Drago Jancar (Slovénie)

je viens de le découvrir, et je crois avoir eu la main heureuse.

Le Prix Européen de Littérature 2011 est attribué à Drago Jančar (Slovénie), né à Maribor en 1948, pour l’ensemble de son œuvre de romancier, de dramaturge et d’essayiste, à l’occasion du 20e anniversaire de l’indépendance de la Slovénie (1991), à laquelle il a activement contribué.

nous apprend Poezibao où je puise ce court extrait :

Jančar choisit le plus souvent pour personnages des êtres marginalisés et écrasés par la société et pour lieux des espaces clos tels que prisons, casernes ou hôpitaux psychiatriques. Il se garde pourtant de verser dans la compassion ou la protestation. La distance et l’ironie sont la marque de son style.

Vous pouvez découvrir avec ce lien sa production abondante : nouvelles, essais, théâtre.

133 pages chez Arfuyen

j'ai ce recueil de six nouvelles, et la première, la répétition, me laisse sans voix. Elle fait 16 pages, trop pour que je puis l'envoyer.

¨Par contre Mesures pour développer la puissance créatrice de l'homme fait 3 feuilles et 2 pages, une pour le début, l'autre pour la fin. Si vous la voulez, envoyez-moi un Mp avec votre adresse de courriel.

C'est une bonne lecture, et on verra ensuite si Drago Jancar vous laisse indifférent !!

Le début d'Ethiopiques, la répétition


Un jour de mai 1945, quelque part dans les montagnes de Slovénie, une unité militaire manqua la cote qu'un commandant avait marquée sur sa carte, la veille au soir, à la lueur d'une lampe de poche, et se retrouva au-dessus d'un village inconnu après une longue nuit de marche. Sur le versant boisé, l'éclat de la lumière du matin perçait à travers les branches et entre les troncs, éblouissant les hommes de la nuit.

Sans avoir reçu de consigne, ils s'arrêtèrent, leur instinct aiguisé par une longue pratique de la guerre les fit se cacher derrière les arbres et dans les fourrés. Un soleil printanier baignait le chaud paysage couché à leurs pieds, leurs regards anxieux errèrent d'abord sur les hauteurs puis s'arrêtèrent sur la neige étincelante des lointaines montagnes qu'ils devaient franchir.

Leurs yeux fatigués se dérobèrent à l'éclat douloureux de la neige, s'égarèrent dans la vallée en suivant la pente douce jusqu'à l'orée du bois. Là, derrière une butte herbeuse, un clocher blanc s'élançait vers le ciel. En avançant, ils aperçurent soudain un village aux maisons frileusement serrées contre la colline et paresseusement rassemblées autour de la petite église. Et là, ils découvrirent une scène étonnante, mystérieuse.

Spoiler:

La suite est de la même force.

j'ai lu le fil et "les instructions " que tu nous as envoyé: bouleversante écriture, on oublie que c'est de la littérature, on le ressent comme si on l'avait vécu.
je lirai de nouveau ce beau travail que tu as fait pour nous, merci Rotko; Un grand écrivain, Jancar qui nous laisse entre l'admiration et le frisson.

Oui, cette nouvelle ne laisse pas indifférent. Jancar nous fait pénétrer avec beaucoup de subtilité et de discrétion dans les bordels des camps nazi. La prostitution était officiellement proscrite mais officieusement organisée, pour ''détourner les hommes de l'homosexualité'' et comme nous l'apprenons ici pour ''développer la puissance créatrice de l'homme'', tel est le titre du récit.

Ce n'est qu'à la dernière page que la pratique nous est expliquée dans le détail, l'auteur adoptant un style très indirect pour mettre en scène de façon pudique l'horreur de cette réalité. Il a aussi fortement recours à des analepses, qui à mon sens ont une fonction elliptique. Pour ma part, je n'ai compris la situation qu'à la page 63, lorsque la fille demande à Lesnik : « c'est la première fois ? ».

Ammadak a parfaitement raison quand elle dit que l'écrivain nous fait vivre l'histoire. D'un point de vue stylistique, j'ai l'impression qu'on est dans une sorte de monologue intérieur rapporté, d'où certainement l'importance du discours indirect libre dans le texte.

Ce qui me plait dans cette histoire, c’est la pudeur, la distance par rapport au récit, et le retentissement sur les narrateurs.

Effectivement on met du temps à comprendre cette rencontre, sa nature, comme si le narrateur principal, Levnick, rechignait à tout dire. De même qu’au début de la scène, il montre son embarras, en s’occupant du bois pour nourrir le feu.

On comprend les réticences de l’intéressé, il a dû raconter son histoire par bribes (« raconte Levnick »), finalement il la confie à un jeune écrivain, à peu près du même âge que lui dans la scène.

Chacun d’eux garde en mémoire cet épisode où dans un contexte gênant (le but, le lieu, le temps imparti, les interventions de l’extérieur) a eu lieu un dialogue authentique, ressenti avec intensité, et rappelé bien plus tard.

