois humains…
Parqués dans les musées blindés des villes titanesques,
Les catacombes de nos désirs…
Mes complices captifs…
Eteignez l’écran pâle, brisez les néons glauques,
Toxiques…
Parcourez en sourdine vos cités bouillonnantes…

Le mois d’août 2006, quelque part en ville, le 23…
Nos vies sont des périples, des voyages sinueux ou linéaires, tortueux ou paisibles, le plus souvent rectilignes et mornes, comme les rails du chemin de fer, longues parallèles qui me fascinaient lorsque j’étais enfant… Les vies sont des dédales et des accumulations de petits riens et la mienne ne fait pas exception… Je vais avoir quarante-sept ans cet automne, le 12 novembre pour être plus précis… Et je suis mort… Enfin, professionnellement, cela s’entend ainsi… Jadis, une chanson de Félix Leclerc affirmait que la meilleure façon de tuer un homme, c’est de le payer à ne rien faire… C’est un usage fréquemment employé dans nos sociétés démocratiques, débonnaires et prodigues… En fait, professionnellement… Je me suis déjà fait tuer plusieurs fois dans le grand jeu de rôles de la société économique occidentale, la première fois, c’était il y a une quinzaine d’années… Longue détention au placard à balais pour cause de mauvais esprit… Enfermées dans un réduit, les grandes g….s sont étouffées et leurs grognements se font ignorer… Il faut ménager la machine et préserver les futurs arrivants… Les illusions s’entretiennent dans le marché aux esclaves…
Je suis comme ces vieux schooners… Peintures défraîchies, démâtés plusieurs fois, mais je flotte encore, et même que j’aime ça… Flotter… Comme beaucoup de mes petites et de mes petits camarades, j’ai maintenant des nuits en pointillés, et cette nuit, je repensais aux photos des vacances de l’été moribond, à la fantaisie débridée de mes filles… C’est cela ma réponse… J’ai pris des coups de canon sous la ligne de flottaison, mais… J’ai aimé… J’aime… Et je suis certain que je suis aimé… Alors, pour une vieille coque, c’est un bilan plutôt sympathique.
J’arrive maintenant à un tournant, un de plus, et comme j’ai le gouvernail un peu raide (c’est pas le pot, ça, hein… Avec l’âge les raideurs se déplacent, je parle de l’esprit bien entendu… Non seulement il est raide mais il est mauvais…. AH ! L’esprit d’équipe… Une équipe, un esprit, disait notre Coluche… Encore un qui nous manque, tiens…) il faut que je négocie la vague, je n’ai plus beaucoup de temps pour manœuvrer efficacement… Mais je peux déclarer que dans mon introspection de quadragénaire bien mûr, j’ai parcouru pas mal de chemin quand même… Parce que même si je ne sais pas encore ce que je veux, je suis certain désormais de ce que je ne veux plus …
Je suis en état de sevrage, cette seconde partie de l’année et ce début d’année à venir. Je dois apprendre à me libérer de la pression sociale, revendiquer mon état de paresseux, de dilettante, de rêveur, d’être enfin le flâneur de ma propre vie… Apprendre enfin à démontrer qui je suis véritablement. Apprendre à cesser de vouloir changer le monde, qui est finalement très bien comme il est… Après tout qu’il se débrouille… Je l’avais prévenu, il n’écoute personne… Cultiver cette élégance du désespoir qui s’appelle l’humour, et surtout apprendre à rire de moi-même, la dérision au service de l’homme… Dieu est un petit malin, finalement, il a tout prévu, même d’accepter le fait de vieillir… Jean-Louis Trintignant dit que la vieillesse est un naufrage. La catastrophe est plus supportable quand on coule en riant… Je suis certain que le capitaine du Titanic n’a pas pensé à cela… Quelques contrepèteries à bord des chaloupes… Et il fait tout de suite moins froid… Non ?

A ceux qui penseraient que je trempe mon clavier (on ne peut plus dire tremper sa plume…) dans le fiel pour régler mes comptes… Qu’ils se rassurent… La rancœur comme l’amertume font partie des émotions et des choses épuisantes et empoisonnées de mon existence, et dans le cadre de mon « sevrage », elles n’entrent plus en ligne de compte… Non, j’écris, parce que finalement, je ne sais faire que cela, et que comme flotter… Ecrire… Est encore une chose que j’aime… Tant pis pour vous, après tout, vous n’êtes pas obligé de me lire…
Et puis… La quarantaine passée a ceci de reposant, c’est que même si l’on est tenté, on est plus forcé de prouver à tout le monde ce que l’on vaut, ce que l’on est capable de faire, non… On arrive à cette période de la vie assez fabuleuse où l’on peut commencer à faire les choses par plaisir et uniquement pour le plaisir… Ca aussi, ça fait partie du traitement… Apprendre une certaine forme d’égoïsme en donnant du temps au temps. J’avoue que sur ce coup là, évidemment, je suis devenu un privilégié, du temps, en magasin et prêt à l’emploi, je ne peux pas dire que j’en suis dépourvu, et j’ai même un peu peur qu’à terme, cela risque d’énerver mon entourage… Elle est quand même là, la formidable bêtise de notre époque, sous-payer des gens harassés de boulot mais maintenir en poste des gens qui n’ont plus rien à faire et leur fermer la gu… avec un traitement confortable… C’est plus un salaire, cela devient un hold-up mensuel…
Bon alors, par quoi, je commence… J’arrête de me plaindre (Humm… Difficile ça… Je vais essayer…), je continue à marcher dans la ville… Pour l’instant, à défaut d’autres lieux… La marche, c’est vraiment devenu un loisir de feignant… C’est qu’il faut en avoir du temps à tuer pour avoir l’indécence de se servir de ses pieds en pleine semaine… Et puis, j’essaye de « vanner » et de prendre les choses à la légère, c’est l’histoire d’un fou qui repeint son avenir…
D’habitude, ces chroniques ont un ton moins personnel, mais après tout, j’écris ce que je suis, je suis ce que j’écris. Ce n’est pas une chose très banale… Nous sommes toutes et tous humaines et humains (enfin presque...
J’en vois quelques uns près de la porte, là-bas… Je me demande…)
Efforçons-nous de ne pas l’oublier trop souvent…

« Quand vous parlez d’un chemin, où êtes-vous maintenant ? Et où voulez-vous aller ? »
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MessageSujet: Chroniques du Houtland - 11 octobre 2006   Terre promise - Page 2 EmptyMer 11 Oct 2006, 13:42

Chroniques du Houtland.




