Gil Courtemanche

Citation :

Quand le soleil descend sur Kigali, on ne peut que se réjouir de la beauté du monde. De grands vols d’oiseaux font de délicates broderies dans le ciel. Le vent est doux et frais. Les rues se transforment en longs rubans de couleurs vives qui glissent paresseusement formés de milliers de fourmis qui partent du centre-ville et grimpent lentement sur leur colline.
De partout montent les fumées des braseros. Chaque volute qui se dessine dans le ciel parle d’une petite maison. Des milliers d’enfants rieurs courent dans les rues terreuses, poussent des ballons crevés et roulent de vieux pneus.
Quand le soleil descend sur Kigali, qu’on est assis sur une des collines qui entourent la ville et qu’on possède un restant d’âme, on ne peut que se taire et contempler.

un tableau idyllique ? pas vraiment.

Un dimanche à la piscine de Kigali (1) réserve bien des surprises.

(1) chez Denoël et chez Folio.

Ce roman fort parle du Rwanda et des différents prédateurs : au bord de la piscine les convoiteurs de chair : soldats français, officiels rwandais, étrangers chargés du "développement".

Mais ce ne sont pas les seuls fléaux.

En dépit des dénégations officielles, le SIDA fait des ravages dans toutes les couches de la population.

Au lieu de s'en préoccuper, dans les sphères du pouvoir Hutu , on distribue les machettes et on mobilise l'opinion contre les Tutsis. Les miliciens commencent par des insultes et en viennent aux exactions.

Témoin de ce drame en gestation, le journaliste Valcourt pense à Gentille, Une Tutsie qui veut se faire passer pour Hutue, dont le corps l'obsède à tel point qu'il se croit lui-même le héros d'un roman d'amour.

Je ne parlerai sans doute plus de ce livre, mais je voudrais que vous le lisiez,
- non parce que ce récit a eu le Prix des libraires du Québec 2001,
- non parce que l'auteur, journaliste et ancien correspondant en Afrique connaît bien la politique internationale et le tiers-monde,

mais parce que ce livre mérite d'être lu, autant par ce qu'il dit que par sa façon de le dire dont le préambule est explicite.

Citation :

« Ce roman est un roman. Mais c'est aussi une chronique et un reportage. Les personnages ont tous existé et dans presque tous les cas j'ai utilisé leur véritable nom. Le romancier leur a prêté une vie, des gestes et des paroles qui résument ou symbolisent ce que le journaliste a constaté en les fréquentant. »

Le roman donne une vie entière à ce qui n'aurait été que des noms, des silhouettes et une situation abstraite.

C'est pourquoi c'est à vous maintenant d'éprouver ce récit.

Gil Courtemanche, Une belle mort, Boréal.

Le père du narrateur est atteint de "parkinson rigide".

Citation :

C’est la première fois que nous voyons papa tel qu’il est. Nous ne connaissions que son visage, les symptômes, les diagnostics, les manifestations, mais jamais nous n’avons vu un homme aussi démuni, aussi nu, un père aussi laid. Il vacillait, il parlait avec difficulté, il tombait régulièrement, il éructait, il s’endormait sur sa chaise, il bavait dans sa soupe. Nous savions tout cela. Nous fréquentions sa maladie, mais pas sa laideur ni sa faiblesse dénudée.

Maman dit : « tu aurais pu t’habiller ». Elle ne s’inquiète pas de son apparence et de notre jugement. Elle sait tout de son odeur, de ses rides, de ses chairs sans consistance, de ses taches de vieillesse qui lui font une peau de guépard et de ce sourire niais d’enfant perdu qu’il esquisse quand il ne sait pas trop ce qu’il fait […].

C’est de sa santé à lui qu’elle s’inquiète. Et nous, de notre propre effroi. Quand je le vois, c’est de ma vieillesse que j’ai peur.

Gil Courtemanche, Une belle mort, Boréal.

Citation :

Écrire est un acte impudique,

dit le texte en exergue. C’était peut-être le sentiment de Gil Courtemanche pendant la rédaction, mais rien d’impudique à la lecture de cette histoire : la maladie du père pourrait se passer dans toutes les familles, à quelques variantes près !

Ce « parkinson rigide » remet à plat les relations hostiles avec le père, une sorte de Staline familial, tyranneau organisateur que le narrateur n’aimait guère, lui gardant encore quelques vifs griefs.

Face à la maladie, la famille se divise en deux clans : « les médicaux  » , partisans d’une obéissance scrupuleuse aux consignes médicales, et « les bouddhistes » , favorables à l’acquisition des derniers moments de plaisir, la vie du malade dût-elle en être écourtée.

C’est aussi l’heure des questions personnelles, des choix de vie, voire de mort souhaitée.

Gil Courtemanche, Une belle mort, Boréal.

On croirait le livre triste : pas vraiment puisqu’il peint la vie de famille avec les grands rassemblements annuels, la joie d’être ensemble - et les inévitables frictions. Enfants et petits-enfants s’interrogent sur le vieux couple dont les démonstrations de tendresse furent toujours rares, et dont les jours semblent maintenant comptés.

Compte-tenu du sujet , la fin du livre surprendra, relativement gaie, à tout le moins tonique, et on sait gré à l’auteur de parler aussi franc et d’être, face aux idées reçues, si franc du collier.

un livre autrement intéressant que le film Loin d'elle , qui m'est décidément resté sur l'estomac !

je l'ai noté dans mes prochains achats le mois prochain

Les deux me paraissent très bien en thème. Une belle mort me conviendra sûrement mieux encore que .. tu as très bien parlé des deux .

Ouest-France fait la notice nécrologique de Gil Coutemanche.

Denoël a publié son avant-dernier roman Un lézard au Congo en juillet 2010. Son plus récent ouvrage, où il abordait la question de sa mort, Je ne veux pas mourir seul : autofiction, était paru au Québec en mai 2010 aux Editions du Boréal.

Il avait reçu des prix prestigieux dans la Belle Province comme celui des Librairies du Québec (Un dimanche à la piscine à Kigali en 2001) ou encore le prix hommage du public du Prix des libraires du Québec en 2008.

Grand reporter, défenseur du tiers-monde, indigné depuis des années, engagé tout au long de sa vie, il avait travaillé à la Société Radio-Canada, pour laquelle il a été animateur et correspondant à l’étranger, notamment en Afrique. Il a également signé des textes pour les quotidiens québécois Le Soleil et Le Devoir. Il y écrivait sa dernière chronique le 25 juin dernier.

On a parlé de lui sur Grain de sel parce que ses livres méritent d'être lus. A leur lecture, comme à ecouter les propos de l'auteur, on voit à quel point l'écriture s'est nourrie de sa vie ; en particulier Un dimanche à la piscine à Kigali repose sur une douloureuse histoire personnelle.