Francis Bacon

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Un livre Francis Bacon à nouveau de David Sylvester, chez André Dimanche.

J'aime beaucoup Bacon, mais on ne peut pas dire que son atelier était un modèle de rangement :

Effectivement

il y aurait beaucoup à dire sur les ateliers de peintres et les bibliotheques d'ecrivains ou leur table de travail. j'ai vu une photo du bureau de Georges Dumezil, en plein travail, qui servirait d'excuse à n'importe quel ado !

Quant à Picasso, c'etait, paraît-il, un sacré foutoir. il avait acheté à Matisse un tableau que celui-ci ne voulait pas vendre, disant qu'il était inachevé.
Mais picasso tint bon. Il mit le tableau dans son atelier et quand on lui demandait ce qu'etait ce tableau, inegalement barbouillé, il haussait les épaules, et riant sous cape, disait : un Matisse !

Justement, c´est le titre de "Detritus" qu´Elena Ochoa a choisi pour la publication du livre-coffre sur Francis Bacon.
http://www.ivorypress.com/
Artist´s Books, puis selectionner Francis Bacon.
Elena Ochoa est la directrice de Ivorypress, et comme chaque exemplaire de "Detritus" vaut 75.000€ ( Non! je ne me trompe pas!) mieux vaut que vous regardiez ce livre ( fac-simil) sur le site, afin d´assister à sa composition.
Ce sont 75 objets trouvés dans le capharnaüm de Francis Bacon, après la mort de l´artiste, reproduits ou utilisés de diverses manières qui composent ce livre.
L´une des pages de "detritus", c´est justement la photo que tu nous indiques, Seuguh, et on peut la voir en grand sur la presentation-video de " Detritus".
Bacon est aussi un de mes peintres préferés.

Je ne connais pas Françis Bacon, les quelques tableaux que j'ai vu me provoquent plutôt de la douleur, c'est vrai que j'ai toujours du mal avec les portraits ou les corps déformés, question de sensibilité et de goût et de tripes aussi tout simplement.

Mais je ne demande qu'à découvrir avec vos mots et vos regards, qu'est-ce qui vous plaît, les peintures, l'homme, un mélange des deux, qu'est ce qui vous attire dans ces oeuvres ?

Voilà, merci de vos éclairages sur ce peintre presque inconnu pour moi !

Âmes sensibles, fermez les yeux !

Citation :

les quelques tableaux que j'ai vu me provoquent plutôt de la douleur, c'est vrai que j'ai toujours du mal avec les portraits ou les corps déformés, question de sensibilité et de goût et de tripes

Certes, mais des corps vieillis, des visages rongés et déformés existent. Un francis Bacon en couverture de la face d'un autre ne déparerait pas. Le personnage a été victime d'un accident : explosion d'un flacon d'air liquide, et il en résulte des cheloïdes .
Abe Kobo dit dans la face d'un autre qu'à une blessure externe correspond une blessure psychologique de la même profondeur.

Pourquoi le peintre n'exprimerait-il pas celle-ci par une représentation de celle-là ?

rotko a écrit:

Pourquoi le peintre n'exprimerait-il pas celle-ci par une représentation de celle-là ?

Il n'est pas du tout question de dire ce qui doit être peint ou non !!!
Je voulais savoir ce que vous ressentiez en regardant ces oeuvres, pourquoi cela vous plaît ou non.

Il n'y a pas de jugement ni sur l'oeuvre si sur les sentiments des uns ou des autres. Juste un intérêt particulier sur le ressenti, le fonctionnement de ce que nous sommes.. humains. Je reconnais que ma question peut-être génante car elle amène peut-être à exposer des sentiments trop personnels difficile à exprimer sur un forum.

J'essayerai de répondre la première en expliquant pourquoi je ressens une douleur dans les oeuvres de Bacon, alors que pour d'autres peintres cela ne me le fait pas.

Utopie a écrit:

Je voulais savoir ce que vous ressentiez en regardant ces oeuvres, pourquoi cela vous plaît ou non.

