Charif Majdalani (Liban)

337 p.Editeur : Points

Son premier roman l'a fait connaître,

Dans le Liban de la fin du XIXe siècle, Wakim Nassar, un homme reparti de rien, décide d'introduire la culture de l'oranger sur cette terre supposée infertile. Son entreprise réussit, il fonde une famille nombreuse et fait bâtir la Grande Maison, devenant ainsi puissant et respecté. Dans un style éblouissant, voici l'histoire haute en couleur de l'ascension, de la grandeur et de la décadence du clan Nassar: un destin libanais.

Né au Liban en 1960, Charif Majdalani dirige le département de lettres françaises de l'université Saint-Joseph de Beyrouth. Adepte du métissage culturel, il se définit volontiers comme "méditerranéen".

Croyez-moi, c'est un styliste, et tellement à l'aise dans son écriture, qu'il est capable d'en jouer et de rire en même temps. A tel point que le lecteur doit monter d'un cran dans son attention pour se hisser à un bon niveau : je lis



206 p. Seuil

La première phrase de caravanserail, ce livre épopée dans le désert, est ample comme le cadre et aussi inattendue dans son déroulement que le comportement des personnages.

C’est une histoire pleine de chevauchées sous de grandes bannières jetées dans le vent, d’errances et de sanglantes anabases, se dit-il en songeant que cela pourrait être la première phrase de ce livre sur sa vie qu’il n’écrira jamais, puis le tac-tac de roues à eau sur le canal le distrait, il se redresse dans son fauteuil en osier et s’y adosse en savourant, depuis la terrasse où il est assis, le silence qui est un don du désert que le désert étend, dans sa paradoxale générosité, sur les plantations, les masses sombres des pruniers, les abricotiers, sur les terres à pastèques et les terres à melons, un silence que seul depuis des millénaires le tac-tac des roues à eau scande de son rythme lent et sec.

Caravanserail raconte l'épopée burlesque du grand père libanais de Majdalani dans une Afrique (Darfour, Soudan etc.) tiraillée entre l'Empire Britannique et les pouvoirs locaux.

Ce ne sont que missions pour rétablir le calme, expéditions avec mutineries, incidents en tous genres, querelles internes entre tribus, paroles trompeuses.

"Ah ! voici notre ami libanais" s'écrit régulièrement le colonel Moore, qui compte sur le talent de Samuel Ayyad pour résoudre toutes les difficultés.

Un autre Libanais fait son chemin dans la région : il tente de vendre un palais arabe de toute beauté aux potentats locaux. Ceux-ci voudraient acheter au détail ce qui constitue un ensemble ! Pourtant ce palais devient bientôt un puzzle à reconstituer, ou une suite de cailloux blancs à la manière du Petit Poucet.

Les deux Libanais font cause commune dans de multiples mésaventures qui relèvent de la farce.

Majdalani amuse par le ton solennel de ces aventures picaresques et burlesques, en héritier de son grand père qui, dans les repas de réconciliation, se révèle un conteur fabuleux et humoristique.

Un auteur de talent au style impressionnant : ses phrases, à la riche palette de tons, se déroulent comme il convient pour décrire des aventures inattendues et disparates.

Dans une trilogie qui comptera 4 romans, Majdalani raconte l'histoire du Liban du XIX" aux années 70, les périodes d'opulence.

La grande maison raconte une fortune établie sur les orangers. C'est à la fois "la maison en dur", et le clan qui joue un rôle politique important.


Difficile d'écrire sur le Liban d'aujourd'hui où la population donne l'impression de mener une vie insouciante sur un volcan. Autant évoquer le départ vers la Syrie d'un Libanais qui veut faire fortune.

Là encore une dimension épique, et de longues phrases, peut-être prises dans le style de Xénophon, écrivain apprécié par l'auteur qui aime son rythme. Cela permet aussi de traduire en français la pompe, - sinon la grandiloquence, de la langue arabe, tout en gardant des accents différents.

La guerre n'est pas décrite pour elle-même mais par ses effets, comme chez Stendhal, dit l'auteur.

