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 Terre promise

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Pascal.Dufrénoy
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Pascal.Dufrénoy
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MessageSujet: Chroniques du Houtland   Terre promise EmptyDim 15 Jan 2006, 14:00

Chroniques du Houtland.


15 janvier 2006.

Le jour où je suis devenu (plus…) con.



« Les médias reflètent ce que disent les gens, les gens reflètent ce que disent les médias. Ne va-t-on jamais se lasser de cet abrutissant jeu de miroirs ? » Amin Maalouf
Un mois de novembre tout en grisailles et nuées, un mois de novembre à oublier… Petit matin frileux, ensommeillé… Une radio périphérique (inutile de préciser la fréquence, elles se ressemblent toutes…) distille son venin à haut débit d’inepties… Instant de faiblesse ? Sénescence précoce ? Lassitude du quadragénaire qui finit par accepter ce qu’on lui injecte à longueur de journée ? Par commodité intellectuelle… Je n’ai toujours pas la réponse… Finalement les « événements » banlieusards sont un bon vecteur à mes humeurs belliqueuses, et comme un bon sujet de sa majesté Média, je suis asservi au fouet de la peur… La pire peur qui soit, celle dont nous souffrons toutes et tous (enfin, il reste peut-être encore des survivants ?) La peur irraisonnée, celle de l’autre, que l’on ne connaît pas, que l’on ne veut surtout pas connaître… Surtout, ne pas se retourner… Haïr… Haïr… Elle est grisante cette haine, c’est celle de Nuremberg et celle de Soweto en d’autres lieux et d’autres temps. C’est la folie des foules, celles des stades et des meetings. Je n’ai rien vu venir… Robert Sabatier me donne cette troublante définition : « Le racisme est une manière de déléguer à l’autre le dégoût que l’on a de soi-même. »
Je ne me cherche pas d’excuses, je suis troublé, simplement. J’ai décontenancé mes enfants… A leurs yeux, je suis devenu un vieux con réac… Elles ne m’ont rien dit, elles sont plus intelligentes que leur père… Heureusement…
Je suis ébranlé… Bien fait pour mes pieds… Je me croyais à l’abri de ce genre de maladie… Certain de ma culture bien pensante, légèrement gauchisante, d’une gauche de bon aloi… Un peu poussiéreuse et un peu obsolète. Pris comme un rat dans la nasse et les méandres filandreux d’une information poisseuse et mensongère, d’un journalisme mercantile plus soucieux de spectaculaire que de vérité et d’explications… Mais là, non plus, je n’ai aucune excuse… Nous ne sommes pas obligé de regarder, de lire ou d’écouter, pas vrai ?
Depuis, je suis comme qui dirait en convalescence, la connerie c’est comme le cancer, on ne sait jamais si la maladie est totalement éradiquée… Un bon signe ? La reprise de l’écriture avec cette chronique, qui sait… Une constatation : la connerie rend souvent stérile (intellectuellement parlant, c’est déjà un bon point…), on aboie avec les loups pour oublier que l’on est mouton… Il reste pour certains un semblant de pudeur pour ne pas l’écrire au moins. (Ce n’est pas immuable, malheureusement….Vous l’avez sûrement noté en lisant les journaux ou en écoutant les « milieux autorisés » chers à Coluche, tiens on va y aller d’un lieu commun, mais tant pis, c’est pourtant vrai qu’il nous manque, l’homme à la salopette, sa causticité nous remettait à notre place quand il le fallait…)
Je pense à ce gamin qui ressemble à tant d’autres mômes d’aujourd’hui… A ce début de soirée, dans la clarté orange d’un réverbère en bordure d’un lotissement ordinaire, celui où j’habite… Je pense à sa fuite en courant, alors que je revenais chez moi après une journée de travail, une mini poursuite dans la nuit tombée… A ma question sur sa course endiablée (il était simplement avec sa petite amie, une jeune fille du voisinage) il a simplement répondu, d’une voix essoufflée : « J’ai peur…… » Moi aussi, gamin, ce soir-là… J’ai eu peur… Cette peur distillée goutte à goutte, la peur de l’autre… Je me suis excusé, il n’a pas souri : il avait encore peur…. Je n’ai pas souri : j’avais vaguement honte…
J’ai depuis toujours un peu honte… Je suis en convalescence, je me méfie de moi-même, je n’aime pas l’homme Louis Ferdinand Céline, mais l’auteur incise à cru, « Il n’y a de terrible en nous que ce qui n’a pas encore été dit ». En ce novembre gris et sale, j’ai vu ce qu’il pouvait y avoir de terrible en moi, et je me suis brûlé les yeux… Je reste persuadé qu’il me reste tant et tant à apprendre, apprendre à ouvrir encore davantage les yeux, pour y laisser entrer la lumière… Pour mes filles, pour mes amis : Hassan, Danièle, Abdel, Monique, pour les petites Inès, Iman et le joyeux Yannis, simplement pour me regarder chaque matin dans la glace…
En guise de conclusion je ne citerai que ceci tiré du bouquin de Jean-Louis Fournier « Mon dernier cheveu noir »
« J’ai atteint la limite d’âge, et peut-être mes propres limites.
J’ai quelques regrets.
Il y a beaucoup de choses que j’aurais aimé faire et que je ne ferai jamais.
Je ne dirigerai jamais l’orchestre philharmonique de Vienne.
Je ne serai jamais roi de Suède.
Je ne serai jamais dompteur de tigres.
Je ne piloterai jamais le Concorde.
Je ne ferai jamais l’Olympia (même en première partie).
Je ne serai jamais champion olympique.
Je ne traverserai jamais l’Atlantique à la rame.
…/… Finalement, je m’en fous. »

A cette liste, j’ajouterai simplement, une petite phrase personnelle :
J’ai atteint la limite d’âge, et peut-être mes propres limites.
J’ai quelques regrets.
Mais je veux rester jusqu’au bout, un honnête homme…
Ce n’est déjà pas si mal…
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Nam
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Nam


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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyDim 15 Jan 2006, 14:13

Décidément, l'humeur de ce dimanche ensoleillé de janvier n'est pas des plus gaie... Et si on se motivait?
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MessageSujet: Re: Chroniques du Houtland - 15 janvier 2006   Terre promise EmptyLun 16 Jan 2006, 10:27

Pascal9 a écrit:
« Il n’y a de terrible en nous que ce qui n’a pas encore été dit ».

CQFD ! C'est bien ! Wink
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyMar 17 Jan 2006, 21:15

J'espère que Pascal9 ne va pas se contenter de cet envoi...
J'en redemande Happy
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyMar 17 Jan 2006, 21:20

Moi aussi !
Compatibilité d'âge et d'humeur peut-être...
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colbrune
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyMer 18 Jan 2006, 00:07

..., et moi aussi ! Wink

A vrai dire, j'espérais qu'on aurait droit à un épisode par jour.
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Pascal.Dufrénoy
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MessageSujet: Chroniques du Houtland - 21 janvier 2006   Terre promise EmptyVen 20 Jan 2006, 16:43

A Madame Sophie d'A... qui aime tant les enfants qu'elle a choisi d'en faire son métier je dédie cette chronique...

Chroniques du Houtland
.



« Les Grandes Personnes ne sont pas intelligentes : elles ne savent pas profiter de leur liberté. »
J. Korczak, Comment Aimer Un Enfant. 1919.

