Théophile Gautier

AVATAR - Contes fantastiques



Pour tous ceux qui l'entourent, Octave de Saville est un mystère : il dépérit et ne veut rien dire du mal mystérieux qui le ronge, physiquement et moralement. Un médecin qui a parcouru le monde, et qui connaît le secret des sages hindous, le décide à se confesser :

Citation :

« Eh bien, docteur, je meurs d'amour. »

Balthazar Cherbonneau apprend donc la passion désespérée d'Octave pour une épouse très éprise de son mari, et si fidèle que sa beauté n'a d'égale que sa vertu. Pour sauver son patient, le disciple des occultistes va mettre à l'épreuve les ressources de son génie. Un jour qu'il reçoit la visite du mari de la belle, il opère la migration de l'âme de l'amoureux dans le corps du mari, quitte pour ce dernier à se retrouver, sans avoir été prévenu, dans le corps de cet amoureux dont il ignorait l'existence. La situation devient cocasse : l'amoureux a maintenant accès au domicile de la belle, qui attend son mari.

Citation :

« Madame la comtesse est en train de se déshabiller, mais tout à l'heure elle sera visible. »

Pour le mari en titre, la situation est moins rose, si je puis dire....

AVATAR

Certaines descriptions paraîtront longues au lecteur impatient, mais la saveur des clausules (phrases de fin de chapitre, je viens d'apprendre le terme!) est délicieuse...

On appréciera aussi l'érotisme discret de l'épouse découverte par le faux mari, brûlant de désir :

Citation :

« Un burnous de Tunis d'une finesse idéale, rubanné de raies bleues et blanches, alternativement opaques et transparentes, l'enveloppait comme un nuage souple : la légère étoffe avait glissé sur le tissu satiné des épaules et laissait voir la naissance et les attaches d'un col qui eût fait paraître gris le col de neige du cygne. Dans l'interstice des plis bouillonnaient les dentelles d'un peignoir de batiste, parure nocturne que ne retenait aucune ceinture; les cheveux de la comtesse étaient défaits et s'allongeaient derrière elle en nappes opulentes [...]

« Une opulente chevelure qui semblait envoyer la lumière au lieu de la recevoir [...].

La comtesse faisait danser au bout de son pied une babouche de velours blanc brodée de canetille d'or, petite à rendre jalouses les khanouns et les odalisques du Padisha. Parfois rejetant les plis soyeux du burnous, elle découvrait son bras blanc, et repoussait de la main quelques cheveux échappés, avec un mouvement d'une grâce mutine [...]. »

« La morte amoureuse », Théophile Gautier, Dans les « contes fantastiques » folio.n° 1316

Un vieux prêtre met en garde contre les femmes et les machinations diaboliques. Il en parle d’expérience, car il a mené une double vie : celle d’un curé de paroisse pauvre, démuni et frustré, celle d’un gentilhomme libertin vivant dans le luxe et goûtant tous les plaisirs de la chair.
Voici un étrange effet de zoom, où le narrateur, le jour de son ordination, substitue sa vision intérieure à la réalité extérieure :

"

Citation :

je levai par hasard ma tête, que j’avais jusque-là tenue inclinée, et j’aperçus devant moi, si près que j’aurais pu la toucher, quoiqu’en réalité elle fût à une assez grande distance et de l’autre côté de la balustrade, une jeune femme d’un beauté rare et d’une magnificence royale. »

Serait ce la beauté du diable ? le jeune prêtre quitte la ville … autre effet d’optique :

Citation :

« L’ombre d’un nuage couvrait entièrement la ville ; ses toits bleus et rouges étaient confondus dans une demi teinte générale, où surnageaient ça et là, comme des flocons d’écume, les fumées du matin. Par un singulier effet d’optique, se dessinait, blond et doré sous un rayon unique de lumière, un édifice qui surpassait en hauteur les constructions voisines, complètement noyées dans la vapeur ; quoiqu’il fût à plus d’une lieue, il paraissait tout proche. On en distinguait les moindres détails ; les tourelles, les plates-formes, les croisées, et jusqu’aux girouettes en queue d’aronde. »

Dans le Michelin du fantastique, Gautier mérite le détour

Theophile Gautier, Arria marcella, in La morte amoureuse ...et autres récits fantastiques, Folio classique.