J'aime regarder les peintures de Bacon, parce que j'ai l'impression de contempler une sorte de cubisme original - et non pas une déformation, mot qui me semble péjoratif pour exprimer mon sentiment. Ce qui me plaît aussi, c'est la mise en perspective avec des lignes très simples, comme dans les études pour une crucifixion, par exemple. J'ai vu récemment un livre consacrés à ses portraits et autoportraits, et tous ne relèvent pas d'une espèce de boucherie. (Je comprends tout à fait qu'on puisse éprouver du dégoût ou un malaise en regardant ses peintures.)

Toujours difficile d'exprimer exactement ce qu'on ressent visuellement.

Citation :

Certes, mais des corps vieillis, des visages rongés et déformés existent.

Tout à fait et certains représentations me touchent beaucoup et j'arrive à trouver une distance, d'autres me sont douloureuses. Ce n'est pas tant une question de sensibilité (le mot sensible est trop galvaudé et sert trop d'excuses à mon goût).
Lorsque l'on est face à une oeuvre quelle qu'elle soit, on y est avec son vécu, ses douleurs, ses tourments.

Je me lance à l'eau la première...
Les tableaux de F. Bacon me ramènent des années en arrière et me rappellent des personnes proches et malades et de leurs peurs, comme je ne suis pas de nature maso, voir ces peintures me provoquent une émotion, une douleur que je prends de plein fouet sans trop arriver à gérer tout ça.

Donc ma question est une recherche, je me disais que peut-être on pouvait apprécier ces oeuvres parce qu'elles ne faisaient pas écho avec un vécu trop proche derrière, qu'il faut peut-être avoir une certaine distance, ne pas être trop concerné directement ou indirectement.

Peut-être pouvez-vous m'éclairer sans vous mettre trop à nu ?

Citation :

Abe Kobo dit dans la face d'un autre qu'à une blessure externe correspond une blessure psychologique de la même profondeur.

Cela me semble évident mais pas tout à fait vrai, on peut avoir des blessures externes (accident par ex.) qui amènent des blessures internes (psychologiques)

Seuguh a écrit:

J'aime regarder les peintures de Bacon, parce que j'ai l'impression de contempler une sorte de cubisme original - et non pas une déformation, mot qui me semble péjoratif pour exprimer mon sentiment.

Merci Seuguh et tu sais bien exprimer ce que tu ressens.

Tu m'apportes un regard intéressant car tu ne vois pas la déformation mais une ligne originale, ce que j'arriverai peut-être à voir dans quelques temps surtout avec votre aide !

C'est pour cela que j'avais envie d'en discuter, lorsque l'on est trop touché, trop dedans, trop proche, une manière d'évoluer soi-même et de travailler son regard, ses émotions, c'est bien souvent en échangeant nos ressentis avec autrui.

Utopie a écrit:

Les tableaux de F. Bacon me ramènent des années en arrière

On comprend mieux, évidemment. Moi aussi quelque part ça me ramène en arrière : ça me rappelle un ami peintre - que je vois moins - qui m'avait fait découvrir Bacon... Cela se racroche à de bons souvenirs, à ma tendre jeunesse (wé j'ai plus vingt ans, où est-ce que j'ai fourré ma canne, d'ailleurs ?)

Je connaissais Francis Bacon, mais c´est à la sortie de la grande Exposition de 1996, Centre Pompidou ( Paris) que je me suis empressée d´en savoir plus sur cet artiste.
C´est à cette époque que j´ai dû lire un commentaire ( dans le fond élogieux) qui disait qu´un tableau de Bacon, c´etait comme la trace fluorescente, la bave que laisse la limace, après son passage.
Et il y a beaucoup de celà chez Bacon : c´est la nature dans son état élémentaire. C´est le frottis de la partie la plus cachée, la plus secrète du corps humain.
Et ces bouches béantes et tordues qui annulent tout le reste du visage, ni plus ni moins que la vision quotidienne d´un dentiste?.
J´aime Bacon car ce n´est pas la peine d´aller voir de près qui est l´auteur du tableau, on devine de loin et du premier coup d´oeil sans faire appel à la signature, ni au petit ecriteau placé à côté du tableau exposé.
Bacon est un solitaire, il ne puise pratiquement de personne, aucun disciple ne se risque à vouloir suivre la route tracée.
« Car il en est des hommes comme des diamants : seuls les plus grands peuvent faire des solitaires. Ceux du commun doivent s’assembler et rechercher un effet de masse. » Schopenhauer
De la volonté de la nature