Le regard est rêveur derrière les lunettes cerclées d’acier. L’homme, penché sur un bureau bancal, écrit tranquillement… Derrière la vitre sale, un ciel de plomb s’effiloche en lambeaux de suie. L’homme se presse, il n’est plus temps, d’ailleurs, ici à Varsovie, le temps s’est arrêté….
« Sur le trottoir, un garçon mort. A côte, trois garçons réparent des rênes avec de la ficelle. Un coup d'oeil sur le mort, ils s'éloignent de quelques pas sans interrompre leur jeu.» Journal du ghetto
Dans les couloirs de l’orphelinat, les enfants sont étrangement silencieux… Depuis six ou sept semaines, il est très difficile de trouver de la nourriture… Même au prix de marchandages démoniaques. Dans le ghetto, tout est à vendre, surtout le droit de survivre… Mais que faire d’autres ? Sinon tenter de survivre… Mais déjà le piège se referme sur la république des enfants, nous sommes le 5 août 1942…
Janusz Korczak n’est plus un jeune homme, il a 64 ans. Sa notoriété est grande, et même si les nazis le méprisent, ils semblent malgré tout se méfier de cette autorité que lui confère son savoir et son œuvre...Leur folie est maîtrisée…Institutionnalisée… C’est ce qui rend cet ordre maudit si monstrueux…
Cet homme éminent, pédagogue et artiste aurait pu profiter de cette notoriété et sortir du Ghetto ou partir à l’étranger. Malgré le caractère incroyable du plan infernal des nazis, il y a longtemps qu’il sait que l’enfer est arrivé sur cette terre de Pologne… Pourtant, il reste… malgré tout… Que voudrait dire sa vie, s’il était parti, s’il avait fui la République des Enfants ? Cette démocratie inventée et novatrice. Un monde où l’enfant est reconnu comme tel avec ses droits et ses devoirs « L’enfant ne devient pas un homme, il l’est déjà… ». Novateur, iconoclaste pour beaucoup de « vieilles barbes » pour qui l’éducation était affaire de « coups de triques », Janusz Korczak a su imposer sa manière d’éduquer, de comprendre les enfants, avec une intelligence précieuse, l’intelligence du cœur… Il a également écrit pour les enfants, et en ce jour terrible, les troupes de son petit « Roi Mathias » ne pourront le sauver des bourreaux.
Pourtant si Korczak a disparu comme des millions d’autres, son sacrifice ne fut pas vain, ni celle de tous ses enfants (Car ils sont finalement devenus « ses » enfants. Il nous a montré l’autre côté du miroir… L’officier responsable de « l’arrestation » n’était peut-être pas un sadique ? Peut-être était-il un brave père de famille, un de ces « bourreaux ordinaire ». Il obéissait simplement à un principe. Le principe de l’obéissance sans faille à un système aberrant, mis au point par des cerveaux malades…
Janusz Korczak lui oppose un autre principe, celui de la bonté, de l’humanité profonde. De celle qui trouve ses racines dans notre croyance farouche en l’amour de l’homme.
J’ai vu aujourd’hui, spectacle ordinaire… Une matrone échevelée gifler un petit enfant… Je ne suis pas intervenu… De quel droit ? Le sens toujours sacré de la vie privée, celui qui nous laisse parfois ignorer que des êtres, qui ont perdu le droit de se qualifier d’humains, prennent les enfants, leurs enfants… pour une marchandise ou une monnaie d’échange…
J’ai pensé à cet homme… Parce que comme chacun d’entre-nous, je suis confronté à la violence latente de nos sociétés ultra matérialistes…
Il nous reste un geste à faire comme Korczak… Baissons-nous et écoutons les enfants afin d’éviter que, de nouveau, les hommes de demain ne construisent des ghettos et des camps d’abomination. Baissons-nous et écoutons leurs plaintes, leur mal-être ou leurs envies, nous en sortirons grandis et peut-être plus humains…
Comme nous le dit un sympathique rêveur chantant, si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie…
Janusz Korczak est l’exemple de la fleur du matin que l’on écrase du talon, des champs de blé levés que l’on brûle, insouciants…
Homme frêle et doux montant péniblement par la ridelle du camion, il rassure les enfants comme il l’a toujours fait…
Pour les faire vivre encore, pour que cesse les massacres. Baissons-nous davantage.
Mes enfants, nos enfants sont la seule justification de notre court périple… Ils sont fait pour l’émotion, le sensible et le beau… Ecoutons-les… Ils ou elles sont déjà les femmes et les hommes de demain…
Et les jours de colère, les jours où l’intolérance (cette bête rampante et immonde) semble prendre le dessus. Pensez à ces enfants et souvenez-vous de cet homme s’éloignant doucement dans les cahots des rues défoncées de Varsovie…
Il s’appelait Janusz Korczak, c’était le 5 août 1942, c’était hier…

« Vous dites :
— C’est épuisant de s'occuper des enfants.
Vous avez raison. Vous ajoutez :
— Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser.
Vous vous trompez. Ce n'est pas cela qui nous fatigue, mais c'est le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments.
De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre.
Pour ne pas les blesser. »
Janusz KORCZAK, Quand je redeviendrai petit (prologue
)
_________________
"Il est très bien, dans une fable,
De faire parler un camembert.
Son style est coulant, agréable,
Et puis il fait si bien les vers."
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptySam 21 Jan 2006, 08:19

Cet intérêt pour les enfants dont parle bien ton texte, n'est pas seulement généreux, mais une entreprise salutaire. C'est dans cet esprit qu'après avoir posté sur "le carnet rouge" de Paul Auster, et sans rien réveler de "Caché", le film de Haneke vu vendredi soir 20 janvier, je poste - en petits billets - pour que ce soit digeste, l'essai de Anne Ancelin Schûtzenberger, Aîe, mes aieux, dans histoire essais et documents.
Il ne fournit pas des réponses toutes faites, mais pose de bonnes questions.
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyDim 22 Jan 2006, 09:25

Citation :
Il n’y a de terrible en nous que ce qui n’a pas encore été dit


et en plus,


ce n'est même pas terrible ... :rabbit:
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MessageSujet: Terre promise   Terre promise EmptyDim 22 Jan 2006, 20:24

Terre promise



15 Avril 2057, km 40 Nord de Haïfa.



Sous l’horizon laiteux se découpaient les ombres des collines du Liban entourant la plaine. Depuis plus de deux heures, le grondement de l’artillerie à fusion totale avait cessé.
Près de la piste, dans le calme revenu, le murmure d’un ruisseau faisait entendre sa mélodie incongrue.
Le sable absorbait rapidement le sang répandu, un buvard démoniaque séchait la mémoire des hommes au même rythme que leur substance vitale. Dans quelque temps, il ne resterait plus de traces marquantes des combats. Une lune factice de cinéma américain montait dans le ciel devenu violet, le paysage contrefait semblait dessiné par un décorateur fou aux fantasmes morbides…
Le bras de Yasser était inerte et d’une couleur écarlate indécente. Ariel, lui, n’avait plus de pied gauche, la brûlure du flux laser avait cautérisé la plaie empêchant Ariel de se vider.
La souffrance n’était plus alors qu’un fait parmi tant d’autres…
Au détour du passage, la rencontre des deux êtres loqueteux semblait inévitable, comme inscrite depuis le début de la bataille.
Deux hommes mutilés sur une terre mutilée… Deux mondes différents, deux destins opposés se rejoignaient dans le chaos d’un univers qui, paradoxalement se donnait des airs de campagne paisible, un soir d’été, après la moisson. Une moisson de mort et de misère…
Yasser leva son bras valide. Ce n’était pas un geste de défi, il n’y avait pas de haine dans son attitude. Simplement une prévention, une manière de montrer toute la lassitude qui l’habitait.
Ariel était un appuyé sur un débris de Mitrailleur ionique, béquille de fortune, dérisoire et sinistre.
Il n’y eut aucune parole, pas de cris, aucun bruit, hormis celui du fossé d’irrigation. Rien que deux regards qui se croisaient, se jaugeaient, dressaient l’inventaire infernal de l’après-déluge.
Sur la plaine, l’apocalypse était passée, personne ne gagnait, personne ne perdait, simplement les plus chanceux survivraient, avec leurs cauchemars…
- « L’eau est potable… Enfin, je crois… »
Yasser avait un geste d’invite face à ce pantin cassé qu’était devenu
Ariel.
- « Je préférerai une cigarette… »
- « Il m’en reste une, j’ai trouvé le paquet hier, sur le siège d’un
« Fulgur » d’assaut abandonné, un véhicule de chez toi… On va se la partager. »
Harassés par leur progression et submergés par la douleur et l’épuisement, les deux hommes, enfin… Ce qui en restait, s’étaient affalés sur le bas-côté, le dos appuyé sur les sacs de sable éventrés d’un nid de mitrailleuse conventionnelle, il en restait quelques-unes… Dans le calme de la nuit tombée, on entendait gronder les mouches, il valait mieux ne pas se retourner, pendant de nombreux jours, les cadavres feraient partie intégrante du paysage.
Loin, vers le nord, une fusée éclairante illumina le bois de cèdres, des troncs calcinés, alignés, fantomatiques…
Les demi-cigarettes ne dureraient pas longtemps, pas assez longtemps pour éveiller l’attention d’un snipper, deux détonations sèches ou deux jets d’énergie blanche et puis, la paix… Ce n’était pas pour cette fois, tant pis…
- « Tu es d’où ? »
- « Des territoires du Sud, sur les bords de l’ancienne Mer Morte…
Enfin du Lac de la Paix, comme on l’appelait, il y a encore trente ans, à l’époque de sa revitalisation… »
- « Comme ma femme ! Yasmine ! Son père était biologiste… »
- « Tout comme le mien, c’était une région pilote, ma tribu est…
Enfin, était composée de scientifiques, spécialistes en réhabilitation des sites »
- « Ouais, dommage qu’il n’y ait plus personne de vivant… Parce que
c’est pas le boulot qui manque, maintenant… »
Les deux blessés parcouraient le paysage nocturne désolé, ils avaient
La certitude qu’ils assistaient en direct à la fin d’un monde, à la fin de leur monde.
*