L’émotion de l’écrivain - il entend encore et fait entendre la voix de Levnik, se traduit dans ce qu’il a noté par la suite : deux vies brisées par la guerre, 

Citation :

« Ensuite ils ne se rencontreraient plus jamais car la fille n’est pas revenue, comme le raconte Levnick »,

drames humains déterminés froidement par des incorporations et des tests, reconstitués dans cette courte nouvelle au titre d’un humour noir :

la puissance créatrice de l’homme pour décrire des corps et des personnalités détruites, des espoirs insensés, brisés dans la fureur des combats

« explosions des lance-mines mêlées au cliquetis des mitrailleuses d’assaut » 

à la suite d'Aglaée et de Rotko, queje viens de lire le mien n'arrivera pas à vos chevilles,mais venant de très loin ça peut se faire pardonner, je ne veux pas le refaire.Mesures pour renforcer la puissance de l’homme

Dans l’année 1975 Lesnik ancien combattant de l’armée, allemande raconte à un jeune écrivain, l’étrange et pénible histoire vécue dans un bordel près de Minsk
Une fille de son pays Slovène comme lui, avaient partagé une demi heure où elle, entre rire et sanglots lui raconta son triste sort. Le récit est troublant, depuis longtemps elle mène, forcée ces « mesures venues de Berlin, pour renforcer la puissance de l’homme » Parlant leur langue ils deviennent presque amis et il essaye de lui donner l’espoir de qu’un jour elle retournera à sa terre et ils vont se retrouver. Elle ne reviendra jamais ; Les sévices subis, la brutalité et en fin la soumission totale, pour un morceau de pain, rendent certaines lignes trop émouvantes à raconter.
Le passé et le présent pour Lesnik reste vivants et dans la nouvelle ces allers-retours sont fréquents.
A la fin de la guerre, lui retourne au pays où il pensait la voir sur la vallée des montagnes, il revient avec la Croix de Fer et un bras de moins.

Je dirais que cet écrivain me fascine et que j’aimerais lire ses livres ; cette petite nouvelle a suscité en moi une vive émotion..

pour Aglaée:
question qu'elle pose "c'est la première fois? elle le voit jeune et gêné et elle
pense que c'est la première fois qu'il est avec une femme. je me trompe peut-être, mais j'ai eu cette impression.

rotko a écrit:

Ce qui me plait dans cette histoire, c’est la pudeur, la distance par rapport au récit, et le retentissement sur les narrateurs.
 

On en effet, l'auteur ne mettra jamais de mots sur les activités de cette inconnue, sûrement aussi pour ne pas lui infliger une violence de plus. On est vraiment dans l'art de la suggestion, sauf lorsqu'il s'agit d'évoquer la violence sur les fronts, sorte de métaphore pour présenter la violence des vies des deux personnages.

Citation :

question qu'elle pose "c'est la première fois? elle le voit jeune et gêné et elle
pense que c'est la première fois qu'il est avec une femme. je me trompe peut-être, mais j'ai eu cette impression.

Amadak, tu as pensé que le personnage était vierge? Pourquoi après tout, mais je pense plutôt que cette idée de ''première fois'' signifie qu'il n'était jamais allé voir des filles dans ces circonstances, d'où l'embarras du début que souligne Rotko dans son post.

La chaussette et le verre de vodka, des rites qui scandent le texte :

- la « grosse chaussette de laine » de la fille, indice du froid permanent dans cette cambuse où il faut toutes les quinze minutes recharger le poêle à bois (p 62 et 2 fois p 67).

- La vodka du visiteur, dont il reste à deux reprises la moitié d’un verre (p 62 et 2 fois p 67).

Des reprises qui passent du récit de Leynick à celui de l’écrivain, qui aura le dernier mot.

Tout semble écrit : la fréquence des visites, les 15 minutes, le tarif (1, 80 pour l’officier, 0, 2 pour la fille) et cette rencontre sans lendemain qui fait écho au vain sauvetage du tankiste par Leynick.

c'est un récit sans fard qui m'a troublée par sa cruauté. Le point de vue D'aglaée est judicieux, mais je pense que le mien pourrait l'être aussi.
Un auteur de talent, qui mérite d'être lu.