11 octobre 2006.

« C’est la moitié de l’amour, cette moitié qu’est l’amitié ».
Il ne fait pas très beau en ce jour de l’année 2003, les gens pressent le pas dans les rues de Morsains, petit village d’une centaine d’habitants…
Au centre de la Champagne entre Montmirail et Epernay…On se dépêche, mais pas au point de ne pas saluer au passage Monsieur Jean… Jean Gouyé qui va chercher son pain comme tout un chacun, c’est un homme discret, affable, respectueux… Pourtant Monsieur Jean est au bout de la route, mais, il ne le sait pas encore…
Jean Gouyé, on le connaît toutes et tous, tout au moins pour les moins jeunes d’entre nous… On l’a tous écouté à la radio, ce trublion qui déclarait « Quand j’entends le mot culture, j’ouvre mon transistor… » C’était dans le style du personnage, même si ce n’était pas vrai… Jean Yanne, puisque c’est de lui dont il s’agit, aimait à brouiller les cartes, se plaisant à jouer ce que Cabu nommait « un Beauf ». Esprit caustique et fin lettré, à l’instar d’un Michel Audiard, dont je reparlerai un jour… Il aimait donner le change à « la crème des intellectuels» bien pensants, « pseudo-élite » parisienne certaine de son bon goût et de la sûreté définitive de ses jugements… Iconoclaste et funambule de l’ambiguïté, il pastichait Courteline « passer pour un salaud aux yeux d’un imbécile est un plaisir de fin gourmet… »
À une époque où la langue de bois chère aux hommes de pouvoir est passée dans le langage courant sous le terme générique de « politiquement correct », parler de Jean Yanne relève de la gageure… Et pourtant… Certains me rétorqueront que ces chroniques sont souvent des avis nécrologiques… À ces fins critiques, je rétorquerai que certes, la plupart des empêcheurs de pensée en rond ont eu la mauvaise idée de trépasser, et de manière souvent brutale et anticipée… mais qu’il existe de part le vaste monde muet (pour l’instant…) d’autres esprits caustiques et sacrilèges… Mes propos ne relèvent nullement de la moindre nostalgie… Je fais simplement une constatation… L’esprit de Gavroche ou l’esprit libertaire, la gaudriole parfois scatologique ou choquante de feu (encore…) Hara Kiri (Si vous ne pouvez pas l’acheter, volez-le…) existe toujours, simplement, on l’a muselé… Il faudrait donner, si nous le pouvions encore … Un grand coup de pied dans le P.A.F. ce paysage audiovisuel français qui n’en finit pas de mourir sous les assauts d’une télé-réalité qui n’a de réelle que l’obscénité… Elle est là, la véritable provocation… la véritable pornographie… Avoir transformé l’espace de communication en paliers de concierge… Avoir fait croire au citoyen lambda que son histoire, le plus souvent affligeante, était d’un intérêt primordial… Vouloir rendre l’insignifiant remarquable et monter en épingle le non-événement… En voilà du cerveau disponible pour nos chères publicitaires… Un peu moins de réflexions pour un peu plus de « téléphones portables », pour parler à qui ? A personne… Parce que bientôt, à l’autre bout, il n’y aura plus personne, mutisme et autisme dus à une trop forte consommation d’excréments télévisuels…
Même si Jean Yanne agaçait, les hommes sont pétris de contradictions… C’est ainsi… On ne peut pas dire qu’il laissait indifférent… Même si ces productions cinématographiques ont vieilli, on ne peut s’empêcher de penser que le propos lui, est toujours d’actualité et même d’une dangereuse véracité, rien que les titres :
« Moi y’en a vouloir des sous…, Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil…., Chobizenesse… Etc, etc… ». Le grand manque de notre époque, c’est ce sens de la distance, et l’absence totale du sens de l’humour, la chose la plus saine du monde : se moquer de nous… Ne sommes-nous pas pitoyables ou risibles, avec nos convictions et nos chers politiques ? (C’est vrai qu’ils coûtent très chers…) Braves femmes et hommes (enfin pas tous… Attention…) qui nous rabattent les oreilles avec des théories éculées depuis des lustres… Le côté novateur, tiens… Ce serait le retour de l’humour, la distance… La saine comédie chère à Monsieur Jean Baptiste Poquelin….
Ancien journaliste au Dauphiné Libéré, Jean Yanne connaissait le prix de liberté de ton et celui de la haine… Quelques prélats enrubannés ont parfois grincé des dents… Longtemps considéré comme un simple amuseur, il fut parfois, à son insu, le précurseur de slogans historiques dont le fameux « Il est interdit d’interdire », prononcé par dérision lors d’une émission radiophonique, un dimanche de 1968, et repris ensuite au premier degré dans la rue… Lui qui déclarait volontiers « le mot liberté n’admet, par définition, aucune restriction » serait bien effaré de constater à quel point nos contemporains semblent se complaire à baisser la tête, accepter que l’on décide pour eux ce qui est bon ou mauvais afin de mieux diriger leurs existences… L’expression en tête de cette petite chronique est également de lui, elle rappelle qu’avant d’être un esprit caustique, anticonformiste et parodique, Jean Yanne était surtout un homme sensible et intelligent… Acteur honorable et chroniqueur acerbe, il est bon parfois de rappeler certains rôles qu’il a interprétés avec conviction et talent, même pour la télévision, en dernier, « Le Champ Dolent, Les Thibault… »
Alors que ses enfants naturels ou adoptés sortent de l’ombre où on les confine, afin que par l’ironie et l’humour acide, la vie retrouve ce dont elle manque le plus en ce début de XXIe siècle : un peu de saveur…