Même jour, km 10 Centre ville de Nouvelle Jéricho


Les pistes de sable n’étaient plus qu’un glacis de verre fondu. Les eaux du Jourdain flottaient maintenant dans des cieux striés de mauve et de vert, vaporisées, les berges évanouies. Les vents de la plaine véhiculaient de la puanteur qui emplissait l’atmosphère lorsque le soleil s’imposait l’illusion d’éclairer le désert comme les aubes de jadis. Les forêts étaient définitivement pétrifiées sous des tonnes de cilice, de radiations permanentes, de défoliants et de substances infernales, de brûlures et de gaz.
La guerre était passée…
Arrivant de l’immense désert, très vite un engin rougeâtre apparût parmi les éboulis chaotiques et se figea dans la cuvette fumante jusqu’à faire vibrer l’air et faire siffler les cailloux aux quatre points cardinaux.
L’hélicoptère moribond se posa.
Dans la chaleur écrasante de l’ancienne cité, Salima et Esther, avachies dans un antique hélicoptère de combat Cobra, inspectaient l’horizon désolé qui semblait s’être éloigné sous le récent déluge mais n’évoquait plus rien de vivant :
- Jéricho !
Un des patins de l’hélico s’effondra.
- « Alors c’est vrai !
La turbine se tut définitivement…
Puis le silence se fit, encore plus pesant à mesure que les minutes
s’écoulaient.
Les temples millénaires, aux murailles de pierre lisse s’étaient transformés en talc grisâtre et s’envolaient en volutes, nuages torturés sur la plaine empoisonnée.
Le chagrin les déchirait comme des oiseaux de proie, et les souvenirs affluaient, hurlaient, montaient, se multipliaient, éventraient, explosaient, lacéraient puis, bousculant tout, ils s’imposaient avec des images lancinantes et des brûlures aiguës, de parents, de maris et d’enfants aimés, définitivement perdus. Les jours d’avant subitement absorbés et évaporés comme des oueds sous le soleil.
Le lieutenant Salima de l’armée républicaine de Palestine ne bougeait pas. Aucun souffle d’air n’agitait l’atmosphère.
- « Il ne reste personne, ni rien, on ne peut y croire ! »
Esther, sergent-chef de l’armée des Etats Unis d’Israël, était pétrifiée,
tant de douleurs soudaines allaient faire basculer son esprit dans la folie, ultime refuge contre la souffrance.
Salima contempla longuement les murs de la Nouvelle Jéricho, un nom qui en devenait ironique… La dernière tour du centre des affaires, réduite à une carcasse rouge, tomba lentement en poussière sous la poussée légère du vent qui venait de se lever dans les rues fantômes. Les bombes oxydantes avaient accompli leur travail avec efficacité, tout ce qui avait été métallique s’était transformé instantanément en poudre de rouille.
L’imagination des consortiums d’armement était sans limites !
-« Il n’y a plus rien à faire ici, il nous faut partir. »
-« Pour où, le pays est mort jusqu’au Nord du Liban… »
-« Ce n’est pas certain, des poches ont peut-être subsisté ? »
-« Juifs ou Palestiniens ? »
-« Quelle importance, vivantes seraient mieux, oui, surtout vivantes… »
-« Tu crois que les autres nations vont se mobiliser pour nous aider ? »
-« Cela m’étonnerait beaucoup. La crise s’est étendue partout. La Confédération Puritaine d’Amérique du nord est au bout de ses ressources, elle s’est complètement ruinée depuis vingt ans qu’elle mène une guerre titanesque contre les phalanges altermondialistes des Non-Al.
-« Il nous reste Europaland… »
-« N’y compte même pas, l’assemblée d’Europaland comporte tant de commissions et de sous-commissions qu’il leur faudra des dizaines d’années avant de bouger. La population est très âgée et la plupart des électeurs sont séniles ou grabataires, il n’y a plus guère de naissances. Les gens ne connaissent même pas le nombre exact de députés, certains disent plusieurs dizaines de milliers. Il ne faut compter que sur nous…
Un soleil de cuivre s’abîmait derrière la ville, aucun oiseau ne volait dans le ciel cancéreux, uniquement des miasmes pestilentiels. Les deux femmes se résignèrent à passer la nuit dans une excavation rocheuse. Esther, par réflexe, fouillait l’endroit soigneusement.
-« Que fais-tu ? »
-« Je vérifie, serpents, bestioles ou insectes ne font pas de bons voisins. »
-« Si seulement, tu trouves même l’ombre d’un insecte, cela voudra dire qu’il reste un espoir, mais n’ai aucune crainte, tu ne trouveras absolument rien, le désert n’a jamais mérité autant son nom. »
Un monstrueux silence s’était étendu aux portes disparues de ce qui avait été à la fois une cité moderne et une ville de légende. Aucune trompette n’avait été nécessaire cette fois pour faire tomber les murs de Jéricho. La musique des hommes était devenue plus sophistiquée et bien plus infernale.
*
16 avril 2057, Haïfa


L’aube pointait contre toute attente. Ariel avait tenté de soigner Yasser, et il ne s’était pas trop mal débrouillé. Le bras était immobile, mais l’hémorragie s’était arrêtée. Yasser savait au fond de lui que son bras était définitivement perdu, mais compte tenu des circonstances, ce n’était qu’un point de détail insignifiant. Il se remémorait la conversation de la nuit précédente et sans retrouver l’optimisme, il lui semblait que tout au fond de son cœur s’allumait une minuscule et vacillante flamme que personne n’aurait eu la décence d’appeler espoir.
La nuit avait été suffocante, moite et longue… Le climat s’était modifié, complètement bouleversé, aurait-il été plus juste de dire… Les deux combattants n’avaient pu, ni voulu sombrer dans le sommeil.
-« Tu crois que l’on peut devenir autre chose que des cadavres d’ici quelques jours ? »
-« Nos blessures sont sérieuses, mais pas mortelles à court terme, c’est le « miracle technologique », infliger la souffrance mais ne pas tuer trop rapidement. Si cela n’était pas aussi insupportable, cela pourrait presque sembler comiquement « humanitaire ! »
Un croissant de lune cuivré montait dans le ciel d’encre, à sa gauche
Une étoile extrêmement brillante semblait venir s’accrocher à l’astre nocturne.
-« Israël rend visite à Ismael ! »
-« Tu crois qu’ils vont s’entendre ? »
-« A part compter les morts, je ne vois pas ce qui reste à faire. Nous avions des destinées mêlées, mais nous l’avons toujours nié, toutes et tous autant que nous sommes… Par notre conflit sans fin ; maintenant nos destins sont similaires, Israël ou Ismael… Martyrs est devenu notre nom commun et notre seul drapeau est un immense linceul.
-« Que va-t-on faire ? »
-« Tenter de survivre… Le « Fulgur » des cigarettes tourne encore, je l’ai planqué ! Nous devons nous unir, tout seul, je n’y arriverai pas. »
-« Où comptes-tu aller ? »
-« A Tibériade, s’il reste de l’eau dans le lac, j’en doute… Elle doit être polluée… mais à 150 mètres sous le fond, il y a une énorme caverne artificielle avec : Une autre étendue d’eau, un lac, mais souterrain. Il a été créé entre 2010-2015, à l’insu de toutes les nations, une « réserve » en quelque sorte. De l’eau, c’est la vie, sur les rives de ce lac, nous pourrons avoir une autre existence, une vie « souterraine » certes, mais une vie tout de même, et puis d’autres, ailleurs, ont peut-être survécus, nous pourrons essayer de recommencer « autre chose »… »
-« A moins que nous recommencions à nous battre ? »
-« Avec quoi, nos poings… Il ne reste rien ou presque… Tout est à faire… Je doute que nous recommencions, trop de morts, trop de misères, que cesse
cet enfer. De toutes manières, il n’y a plus de gouvernements, ni d’un côté, ni de l’autre, plus de système, plus rien, à vrai dire… Alors continuer… »

