Luchino Visconti

Le Guépard

Je n'ai pas lu le livre de Lampedusa, mais le film de Visconti se suffit à lui-même.

Deux mondes s'opposent dans ce film : celui du passé, où la noblesse règne en maîtresse, et celui du changement, où la bourgeoisie prend peu à peu son essor.

Le Guépard, le Lion, c'est bien entendu Don Fabrizio, dont nous suivons l'effondrement. C'est un grand seigneur, mais pas un méchant homme. Érudit des sciences, Don Fabrizio est le seigneur de Donnafugata, ville de Sicile, dont Don Calogero est le maire.

Pragmatique, Fabrizio sait parfaitement que le monde est en train de basculer, mais il fait tout pour que la continuité ait lieu. D'ailleurs, Visconti s'intéresse beaucoup à cet aspect, insistant sur la volonté de prolonger le faste de "l'Ancien Régime". C'est ainsi que l'on assiste à des révoltes au début pour mieux s'imprégner de l'atmosphère d'un grand bal à la fin du film.

Si les relations Tancrède/Delon - Angelica/Cardinale - Fabrizio/Lancaster ne sont pas inintéressantes, j'ai préféré de très loin le personnage de Fabrizio, incarnation de la Sicile. Car ce que Visconti représente, c'est l'âme de la Sicile, éternelle colonie dont les hommes se prennent pour des dieux.

Parmi les images très fortes du film, deux m'ont marqué. La première est le travelling au cours de la messe, qui nous donne l'impression de voir défiler des statues de cire, immobiles personnages sclérosés à l'image d'un monde dépassé. La deuxième, c'est Don Fabrizio pleurant devant le miroir.

Car s'il y a bien un acteur qui se dégage, c'est sans conteste Burt Lancaster. Il imprègne le film d'une atmosphère particulière, et sa stature apporte un supplément d'âme au grand homme chancelant au carrefour de l'Histoire.

Techniquement, c'est quasiment parfait. Les plans sont intelligemment pensés (cf. les mises en abyme avec les portes ouvertes), les cadres choisis excellents (cf. le défilé des invités vu avec au premier plan le buste à l'antique).

Et puis la musique de Verdi colle parfaitement à l'histoire, puisque ses opéras sont contemporains du cadre de l'action.

Allez, je me lance : c'est un chef-d'œuvre!!

Une des dernières scènes de Ossessione (les amants diaboliques). Elle tranche sur le reste du film, et annonce, me semble-t-il, des cineastes comme Antonioni, dans le désert rouge.



le suite plus tard

Les Amants diaboliques (Ossessione) est un film italien réalisé par Luchino Visconti, sorti en 1943. Le roman de James Caïn a été transposé en Italie.


Sur la route nationale qui longe le Pô, vers Ferrare, un café-garage-station-essence. Arrive un jour Gino, chômeur et vagabond, que le patron, Bragana, d'abord méfiant, prend en amitié lorsqu'il constate que Gino est un excellent mécanicien. Très vite, ce dernier devient l'amant de la femme de Bragana, Giovanna, et lui propose de l'emmener avec lui. Une demi-heure après leur départ elle l'abandonne et revient tandis qu'il continue avec un forain, l'Espagnol. qui lui paie sa place de train.

C'est une sorte de mélodrame réaliste, agréable à regarder, où le vagabond est sujet à plusieurs tentations : celle de la liberté totale, et celle de la sédentarisation, toutes deux marquées par une forme d'amour : la femme du café, essentiellement, et l'attirance du chemineau ( homosexuel, c'est suggéré comme très souvent chez Visconti).

La femme est un personnage remarquable puisqu'elle passe par toute une gamme de sentiments.

Visconti traduit les personnalités et sentiments par un détail : le regard du chemineau sur le dos de Bragana, la personnalité décidée de Giovanna dans sa manière de tourner une clé, etc.

Oui on pense à la bête humaine de Zola, dans les tourments des criminels qui ne peuvent vivre impunément leur passion après leur forfait.

La scène de la plage frappe aussitôt par l'éclairage et le changement de décor. On se prend à penser à une rédemption.

C'est finalement un film assez riche, et la fin agit comme un destin, puisqu'un rappel du crime.

Citation :

L'audace de son sujet, l'importance donnée au back-ground social des personnages mais aussi et surtout à leurs élans et à leurs frustrations physiques, le pessimisme, la noirceur et la froideur du ton sont en opposition radicale avec le cinéma environnant des années fascistes. Visconti s'est d'ailleurs étonné que le film ait pu franchir, pendant sa préparation et son tournage, les barrières de la pré-censure.

Une fois distribué, il connut une carrière erratique et limitée, à la merci des diverses censures locales.

Interdit par le régime, puis autorisé sur intervention personnelle de Mussolini, ce film fut mis au rancart à la Libération de l'Italie pour une affaire de droits

une page instructive.

Citation :

Les Amants diaboliques (Ossessione) est un film italien réalisé par Luchino Visconti, sorti en 1943. Le roman de James Caïn a été transposé en Italie.