« L’intelligence à l’état pur est une révolte permanente »
Jean Yanne
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyMer 11 Oct 2006, 13:57

Bel hommage, bien envoyé, et qui montre à quel point, officiellement dans ses "hautes sphères" et ses vitrines, le pays s'ennuie et somnole...
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https://grain-de-sel.1fr1.net/forum.htm
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyMer 11 Oct 2006, 14:09

Faut remplacer l'Prozac par du Beaujolais...
Bon j'm'en va allumer ma pipe moi...
C'est marrant fumer du cavendish dans ma bouffarde c'est devenir un résistant...
C'est dingue... On dirait du Piéplu...
Allez Salut
et à bientôt pour un p'tit grain de sel....

Pascal
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyMer 11 Oct 2006, 14:56

J'espère à bientôt, pour lire un autre p'tit grain de sel de ton cru, celui-ci m'a fort mise en joie... en peine aussi !
Sympa ceux qui savent écrire ce que beaucoup pensent et tout ça avec habileté.

Diable se moquer de soi-même, c'est le plus grand art mais il fait peur ... Terre promise - Page 2 Chepa2eb1
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MessageSujet: L'oiseau s'est envolé...   Terre promise - Page 2 EmptySam 14 Oct 2006, 15:48

L’oiseau s’est envolé.



« C’est bon, dit Isaac Provencher en écrasant sa cigarette, c’est bien ce que je pensais : A droite au carrefour, direct sur Central Avenue et après Watts, il va stopper… Il est descendu au Dunbar !
- À droite au carrefour, direct sur le quartier noir de Watts reprit Otis en le singeant… Direct sur les embrouilles… Ouais… Il y a bien des endroits, mon pote, où l’on aimerait traîner ! Los Angeles est une ville plaisante, mais la 42ème rue à cette heure, faudrait éviter… Tu n’es jamais venu te perdre par ici, n’est-ce pas Pratte ?
- Jamais ! Dit le gros Pratte (l’équipier de Provencher). Depuis cinq ans Isaac vadrouille avec moi et nous n’avons jamais fait voile jusqu’ici. Arrête de nous chambrer et surveille, camarade! »
Isaac Provencher haussa les épaules et ralluma une Lucky Strike. Comme ils abordaient la 42ème, il dit à Otis qui, le premier, s’apprêtait à sortir.
« Fais gaffe, Derek ! C’est un bon gars, mais quand même…
- C’est tout bon ! Rigola Otis le Fureteur, tu peux toujours… Nom d’un chien ! Le voilà… Sur le trottoir d’en face… J’ai failli le manquer !
- Qu’est-ce qu’il fabrique ? demanda Pratte. Il attend quelqu’un, non ?
Les trois hommes épièrent en silence dans la chaleur moite de la camionnette Studebacker 1937 démodée à la couleur défraîchie ; là commençait Watts le cœur noir de L.A.
- Hôtel Dunbar, un temple, n’est-ce pas ? Interrogea Pratte en hochant la tête. Eh bien, ce sacré club n’a pas volé sa réputation ! Va donc entrer là-dedans : on n’y est pas les bienvenus…
- Qu’est-ce qu’on cherche au juste ? Demanda Derek Otis.
- Des renseignements, ses fournisseurs, ses contacts… Lui, on s’en fout, de toute façon, il est foutu…
- Tu crois que c’est le genre à balancer… Tu rêves Isaac !
- Il n’a plus le choix, s’il veut continuer à jouer… Il faut qu’il s’allonge… Rétorqua Provencher : prends la ruelle derrière et gare toi dans le fond, près de la lampe. Là… la petite porte qui donne sur les loges…
- Isaac, dit doucement Stan Pratte, on pourrait peut-être lui foutre la paix, tu ne crois pas ? C’est pousser un peu loin l’investigation…
- Sacré Stan, toujours ton esprit de midinette… Je ne te savais pas si féru de cette musique… Tu t’es trompé de couleur, mon frère…
- Pas de violences, pas de coups… C’est un mec connu, compris, même s’il n’est pas de la bonne teinte… Nous n’avons pas toute la nuit, et il repart demain par avion…
- Comme si j’avais l’habitude de cogner à tout va… Commença Otis, qui était très nerveux et serrait déjà les poings …
- Du sang-froid ! Du sang-froid !... Bon ! Après le concert, il va aller descendre des godets au bar, l’Alabama est un club aussi renommé pour sa musique que pour la qualité de son bourbon… Il doit parler à son vieux pote Dizzy Gillepsie… On le cueille à la sortie…
Mais notre spécialiste maison doit savoir tout cela, pas vrai Stan ? Ajouta-t-il en poussant du coude le gros Pratte qui se renfrogna de plus belle.
Isaac douta un instant, on l’entendit sifflotait « Embraceable you »
« Hé hé ! Je fais des émules. On a des remords, mon frère ? Fit le gros Stan d’une voix railleuse.
- Et bien, au moins, tu auras entendu çà… Isaac le juif de Westwood qui s’encanaille dans le Watts ! fit Provencher goguenard, comme s’il décidait qu’il était temps d’agir…
- Bon, il est comment ton client ?
- Il a l’air fatigué, si fatigué, ce mec, t’as l’impression que toutes les galères du monde lui ont servie de paquebots… Il est assis dans un coin de la scène, il n’est pas là physiquement… Ce type est un cas… Oui, un cas…
Quand ils poussèrent les portes de l’Alabama, ils ne surent pas d’abord ce qui les impressionnait le plus de la pénombre pourpre, de la foule ou de la musique ; mais quand
Madame Ella Fitzgerald s’approcha, ils comprirent que c’était un autre monde.
Ils commandèrent un bourbon à l’eau et burent lentement à la santé de la police de L.A. et à la jubilation perverse d’être honorable. L’orchestre attaqua « Scrapple From The Apple » ; Stan Pratte devint livide.
« -Qu’est-ce qui t’arrive, mon gars ?
- Eh ! Murmura-t-il, cet orchestre…
- Tu picoles trop, Stan, ce n’est pas bon pour toi, tu vas finir par ressembler à ces mecs…
Otis lui versa un second bourbon. A ce moment, Ella prit place à côté d’eux, juchée sur un haut tabouret, elle but d’un trait le verre de Stan, et dit en souriant :
« - Alors, mes petits poulets, on s’encanaille dans la 42ème ?
- Bonsoir, Madame Fitzgerald » fit Crappe en se levant.
Mais Isaac s’était déjà interposé…
« Oh ! Stan, t’es pas là pour faire des mondanités, d’accord ! Pas avec elle…
- Ecoute, Isaac, tu ne devrais pas, je pense…
- Tu la fermes, le copain des nègres, c’est compris, éructa Otis
- Tu n’es pas galant, l’ami… Tu devrais être plus poli avec les dames, mon garçon… À moins que tu n’aimes pas les ladys… La police de L.A. évolue à ce que je vois …
Dans le fond de la salle, le quintet jouait « Crazeology » dans une version un peu édulcorée…
- Arrivez ! Vous autres !
Isaac venait de comprendre… Un peu trop tard… Se ruant dans la petite rue derrière, ils assistèrent impuissants au démarrage d’un taxi grondant… Bizarre carrosse citron d’une soirée singulière… Bientôt les feux rouges s’estompèrent dans le velours de la pénombre, un point d’orgue… Une résonance légère et redoutable, une fugue jazzy pour un oiseau libre et sans cage…
Dans la Chevy poisseuse… Charlie s’adossa confortablement, il avait mal au dos, depuis quelques semaines, il avait mal partout... D’ailleurs… Il était si fatigué, tellement fatigué… Il allait rentrer demain… Il irait chez sa vieille amie… Celle de toujours… Il avait envie de repos, regarder la télévision, simplement dans l’instant, sans plus penser à demain…
Sur un trottoir de Bunker Hill, une mamma sans âge était assise sur une très vieille chaise et dans la chaleur de la nuit, elle chantait cette étrange mélopée :
Sous l’écharpe bleue de la nuit
April in Paris
L’oiseau de feu s’est endormi
Sur Manhattan la brume danse
320 pulsations minutes…
À quoi penses-tu quand tu joues ?