"Amours à l'antique".

Pour sa peinture des premiers chrétiens, Théophile Gautier n'aura pas l'imprimatur, avec son vieillard revêche, "membre de la secte toute récente des disciples du Christ", adepte d'une "religion morose" !

Mais voyons l'histoire.

Octavien, en voyage à Pompei avec deux amis, tombe en admiration, devant un "morceau de cendre noire coagulée". ll représente en creux

Citation :

"la coupe d'un sein admirable et d'un flanc aussi pur que celui d'une statue grecque".

Ses deux amis l'arrachent à sa contemplation, et, joyeux drilles, l'entraînent le soir dans des libations excessives. Octavien décide de faire un tour dans Pompei au clair de lune, et il retrouve la ville telle qu'elle était avant l'éruption du Vésuve. Et qui rencontre-t-il au théâtre ?

le vieux chrétien ? mais non ! la jeune païenne )

Les jolies habitantes de Pompei inspirérent aussi Jensen avec sa "Gradiva", célèbre pour les commentaires de Freud.

La cafetière,

un récit fantastique tiré du recueil "La Morte amoureuse...". Après une équipée au

Citation :

"fond de la Normandie" (sic) où "une couche épaisse de terre grasse s'[attache] aux semelles des bottes",

le narrateur est invité à passer une nuit réparatrice chez un ami. Mais le feu de la cheminée, le tic tac de la pendule, vont troubler son sommeil.

Nuit agitée, où les objets s'animent, où des personnages disparus font salon et organisent un bal. Nuit d'amour, et de "joie ineffable".

Mais tout se paie au petit matin...

Citation :

La comtesse faisait danser au bout de son pied une babouche de velours blanc brodée de canetille d'or, petite à rendre jalouses les khanouns et les odalisques du Padisha. Parfois rejetant les plis soyeux du burnous, elle découvrait son bras blanc, et repoussait de la main quelques cheveux échappés, avec un mouvement d'une grâce mutine [...]

La description de la comtesse d'Avatar me fait penser au récit du voyage à Istambul que Gautier fit publier sous le titre de Constantinople.

Je (re)découvre Gautier dans ce recueil (qui s'appelle Récits Fantastiques dans l'édition Poche). Plutôt romantisme exacerbé que fantastique, et l'érotisme n'est jamais loin, laissant la part belle à l'imagination.

Je vais de ce pas relire le Roman de la Momie, je crois que quelques détails ont dû m'échapper lorsque j'étais petit.

Jihema a écrit:

l'érotisme n'est jamais loin, laissant la part belle à l'imagination.

Tout à fait d'accord avec toi, et Gautier, cet artiste "impeccable" comme disait Baudelaire, laisse aussi la part belle à l'analyse littéraire.

content de te lire, jihema ; je n'ai pas lu le roman de la momie, j'aimerais bien avoir une idée.

On ne donne pas sa place à Gautier et à ses récits de voyage notamment. En plus d'un écrivain, c'etait un sacré luron qui ne cachait pas son jeu sous une feinte pudeur.

Son voyage en Espagne 1845 est un vrai feuilleton, dans tous les sens du mot, avec en plus des réflexions interessantes sur l'apport arabe en Espagne, pour l'irrigation, parexemple.

Le pied de momie



Une nouvelle très courte.

Le narrateur rentre dans une boutique de bric et de broc pour acheter un presse-papier original. Il trouve un pied de momie,(!) ce qui perturbe son quotidien.

Fantastique, certes, mais Gautier joue aussi sur l’incongru et le comique :

Citation :

« la princesse Hermonthis me tenait toujours par la main et saluait gracieusement les momies de sa connaissance ».

