J'ai une jolie petite collection de DVD de films noirs à la maison - que j'ai eu la chance d'avoir pour une bouchée de pain - et B.
Wilder ( avec O. Preminger) est un réalisateur que j'adore.
Assurance sur la mort est un film délicieux.
Joli thriller à l'envers. Nous savons dès les premières minutes qui a commis le crime, mais nous sommes bien sûr à des années lumières d'un Colombo.
Tout est raconté sur le mode du flash back et de la confession. Walter Neff, assureur, explique à sn collègue de travail et ami, comment il a tué deux personnes. Il fait partie de ces meurtriers qui nous sont sympathiques, et le spectateur laisse, le temps du film, sa morale de côté car au fond, il aimerait une fin moins tragique pour cet homme attachant.
Le suspens ne porte donc pas sur le meutrier mais sur son complice, ou plutôt instigateur du crime qui profite de la faiblesse de Walter pour tuer sans avoir de sang sur les mains. Vous l'aurez compris, c'est une femme, fatale bien entendu, et ici l'expression prend tout son sens.
Le film, outre ses dialogues, son atmosphère à la fois angoissante et excitante, a deux intérêts:
- il met en scène une problématique de l'énonciation et joue complètement sur la dualité de la vision, puisqu'on se met à la place de celui qui vit l'histoire (la plupart du temps) et à la place de celui qui la raconte (à certains instants, et pas seulement lors de retours au temps de l'énonciation).
Le jeu de la caméra est parfait, il reproduit quand il le faut le regard du héros et au contraire le prend à distance quand il devient nécessaire pour le specateur de s'en détacher. Walter est pris sous tous les angles, il ne peut pas nous échapper, comme il n'échappera pas non plus à la justice qui se fait ici d'elle-même.
- le film met aussi en place un discours social, principalement sur le rôle de la femme. Phyllis Dietrichson est le prototype de la femme fatale, elle est manipulatrice, elle sait user de ses charmes, jouer tous les rôles (l'épouse dévouée, la maîtresse, l'innocente...), elle est intelligente, impertinente, intrigante, bref, une véritable séductrice.
Nous avons donc d'un côté des rôles stéréotypés, et d'un autre une certaine subversion, qui reste cependant relative. La femme fatale du film noir n'est-elle pas aussi le symbole d'une femme qui s'émancipe? Dans le fond, en usant de ses charmes, elle fait de sa féminité un atout, une arme dans une société qui laisse à la femme encore peu de possibilité et où la féminité demeure à bien des égards un handicap.
De plus, comment lui reprocher sa volonté de se défaire de sa situation familliale dès lors qu'elle n'est que frustration.
Cependant, le sort réservé à la femme fatale (qui meurt systématiquement, comme c'est le cas de Phyllis assassinée par Walter ou qui devient une femme docile comme c'est le cas dans
Gilda) montre les limites d'une telle vision et on pourrait y voir une manière d'étouffer les premiers signes de ''libération'' de la femme. Il faut situer le film noir dans son contexte. Il se développe dans les années 40: les hommes sont à la guerre, les femmes les remplacent dans les usines. Mais voilà! La fin de la guerre signe le retour des femmes dans leur maison! C'est aussi cette histoire que le film noir semble nous raconter, et se transforme à cet égard, en joli petit documentaire historique à qui sait bien regarder!
Il y'aurait beacoup de choses à dire sur les représentations de genre dans le film noir, sujet passionnant! ( et un lien avec notre époque ne serait pas impossible).
Ce sont des représentations qui s'inversent quelques fois notamment grâce à des personnages qui se jaugent par un jeu de dialogues exquis et qui sait faire avec la censure de l'époque.
Je conseille de regarder
Assurance sur la mort en VO sous-titrée car il faut vraiment écouter les dialogues dans la langue et dans la voix originales des acteurs.
Une réplique que prononce Phyllis à plusieurs reprises et qui sonne comme un refrain:
"straight down the line"
J'aime beaucoup cette image qui caractérise bien tout le film et l'intrigue. C'est aussi un acte de foi que je devrais faire professer quand on veut me connaître de plus près !