*
Même jour, quelque part, dans le désert

L’énorme engin cuirassé de plaques de Téflon et d’alliage spécial roulait lentement vers l’est. Le paysage ambiant n’avait aucun intérêt, reliefs et couleurs tout avait disparu, fondu…
Le ciel était vert zébré de noir, pour toujours, il faudrait s’habituer à cette teinte bizarre et blafarde.
Yasser et Ariel se taisaient. Pour l’instant, les mots n’étaient plus utiles, il fallait simplement survivre…
*********
Non loin du trou où elles s’étaient réfugiées, Salima avait trouvé un glisseur de combat dont la cellule d’énergie fonctionnait encore.
Collées l’une contre l’autre, elles filaient à travers la plaine.
Poussée par l’instinct, Salima se dirigeait vers le lac de Tibériade, peut-être resterait-il encore de l’eau, et l’eau, c’était la vie…

Sur cette terre détruite tout avait commencé, il y avait des milliers d’années et tout avait été anéanti… L’histoire des hommes aimait l’ironie, sous Tibériade, tout allait peut-être renaître…
Sans drapeau, sans chapelles, sans dogmes et sans doctrines…
Avec uniquement une philosophie, un fabuleux amour de la vie.
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MessageSujet: Chroniques du Houtland - 28 janvier 2006   Terre promise EmptySam 28 Jan 2006, 10:37

Chroniques du Houtland.


28 janvier 2006.

L’arpenteur d’histoires.


« En oubliant le passé, on se condamne à le revivre »
Exergue de « Meurtres pour mémoire » de Didier Daeninckx

Peut-être est-ce le port de la moustache ? Existerait-il de par le monde une confrérie secrète de porteurs de bacchantes ? Hérésie… Certains moustachus nous ont séduits, d’autres… Non une rencontre littéraire…
Plus certainement et, comme bon nombre de découvertes, celle-ci n’est imputable qu’au hasard… Et à la lecture d’un livre : « Le Géant inachevé». J’étais, je suis… toujours un gros lecteur de polars et ce livre parle d’un univers que je connais bien : carnaval d'Hazebrouck, les notes nostalgiques, l'inspecteur… Héros décalé… Les brouillards du Nord, et la description d’une société certainement festive mais peu encline à livrer ses secrets.
Et puis d’autres livres sont venus dont je ne ferai pas la liste, j’aime à croire que Daeninckx possède suffisamment de notoriété (ce dont il se fout bien d’ailleurs, je pense…) pour éviter d’établir sa bibliographie… Tous… Bouquins excellents, nerveux… Didier se lit comme les articles de faits divers, ses expériences dans le monde de la presse locale n’y sont pas pour rien, mais également son regard acéré sur les menus faits et son goût de l’enquête fouillée… La qualité d’un écrivain véritable relève de cette façon qu’il a de nous parler directement, d’être un raconteur… Daeninckx explore, sillonne nos existences, au travers de menus détails… Il révèle la complexité et la noirceur parfois insoutenable de notre quotidien… Je le répète, je sais à en devenir agaçant, mais l’homme du Nord que je suis retrouve dans ces lignes, les atmosphères de mon parcours, en exemple de son roman : La Der des Der, qui a pour cadre la première guerre mondiale… C’est de l’histoire, mais dans nos régions, cette histoire reste étonnamment présente, presque palpable…
De même cette recherche de nos origines, ce monde ouvrier décrit sans angélisme… Nous sommes imprégnés à jamais de notre propre histoire…
A contre-courant d’un Simenon, Didier Deaninckx nous brosse le monde des petites gens, dans un monde infiniment complexe où la démocratie apparente n’est que le reflet trompeur d’un jeu de rôle monstrueux où des prédateurs cachés (bien mal, parfois…) manipulent l’opinion afin d’accroître leur pouvoir… Depuis un bon moment, il s’est démarqué du roman policier sans pour autant devenir pontifiant ou ennuyeux… Il montre avec clairvoyance le rôle social de l’écrivain, conteur d’histoires certes, mais impliqué dans le monde réel. J’aime la définition qu’il a de cette activité étrange qui consiste à aligner des phrases : « L'écriture, c'est la pensée en mouvement. C'est comment fixer une pensée et des états de la réalité au moyen de toutes les écritures qui peuvent exister. Pour pouvoir dire véritablement les choses, il faut écrire. C'est aussi inhérent à la condition humaine. »
Anarchiste, certainement non, gauchiste (c’est devenu un terme désuet), non plus, je crois plutôt en l’homme qui écrit pour nous faire toucher du doigt des réalités dérangeantes, à une époque où par le tour de passe-passe des technocrates, on a transformé le monde ouvrier et le peuple vivant en termes bizarres « France d’en bas, ou tous simplement, facteurs économiques archaïques », une transformation virtuelle comme bon nombre d’actes politiques de ce début de siècle inhumain et ultra-libéral…
Si les écrivains peuvent servir à brouiller les cartes des gouvernants alors certainement Didier Deaninckx nous est indispensable…
Et puis, les moustachus qui aiment les mots ne sont-ils pas attendrissants dans leur naïveté ?

« Depuis la nuit des temps, les enfants naissent en pleurant, comme s’ils pressentaient ce qui les attend. »
Didier Daeninckx
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptySam 28 Jan 2006, 11:40

Riche et bien écrit! J'aime beaucoup!
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptySam 28 Jan 2006, 12:23

ouais, "ce Pascal 9"(1), il plait aux dames lol!

Sérieusement, ça doit te faire plaisir, ces encouragements, non ? Continue donc, tu fais plaisir à tout lemonde. parle nous aussi de tes lectures, qu'on cerne un peu tes goûts Wink

(1) j'ai toujours été un peu insolent, et je n'arrive pas à me refaire tongue malgré les remontrances d'Aristarque sunny
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptySam 28 Jan 2006, 13:14

Oui, rotko, ce Pascal9 plaît aux dames, mais c'est parce qu'il a une belle plume lol!
On voudrait bien en savoir plus et qu'il nous dise un peu qui il est :idea:
Les dames, comme chacun sait sont curieuses. Twisted Evil
Mais bon, c'est vrai que je ne donne pas vraiment l'exemple du "dévoilement" Rolling Eyes
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptySam 28 Jan 2006, 15:12

alors Pascal 9, on attend que tu te manifestes Basketball
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MessageSujet: Chroniques du Houtland - 30 janvier 2006   Terre promise EmptyLun 30 Jan 2006, 08:44

Chroniques du Houtland.


30 janvier 2006.

Le fou du Westhoek.



