le Chemin des écolièressérie "brigade mondaine", n°270
Michel Brice
2006
Décidément ce roman est bien à sa place dans la rubrique "mauvais genre".
Synopsis : . . Le Clos d'Astier est un pensionnat privé pour jeunes filles de bonnes familles situé dans le grand ouest parisien. Certaines d'entre elles, chaperonnées par la directrice, participent à des orgies en compagnie de notables. Tout se déroule sans encombres jusqu'à la nuit où Aurore de Beaumesnil, pour sa première orgie, paniquée à l'idée de subir les derniers outrages de celui que l'on surnomme "le Fléau", s'enfuit nue dans le parc. On retrouvera son cadavre pendu dans la cabane de jardin de l'homme à tout faire du pensionnat.
. . Trois policiers de haut vol mèneront une enquête discrète quant à cette mort ; le suspens est porté à son comble par l'infiltration de Géraldine Hébert sous la double couverture de surveillante de dortoir et professeur d'histoire de l'art.
Et maintenant mesdames et messieurs place au rire, à travers plusieurs thèmes que je suis parvenu à dégager de l'oeuvre !
Thème 1 : le copier-coller.. . Chapitre I, Aurore de Beaumesnil, avec d'autres pensionnaires, est menée vers le lieu de la débauche :
[...] le chemin fit un brusque coude sur la droite et déboucha sur une large allée gravillonnée. Au bout de laquelle, à une vingtaine de mètres, se dressait la masse sombre d'une bâtisse à deux étages, dont le toit d'ardoises était hérissé de clochetons de toutes les tailles et de toutes les formes. Ce fragment est reproduit mot à mot au chapitre VII, lorsque Géraldine file un autre groupe de filles sur le même chemin.
Thème 2 : réalité et irréalité.. . Expression du rêve éveillé :
[...] l'éclairage tamisé rouge et orange, uniquement indirect, auquel s'ajoutait le feu de bois crépitant dans l'immense cheminée, faisait baigner la grande pièce carrée dans une sorte d'irréalité fortement teintée d'érotisme.. . L'irréalité se définit par rapport à la réalité :
[...] Brichot ne pouvait s'empêcher de ressentir un peu de jalousie, devant l'amitié spontanée et réelle qui s'était très vite instaurée entre sa flèche (son collègue)
et Géraldine. A-t-on déjà vu "amitié irréelle" ?
. . Allons un peu plus loin dans les concepts savants, et abordons celui de "réalité immédiate" :
[...] Marie se mit à haleter et, se laissant emporter par le plaisir, perdit contact avec la réalité immédiate. Entre-t-elle alors en contact avec la réalité future, passée ? Avec l'irréalité immédiate ? Perd-elle tout contact avec toute forme de réalité ? Ce livre est un déclencheur de réflexion !
Thème 3 : bien préciser pour que tout le monde comprenne. L'auteur n'est pas que philosophe ; il sait se mettre à la portée du lecteur peu savant.
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Jusqu'à une petite porte en fer, que la directrice ouvrit à l'aide d'une petite clé métallique. En 36 ans d'existence, je n'ai jamais vu de clé qui ne soit pas métallique, à part celles qui sont des jouets en plastique. Mais il se peut qu'un lecteur confiné ne soit pas au courant que dans la "vraie vie" les clés sont en métal.
. . page 23 : (l'adolescente)
[...] referma ses cuisses maigres et blanches et page 24 (une autre personne)
[...] le fit lentement remonter le long des cuisses maigres et pâles (de l'adolescente). Ainsi après avoir tourné la page 23 on est sûr qu'il s'agit toujours de la même adolescente, celle qui a des cuisses maigres.
. . Il faut parfois un peu forcer le trait afin de bien se faire comprendre :
Elle bondit littéralement par-dessus le canapé. C'est-à-dire qu'elle bondit absolument, elle ne s'arrêta pas à mi-course ; elle se trouva donc au-delà du canapé, elle le franchit bel et bien, tu saisis ?
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La brune aux formes voluptueuses fit demi-tour et regagna sa chambre, après avoir claqué la porte de communication derrière elle, parfaitement certaine que sa menace allait produire l'effet recherché. Elle n'est pas à demi certaine, et la porte est de celles qui servent à communiquer.