Toujours dans « contes fantastiques » folio.n° 1316

Le chevalier double de Théophile Gautier aurait inspiré Italo Calvino pour son vicomte pourfendu que je n’en serais pas étonné.
Il est vrai que le thème du double maléfique se retrouve dans beaucoup de récits, qu’il s’agisse de william Wilson d’Edgar Poe, ou du Stevenson de docteur Jekyll and Mr Hyde.

Dans le récit de Gautier, tout commence avec l’arrivée au château d’un bel étranger.

Citation :

L’étranger était beau comme un ange, mais comme un ange tombé ; il souriait doucement et regardait doucement, et pourtant ce regard et ce sourire vous glaçaient de terreur et vous inspiraient l’effroi qu’on éprouve en se penchant sur un abîme. Une grâce scélérate, une langueur perfide, comme celle du tigre qui guette sa proie, accompagnaient tous ses mouvements ; il charmait à la façon du serpent qui fascine l’oiseau.

Laissons les grains découvrir l’histoire, rapidement menée, et qu’on suit avec intérêt ; voyons plutôt le paysage :

Citation :

Voici le bois de sapins, pareils à des spectres qui étendent leurs bras appesantis chargés de nappes blanches ; le poids de la neige courbe les plus jeunes et les plus flexibles : on dirait une suite d’arceaux d’argent. La noire terreur habite dans cette forêt où les rochers affectent des formes monstrueuses, où chaque arbre , avec ses racines, semble couver à ses pieds un nid de dragons engourdis.

bonne lecture.

Les Jeunes-France

C'est un texte qui n'est quasiment jamais réédité, sans doute parce qu'il a une portée trop contemporaine du texte. Gautier publie ses "romans goguenards" en 1833, à l'époque même où les membres du Petit Cénacle font montre dans leurs textes de l'excentricité la plus exacerbée.

Avec ces six textes profondément ironiques et comiques, Gautier démonte les codes établis des jeunes-France : la préface, les épigraphes, les thématiques stéréotypées... Il faut d'ailleurs dire que ce texte met fin à nombre d'excès du romantisme échevelé, et on ne peut que saluer l'entreprise de Théo, puisqu'il tire dans son propre camp.

Cependant, il y a un sérieux profond et mélancolique dans ces textes. "Nous tous, enfants perdus de cet âge critique", dit un vers de l'épigraphe liminaire. Gautier montre bien que malgré les excès de ses camarades, on ne peut que les excuser car ils ne sont pas adaptés à ce siècle bourgeois et capitaliste. A l'image d'Élias Wildmanstadius, homme Moyen-Âge né avec quatre siècles de retard, ce sont de jeunes hommes qui recherchent une raison d'exister et se réfugient dans l'art ou bien dans l'amour, sans pour autant revenir de leur désillusion.

Enfin, il est intéressant de voir que Gautier réfléchit sur la littérature et s'interroge notamment sur sa fiabilité. Dans "Le Bol de punch", l'un des textes les plus intéressants avec "Onuphrius", toutes les inspirations littéraires sont mises en parallèle avec les recettes de La Cuisinière bourgeoise. C'est aussi pour Gautier le moyen de s'interroger sur la description et son aspect de logorrhée, de phrases diaprées de strass sans être de diamant. D'ailleurs, la description finale s'achève sur des onomatopées, symbolisant l'aveu d'impuissance de l'auteur.

J'ai un faible pour cet auteur.

Romantisme, fantastique mais aussi exotisme.

J'ai lu le Roman de la momie cet été et c'était un beau voyage. Par contre, il faut s'accrocher. Longues (trèèèès longues) descriptions des lieux (au final, je l'admets, on s'y croit et c'est presque magique ; mais cela reste long...) et, à chaque fin de chapitre, LA phrase qui empêche de poser le livre... Pour connaître la suite. Un peu comme Avatar donc, apparemment. (Les "clausules" ; j'avais complètement oublié ce terme !)