« J’habite un trou perdu. Près des nuages. J’y ai déposé mes bagages. Et j’ai plaisir à y vivre. Car j’y respire. Un air parfumé de légendes folles. Et du vent d’la mer du Nord… » (J’habite en Flandre – William Schotte) Pour un instant, les chroniques du Houtland se transforment en « Echos du Westhoek », titre de l’un des disques de l’ineffable William Schotte.
Le Westhoek, autre contrée mystérieuse tout à l’ouest de la Flandre maritime… Pays magique qui a vu naître notre William… Rien que le patronyme… William Schotte… On l’imagine voguant aux alentours, fidèle lieutenant de notre corsaire, le vrai, l’unique Jean Bart… Un nom qui embaume le sel et les courses au large… Il est de son pays et il est fou, de cette folie si prolifique et fantaisiste… Mais paraphrasant le Chapelier Toqué, ici au Septentrion « Mais… Tout le monde est fou, ici… »
William Schotte est un poète un peu décalé, sa sensibilité se nourrit de camaraderie, il déteste officier seul derrière son violoncelle, en digne compagnon de cette contrée il s’est adjoint quelques complices, musicienne et musiciens…
Anecdotes, histoires noires, tragi-comiques, étourdissantes et farfelues, seul poète vivant entretenant des conversations suivies avec son Asparagus, Schotte à la légèreté ambrée des bulles du breuvage sacrée de cette région, il marie délicatement les deux qualités de la bière Trappiste, légèreté de l’existence et amertume de la vie, un univers déglingué, notre univers…
Une sirène échoue sur la plaine de Malo Les bains… Nous dansons le « Tango de la discorde … » Et puis, il y a Négrita, la maîtresse à mon papa, la chaleur du rhum dans le café des petits matins frisquets…
Il en a fait des petits boulots, William, le vent du port de Dunkerque lui a soufflé des airs fantastiques, il la connaît « la valse à Toto », « Toi, t’es qu’un baba cool qui n’a jamais bossé. A peine sorti du moule, on a du te casser. Premier au Hit-parade à l’école des rêveurs, tes amours sont en rade, tes sirènes sont en fleurs. » Il est du Nord, mais ce n’est pas un Ch’ti William, il a l’accent de son univers… Celui que l’on entend sur le port, dans les chantiers navals, et dans les chemins creux de ce Westhoek mystérieux.
Ici, dans les Hauts de France, le raisonnable n’est qu’apparence, au détour d’une rue, croiserez-vous le Grand Biscornu ?
« Prenez un bout de carton
d’la ficelle et des bidons
De vieux chiffons, de la colle
Du tuyau pour les guibolles
Sur le col de son costard
Collez des plumes de canard
Deux boutons bleus pour les yeux
D’la moquette pour les cheveux
Un robinet en guise de nez
Et pour le cœur un p’tit moteur »
W.Schotte – Le Grand Biscornu
Magicien d’Oz ? Ne croyez pas cela… Le Grand Biscornu existe bien et « vit » dans un endroit merveilleux et… Si par hasard… Vous passez dans le village de Poperinge, allez donc faire un tour chez Monsieur DEHONDT. Bricoleur de génie passionné par les personnages fait de cire et de pièces mécaniques, il fabrique des automates à taille humaine, il vous expliquera tous les aspects de la fabrication des automates de l'idée de la création d'un personnage jusqu'à sa réalisation à partir de pièce de récupération en passant par sa conception… Un autre fou de Flandre, mais rappelez-vous le Chapelier Toqué « Tout le monde est fou, ici… »
Aussi qu’importe… Chantent les états d’âmes ou les confessions joyeuses quand tout est gris et monotone, on rajoute des couleurs vives… des extravagances et de la chaleur.
Alors William, au petit bal du samedi soir de nos vies, continue à nous faire rêver… Tu es comme beaucoup de gens d’ici, tu es un être- monde … Mais je te laisse conclure toi-même…
« Chez moi, les gens inventent beaucoup. Ils mettent du relief là où il n’y en a pas. C’est une question de lumière. Si vous regardez un paysage provençal, tout se découpe avec netteté, l’horizon, les montagnes. Dans le Nord, c’est comme si tout était voilé en permanence … » W.Schotte
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyLun 30 Jan 2006, 10:31

Citation :
A contre-courant d’un Simenon, Didier Daeninckx nous brosse le monde des petites gens, dans un monde infiniment complexe où la démocratie apparente n’est que le reflet trompeur d’un jeu de rôle monstrueux où des prédateurs cachés (bien mal, parfois…) manipulent l’opinion afin d’accroître leur pouvoir

Ce serait interessant que tu ouvres un fil sur Didier Daeninckx, soit en "mauvais genres" soit en "litterature francaise et francophone".
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyDim 19 Fév 2006, 09:33

Notre ami pascal9 porte la moustache ! voici mes sources Wink

http://leschroniquesduhoutland.hautetfort.com/
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MessageSujet: Vingt ans depuis cinquante ans...   Terre promise EmptyDim 19 Fév 2006, 11:51

Chroniques du Houtland.



14 février 2006.



Vingt ans depuis cinquante ans…



Mon si cher et indispensable Julos,

Voilà que les chardonnerets d’Ecaussines se marrent et voici que les merles en bérets de Tourinnes-La-Grosse font du bruit dans le landerneau de la Wallonie, dans cette Belgique si proche et qui m’est si nécessaire… Parce que mon cher Julos, fidèle à tes habitudes, tu vas avoir 20 ans depuis 50 ans cette année… Et que tes paroles me bercent depuis longtemps, moi qui n’est que 20 ans depuis 26 ans… Tu dois inquiéter nos fourbes technocrates, lisseurs d’avenir et de chimères, n’as-tu pas soulever la révolte ? Avec ton front de Libération des arbres et n’as-tu pas obligé, les pauvres sourds que nous sommes à écouter tomber les feuilles de nos arbres intérieurs en instaurant le Front de Libération de l’Oreille ?
Souvent, bien souvent… Quand je doute et que j’ai bien mal aux autres, tu m’envoies un de tes communiqués colombophiles, en bon navigateur solitaire sur la mer des mots, tu m’as appris que même si « le monde est une triste boutique, les coeurs purs doivent se mettre ensemble pour l'embellir »
Grand voyageur, tu m’as appris à écouter le poète du Burundi, du Mexique ou de la Chine, la complainte d’Algérie, la mélopée du griot Zaïrois, le conte du Rwanda… En Inde ou au Maroc sur ton petit vélo volant, tu m’as donné le goût et la curiosité des autres… le chanteur du silence de l’ère vidéo-chrétienne, celui qui fait contribuer son public en le faisant pédaler pour alimenter les projecteurs, ta Centrale Electrique Musculaire… Tes instruments inventés l’epace d’un concert et tes pulls enchantés qui empruntent les couleurs de l’arc en ciel que l’on ne regarde plus…. Lorsque je suis en colère… Très souvent, selon mes proches, je me souviens de tes paroles, écrites en cette terrible année 1975, où l’on a pris ton amour, toi qui a su démonté ton chagrin et ta rage pour pouvoir rester toi-même … Tu me donnes une leçon, bien malgré toi, une leçon de vie…
« Ma Loulou est partie pour le pays de l'envers du décor, un homme lui a donné neuf coups de poignard dans sa douce peau. C'est la société qui est malade, il nous faut la remettre d'aplomb et d'équerre par l'amour et l'amitié et la persuasion.

C'est l'histoire de mon petit amour à moi arrêté sur le seuil de ses 33 ans. Ne perdons pas courage, ni vous, ni moi. Je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus et mes deux chéris qui lui ressemblent.

Sans vous commander, je vous demande d'aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches ; le monde est une triste boutique, les coeurs purs doivent se mettre ensemble pour l'embellir,

Il faut reboiser l'âme humaine.

Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. A travers mes dires, vous retrouverez ma bien aimée ; il n'est de vrai que l'amitié et l'amour.

Je suis maintenant très loin au fond du panier des tristesses.

On doit manger, chacun, dit-on un sac de charbon pour aller au paradis, ah comme j'aimerais qu'il y ait un paradis, comme ce serait doux les retrouvailles. En attendant, à vous autres, mes amis d'ici-bas, face à ce qui m'arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu'un histrion, qu'un batteur de planches, qu'un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire à quoi je pense aujourd'hui :

Je pense de toute mes forces qu'il faut aimer à tort et à travers ».