Il n'aime pas beaucoup le discours officiel de "paix et de tolérance" des Libanais qui n'arrêtent pas de se battre, et jouent les matamores. Dans les quartiers, les ados adoptent l'esbroufe, avec des noms empruntés aux séries de télé (Rambo et cie).

la folle entreprise des héros dans l'oeuvre de Majdalani (ramener un palais ou une usine) a quelque chose de drôle et de pathétique en même temps.

Le Liban se glorifie de ses ressortissants à l'étranger, plus nombreux que sur son sol. C'est une mythomanie courante, un peu agaçante aussi.

Excellent début pour nos si brèves années de  gloire.

1/3
 
Le lecteur est bien accueilli, l'hôte lui présente des figues et des fruits, ainsi qu'à son auditeur chargé de retrancrire par écrit ce qui va être raconté.
 
En même temps, cette hospitalité envers le lecteur se place sous le signe du jeu :
 

Citation :

L'incroyable scène qui suivit est de celles dont on pense qu'elles n'arrivent que dans les rêves les plus loufoques ou dans les Mille et une nuits.

Le magasin de tissus où officie le jeune héros reçoit la visite d'une femme entièrement voilée, accompagnée de plusieurs suivantes, comme il convient sans doute à son rang. Or son regard inviterait à la suivre... on assiste alors à une sorte de parade amoureuse, mystérieuse à souhait, avec un jeu de séduction propre à entretenir les plus érotiques attentes...
 
Le jeu contamine le narrateur qui, sans crier gare, glisse au passage un vers bien connu de Baudelaire, sur les "bijoux sonores".
 
c'est dire si notre complicité est assurée:cheese:

nos si brèves années de gloire.
2/3
Car Charif Majdalani prend son lecteur à témoin, et fait de lui le compagnon fidèle de la relation de ses aventures :   « je vais poursuivre mon récit. Vous êtes d’accord ? Alors poursuivons. »

A la base de ses motivations, le contexte amoureux explique et justifie, ainsi que l’amour et l‘honneur familial, cette suite d’aventures quasi épiques qui tiennent du picaresque - et du rocambolesque ! Certaines scènes d’amour au cinéma, une fois le public parti, deviennent savoureuses à la lueur de projecteurs inopinément remis en service !  

Comme elle était vierge, elle refusait que nous allions jusqu’au bout des choses, si bien que lorsque notre désir devenait intenable il nous suggérait des caresses parfois inavouables, sur fond de dialogues amoureux en anglais, de chamailleries en arabe égyptien, de cavalcades bruyantes, de brusques montées d’adrénaline et de soudaines tueries qui nous demeuraient incompréhensibles parce que nous ne suivions cela que de très loin.

Dans les intervalles, nous assistions distraitement à des bribes de films tandis que dans le faisceau lumineux du projecteur, tendu devant nous au-dessus de la salle, semblaient s’agiter en permanence des formes et des couleurs comme des grains de poussière dans un rayon de soleil.

Dans le domaine des affaires, des intrigues complexes et multiples surgissent des cerveaux, se heurtant parfois aux aléas ou aux bonnes fortunes de l’existence, ce qui donne au récit une prodigieuse vitalité, et un humour constant :

Ne faut-il pas, se dit à lui-même le narrateur, être un idéaliste invétéré pour vouloir à tout prix se procurer des chevaux à l’heure du pétrole-roi ?

nos si brèves années de  gloire.
3/3

Rien ne se fait sans passion dans cette trilogie libanaise (La grande maison, caravansérail, nos si brèves années de gloire).

C’est pourquoi nous aimons la geste familiale des habitants, à l’esprit fécond que ne réussit pas à décourager et à rendre stérile la guerre présente dans ce troisième opus.

Chez les personnages on découvre la même ingéniosité et le même désir pour se procurer des machines à coudre, des chevaux fabuleux, ou des machines à textiles.