Sous les néons Harlem ondule
La poudre blanche agresse le cuivre
Casse les accords du vieux guerrier
Cherokee…
Sous l’écharpe bleue de la nuit.
April in Paris
320 pulsations minutes…
Plus loin
Dans les brouillards, l’oiseau s’endort
Be-bop, be-bop…
Rayons cosmiques, astéroïdes…
Les grues de métal saluent ton envol
Oiseau de feu
As-tu trouvé le bon tempo ?
As-tu trouvé le vrai repos ?
Par vagues, le saxo s’évapore
Comme dans un rêve déjà fini…
Cherokee…
Il tombe une poudre blanche
Tu as gardé les clés du royaume
Envole-toi… Bird… Envole-toi…
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MessageSujet: Ronds d'eau bleue à la turque...   Terre promise - Page 2 EmptySam 14 Oct 2006, 15:49

Ronds d’eau bleue à la turque…


La huitième arche sur la place, face au marché de Galatasaray, supportait une enseigne : surchargée en forme de reliure. Eh ! Je vous prie de croire qu’il les surveillait, porte par porte, les échoppes de Cukurcuma ! Certains jours, sa patience s’étiolait comme celle d’un enfant capricieux. Il épiait, en transpirant, les ruelles sombres des bouquinistes : avait-il dix ou cent fois parcouru les alentours ? Sous l’œil indifférent des restaurateurs, dans l’odeur épicée et chaude des meyhanes, comme l’Imroz ou le Boncuk… Une multitude de fois agité la photographie froissée : « Pas vu ? Non… jamais vu… »
Enfin, Hülya arriva, très nerveuse elle aussi.
« Tu l’as vu ? »
L’étranger hocha la tête négativement et soupira très fort en signe d’abandon.
« Mais où se cache-t-il ? dit-elle excédée, gênée de se donner en spectacle.
-A l’abri ! Mais…
À nouveau, il soupira.
« Qu’y a-t-il ?
Plus de planque, ma belle ! Oh non plus jamais, par cette chaleur… Ce type est le diable… »
Puisqu’ils ne pourraient jamais localiser David Warren Brubeck précisément, il pensa qu’il fallait lui tendre un piège. Après tout, c’était un homme comme tant d’autres…