Ecoutez ces mots, je pense de toutes mes forces qu’il faut aimer à tort et à travers… Gravez-le au fronton des écoles et des mairies, chantez le dans les rues, les casernes et les maisons de retraites…
L’énergie d’aimer, le moteur du monde…
Ton terroir, c’est les galaxies, j’ai moi aussi des filles qui veulent vider la mer… Chaque fois que je t’écoute et chaque fois que je te lis, je me sens plus humain…
Alors, mon cher Beaucarne, à l’ombre de tes tours, temples et Pagodes Post-industriels, nous resterons ensemble, toutes et tous, épaules contre épaules et attendront gaiement le jour où tu auras 20 ans depuis 60 ans…
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyDim 19 Fév 2006, 11:52

Merci Rotko le cercle des moustaches disparues te remercient...
Passez un bon dimanche et une bonne semaine, traceurs et traceuses de signes.......
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyDim 19 Fév 2006, 15:10

Ah..... Julos !!! Happy
Merci Pascal9 !
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MessageSujet: Re: Terre promise   Terre promise EmptyDim 19 Fév 2006, 16:15

Pas une ride
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MessageSujet: Le chant du Neker   Terre promise EmptyMer 21 Juin 2006, 13:22

Le chant du Neker.





Dans le centre de Dunkerque, les chalands piochaient sur les étals surchargés d’un immense vide grenier les guirlandes jaunies de vieux bouquins oubliés ; le vent les animait de bruissements desséchés, lorsque subitement, une caisse déséquilibrée s’écrasa au sol comme un cageot de fruits trop mûrs. L’ultime protestation d’un savoir abandonné…
Les boutiquiers, avec zèle et fortes récriminations, relevèrent l’outrage aux bonnes mœurs bibliophiles, mais une partie de la prose naufragée fût laissée à la rapacité de collectionneurs avides et désargentés par ces temps de disette économique, secte de connaisseurs en sciences obscures qui guettent l’éternelle aubaine des « bradeux » naïfs ou non initiés aux arcanes de la brocante…
Il restait là de vieilles reliures fauves, cassées par l’usage des ans, des éditions de poche boursouflées embaumant la naphtaline ; de nébuleux livres de recettes dont les préceptes étaient restés silencieux comme des promesses d’agapes jamais consommées, et mon long nez fouinait dans ce capharnaüm de mots et de paragraphes, où ne pérorait plus ni prix Goncourt pompeux ni auteur prolifique de best seller estival.
De tout ce fatras verbeux et fané, je soutirai quelques romans pour la jeunesse : volumes de la bibliothèque verte, amoureusement décrépis et un peu décoloré par tant de noëls disparus.
Ce fut en soulevant un exemplaire de la Comtesse de Ségur si admirablement échevelé et si délicieusement suranné que je dévoilai le petit bouquin brun rouge relié de toile cirée banale.
L’auteur apparemment se souciant peu de sa postérité future avait négligé d’apposer son patronyme sur l’ouvrage sombre d’où s’échappait une angoisse sourde et maléfique…
Pour autant que je puisse en juger, il s’agissait d’un tirage des plus confidentiels dont le titre se révélait une énigme : le chant du Necker :


Le Chant du Neker



1er chant

Je tiens ce journal pour Zacharie Bucharach lorsqu’il reviendra des armées.
S’il ne retrouve nulle trace de ma pauvre personne si, avec les fous audacieux de la Vénérable Société de Cryptozoologie, je me suis évanoui dans le terrible prodige qui nous occupe, je désire qu’il apprenne notre incroyable histoire par le biais de cette modeste chronique.
Cette relation constituera le gage le plus loyal que je pourrai lui fournir de mon indéfectible amitié, car il faut une inconscience véritable, à un scientifique, pour écrire un tel récit en de tels moments d’angoisse ; je relate cette histoire également pour qu’il témoigne pour moi, s’il pense mon esprit dérangé…
Après le départ de ma compagne Reza, je n’ai plus souhaité demeurer dans notre agréable maison de la digue.
Mon frère Erwan m’a proposé de venir vivre dans son logis de la riante bourgade de Bergues. Il habite un vieil appartement à l’étage de l’estaminet du Lion Rugissant dont il est le prospère propriétaire, un jovial compère qui se plait dans la compagnie des joueurs de billards, fumeurs de pipes et autres joyeux lurons des Flandres.
Erwan est un sympathique vieux garçon qui s’applique à me rendre l’existence moins austère. Puck, mon épagneul, m’a suivi, il a trouvé un second maître en la personne de mon cabaretier de frère. Erwan, dit-on, a refusé des propositions princières de remarquables restaurants de la capitale pour rester à la disposition de son aimable clientèle.
Ce samedi là…
Ce samedi, qui vit le plus étrange phénomène survenir dans nos paisibles existences, nous avions décidé d’organiser un tournoi de billard, parce que novembre frappait fort et cassant.
Hubert Félix Pflumm, qui apprécie ces soirées tranquilles, nous avait invité à sa table, plantureuse entre toutes, un waterzooi d’anthologie et une tourte au beurre salée et caramel. Erwan avait opéré un véritable prodige auprès de ses brasseurs pour nous dénicher une bière de Noël de Salperwick qui se déclinait en arômes subtils et délicats. Le repas terminé, le tabac de Cavendish fut embrasé dans des pipes de faïences de Delft.
Erwan agrémenta le café de Colombie d’une rasade de genièvre de Houlle, que nous cédait de son négoce un vieux contrebandier de Roselaere.
S’élevant contre les hurlements du vent, nous perçûmes, le carillon de la place, égrenant son étrange mélopée. Hubert Félix, qui se tenait près de la cheminée, se dirigea vers la table au drap vert et par ce geste, donna le signal du concours. Nous commençâmes la partie par l’élaboration de savantes combinaisons et de bandes sophistiquées, techniques complexes de l’art du billard français…
Dans la salle, avant de sortir, le commis boucla les volets en ajustant les épaisses barres de chêne doré. Les derniers clients, au fond de l’estaminet, se levèrent et nous souhaitèrent le bonsoir, en ajoutant que la tempête automnale nous empêcherait de fermer l’œil pour une bonne partie de la nuit. De l’écluse voisine, la vanne saturée faisait un bruit de torrent qui résonnait dans les ruelles voisines. Un sourd mugissement de bête malade sanglota dans la cité, l’écluse se vida, et un volet claqua à l’étage.
- C’est celle de ta chambre, dit Erwan. Le crochet est pourri.
Puis il s’approcha de la fenêtre à croisillons et regarda dans la cour :
- C’est une nuit turbulente, dit-il.
A l’instant, le carillon de la place sonna onze heures.
- Je n’ai guère envie de monter, poursuivit Erwan. J’ai l’impression que la tempête de la côte me vrille les tempes, avec son cortège de pleurs et de démons.
- Superstition, dit Hubert Félix qui n’était guère impressionnable, ma foi puisque personne n’a sommeil, continuons la partie et savourons de nouveau cet excellent genièvre qui n’a rien à envier au schiedam de nos voisins bataves.
Les mugissements redoublèrent de violence.
Erwan alluma les plafonniers de porcelaine bleue qui donnaient cette ambiance particulière et feutrée à l’estaminet du Lion Rugissant. Cette clarté apaisante tranquillisa la compagnie… Tout au moins pour un instant…
J’avais l’impression que nous nous efforcions de rendre l’atmosphère plus légère à cette veillée si menaçante dans la cité, sans y réussir tout à fait, j’ignore pourquoi…
Je considérais le visage sanguin d’Erwan marqué par une empreinte d’angoisse dissimulée ; il me paraissait que Pflumm jouait distraitement ; seul Puck sur son coussin, semblait serein, dormant comme un sonneur, aboyant doucement dans son sommeil de bête, rêvant à je ne sais quelle fredaine de chasseur… Pourtant, je le voyais tendu, comme si il cherchait dans la torpeur un refuge imprenable, un havre de paix au bout de la tempête…
A cet instant, la porte de la cour s’ouvrit et le commis entra en trombe dans la salle. Il marcha en vacillant vers la cheminée et s’affaissa, son regard éperdu fixé sur le vide…
- Et bien mon garçon, m’exclamai-je, que t’arrive-t-il ?
Il poussa un faible cri, puis marmonna quelques sons inaudibles…
- Il est malade, dit Erwan

…/...