Et pour finir et pour ceux qui se sentiraient encore un peu effrayés par tant de chair et tant de carcasses, je vous citerai l´anecdote de 1991, quand Bacon se trouve au Musée Picasso de Paris tout affairé à accrocher l´un de ses tableaux ( "Trois études pour une Crucifixion”, qui venait tout juste de traverser l´Atlantique, puisque le triptyque appartient à la collection du Guggenhheim de New-york) ) pour l´Exposition " le corps sur la croix".
Quelqu´un lui dit que sa crucifixion est brutale, que c´est de la viande, une scène de tuerie, on ne voit que des chairs mutilées. Et Bacon répond: " Et la Crucifixion alors?...Vous connaissez vraiment quelque chose de plus barbare que la crucifixion, que cette forme spécifique de supplice?"

n'avez-vous pas la tentation de le rapprocher de Soutine ?

Oui Soutine et d'autres.

Les voir, s'y intéresser, je comprends, je crois que c'est aimer que je comprends mal ...

Bon je reviens ... j'ai lu une biographie sur la toile. Il exprime ses souffrances (on pouvait s'en douter).
Alors pour faire plus simple, ma conclusion est que je n'aime pas la violence et que je n'aime pas les toiles de F. Bacon ...

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Un petit aparté à Bacon pour vous indiquer un tableau très apprécié par des personnes en dépression, en difficultés psychologiques avec lesquelles nous avons travaillé, en voie de guérison, ils n'ont plus aimé ce tableau.
C'est ça qui m'interpelle ... comme un goût de la douleur lorsque l'on souffre... ou un goût du frisson lorsque l'on ne souffre pas ?


Le cri - Munch

Utopie a écrit:

rotko a écrit:

Pourquoi le peintre n'exprimerait-il pas celle-ci par une représentation de celle-là ?

Il n'est pas du tout question de dire ce qui doit être peint ou non !!!Je voulais savoir ce que vous ressentiez en regardant ces oeuvres, pourquoi cela vous plaît ou non.

Il n'y a pas de jugement ni sur l'oeuvre si sur les sentiments des uns ou des autres. Juste un intérêt particulier sur le ressenti, le fonctionnement de ce que nous sommes.. humains.

on est en parfait accord, et ma phrase ne voulait pas soulever un eventuel pb de jugement. je reprends donc :

la peinture de difformités physiques correspond sans doute à l'expression visuelle de sentiments violents - dont la souffrance, et aussi l'expression du Mal, subi, ressenti, commis ou envisagé.

pour Munch

Citation :

Le Cri est souvent considéré comme la première toile expressionniste. C'est le paradigme de cette «peinture de l'âme», chère à l'artiste. L'expression repose avant tout sur le choix des couleurs et le tracé des lignes. La scène ­ en particulier le personnage principal ­ est caricaturée de façon grotesque et rendue dans une gamme chromatique qui ne doit plus rien à la réalité "vraie". Né de "l'enfer intérieur" de Munch, le tableau manifeste la face désespérée, angoissée et apocalyptique, qui marque la fin du siècle. Après tant d'années, force est de constater que l'impact visuel est inaltéré, preuve qu'il parle au coeur de l'homme contemporain

insecula Le tableau était-il à l'origine, et dans la pensée de Munch ce qu'il est devenu dans notre "imagerie" ? Comment se fait-il que nous soyons si impressionnés par ce tableau - et plutôt indifférents aux autres tableaux du même artiste ?

Oui, certaines oeuvres prennent une surdetermination a posteriori, parfaitement acceptable, mais qui relève plus de l'histoire et de la socilogie que de la peinture. A quoi nous ajoutons nos facteurs personnels.

Au theâtre, n'observe-t-on pas le même phénomène avec Woyzeck, notamment après l'oeuvre musicale d'Alban Berg ?

un livre comme celui de Nathalie Heinich, La gloire de Van Gogh Essai d’anthropologie de l’admiration , aux éditions de minuit, pourrait nous éclairer.

