Monet le considérait comme son maître. Eugène Boudin, le premier impressionniste.
Corot l’avait surnommé le "roi des ciels" et Claude Monet le considérait comme son maître. "Je dois tout à Boudin", disait-il. Baudelaire venait découvrir ses nouveaux tableaux dans son atelier à Honfleur et parlait de ses "beautés météorologiques". Pourtant, Boudin est négligé en France. On se moque volontiers d’un peintre avec un tel patronyme et qui paraît vieillot.
Il n’y avait plus eu d’exposition consacrée à Eugène Boudin (1819-1891), depuis 1899 (!). C’est pourquoi la rétrospective que lui consacre le musée Jacquemart-André à Paris fait figure d’événement. Elle propose une soixantaine de peintures et dessins dont plus de la moitié n’avaient jamais été montrés ou n’étaient plus revenus en France depuis 150 ans. Car, comme souvent, ce furent les collectionneurs américains qui s’éprirent de Boudin avant les Français et qui achetèrent rapidement ses peintures chez le grand marchand d’art Durand-Ruel (celui de Monet). C’est pourquoi les plus beaux tableaux qu’on voit à l’expo viennent de Washington, Toronto, Boston, Québec ou même Mexico.
La foule, en tous les cas, se presse déjà au musée parisien. Mais cela semble être devenu une constante. Malgré la crise, la fréquentation des musées se porte très bien. Le Louvre en 2012 a atteint dix millions de visiteurs et l’expo Dali au Pompidou a atteint des sommets avec 790 000 visiteurs. L’œuvre de Boudin est inégale, parfois datée, parfois très moderne. Ce qui ressort, ce sont bien ses magnifiques ciels, et, surtout, ses vues de plages. Celles-ci sont merveilleuses. Il peint les nouveaux riches du Second Empire, venus sur les plages à la mode de Trouville et Deauville. Deauville venait d’être "créée" par le duc de Morny, le demi-frère de Napoléon III. C’était l’endroit "in", où il fallait être, "le royaume de l’élégance" comme le voulait le duc de Morny, avec son tout nouveau casino.
Baudelaire disait
Boudin montre ces femmes en robes longues à volants, portant des ombrelles, agglutinées à des hommes en frac et chapeaux de paille, assis sur les plages et conversant. Les vêtements sont vaporeux, les nuages évanescents. Le ciel est immense et, au fond du tableau, on devine les vagues et la barque agitée des surveillants des bains de mer. Baudelaire disait des tableaux de Boudin : "En face du ciel et de la mer, si fidèlement croqués d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable, dans sa forme et sa couleur, d’après des vagues et des nuages".
Parmi ces "plages", celle "aux environs de Trouville" est la plus belle , avec cette frise de personnages à la fois justes et seulement ébauchés, avec cette robe rouge comme une tache qui tient toute la peinture ensemble. Admirez aussi toute la mélancolie qui se dégage de la "scène de plage" au soleil couchant de la collection Thyssen Bornemisza à Madrid. Un groupe compact de femmes en robes longues assises face au soleil couchant comme au théâtre avec, à nouveau, la tache colorée d’une robe blanche et rouge portée par une dame qui se tient en retrait.
Il faut se rendre compte que cette manière de peindre était alors fort neuve. Boudin, né en 1824 à Honfleur, dans une famille très modeste (son père état papetier-imprimeur) n’était que de cinq ans le cadet de Courbet. Il était contemporain des peintres académiques les plus purs comme Gérôme et Bouguereau. Il précédait largement les impressionnistes, étant de 16 ans l’aîné de Monet qu’il convainquit en 1858 de venir travailler près de lui, au Havre, à la ferme Saint-Siméon, une auberge populaire et bon marché, dans un lieu pittoresque, où il avait déjà entraîné Courbet.
Peindre l’instantané
Boudin état un homme humble, acharné à son travail, qui abandonna vite les grandes fresques romantiques pour aller sur le motif, capter la réalité du monde et surtout, la volatilité des nuages, des ciels et des plages. "Les romantiques ont fait leur temps, écrivait-il en 1856 , il faut désormais chercher les simples beautés de la nature". Ce qui l’intéressait n’était pas l’éternité des sensations sublimes mais bien l’instantanéité. Il planta son chevalet au bord de mer ou sur les berges de la Seine. Il cherchait les beautés des ciels comme le faisaient déjà Constable (et ses ciels admirables) et Turner, qu’il ne connaissait pas. Il était déjà, avant que le mot ne soit inventé, un impressionniste.
Les aristocrates et grands bourgeois de Deauville n’appréciaient pas ses "plages" qui, pour eux, étaient trop "floues" et pas assez précises. On ne les y reconnaissait pas. Ils n’avaient pas compris que Boudin ne cherchait pas à rendre leurs portraits, mais bien l’impression générale, la dynamique d’un groupe sous un ciel changeant. Il faisait déjà ce que Monet réalisera avec sa série des "Meules" : transcrire aussi vite que possible les effets changeants de la lumière.
Si les aristocrates n’aimaient pas sa peinture, l’avant-garde entraînée par le jugement flatteur de Baudelaire s’éprit de lui. Manet, Degas, Zola en firent des commentaires flatteurs. Feydeau et Tourgueniev furent ses acheteurs. Et au XXe siècle, ses tableaux furent achetés par Gary Grant et Jeanne Lanvin
Tout n’est pas toujours aussi convaincant chez Boudin, dont on voit aussi quelques marines conventionnelles, trop de bateaux penchés par le vent et de trois-mâts cinglant vers le large. Souvent de petits tableaux. Parfois déclinés en séries, comme lorsqu’il fuit brièvement la France à la guerre de 1870, pour se réfugier à Bruxelles et peindre Anvers. Il décline les mêmes motifs à plusieurs moments de lumière du jour.
Boudin fut aussi un beau dessinateur dont on admire, au Jacquemart-André, les croquis pris sur le vif de personnages sur les plages. En 1892, Monet, alors en pleine gloire, lui écrivait encore : "je n’ai pas oublié que c’est vous, le premier, qui m’avez appris à voir et à comprendre."
A la fin de sa vie, il voyagea et découvrit la lumière de Venise, sur les traces de Guardi qu’il admirait tant pour son habileté prodigieuse et sa légèreté.
Boudin fut un peintre de la joie de vivre, de la beauté de la nature, du moment qui passe. C’est sans doute cela qui fascine, encore aujourd’hui, les foules qui viennent devant ses tableaux.