David Warren, lui, n’était pas un type ordinaire. On lui avait affirmé avec conviction que, lorsqu’il serait adulte, il serait un prédateur… Pourquoi pas ! Et que les endroits qu’il fréquenterait, les atmosphères, les climats… Longtemps après, en seraient définitivement transformées. Lui aussi, d’ailleurs ! Et ce serait bien probable qu’à, un moment ou un autre, il deviendrait l’objet de ressentiment voire d’animosité… Une existence insolite…
« Comment ? D’un de mes admirateurs ?
- Ce n’est pas impossible, oui, c’est tout à fait envisageable !
- Absurde.
- Tellement absurde que, par exemple… Au fait ! Te souviens-tu seulement de ce qui est arrivé à ton piano ?
- Oui, il a brûlé mystérieusement, l’été dernier…
- Bon. Mais ton accompagnateur…
- Lequel ? Desmond ou Morello ? Desmond est parti à Cincinnati. Morello s’est enfui l’année dernière, en prétendant ne plus pouvoir suivre et s’est réfugié je ne sais où… Wright a été pris pour un engagement avec Mulligan, il y aura six mois à Noël. »
David Warren possédait le don… Et c’était effrayant pour les autres…
« Hé ! Poursuivait Dave, vous ne me ferez pas avaler que vous tous, vous supposez de telles balivernes et que… Vous auriez peur ! »
En silence, son entourage s’éloignait, la mine soucieuse. En vérité Dave Brubeck était d’une autre planète…

L’étranger et la jeune fille discutèrent un moment entre le choix des quartiers Balat et Hasköy, Le pont à deux étages fonctionnait de façon maladroite et semblait devoir chuter dans les eaux agitées.
- Eh ! Tu as parcouru tout Galata, sans succès… Cesse de souffler comme une vieille forge… Regarde sur l’autre rive !
L’homme en nage, d’abord irrité, puis de plus en plus à l’affût, regardait cette foule bigarrée vaquer sans hâte excessive à ses occupations familières.
Et, tout d’un coup, ils le virent : L’homme portait des lunettes d’écaille et ils l’observèrent en retenant leur souffle – Sur la rive encombrée, sa silhouette se découpait par intermittence, ombres et lumières… Sur les eaux, les vapur, ces autobus de la mer, se croisaient sans relâche, le trafic était dense… Ils craignaient de le perdre à nouveau…
« Le voilà… »
Hülya pensa d’abord courir après cette ombre, lui dire qu’ils ne lui voulaient aucun mal : qu’ils voulaient simplement lui poser quelques questions, assis tous ensemble à une terrasse… Lui faire dire son « secret », comprendre, enfin cette particularité fascinante d’accélérer le temps…
Mais la foule était de plus en plus compacte. Et quant à faire entendre raison à cette silhouette fuyante. Il ne fallait même pas y songer… Peut-on ralentir le tempo ?
Hülya feignit donc le détachement. Elle observa, les yeux plissés d’attention, et écouta ce que lui dictaient sa conscience et sa longue habitude d’Istanbul.
« Ici, rien n’est comme à Paris, ici commence l’orient et ses paradoxes… » Pensa-t-elle. Après tout que l’étranger se débrouille, tout cela ne me regarde pas… »

Alors, la poursuite s’engagea interminablement : les poubelles de Galata, la banque Ottomane, le passage Salonique, Cihangir – c’était un monde neuf. On abordait une nouvelle fois les rives du Bosphore charriant des vagues lourdes et lentes… L’heure était entre chien et loup, en dégradés d’orange sur les berges désertées…
L’étranger courut beaucoup. Dans un bief enfin, il put rejoindre sa cible… L’écume aux lèvres… David Warren se retourna en souriant… Il semblait calme et étonnamment frais… Une badine à la main, il fouettait les roseaux environnants… Son poursuivant s’approcha, ouvrant déjà la bouche pour une question… Peine perdue… D’une poussée longue et appuyée, David Warren le projeta dans les eaux troubles du Bosphore et se mit à courir en éclatant de rire…

L’eau n’était pas froide, mais l’humiliation elle, était glacée… L’étranger but une gorgée d’eau saumâtre et s’étrangla un peu, parvenu à la surface, il sentit une main ferme l’aggriper par la manche…
Un petit homme trapu était sur la rive et le considérait d’un air narquois…
« Alors, l’ami, il est déjà tard pour un bain dans le Bosphore… »
Le ton était chantant, rocailleux, un accent du sud ouest de la France, incongru, sur les rives du fleuve Ottoman…
- Crois-moi, ami, jamais tu n’attraperas Brubeck… Il est insaisissable… Je l’ai déjà approché une fois, mais il est dans l’éternelle fuite, même mon copain Godard s’y est cassé les dents, naguère, oublie ton fantasme… Tu n’attraperas jamais Brubeck… Autant vouloir saisir d’une main les ronds dans l’eau que provoque une pierre… »

Cette semaine-là, en allant chercher son courrier à la boîte, Hülya trouva dans le tas de lettre, un petit mot griffonné à la hâte. Quelques notes bleues dessinées à l’encre pâle et en travers : Merci, Dave Brubeck…
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MessageSujet: Ce n'est pas le compte, Buzy...   Terre promise - Page 2 EmptySam 14 Oct 2006, 15:50