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Marie se laissa enlacer passivement. Saisissez bien la nuance : elle ne se laissa pas enlacer activement.
. . La précision indispensable concerne également le décor :
[...] Solange [...] se plongeait avec délices dans l'eau chaude et mousseuse de son immense baignoire, installée, telle une mini-piscine, dans l'épaisseur même du sol marbré de sa salle de bain personnelle. On y accédait par trois petites marches descendantes [...]. . Bien préciser qu'il s'agit d'onanisme :
Le corps tout alangui par la chaleur du bain et par les caresses négligentes qu'elle se dispensait à elle-même [...]. . Une double image pour mieux marquer l'esprit :
[...] Solange creusa les reins et se cambra [...]. . Dans le domaine de l'anticipation on rabâche aussi :
Une catastrophe qui, malheureusement, n'était peut-être pas totalement et définitivement écartée. Elle est donc peut-être a demi et temporairement écartée.
. . On utilise bien sûr les véhicules de manière conforme au code de la route :
Malgré l'insistance de Jonathan Kepler, qui voulait absolument l'emmener à l'arrière de sa moto, Géraldine avait préféré (se faire emmener à l'avant de la moto, sur le guidon ?)
prendre le train.. . Les femmes ont l'oeil exercé en matière de beauté :
[...] Géraldine s'aperçut que Marie Calloire était plutôt jolie, mais qu'elle possédait visiblement un rare talent pour s'enlaidir toute seule. Il est vrai qu'habituellement on s'enlaidit en groupe.
. . Et pourquoi ne pas profiter d'un roman pour donner au lecteur des notions de météorologie ?
Dehors, à cause de la nuit, la température avait un peu fraîchi, mais à peine. La température n'a pas baissé, elle a fraîchi, un peu, mais pas beaucoup, juste à peine.
. . Quand on est un écrivain digne de ce nom, on est bien sûr capable de traiter le thème du visage avec la plus grande finesse :
Il tourna vers elle son visage massif, sur lequel on n'aurait pu lire aucune expression déchiffrable. Néanmoins, avec une attention soutenue, on aurait pu y lire quelques expressions indéchiffrables !
. . Et l'on sait également prodiguer toutes les nuances dans les voix des dialogues :
- Notre chère Géraldine aurait quelque souci à se faire... conclut sombrement Brichot. - Et toujours pas moyen de la joindre ! ajouta Boris, encore plus sombrement. Plus sombre que sombre, on est bien dans un roman noir.
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Oui, de plus en plus probablement, la mort d'Aurore de Beaumesnil devait avoir un rapport étroit [...] : en route vers le "presque certainement" !
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- Toi, au moins, tu sais ce que branler veut dire, on sent que tu as été à bonne école ! soupira le Fléau, avec un soupir de bien-être. Il soupire beaucoup celui-là !
Thème 4 : étranges anatomies et physiologies. N'y aurait-il pas, pour le même prix, un brin de science-fiction dans cette oeuvre majoritairement érotico-policière ?
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Enfin, avec un grognement bestial, la sueur jaillissant de ses tempes dégarnies sous l'effort, il propulsa son gros ventre en avant [...] : évitons les efforts trop violents, de peur d'être atteints immédiatement de dégarnissement des tempes !
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[...] ce qui fit apparaître une petite fossette à sa joue droite, parsemée de quelques fines taches de rousseur : la joue gauche serait-elle dépourvue de taches de rousseur ? Peu importe puisque, quelques pages plus loin, on comprend que les taches sont nomades :
Elle avait le teint laiteux, parsemé de quelques taches de rousseur discrètes sur les pommettes et les ailes du nez [...]. .
[...] Solange [...] fronça ses beaux sourcils noirs, bien marqués au-dessus des yeux [...] : elle aurait pu froncer ses autres sourcils, ceux d'en-dessous des yeux.
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[...] le pantalon du jeune homme était déformé sur le devant par la considérable érection que son petit numéro avait provoquée chez lui. Si elle continue à l'exciter ainsi, il va avoir une érection à son sexe de derrière aussi !