On n'a pas ouvert de fil pour l'auteur de polar James Cain. Dommage car le facteur sonne toujours deux fois mérite une lecture attentive, comme l'ont compris plusieurs réalisateurs de films. La sensualité des personnages s'y exprime sans détour, et leurs appétits ont créé le scandale.

Visconti, lui, se montre plus discret, et comme souvent il use du détour et de la métaphore.
A plusieurs reprises on entend des miaulements de chats en chaleur, que remarquent les personnages, à tel point que le mari va chercher son fusil !

Dolce Vita 1959-1979, de Simonetta Greggio, chez Stock.


Dans l’ancien palais du cinéaste Luchino Visconti, sur l’île d’Ischia, l’écrivain Simonetta Greggio ressuscite l'Italie d’artistes et d’aristocrates qui rivalisaient de flamboyance, de talent.

extrait :

Visconti, depuis Ludwig, luttait contre la maladie. Il avait tourné Gruppo di famiglia in un interno, – Violence et Passion – à la force du désespoir. Sur le tournage, l’équipe devait faire plus attention à la fragilité physique du Maestro et à sa jambe malade qu’aux mouvements de la caméra. Pour l’Innocent, son dernier film, il avait tenu à tourner les pages du livre qui s’ouvre avec le générique du début. On y voit sa main droite couverte de tâches de vieillesse – les terribles « fleurs de la mort » – maigre, désossée, sa belle main aristocratique, caresser les mots de D’Annunzio. Visconti, qui savait par cœur l’œuvre des romanciers qu’il adaptait, connaissait aussi les écrits souvent pompeux mais parfois éblouissants du « prince de la décadence ».

Lui, qui aimait Thomas Mann et Richard Wagner, Gustav Mahler et Camillo Boito, mais par-dessus tout la Traviata et À la recherche du temps perdu, affectionnait aussi D’Annunzio, ce fasciste qui encourût la disgrâce de Mussolini, cet amoureux frénétique et triste, cet arrogant humilié.

Visconti a été un moderne et un ancien, le premier néoréaliste à décevoir ses amis progressistes, et le dernier esthète. Il revendiquait à la fin de sa vie un art crépusculaire : « Oui, je suis un décadent ; j’aime beaucoup ce mot. J’aime les décadents européens. »

tout l'article de Libération.

Senso, 1954

L'action se déroule quelques temps avant celle du Guépard. L'Italie s'insurge contre l'occupant autrichien, et l'armée de Garibaldi est en marche.

La comtesse Livia Serpieri, mariée et fervente partisane de l'indépendance, tombe amoureuse de l'officier autrichien Franz Mahler, responsable de l'exil de son cousin le marquis Roberto Ussoni.

Alors que Le Guépard privilégiera l'Histoire à l'individu, Senso donne la part belle à l'histoire passionnelle entre Livia et Franz. Si tout va bien dans le couple, Livia va donner de l'argent à Franz pour soudoyer un médecin afin de se faire réformer, ce qui va déclencher la descente aux enfers du couple. Car c'est bien une exploration de l'amour - passion - haine qui se développe, avec le final en apothéose. La scène finale est très bien pensée, même si Visconti voulait tourner une autre scène finale...

Si Alida Valli est excellente dans son rôle, et Farley Granger intéressant (notamment dans la confrontation finale), j'ai trouvé que le reste du film est assez inégal.

Alors forcément, Visconti, sur le plan formel, reste un maître, mais il semble moins inspiré que dans Le Guépard, qui reste pour moi le meilleur des deux.

A noter une nouvelle fois la belle utilisation de la musique verdienne avec la scène d'ouverture à La Fenice avec une scène de Il Trovatore.

Senso est pour moi un très grand film que je voudrais bien revoir, j'en attends l'occasion avec impatience.

Ce qui m'a surtout plu : la décheance de la comtesse Lipieri qui, par amour pour un goujat en uniforme,
- belle présentation extérieure et scélératesse de l'âme, en vient à supporter toutes les humiliations.

Entièrement d'accord pour la beauté de la mise en scène : la splendeur du théâtre au départ, avec les nobles sentiments, puis les rues basses et tortueuses, dans les tourments de la Comtesse.

Les damnés de Luchino Visconti
Avec : Dirk Bogarde, Ingrid Thulin, Helmut Griem, Helmut Berger, Renaud Verley, Umberto Orsini, Charlotte Rampling

l'orgueilleuse famille du magnat de l'acier sur laquelle règne un patriarche tout-puissant. Des destins liés à l'histoire de l'Allemagne, au cours de cette période fatale qui vit la montée du nazisme et l'avènement d'Hitler. La démence et la mort rôdent dans cette grande fresque.

Le film est foisonnant et complexe, du fait des personnages nombreux et troubles, et parleurs différentes options politiques et les basses manoeuvres du nazisme. Un film de 2 h 30 qui mériterait d'être vu plusieurs fois pour qu'on en saisisse en saisir toute la richesse.