Ce n’est pas le compte Buzy…


Il y avait une place de parking Land Park Drive entre deux taxis, une seule place ; et à l’entrée du Parc Zoologique de Sacramento, il y avait un badaud, un seul flâneur.
Les rares promeneurs qui entraient dans le Zoo jetaient un regard sur le visage effrayé de l’homme noir, sur ses vêtements élimés, sur sa démarche incertaine et faisaient quelques remarques sans importance : « Drôle de bonhomme ! Ou « Que fait-il à attendre ainsi en plein soleil ? » ou bien… Mais cela n’avait véritablement aucune espèce d’importance. Ils ne savaient pas que sur le trottoir attendait un homme désespéré…
À quinze heures, l’école du dimanche se mit en rang, ondula tel le flot tumultueux du Pacifique et, pour une fois, ne resquilla pas pour pénétrer dans le parc.
Quand l’homme noir au bord du trottoir se décida, il ne fut pas étonné le moins du monde, des policiers s’agitaient dans une ruelle adjacente : lorsqu’il était arrivé, il était déjà l’objet d’une surveillance considérable, en sursis… Et c’était de découragement et de douleur qu’il s’était pétrifié.
Maintenant, il se sentit plus seul encore :
« J’aurais tant voulu revoir Nicole, une dernière fois, pensa-t-il. Mais à la place me voilà indic – Quel pauvre indic, d’ailleurs ! – J’ai toujours espéré que je pouvais changer… Il y a si longtemps… À la ferme près du canal de la Baie de Suisin, mes virées à Frisco… Marre de bosser à l’usine de lait… Et puis, mon job dans ce club de Kansas City, l’orchestre de Benny Moten… Ha ! Mon ventre… »
Il crut qu’en se mettant à marcher, les brûlures de la lame cesseraient : mais voilà qu’il ne pouvait plus avancer d’un pas : sa carcasse si souvent malmenée refusait d’obtempérer. Il considérait l’entrée du parc comme un monde étranger, une frontière… Il se mit à saigner, le Capitaine Crumbs allait devoir patienter…
Après un temps infini, il se retrouva non loin de l’enclos des rapaces… De lourds Urubus agitèrent les ailes. Comme il regardait approcher les policiers du 4ème District, il observa l’oiseau du centre qui semblait lui cligner de l’œil ironiquement. La tâche de sang s’élargissait toujours. « Je vais tirer ma révérence parmi les animaux, se dit-il. Prendre congé parmi les charognards. Mais ils ne profiteront pas de ma carcasse… C’est vrai que nous sommes dans un état civilisé… Il y avait presque de l’ironie dans ses propos… Il se retourna vers le café Kampala qui n’était pas très éloigné : il considéra les groupes de gosses débraillés et rieurs avec, les adultes affairés et soucieux… De temps à autre un animal faisait entendre un son guttural… je me demande bien ce que c’est, pensa-t-il… Je vais rester dans l’ignorance, je crois bien… C’est donc aujourd’hui que la route de Buzy l’embrouille se termine, moi le mec pressé, toujours en plein turbin… Pour une fois que je vais au Zoo…
Le capitaine Crumbs va en être pour ses frais… Il n’apprendra rien cette fois…
Il lui revint en mémoire, l’office du dimanche, la fraîcheur du temple et les fleurs pimpantes à l’entrée de la maison, ses sœurs et sa mère vêtues de couleurs tendres… Oui… C’était une belle époque… le pasteur aurait dit : Il vous sera beaucoup pardonné…
Mais je crois que l’addition est trop lourde pour cette fois…
Il s’affaissa le long de la barrière. Son ventre ne saignait plus, ses pensées devenaient légères… Il se mit à penser à l’enveloppe de papier kraft que tenait le capitaine Crumbs… La dernière fois, ils l’avaient arnaqué, pourtant les renseignements étaient de première… ce n’est pas le compte Cap’tain… Non ce n’est pas le compte Buzy…
Il ferma les yeux et, dans le plein soleil d’un dimanche après-midi, il décida qu’il était temps pour lui de s’éloigner de ce mauvais plan…

Les rares visiteurs qui, ce dimanche, contemplaient les Urubus, jetaient un regard sur le corps allongé de l’homme noir, sur ses vêtements élimés, sur sa démarche incertaine et faisaient quelques remarques sans importance : « Drôle de bonhomme ! Ou « Il doit être fin saoul ? » ou bien… mais cela n’avait véritablement aucune espèce d’importance. Ils ne savaient pas que dans cette allée, adossé à la barrière s’était endormi Buzy… Un homme pressé…
Dans les haut-parleurs du Kampala Center à la terrasse du café on jouait « Jumpin’ at the Woodside » comme l’hymne de départ d’un gars trop malchanceux…
L’oiseau resté au centre de l’enclos déploya ses ailes et tendit le cou…
Visiblement, il s’ennuyait… C’était un dimanche après-midi comme tant d’autres…
Vers la Baie de Suisin, le soleil incendiait l’horizon, une vieille dame était assise sous la véranda… Elle se demandait ce que devenait le petit Buzy… Ce gamin énervé qui courait toujours partout… Mamma Susan monta le volume de son vieil Excelsior 52 dans le vent du soir on entendait « One O’Clock Jump », Cet orchestre était vraiment bon pensa Mamma en chantonnant…
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyLun 30 Oct 2006, 19:21

J'aime cette lente dégringolade, et cette fin éblouissante.
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyLun 30 Oct 2006, 19:56

Tirant sur le western, plongeant dans le roman noir - émotion retenue et fausse indifférence, l'auteur nous met dans sa poche-revolver.
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyMer 01 Nov 2006, 19:19

damned.... Je suis fait...
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyMer 01 Nov 2006, 19:43

Pascal9 a écrit:
damned.... Je suis fait...
Comme un camembert !
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MessageSujet: La Brocante aux chimères - Gustave Le Rouge   Terre promise - Page 2 EmptyVen 16 Fév 2007, 14:39