Le roman de la momie est coupé en deux récits bien distincts mais aussi savoureux l'un et l'autre. Je vous le conseille !


J'ai lu les récits fantastiques aussi, sous je ne sais quel nom d'une vieille édition. La Morte amoureuse, splendide histoire sombre et voluptueuse, entre onirisme et vampirisme...

Un auteur de talent et aux univers qui ne sont que pour me plaire.

Très envie de lire les "Jeunes-France", maintenant !

Une citation d'actualité !

Qu'importe que ce soit un sabre,
un goupillon ou un parapluie
qui vous gouverne !

C'est toujours un bâton,
et je m'étonne que des hommes
de progrès en soient à disputer
sur le choix du gourdin
qui leur doit chatouiller l'épaule,
tandis qu'il serait beaucoup plus
progressif et moins dispendieux
de le casser et d'en jeter
les morceaux à tous les diables.

Théophile Gautier

un beau diaporama :

visiter le Louvre avec Theophile Gautier

le texte magistral fait office de guide du Musée du Louvre, publié par le poète en 1867.


Edition présentée par Marie-Hélène Girard, Théophile Gautier, Le Musée du Louvre, Citadelles et Mazenod/Louvre éditions, 2011. 320 p.

voir aussi cet interessant article de la tribune de l'Art.

Je vais aller voir pendant les vacances l'expo Hugo-Gautier à Villequier, dans la maison d'Hugo. Je vous en reparlerai

J'ai aussi prévu le parcours Gautier au musée Gustave Moreau pour le mois de mai.

Et puisqu'il a fallu son bicentenaire pour enfin avoir de bons livres sur Gautier, je vous signale au passage la publication prochaine d'une biographie par Alain Montandon, grand spécialiste du romantisme, chez Aden, maison qui publie de remarquables biographies.

Quelques vers romantiques de ce bon Théo ?

Concordances

Dieu fit le con, ogive énorme,
Pour les chrétiens,
Et le cul, plein-cintre difforme,
Pour les païens ;
Pour les sétons et les cautères
Il fit les poix,
Et pour les pines solitaires
Il fit les doigts.


Le godemichet de la gloire

Un vit sur la place Vendôme,
Gamahuché par l'aquilon,
Décalotte son large dôme,
Ayant pour gland Napoléon.
Veuve de son fouteur, la Gloire,
La nuit, dans son con souverain,
Enfonce - tirage illusoire ! -
Ce grand godemichet d'airain...


Le sot

Le sot confond la rose avec la renoncule,
Ferme l'or et la merde au même cadenas,
Gamahuche le con et lèche la fistule,
Et ne distingue point le chou de l'ananas.

La célébration du bicentenaire de Gautier donne lieu à de nombreuses publications, dont certaines très intéressantes :



Pour ceux qui seraient intéressés par la lecture de l'un de mes textes d'étude, en voici un qui va sortir en poche :

Ahh oui, j'ai vu qu'il y avait pas mal de nouvelles publications chez Bouquins ! Et je m'achèterais bien l'intégrale de Gautier

Si tu veux l'intégrale, il faut vider ton porte-monnaie Moi aussi j'aimerais bien, mais... ^^ A chaque fois, il s'agit d'une sélection. Celle de Bouquins a l'air bien, car c'est celle de Paolo Tortonese.

Je n'ai pas mis l'intégrale de sa poésie, publié chez Bartillat par Michel Brix en 2004.

Sinon, si tu veux l'intégrale, il y a une édition en cours... chez Honoré Champion

«Théophile Gautier», de Stéphane Guégan, Gallimard, 701 pp.

. De l’écrivain, on pourrait dire ce que le journaliste écrit d’Eugène Delacroix en 1837, à 26 ans (mais il a déjà tous les âges) : «La principale qualité de son génie est la facilité de comprendre le côté saillant et poétique de toute chose, et de s’identifier parfaitement avec les époques qu’il veut exprimer.»

présentation sur libé