Pas grand chose à ajouter à vos commentaires de la nouvelle que tu nous a envoyée, rotko, merci à toi.
Comme vous, j'ai été saisie par la sobriété de l'écriture qui donne de la puissance au récit ainsi qu'à la profonde humanité de l'auteur. J'ai trouvé particulièrement émouvante l’absence d’évocation précise des gestes de la femme, ce qui préserve sa dignité et accentue la honte éprouvée par Lesnik sur le moment et plus tard au moment où il raconte par bribes ce qu’il a vécu. La femme ne reviendra jamais, le tankiste tiré des flammes ne survivra pas : le rapprochement des deux faits souligne le tragique et le dérisoire, tous deux poignants.
Peut-on voir dans le bras amputé le symbole d'une vie brisée par la guerre et définitivement amputée d'une rencontre qui aurait pu se renouveler une fois de retour au pays ?
Amadak, j'ai compris comme toi la question : "C'est la première fois ?" hésitant toutefois un peu entre première fois avec une femme ou avec une prostituée.

ce qui me surprends dans la nouvelle,c'est qu'en si peu de pages il nous présente un monde sur le point de s'effondrer et où deux àmes brisées envisagent encore un futur. On est touché par cette cruelle histoire, elle semble et doit être véridique,cela ne m'étonne pas du nazisme.
nous sommes en présence d'un grand écrivain.

Le meilleur livre de Drago Jancar, selon le matricule des anges.



291 p. Editeur : L'Esprit des Péninsules

Un récit aux accents évocateurs de Franz Kafka et de Joseph Roth.

Le magazine "le matricule des anges" n°128 nov-dec 2011) lui consacre un dossier très interessant ( p 18 à 27)

les oeuvres de Drago Jankar en français

des bruits dans la tête, roman (passage du Nord Ouest, 2011)

Katarina, le paon et le jésuite, roman ( passage du Nord-Ouest, 2009)

la grande valse brillante, théâtre (l'espace d'un instant 2007)

Aurore boréale, roman (lesprit de peninsules, 2005

l'élève de Joyce (l'Esprit des peninsules, 2003)

Ethiopiques et autres nouvelles ( Arfuyen 2012)

Merci encore à Rotko pour cette nouvelle magnifique ! Un récit très simple et très fort.
J'ai pour ma part été frappée par la mise en abîme narrative : ça commence de manière classique au passé et avec un narrateur extérieur puis soudain on est surpris par ce «raconte Lesnik» , le présent venant souligner que le vrai récit part du héros, et plus tard entre également en scène l'écrivain qui a écrit son récit et semble se dissocier de ce narrateur extérieur ...
Il en résulte une sorte d'enfermement en cercles concentriques, lui même rehaussé par la répétition de nombreux motifs : comme une histoire éternellement recommencée. Inutile pour le narrateur de tout décrire d'ailleurs,le lecteur peut aisément compléter les trous.

parfait ! moi aussi j'ai bien aimé ces nouvelles et j'ai pris en théâtre la grande valse brillante. bonne soirée.

merci Rotko,de nous avoir mis cet écrivain sous les yeux; cette courte nouvelle ne l'est point, puisque elle reste dans ma mémoire et que je n'oublierai pas. un auteur
qui subjugue le lecteur.

je proposerai la première nouvelle de ce recueil. Elle est plus longue, mais très prenante. Une fois lue, elle reste dans la memoire. Attendez un peu, et je m'en occuperai.

nous attendrons Rotko: Cette petite nouvelle m'a bouleversée.
étonnée que dans si peu pages, on peut rendre, la souffrance, l'angoisse, l'espoir et le regret.

L’homme qui regardait dans le gouffre. in Ethiopiques.

Par un matin de printemps, la vendeuse du Mercator remarqua un homme qui parlait à voix haute dans un coin près de l’armoire frigorifique contant les produits laitiers […]

L’homme d’âge moyen qui prononçait tout haut des phrases définitives comme s’il voulait convaincre quelque un de quelque chose n’avait pas l’air d’un clochard.

cette nouvelle met en scène un homme qui fut jadis, et par hasard, un interlocuteur privilégié de la télévision, et que tout le monde admirait comme un ardent défenseur des droits de l’homme.

Jancar tricote et détricote son itinéraire, sa médiatisation, son discrédit, ainsi que l'obsédante fascination d’un homme pour se faire entendre et se faire voir, quels que soient les écrans.

Un thème original, orchestré de manière musicale avec des leitmotifs obsessionnels.

J'ai relu tout le fil, et aujourd'hui en voyant le nom Drago, j'affirme que j'ai encore vivant le souvenir de la nouvelle "Instructions... cela fait partie de ces livres qui perdurent; Rotko tu nous as ouvert l'appétit avec l 'introduction de "l'homme qui regardait dans le gouffre" Comment se le procurer? Un sujet très actuel.
Dans mon pays il y a un site TEMATICA:COM. je vais voir, s'il y a un stok pas épuisé peut-être.

désolée, rien trouvé. seulement sa biographie sur Wikipédia.

Tu me fais bien plaisir par ton intérêt pour Drago Jancar. Je pense trouver une solution pour te faire parvenir ses textes. Merci encore Amadak.

Rotko,cher ami ,tu en as déjà par dessus la tête avec l'effort de menerGDS*
le jour viendra où Jancar sera sur Internet avec ses nouvelles.
J'ai vu qu'il est sur Facebook, mais seulement sa biographie copiée de Wikipédia.