La brocante aux chimères…
Gustave Le Rouge


Le 16 février 2007.
Qui n’a jamais cédé aux charmes des boîtes de bouquinistes ? Au cours d’une flânerie parmi les braderies de l’été, le long d’un quai… Ballades nostalgiques au creux des « cimetières de papier »… Mais le terme de nécropole n’est guère approprié, il me plaît de penser qu’il s’agit plutôt de mystérieux mausolées, mastabas énigmatiques où des milliers de pages dorment d’un œil, attentives à ce qu’on les remarque…
Ces excursions pour ceux qui comme nous nous mêlons d’écriture constituent également une belle leçon de modestie… Comme d’anciens navires qui bourlinguèrent sur tous les océans du monde voilà le dernier lieu où s’échouent nos idées, nos élucubrations et nos rêves… Le temps nivelle tout et surtout nos idéaux et nos rêves de reconnaissance, foin des lumières de la célébrité… La boîte des bouquinistes, le panthéon des rêveurs…
Mais le métier de bouquiniste mène à tout et, parfois singulièrement à celui d’écrire, qui connaît la fameuse série de Claude Izner sur les enquêtes de Victor Legris ne me contredira pas… Derrière ce nom d’auteur se cachent deux sœurs qui furent bouquinistes, comme quoi, l’influence de ses objets magiques que sont les livres perdure dans le temps…
Un arrêt… Un regard… Nous feuilletons l’ouvrage défraîchi, et déjà, le vieux livre est ouvert et recommence l’aventure oubliée, les personnages en léthargie dans nos mémoires affairées s’éveillent pour de nouvelles péripéties, expéditions jaunies à l’odeur indéfinissable… Celle des bibliothèques de communales… Le parfum des années écoulées…
Aussi ces chroniques intemporelles, c’est tellement beau et rare l’intemporalité…. Permettront de retrouver des auteurs connus ou inconnus des lecteurs et surtout des éditeurs, manipulateurs de médias avides de sensationnel, aussi vite monté en épingle que déjà oublié… Gustave Le Rouge ouvre ce bal des délires. Bienvenu à lui à la brocante aux chimères…
En ce début du 20è siècle, Le Rouge fut un polygraphe, auteurs de nombreux livres dans tous les genres, poésies, romans de cap et d’épée et surtout l’un de ces auteurs prolifiques de feuilletons pour les journaux parisiens, Ah ! L’âge d’or de la presse… Loin d’Internet, la joie simple de retrouver son feuilleton quotidien… Monté à Paris pour ses études, ce fils de la bourgeoisie fait tous les métiers pour se consacrer à sa passion : Ecrire…
Mais arrêtons là, sa biographie… Le trésor de papier découvert dans une obscure boutique se compose de deux tomes : Le prisonnier de la planète mars et la guerre des vampires… On ne peut résumer ce délire insensé qui laisse au rancard les plus inconcevables projets des Spielberg et autres Tim Burton, d’ailleurs Gustave Le Rouge adapté par Tim Burton, voilà qui serait intéressant… Il serait fastidieux d’énumérer l’œuvre de Le Rouge, créateur du mystérieux et diabolique Docteur Cornélius, l’inventeur de la « carnoplastie », précurseur des marchands de rêves que sont les chirurgiens esthétiques…. Depuis quatre-vingts ans, les admirateurs de G. Le Rouge tiennent Le prisonnier de la planète Mars (et sa suite, La guerre des Vampires) pour son chef-d’œuvre. C’est aussi certainement le plus bizarre de tous les romans inspirés par la planète rouge. Grâce à l’énergie psychique dégagée par plusieurs milliers de fakirs rassemblés dans un monastère de l’Inde, Robert Darvel est projeté sur Mars. Il y découvre une vérité interplanétaire : la race la plus civilisée est la plus cruelle. Sur cette planète hallucinée, où la vie est un cauchemar à peine interrompu par le jour, les humains servent de cheptel à leurs maîtres, les vampires. Lesquels rendent le même service aux plus raffinés et aristocratiques d’entre eux : des pieuvres volantes, géniales et invisibles. Mais les Invisibles eux-mêmes tremblent devant le mystère caché par la montagne de cristal…
Belle préfiguration de ce qu’est devenue notre civilisation, vous ne trouvez pas ?
À l’opposé d’un Jules Verne qui a pour seule ambition d’écrire le roman de la science – et parfois celui de la géographie – Tout comme Alexandre Dumas écrit celui de l’Histoire. Le but de Gustave Le Rouge est plus insondable et plus obscur… Il met à en jeu la mode de l’ésotérisme qu’adopte l’intelligentsia de la Belle époque… Ses délires firent de Gustave Le Rouge un auteur reconnu par les surréalistes entre les deux guerres… Il fut l’ami de Verlaine et de Blaise Cendrars qui en parle dans son ouvrage « L’Homme foudroyé » de manière littéraire, il est vrai…
À notre époque où l’on est effrayé pour la moindre fantaisie, peurs orchestrées par les différents pouvoirs en place ou passés… En ce début de 21ème siècle où le lissage permanent des émotions et des cultures est devenu un mot d’ordre devant l’absolutisme du « politiquement correct », je reste confondu devant l’extravagance et la fantaisie des auteurs « populaires » de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème, il est vrai que nous confondons maintenant populaire et populisme et c’est un grand tort….
À noter que certaines petites maisons d’édition relèvent le défi fou de rééditer occasionnellement d’anciens romans d’auteurs oubliés, c’est le cas depuis janvier pour les aventures du docteur Cornélius… Merci à eux, ils nous montrent que tout n’est pas perdu…
Voilà pour ce jour, la flânerie est terminée, mais les beaux jours vont bientôt revenir et avec eux les braderies et les foires aux vieux papiers… De quoi alimenter la brocante aux chimères, notre goût pour la singularité et nos envies d’ailleurs…
Bien des aventures nous attendent, et comme j’habite tout au nord de ce vieux pays dans ces Flandres françaises habitées par le fantastique et le merveilleux, comptez sur votre serviteur pour continuer ces pérégrinations sur la ligne ténue qui sépare l’irrationnel du quotidien…
Amitiés
Pascal Dufrénoy, chaland de la boîte aux chimères….
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyLun 19 Fév 2007, 07:21

Entre récit et flânerie meditative, ta prose séduit plus que ton avatar Razz
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise - Page 2 EmptyLun 19 Fév 2007, 09:40

Je lui trouve un air de Docteur Cornélius qui aurait abusé de la potion magique....
Vite une "Carnoplastie"....... Suspect
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MessageSujet: La brocante aux chimères - Paul d'Ivoi   Terre promise - Page 2 EmptyMer 21 Fév 2007, 13:45