1-Waterzooi : Recette culinaire traditionnelle Flamande et plus particulièrement Gantoise.

2-Salperwick : Petite ville du Pas-de-Calais.

3-Cavendish : Caractéristique d’un tabac à Pipe de grosse coupe.
4 -Schiedam : Ville de hollande où se distille une variété d’alcool de genièvre.



A suivre...
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MessageSujet: Le chant du Neker (2)   Terre promise EmptySam 24 Juin 2006, 09:59

Résumé du Chant du Neker (1) :

La découverte d’un opuscule mystérieux dans une brocante plonge son lecteur dans une aventure angoissante, quelque part en Flandre maritime….




Le chant du Neker (2).



Le commis eut un profond soupir de moribond. Il faisait de frénétiques tentatives pour inspirer. Je lui passai mon verre de genièvre et il le lampa d’un trait, comme le font les mariniers et les marchands de bestiaux.
En d’autres circonstances, nous aurions été choqués par cette désinvolture, mais il avait un air si épouvanté, et ma foi, nous nous trouvions depuis un moment dans un climat si particulier, que cela sembla naturel.
- Monsieur Haegeman, dit le garçon, il y a…
Son expression, un instant apaisé, reprit son aspect horrifié.
- Je ne peux pas, chuchota-t-il.
Erwan Haegeman tapa du poing sur la table.
- Ah, c’est par trop horrible, je ne peux vous dire cela, reprit le commis.
Erwan rugit d’irritation et empoigna d’un geste le jeune adolescent terrorisé.
- Par le diable cornu, Pieter, allez-vous donc enfin parler ? Qu’avez-vous vu ou entendu ? Que se passe-t-il donc mon garçon ? Avez-vous bu ?
- Il y a, Master Erwan… Le jeune homme parut s’effondrer intérieurement : Je ne peux le décrire comme je le désirerais… Mais il y a une énorme créature dans la rue de l’église…
- Peuh ! Maugréâmes-nous tous ensemble, interloqués et troublés à la fois.
Vous avez eu une hallucination, dit Pflumm, j’ai déjà vu cela : lorsque l’on a faim ou que l’on manque de sommeil, on se surprend à percevoir des choses grotesques.
Mais Pieter contesta de nouveau.
- Ce n’est pas un cauchemar, Master, je n’avais pas faim. Je traversai la place rapidement, en me protégeant de la pluie et du vent, et en levant les yeux, c’est alors… Ah ! Misère ! Comment vous faire imaginer…. Ah, ma foi ! Il y une énorme créature dans la rue.
- Mais enfin, déclarai-je à mon tour, c’est dénué de sens voyons ! Vos perceptions auront été abusées par l’obscurité et la tempête…
Pieter ballotta de la tête avec accablement :
- J’aimerais mieux affronter toute la nuit la chasse volante de Belzébuth que de retourner dans cette maudite tempête. Ah ! Sur mon honneur, je ne sortirais pas !
- Et moi, je vais aller de ce pas voir ce qui s’y passe dans la rue de l’église, grand flandrin, déclara Erwan, en jetant un imperméable sur ses épaules.
Il balança un moment devant l’antique pétoire de l’oncle Paulus, accrochée à la patère, près de l’horloge à balancier, secoua sa tête de calme Flamand, et prenant la lanterne sourde des fraudeurs, sortit en rasant les murs.
- Mon dieu ! Ne le laissez pas y aller seul ! s’exclama Pieter, terrorisé.
Avec circonspection nous nous approchâmes de la fenêtre du devant. Déjà le halo du fanal d’Erwan diminuait, tremblotant, sur les façades de Bergues.
Nous demeurâmes solitaires dans la clarté bleutée du cabaret. On entendit hurler un chien. Il y eu dix minutes de terreur muette ; je sentis le souffle de Pieter haleter sur ma nuque.
- Ne l’abandonnez pas seul dans la rue, se lamentait-il.
Au même instant, retentit un cri tellement obscène que je préférerais disparaître que de devoir l’ouïr une seconde fois. Pratiquement au même moment, Pflumm , levant le bras, hurla : Regardez !... Regardez donc !... Cette horreur… La fenêtre…
Cependant la cité se remplissait de fureur. Le commis Pieter et Hubert Félix Pflumm paraissaient des suppôts de l’enfer dans le tumulte environnant, leurs cheveux dressés sur la tête, victimes de je ne sais quel phénomène électrique…
- Master Erwan, sanglota Pieter… Malheur, que lui est-il arrivé ?
Terrible interrogation à laquelle je serai encore bien en peine de répondre :
Jamais nous ne le revîmes…
La place du Beffroi ainsi que les rues avoisinantes étaient vides. Le falot était posé sur le quai près du pont et son lumignon continuait à répandre sa clarté sépulcrale, un reflet malsain à la surface du canal.
Nous avons fouillé la cité, les remparts, les poternes : jamais nous n’avons revu Erwan.


*


On devinera aisément que nous n’ayons pu compter sur le secours des forces de l’ordre. Nous avons trouvé la mairie submergée par une multitude frénétique, les couloirs encombrés, des agents débordés et le maire rudoyé comme le dernier des clercs. Car, dans cette nuit funeste de tempête, sept personnes se sont volatilisés, les unes en retournant chez elles, les autres dans leurs propres maisons !
A partir de ce moment, l’univers des hypothèses rationnelles est terminé, et seul celui des conjectures fantastiques subsiste.
Depuis cette désastreuse soirée, quelques semaines ont passées. Nous menons une existence morose d’espérances vaines et de révoltes.
Le maire Uyttebroek a mis en place une milice communale de vigilants qui patrouille toutes les nuits sur les remparts et sur les berges des douves.
Ce matin, je cherche Pflumm ; je commençais à m’inquiéter en imaginant une nouvelle catastrophe lorsque je le trouvais assis sur le quai, le regard farouche, une apparence de détermination sur sa figure ordinairement si placide.
Il manipulait la pétoire de l’oncle Paulus et paraissait irrité d’être importuné.
J’envisageais de le questionner sur l’apparition qu’il avait entrevue, mais il me considéra étrangement comme si mes paroles n’avaient aucun sens.
D’ailleurs, il resta immergé dans un silence total, et non seulement ne pipa mot, mais sembla ne pas s’occuper de ma présence auprès de lui.
Des centaines de rumeurs, les unes plus saugrenues que les autres parcourent la cité. On cause d’un complot étranger et sanglant ; on incrimine les nantis, et plus grave encore : le vicaire n’a aucune explication.
C’était là, il faut le dire une bien piètre consolation…
Des assassinats terribles viennent d’être perpétrés : des noyés aux yeux exorbités sont découverts sur le chemin de halage. La tempête ne pouvait engendrer une hécatombe aussi absolue, qu’était-il arrivé sur les bords des canaux ?
Si la plupart des victimes sont intactes, mis à part ce regard fou, quelques victimes sont lacérées, et cela inquiète la population.
Mais je ne veux pas me mêler aux échos inimaginables de la ville ; on trouvera assez de badauds pour les chanter à voix basse et entendue. Je préfère me limiter au décor du Lion Rugissant, et à la disparition de mon pauvre frère… Dans notre cas le désespoir l’emportait volontiers sur la terreur…
Le temps passe rapidement, l’été est arrivé, plus chaud, plus plombé que la pire saison tropicale. Nous restons prostrés sur la terrasse. Parfois le maire Uyttebroek vient s’installer en notre compagnie et tente de nous réconforter.
Il nous assure de la bonne volonté des forces de l’ordre et du zèle des fonctionnaires de police, malheureusement, aucune preuve matérielle ne vient corroborer ses affirmations, il est bien brave Uttebroek, mais il est comme nous tous, anéanti et sidéré devant ce déchaînement de violence…
- Nous trouverons, Haegeman… Nous trouverons…


A suivre.... Evidemment...
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Pascal.Dufrénoy
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MessageSujet: Le sang du Neker 3   Terre promise EmptyMar 27 Juin 2006, 09:33

Résumé : La disparition d’Erwan ainsi que de nombreux habitants de Bergues plonge la population dans la crainte et la perplexité…

Le Chant du Neker (3).


