Salut, les bibliophages!
J'ai eu envie de parler d'un auteur peu connu, Guillaume-Hyacinthe Bougeant (1690-1743), abbé de son état, intellectuel original qui s'est engagé dans des discours mi-plaisants mi-sérieux, à travers des ouvrages hélas difficiles à trouver de nos jours. J'en ai retenu deux, que l'on ne peut guère trouver que chez des bouquinistes, mais que l'on peut lire sans bourse délier grâce à Google Books:
http://books.google.fr/books?id=ZoZJAAAAYAAJ&printsec=frontcover&dq=voyage+de+fan+f%C3%A9r%C3%A9din&source=bl&ots=0n29KBHkWP&sig=5wBxLeQlXqleyCOEL37aASPqo7o&hl=fr&ei=zSOXTIGSMpuN4gbOl534Aw&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CBsQ6AEwAA#v=onepage&q&f=false
http://books.google.fr/books?id=lY4QswQzNAYC&printsec=frontcover&dq=amusement+philosophique&source=bl&ots=OqKw712xIf&sig=Fve_GTAyB3GFrOE71-B5viu1KKI&hl=fr&ei=7COXTMuACuGw4Aa9l_iwBA&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CBUQ6AEwAA#v=onepage&q&f=false
Il s'agit dans le premier cas du
Voyage du Prince Fan-Férédin dans la Romancie, 1765 (Publication de l'Université de Saint-Etienne, 1992), dans le second de l'
Amusement philosophique sur le langage des Bêtes, 1739 (Librairies Droz et Giard, 1954).
Le
Voyage est un roman satirique destiné à railler les lieux communs romanesques de son époque (ceux que l'on trouve dans
L'Astrée, par exemple, ou encore dans
Manon Lescaut). Le malicieux abbé y tourne en dérision aussi bien les péripéties merveilleuses utilisées comme ficelles aux fins de l'édification de la jeunesse, jugées dangereuses par les jésuites, que le réalisme convenu de romans d'éducation soi-disant réalistes, dont beaucoup étaient écrits par des abbés. Cet ouvrage fanfaron n'en joue pas moins le jeu de l'invention romanesque critiquée, si bien que les Messieurs de Trévoux, centre de la critique littéraire jésuitique de l'époque, lui ont reproché l'ambiguïté de son ouvrage. Il n'en reste pas moins que le roman se laisse lire avec plaisir, très élégamment écrit et farci d'humour. J'avais peur de lire un livre ringard et sentencieux. Nullement! L'on s'amuse beaucoup. Le discours satirique n'est guère méchant et, plutôt que d'y voir une condamnation, on peut aussi bien y chercher une incitation à renouveler le genre romanesque.
L'
Amusement philosophique est un ouvrage argumentatif qui a valu un désavoeu de la hiérarchie ecclésiastique à son auteur, au point que celui-ci s'est trouvé exilé loin de Paris... en Bretagne, et qu'il a dû se rétracter publiquement, dans un autre ouvrage. Il est vrai qu'il se mettait là, malgré une précaution conventionnelle (l'auteur fait parler un personnage pour ne pas s'attribuer des idées trop audacieuses), en contradiction avec la théologie officielle. Son but était de "dégommer" la théorie de "l'animal-machine" de Descartes. Notre abbé s'appuie d'abord sur le bon sens qui nous fait échanger avec les bêtes domestiques de la tendresse, lesquelles, chacun le constate, nous le rendent bien. Puis il pousse plus avant son investigation, leur reconnaît une âme et donc la connaissance, et s'aventure jusqu'à expliquer cette âme par le séjour de petits "démons" -bien inoffensifs- condamnés à ce qu'on pourrait appeler une sorte de kharma.
C'est écrit dans le style classique de l'époque, marqué aux coins de la clarté et de l'élégance. Autant dire, à mon goût, un régal de finesse et d'humour.
Malgré le recours peu sympathique aux "démons" et quelques idées reçues de M. Buffon (le chat perfide, le chien envieux, etc., discrètement présentes dans le texte), on sent bien que l'abbé Bougeant les aime, ces Bêtes (la majuscule est de lui), et qu'il s'agissait surtout, pour lui, de réagir, à juste titre, contre la cruelle théorie cartésienne qui leur a fait beaucoup de mal et qui ne fait pas honneur au grand philosophe.