La Brocante aux chimères
Paul d’Ivoi


21 février 2007.
Peu importe la ville où survient la rencontre, capitale ou province… Le terroir pourtant, convient davantage pour ce genre de rendez-vous. Les blasés de tous poils se comptent encore sur les doigts de la main et l’on y rencontre, parfois… Une nature humaine heureuse, la catégorie infiniment respectable des naïfs, de ceux dont je me réjouis de faire partie : les extasiés d’un rien, d’un rêve, d’une chimère…
Alors campons le décor… Une boutique pimpante à l’angle de la rue Montempoivre et de la rue du Danger, la ville s’appellerait St-Firmin-Les-Deux-Secrets… Je suis sous l’enseigne au message ésotérique : « Goncourt Capharnaüm ». Lorsque l’on pousse la porte, une clochette aigrelette s’anime, il y a toujours une clochette aigrelette dans les boutiques pimpantes… C’est un ensemble incontournable… C’est l’heure incertaine que l’on appelle midi, le matin s’accroche aux trottoirs de toute sa lumière et l’après-midi pousse le bout de son museau aux détours des terrasses ombragées et populeuses… Il y a de la poudre d’or qui s’élève doucement dans l’espace embaumée, encaustique et vieux papier… Frères jumeaux d’une ambiance surannée… Couple indispensable au bouquiniste, le petit plus… Duo essentiel au décorum, ce que sont arsenic et vieilles dentelles pour le crime suave…
Il est là, perché sur un rayon peint en bleu, légèrement de guingois, on dirait qu’il va tomber… Il m’attendait, je pense, prêt à partir… Sur sa couverture passée, son identité énigmatique se décline : « Le Docteur Mystère ».
Paul d’Ivoi… D’abord Paul d’Ivoi a-t-il existé ? Car il y a eu plusieurs générations d’écrivains d’Ivoi, on était d’Ivoi de Père en fils… Celui qui nous intéresse était pour l’état-civil Paul Deleutre et comme bon nombre de ses confrères de l’époque il fut journaliste pour quantité de feuilles de l’époque. Ses romans sont un peu oubliés à notre époque de haute technologie, et il n’est pas connu comme son modèle Jules Verne, dont il n’a pas la valeur, soyons juste… Là où Jules Verne s’adresse aux premiers de classe, Paul d’Ivoi tente d’intéresser les rebelles du fond de cours. Ceux qui dessinent de fabuleuses aventures dans les marges de leurs cahiers… Les rêveurs du club très fermé des cancres intrépides… Eternels chiches capons aux horizons téméraires, qui malheureusement vont mourir par milliers dans les tranchées boueuses de l’enfer de 1914-1918…
A l’instar de Gustave Le Rouge, précédemment rencontré, ce qui étonne chez Paul d’Ivoi c’est son aptitude à mettre en scène la science et l’ésotérisme le plus débridé, l’engin à vapeur du docteur Mystère et ses pouvoirs brahmaniques… (La fin du 19ème siècle était férue de culture orientale et indienne, ne l’oublions pas…).
Paul d’Ivoi a exploité le succès des voyages extraordinaires de Verne en créant les voyages excentriques, comme chez son maître sa fascination pour la modernité est mêlée d’angoisse et de peur : des engins volants sèment la mort par des nuages réfrigérants (les dompteurs de l’or, manipulation du climat (déjà….) dans Les Semeurs de glace, etc.….
Dans l’Aéroplane fantôme des Allemands menacent de voler les plans d’un avion spectaculaire capable de détruire tout sur son passage… Il faut signaler que ces ouvrages sont à remettre dans leur contexte historique sous peine de « pâmoison correctement politique… » les récits sont souvent nationalistes, à la limite du bellicisme, les méchants sont toujours soit des Allemands, soit des habitants de la « perfide Albion », les américains sont grossiers et matérialistes, et ne parlons pas des nations qui étaient qualifiées de « primitives » à l’époque… Mais loin du tumulte bien souvent très hypocrite de nos « modernes penseurs », il faut dire que l’époque se prêtait à ce genre d’écrit. Même mon inestimable Dickens s’est livré à cet exercice choquant pour nos sensibilités actuelles, souvenez-vous de ce redoutable portrait du vieux Fagin dans Oliver Twist… Il faut simplement nous dire que la littérature est comme la nature, elle n’est ni compatissante, ni cruelle, elle existe… Tout simplement… Et malgré le fait que ce soit devenu pratique courante, il ne faut pas enlever les mots de leurs contextes historiques sous peine de fausser l’histoire elle-même….
Alors retrouverons-nous un jour Lavarède ou le Docteur Mystère ? Peut-être bien par le biais de ce genre particulier de Science Fiction qu’est le Steampunk… Dans une limite restreinte, le Steampunk n’est qu’une imitation de l’anticipation du 19ème siècle et une mise en scène de gadgets technologiques anachroniques, exercice de style mêlant des personnages historiques réels et des héros de romans populaires… L’époque ne s’y prête peut-être déjà plus… Avec notre manie de vouloir tout expliquer, n’avons-nous pas tué la poésie du fantastique ? Brian Aldiss qui a revisité le mythe de Frankenstein dit que la science en privilégiant l’intellect a assassiné les anciens mythes. Se faisant, elle a créée ses propres mythes en les fondant non sur l’être mais sur la raison scientifique agissante. En voulant contrôler trop, nous avons perdu le contrôle de nous-mêmes… Mais ne nous éloignons pas trop… Il nous reste les brocantes à chimères et leurs innombrables secrets…
Mon butin sous le bras, je repousse le bec de canne du « Goncourt Capharnaüm », dans la douceur de l’après-midi je m’éloigne lentement, avec dans les oreilles le son aigrelet, le tintement éternel d’une clochette de légende…

Amitiés
Pascal Dufrénoy, chaland perpétuel de la brocante aux chimères.
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