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[...] elle crut que tout son sang venait de se figer d'un coup, à l'intérieur de son corps. Heureusement qu'il lui reste son sang de l'extérieur du corps qui, lui, circule encore !
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Le lieutenant Antoine Rollaud [...] tenait un livre ouvert dans les mains. Il aurait très bien pu choisir d'utiliser ses pieds, on est très adroit dans la police.
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[...] de la détente prodigieuse d'un grand singe, Nicolas bondit sur lui. Et pourtant Nicolas n'est pas policier !
Thème 5 : la droite et la gauche. Ce thème court en filigrane tout du long de l'oeuvre ; l'auteur y a-t-il placé une connotation politique ?
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De la main gauche, elle tripotait nerveusement la bague qu'elle portait à l'annulaire droit.. .
Sa grosse valise de cuir noir dans la main gauche, Nafissa Sidki s'arrêta devant la porte fermée du dortoir et prit une profonde inspiration, avant de poser sa main droite sur la poignée de cuivre poli.. .
A ce moment, Pénélope s'approcha du couple, une fine cravache de cuir noir à la main droite. Nous ne saurons pas ce qu'elle fait de la gauche, et notons au passage que le cuir noir, décliné sur les cravaches et les valises, convient parfaitement à l'ambiance sado-masochiste de l'oeuvre.
Thème 6 : ne pas tout dire au lecteur. On reconnaît le bon écrivain à ses silences et mystères qui plongent le lecteur dans l'introspection.
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- Tu t'es fait sauter, au moins ? risqua une troisième, ce qui fit pouffer les plus jeunes et rougir les plus timides. Silence est observé quant au cas de celle qui est à la fois jeune et timide : pouffe-t-elle ou rougit-elle ?
. . C'est souvent en employant des mots rares que l'on obtient l'effet de mystère :
[...] sur le même ton ironique et faussement accable (sic)
[...].
Thème 7 : secouer les mots. Placer un mot là où l'on ne s'y attend pas revigore la prose et est à la portée d'un écrivain confirmé qui maîtrise la syntaxe.
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Dès que la porte de leur dortoir s'ouvrit avec fracas, pour laisser entrer cette grande jeune femme de 33 ans, [...] Mais tant que la porte s'ouvre sans fracas, la femme n'entre pas.
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- Normal, puisque ça leur sort des oeufs ! répliqua Virginie Latour, ce qui fit éclater plusieurs filles de rire. Il y en a plein les murs, de ces filles éclatées.
Thème 8 : éviter les répétitions. Quel professeur de français n'a pas enseigné cette règle à ses élèves ? Le bon écrivain s'en souvient et l'applique.
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Du coup, ce qui devait arriver se produisit [...]. .
[...] Marie vit que le désir qui tenaillait sa maîtresse la possédait toujours.Thème 9 : notions de droit civil. Le genre policier est fertile en petites touches de juridismes ; ici c'est le droit de propriété qui est amplement mentionné.
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[...] une jeune femme blonde, mince, nantie d'un visage à la beauté classique [...] et, un peu plus loin :
[...] un homme [...] dont [...] le visage carré respirait l'énergie et ne donnait pas tellement envie de plaisanter avec son propriétaire.Thème 10 : la fraction de seconde. De la réflexion bien sûr, mais aussi de l'action rapide sont indispensables à la littérature policière.
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En une fraction de seconde, Géraldine Hébert redevint policier à part entière.. .
En une fraction de seconde, la respectable Solange de Virediev redevint Solange Chamart, la putain de haut vol, rompue à la comédie du plaisir, à toutes les comédies pouvant servir ses intérêts.. . J'aurai pu encore trouver des thèmes, mais il se fait tard alors je vous quitte avec une simple citation prouvant à quel point M. Brice sait combien les femmes savent ce qui plait aux hommes :
- Les hommes, en tout cas les vrais, les dignes de ce nom, aiment ce côté un peu sauvage, un peu animal, de notre toison naturelle, avait-elle un jour expliqué à Marie. Ils ont envie d'être les explorateurs de cet antre toujours un peu mystérieux pour eux - et certainement pas de jouer les petits marquis poudrés dans un jardin à la française !