Pflumm a vidé sa bourse et à chaque porte de la cité, sur chaque rempart, dans le plus petit village environnant, nous rencontrons des hommes sombres et inquisiteurs qui fouillent, questionnent, inquiètent encore davantage ; il espère ainsi étouffer les méfaits de la « bête »...
Nous le laissons déraisonner, et comme quelques mois ont passé dans le calme, nous sommes enclins à penser que l’initiative n’est pas si stupide, aussi le moindre vagabond est-il suspecté maintenant sans la moindre commisération…
Malheureusement ! Nous devions dramatiquement nous leurrer. La journée avait été si lourde, les nuages si menaçants, que la nuit était accourue à nos portes furtivement. Je sortais de la maison pour poster une lettre à l’officine des Postes – car, depuis la soirée horrible, nous recevions des missives de tous les coins du pays - et même quelques « témoignages » de l’étranger où des faits similaires s’étaient déjà produits, enfin le prétendait-on…… La place du Beffroi était précocement nimbée de la teinte jaune et flétrie de nos vieux réverbères, les ruelles et les cours avoisinantes restaient dans l’ombre – quand j’entendis des gargouillis vers la poterne de la porte de Cassel.
L’obscurité n’était pas encore parvenue au plus sombre de son voyage. La poterne, flanquée d’un pont étroit et frêle sur une douve bourbeuse, se trouvait à quelques mètres de la cour de l’Estaminet. Je m’avançai crânement et me cognai pratiquement aux deux silhouettes accroupies près de la berge, Pieter et Pflumm sidérés… D’un geste, ils me firent signe de faire silence en me désignant la rive opposée.
Je me baissai à leurs côtés, partageant leur mutisme et leur surveillance. C’est alors que j’entendis un son confus de la surface glauque, comme si des siphons gigantesques faisaient exalter leurs digestions de machineries repues.
- Professeur Haegeman, se lamenta Pieter.
L’éructation monstrueuse monta d’un cran nous précipitant terrifiés sous le préau voisin : un terrible hurlement d’horreur retentit, et qui ne venait pas de la douve verdâtre à côté de nous, mais du parapet de la muraille, d’en haut, sur l’ancien chemin de ronde.
A la même seconde, nous l’entendîmes chanter, de cette voix humide et suave à la fois… Déjà Pflumm et Pieter se sauvaient vers le café.
- Allons-y, criai-je fermement.
Nous n’avions pas fait dix mètres qu’un nouveau hurlement de souffrance résonna, cette fois, dans le boyau sombre au bas de l’enceinte.
- Aidez-moi ! Quelqu’un… De grâce ! Aidez-moi…
Uyttebroek ! Le bourgmestre…Nous étions entourés de tumultes et de fureur, de cris… Le vacarme d’une eau que l’on fouette sauvagement, et ce chant étrange, envoûtant et maléfique par-dessus tout… Les cris, bientôt baissèrent d’intensité…
- Non… on… on … De plus en plus faiblement…
Pieter avait emporté le fanal de la grange. A mi-chemin du fossé nous vîmes la surface onduler lentement… La boue du fond collée sur les rives… Dans l’atmosphère électrisée régnait une odeur de marée corrompue…
Le maire Uyttebroek s’était volatilisé…
*

En ce terrible instant, je dois convenir du courage exemplaire de notre cher Hubert Félix Pflumm.
- Nous ne pouvons plus rien pour lui, hélas, dit-il, faisant cesser ainsi une hébétude indicible. Descendons dans la tour…
Il brandissait l’antique pétoire de Paulus et ce n’était nullement cocasse ; on sentait que malgré son inexpérience des armes à feu et, particulièrement des antiquités, il n’hésiterait pas à s’en servir… A ses risques et périls, je dois bien l’avouer, car ce tromblon archaïque représentait plus de danger pour le tireur que pour sa cible…
Nous le suivîmes, conquis par sa détermination.
La tour ouest donnant sur le bief était une porte d’eau. Elle était illuminée d’une lueur fantomatique comme irradiée par la lumière rousse et malsaine que lui donnait la lune dont le reflet blafard, tel un œil sanglant, tremblotait à la surface du canal.
Une énorme poivrière la coiffait comme un heaume des temps anciens, et deux salles obscures en « cul de four » parachevaient l’ouvrage guerrier et rébarbatif. Dans la salle du bas, un brasero de fer rouillé rougeoyait au centre de la pièce, projetant des étincelles pourpres comme des larmes de sang. Dans chaque coin, par terre, un anneau de bronze colossal portait des chaînes monumentales. Sur le rebord de la fenêtre des traces humides semblaient scintiller d’un éclat anormal. Nous nous arrêtâmes déconcertés, mais c’est en vain que nous trouvâmes trace de l’infortuné bourgmestre.
- Eh ! cria soudain Pieter d’une voix affolée, voyez donc. Il est ici. Il est pendu à la fenêtre.
D’un élan commun, nous nous approchâmes, Pieter se pencha sur la pierre glissante, inerte Uyttebroek, était accroché là.
Pflumm s’approcha, puis recula en arrière avec une expression épouvantable.
- Mon dieu, ne regardez pas ! Surtout ne regardez pas ! Ses yeux…. Ah… Ses yeux…
Je considérai un instant Pieter, prêt à défaillir, transpirant et fébrile, lorsque la voix de Pflumm nous ramena à notre bon sens.
- Ne restons pas ici une minute de plus, nous sommes en grand danger, je le sens, c’est dans l’air méphitique que nous respirons.
Nous nous serrions les uns contre les autres, nous sentant abandonnés comme des enfants. Soudain quelque chose changea dans la pièce et nous vîmes avec stupeur que le brasero venait de s’éteindre brusquement.
- Dépêchons-nous ! Hurla Pflumm, descendons rapidement !... Oh…
Ecoutez … Ecoutez, cela vient ! cela arrive !
A ce même moment le brasero fusa… laissant s’échapper une vapeur intense, l’air de la pièce s’emplit d’une puanteur atroce, mélange de varech pourri et de poisson crevé…
Hubert Félix Plumm restait impassible, mais ses yeux parcouraient la salle ronde avec une colère sourde, que je ne lui avais jamais vu auparavant..
Le falot de fraudeur fut soufflé, seule la clarté maladive de la lune continuait à répandre sa lueur démoniaque par l’ogive béante. J’observai que Pflumm ne la quittait pas des yeux. A cette seconde, le vieux fusil claqua, et dans une épaisse fumée, je vis Hubert Félix épauler une seconde fois, il ricanait sardoniquement.
- Allez descendez, vite ! Plus vite ! Hurla-t-il… Ha ! Démon ! Je te tiens… Allez, vous dis-je !
Nous vîmes alors la fenêtre s’obscurcir entièrement, comme si la nuit redoublait d’opacité, l’odeur était épouvantable… Le chant étrange et maléfique retentit partout dans la tour… Le tromblon de Pflumm lui fut arraché des mains…
L’intuition miraculeuse et futée qui nous fit échapper à la mort cette nuit-là, vint de Pieter.
Il poussa du pied Pflumm, et ramassant la lanterne, il parvint à la rallumer, battant le briquet frénétiquement. Héroïquement, il s’avança vers la fenêtre en levant le bras. Le chant se transforma en plainte aigue, comme une plainte humaine, l’écho d’un désespoir profond… Quelque chose d’énorme et de massif plongea dans les eaux sombres des douves, l’atmosphère viciée devint plus respirable, et le brasero, comme par un enchantement se remit à rougeoyer…
- Il en a pris, dit Pflumm…
Sur la berge plus loin, vers Hondschoote, un chant lugubre s’éleva…



A suivre…/…
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