Suite de textes en prose et en vers libres, dont le fil conducteur est une sorte de paganisme nietzschéen solaire et hédoniste, paru en 1894, introuvable sur le net et récemment réédité (éditions La part Commune)
Textes sur la nature, textes romantiques, philosophiques, politiques, un mélange détonnant, souvent acide et assurément non-conformiste. A redécouvrir d'urgence pour voir ce que peut être la prose poétique, et ce que peut donner une poésie philosophique quand l'auteur sait à la fois penser et écrire.
Deux poèmes en prose extraits du livre:XIX
O poëtes, mes frères, je crains pour vous.
Vous ressemblez à des voyageurs qui s'en vont por-
tant des trésors à travers la forêt; ceux-ci contemplent
les ciselures du coffret qu'ils ont à la main, tandis que
leurs compagnons regardent les arbres ou le ciel : nul ne
songe aux voleurs.
J'en vois bien qui se croient plus éclairés et plus pru-
dents et qui, allant au-devant des bandits, leur ont offert
une partie de leurs richesses pour qu'ils les protègent ;
mais ceux-là sont encore. plus fous que les autres.
O poëtes, mes frères, je vous le dis : Vous serez tous
égorgés.
Parce que nul ne se défie, parce que nul ne sait prendre
un couteau, que nul n'a la force de frapper ceux qui l'atta-
quent.
Et pourtant cela est beau de défendre son rêve ; vous
parliez hier des antinomies de la pensée et de l'action,
vous ne saviez pas ce que vous deviez faire : Eh bien, la
voilà votre tâche !
Les Barbares sont là. près de vous ; dans leur colère
imbécile ils vont renouveler les grands crimes de l'Histoire :
ils brûleront les bibliothèques, ils mutileront et briseront
les statues.
Ils frappent tous ceux de leurs ennemis qu'ils peuvent
faire prisonniers, surtout les nobles, surtout les forts, sur-
tout les beaux.
Pour moi, dès maintenant j'ai mes armes prêtes : je saurai
combattre et mourir pour la Beauté.
XXVI
Trois jeunes femmes se tenant par la main se sont avan-
cées sur le rivage : l'une au front vaste et au regard sévère ;
la seconde, belle de la tendresse de ses yeux et de son sou-
rire ; la dernière ardente avec des gestes passionnés.
Tout en marchant elles ont les yeux fixés vers les roses
charmants du ciel, et elles chantent dans le soir un chant
plein de douceur.
A leur venue les feuillages des terrasses au loin s'incli-
nent pour les saluer ; le flot se fait caressant sur le sable ;
tous les êtres s'arrêtent et s'émerveillent de leur passage.
Et il me semble que c'est ainsi que s'en va dans la vie
une belle âme : la pensée, l'amour, l'instinct mêlent chez
elle leur hymne glorieux : toute la nature l'acclame et elle
acclame elle-même toute la Nature.