Le narrateur, par ses soucis, ses désirs et ses expressions ressemble à l’un de ses personnages :

« Comme un maquignon vous parle de ses plus belles juments, il redevenait lyrique, et je me disais qu’il n’aurait pas parlé autrement de ses filles s’il avait eu à me les montrer en photos. Parfois il prenait un ton expert et un peu coquin pour expliquer les prouesses d’une enrôleuse ou les capacités inusitées d’une capitonneuse et il me faisait alors penser à un amoureux un peu lubrique qui vous montre les photos de toutes ses conquêtes en vantant effrontément leur valeur au lit. Pour mener à bien le pillage du haras mécanique qu’il me proposait cet enlèvement au sérail des énormes dondons de fer et de chrome, il avait tout prévu… »

Lui aussi, le narrateur de Madjani, parlera avec fièvre de ses « enrôleuses, ourdisseuses, capitonneuses et décatisseuses », filles de son « harem mécanique » qu’il transporte, installe avec soin et qu’il « entretient ».

Tout le récit transmet cette chaleur, et ce n’est pas sans émotion qu’on voit les rapports d’alors entre la Syrie et le Liban, l’entregent de personnages qui commercent avec les Bédouins, passant d’un pays à l’autre pour assurer l’avenir du patrimoine familial.

Surprenantes pages d'un érotisme délicat qui semblent tirées d’un conte oriental. J’ai beaucoup aimé la manière de renouveler l’image du regard d’eau pure :

Citation :

L’éclat des yeux se transforma subitement, comme une eau s’éclaircit et prend une teinte plus pure parce que le ciel qu’elle reflète s’est soudain dégagé, […]  

Et, plus loin, l’appel du désir qui n’a pas besoin de la parole m’a paru traduit de façon sobre et expressive :

Citation :

[…] elle eut un regard étrange, ambigu, pénétrant, qui me transmettait un message en dehors du canal de la parole et qui, traduit en langage articulé, signifiait : « Suis-moi. »

L’art du conteur se fait subtil quand sont évoquées les toilettes successives et la pirouette finale (que je me garderai de dévoiler  ) m’a fait sourire.
Merci Rotko

oui, Nic, j'ai également trouvé ce récit délicat, avec de belles images poétiques, tout ce joue avec le regard puisque rien d'autre n'est visible.
Mais quand même, cette femme, c'est une sacrée allumeuse ! moi non plus je ne dirait rien de la fin ...... mais quand même ! 

je trouve qu'il y a aussi un côté picaresque dans ces situations, qui me rappelle le ton de Gil Blas de lesage.

rotko a écrit:

je trouve qu'il y a aussi un côté picaresque dans ces situations, qui me rappelle le ton de Gil Blas de lesage.

Je n'y avais pas pensé mais il y a de ça

je n'ai rien trouvé de picareste à cette poursuite, il n'y a pas eu d'actes héroïques, rien de grandiose, il s'est fait avoir le benêt ! 

justement, le picaresque c'est le rêve héroïque qui finit dans

Spoiler:

ah mais, ça n'a rien d'héroïque cette poursuite !

Citation :

justement, le picaresque  c'est le rêve héroïque qui finit dans

Spoiler:

comme tu veux, finalement  

mais il n'a pas fait un rêve héroïque, il rêvait surtout de là sauter !
(insiste-t-elle, têtue comme une bourrique....)

C'est dans le ton adopté qu'on peut voir du picaresque, je trouve, avec l'échec attendu bien sûr mais le mélange de cruauté et de comique finalement, l'autodérision aussi de celui qui dit "je".

j'ajouterai mon petit mot aussi, pour la semaine prochaine.
Je ne suis pas encore en condition d'écrire.
Ces quelques pages, je les ai trouvées d'une saveur orientale,étranges.

"Le dernier seigneur de Marsad" finaliste sur trois prix (Renaudot, Fémina, Médicis)
 
rappel !
 
 
 
Beyrouth, quartier de Marsad, 1964. Simone, la fille cadette de Chakib Khattar, un notable chrétien qui a fait fortune dans le négoce du marbre, est enlevée par Hamid Chahine, bras droit de Chakib à l’usine de celui-ci. Hamid est le fils d’Abdallah Chahine, régisseur des biens des Khattar, mais d’extraction plus modeste qu’eux. Abdallah et Chakib, amis de longue date, ont eu autrefois une maîtresse commune, Lamia