J'isole quelques passages de ce texte compact

Citation :

N Heinich insiste sur le travail d’inculcation réalisé auprès du grand public cultivé pour produire finalement la catégorie mentale devenue commune et naturalisée de « l’artiste incompris », permettant une ré-interprétation non seulement de la vie des impressionnistes mais aussi de tout artiste un tant soit peu malmené par la vie (Mozart, Rimbaud, Rousseau.).

et celui-ci

Citation :

tout se passe comme si la société avait une dette vis-à-vis de l’artiste pour ne pas l’avoir reconnu de son vivant et qu’elle l’expiait ou la réparait par l’achat des tableaux à des prix « exorbitants », mais également par l’admiration, le pèlerinage devant les tableaux et la consécration des lieux remarquables de la vie de l’artiste.

Même si cet article n'est pas tres favorable à cette étude, les questions posées et les interpretations proposées méritent l'examen.

Ah merci pour toutes ces pistes de ? recherches et d'éclaircissements !

Bon, je ne veux pas plus vous saouler en parlant de Bacon. C´est la faute à Rotko, avec son pseudo qui m´a incitée à m´inscrire sur GDS. Je lui ai même demandé au début pourquoi il avait supprimé le "H" de Rothko!!
Oui, il y a une similitude avec le portrait de Soutine, mais je puise plus d´energie dans la peinture de Bacon. Je le sens rapide à détente. Comme c´est un fouilleur, il m´indique plein de choses dont je serais incapable: soutenir deux points de vue contradictoires en même temps, aller au delà de soi-même, joindre agonie et extase, plaisir-douleur. Que de mystères pour moi!
J´essaie de le suivre dans son enorme capacité d´endurance et son goût frénetique du risque. Il me passionne.
Pour Rotko, le portrait de son ami George Dyer à bicyclette:

swallow a écrit:

Bon, je ne veux pas plus vous saouler en parlant de Bacon.

Ah bah non, il faut continuer !!! C'est là où ça devient intéressant quand on y met un peu de soi, continue à parler de ce que tu aimes et pourquoi et donc de Francis Bacon... Je te lis avec intérêt justement !

Moi aussi !

swallow a écrit:

J´aime Bacon car ce n´est pas la peine d´aller voir de près qui est l´auteur du tableau, on devine de loin et du premier coup d´oeil sans faire appel à la signature, ni au petit ecriteau placé à côté du tableau exposé.

C'est un point important que tu soulèves là, j'ai aussi l'impression qu'il est le créateur d'un univers original et particulier.

Un diaporama sur l'expo Bacon à la Tate Britain à Londres, jusqu'au 4 janvier 2009 : une sélection des peintures les plus importantes de l'artiste.

J'aime assez Bacon, pour sa grande liberté d'expression et sa témérité à attaquer des sujets classiques parfois.
Mais depuis mon adolescence, je suis une inconditionelle de Munch.
Il m'a marquée au fer rouge et éduquée aussi.
Notamment un tableau : http://www.edvard-munch.com/gallery/women/girlOnShore.htm

Et que dire de l'association femmes-vampires...

Même son atelier était considéré
par son désordre comme une oeuvre d'art!


citation:

Au 7, Reece Mews, en plein cœur du quartier de South Kensigton à Londres habitait Francis Bacon.
Un escalier raide, bordé de cordages comme ceux des navires, succédait à l’austère porte d’entrée.
En haut, c’était son antre, son atelier-maison.
Dans la pièce où il travaillait, le désordre régnait en maître,
Bacon remettant toujours à plus tard le moindre rangement.
Les 60 photographies de Perry Ogden sont de précieux témoignages du lieu
où il concevait ses toiles.
Commandées par son héritier John Edwards, avant le démantèlement de l’atelier en 1998
(reconstruit à l’identique à la Hugh Lane Gallery of Modern Art de Dublin),
elles restituent son univers saturé, son invraisemblable capharnaüm.

Je pense que ce n'était un désordre que pour les passants.
Le peintre, lui, avait ses repères.


Un antre magique...
Une crypte...
Que dis-je !
Le saint des saints !


Bref,

un atelier de peintre...