Splendeur des décors de certaines scènes, mais aussi ironie de discours casuistes sur la nécessité pour les industriels de se plier - oh ! temporairement !, aux compromissions politiques avec les nazis (ils n'ont pas d'états d'âme, eux, et les interventions au petit matin sont redoutables)

Si j'ai moins aimé des scènes de dialogues avec visages en gros plan où certaines femmes minaudent -ce sont les manoeuvrières, les tableaux de groupes sont inoubliables, en particulier la scène d'orgie des SA à Munich.

Règlements de comptes familiaux et éliminations de groupes politiques rivaux vont de pair. Un très grand Visconti que je reverrai dès que possible.

les damnés

la fin de l'orgie des SA.

les damnés vus par jacques Siclier.

Subjugué depuis toujours par la décadence humaine, qu'elle soit d'origine historique ou amoureuse, Luchino Visconti transforme la luxueuse demeure de cette famille d'aristocrates névrosés en un impitoyable laboratoire d'observation. Tels des rats puants, les personnages se flairent et s'évitent, affolés par la décharge qu'on vient de leur envoyer : la nazisme. Omniprésent, Hitler s'infiltre autant dans les tentures pesantes qui calfeutrent les fenêtres que dans les gants de crin qui frottent les dos blafards des barons trop sûrs d'eux.

Souvent tenté par l'esthétisme, le cinéaste joue symboliquement avec les couleurs, noyant le visage d'Ingrid Thulin la démoniaque dans une lumière rouge lorsque la menace communiste la terrifie ; ou nimbant les fêtes des jeunesses hitlériennes dans un bleuté suintant, teinte cadavérique prémonitoire. Avec un morbide justesse, Visconti tisse des liens entre érotisme et pouvoir fondés sur le même et violent désir de possession.

Les damnés écoutent les discours politiques dans des chambres tamisées et songent à leur gloire future en succombant aux charmes du sexe opposé. "Il n'est pas difficile de se glisser dans la vie privée des gens", claironne, dans le film, le directeur des archives. Visconti s'y attelle, sans accorder aucun espoir de rémission.

Prince d'Aquitaine a écrit:

Allez, je me lance : c'est un chef-d'œuvre!!

Je viens de voir Le guépard et je ne peux qu'approuver. Un des plus beaux films que j'ai eu l'occasion de voir. Le livre m'avait déjà bouleversé (chef-d'oeuvre lui aussi), Visconti en a fait un autre.

Les plans, la lumière, la musique (ah Verdi ), les dialogues, le rythme et bien entendu les acteurs (Burt Lancaster en particulier), tout a été habilement pensé et le résultat est a couper le souffle.

Pour les connaisseurs est-ce qu'Alain Delon et Burt Lancaster parlaient italien ou est-qu'ils étaient doublés ?

Voilà ce que j'ai trouvé sur ce site :

Citation :

According to the contract with 20th Century Fox, the entire cast had to speak English. Lancaster, realizing what a handicap this was to everyone but himself, told them they didn’t have to. This decision contributed to a linguistic stew; he spoke English, Alain Delon spoke French and the rest of the cast spoke Italian. Italian films are often shot silent and the dialogue dubbed in later, and it is surprising to hear Lancaster speak Italian in a voice that is not his. But, it's not difficult to mentally superimpose his distinctive voice. Lancaster himself supervised the American dubbing of the film, but after the studio's editing, it was hopeless.

Quant à Delon, s'il parle français ici, il avait déjà tourné en italien avant

"Les nuits blanches" - un film de Visconti peu connu et peu apprecie.

Revu Senso de Visconti, à l'occasion du 150 e anniversaire de l'unité italienne.


je ne suis pas sûr que la version "colorisée et remastérisée" du film lui rende "l'éclat du neuf".

En 1866, la Vénétie est sous le joug de l'occupant autrichien. La comtesse Livia Serpieri est de ceux qui s'opposent avec vigueur à cette mainmise étrangère. Jusqu'au jour où elle s'éprend violemment d'un jeune lieutenant autrichien.

Inspiré d'un récit de Camillo Boito (1883), Senso baigne à mon avis dans l'atmosphère stendhalienne de Vanina Vanini : par amour une femme se laisse aller à la trahison, subit les humiliations les plus cruelles, et s'abaisse à des procédés ignobles.

La comtesse Sanpieri descend des grands sentiments de l'opéra à la vulgarité des mauvais lieux frequentés par les soldats.

C'est une "passion", au sens d'un calvaire, et Visconti fait connaître à son aristocrate les errances nocturnes, les sarcasmes d'un amant cynique, l'avilissement et la douleur.

Cette descente aux enfers se traduit dans le décor, soit en concordance (beaux sentiments et grands palais), soit en contrepoint. En fait dès le debut, l'étroite ruelle sombre de Venise annonce la déchéance progressive, morale et physique.

Visconti soigne comme toujours les étoffes et les bijoux : le pendentif offert par la comtesse à son amant n'est pour lui qu'une promesse d'argent, son regard est celui d'un commissaire priseur. On retrouvera les restes sans valeur de ce pendantif sur la table de toilette du lieutenant. La comtesse devrait comprendre. Elle est toute à son aveuglement.

Comme souvent dans les films sentimentaux, l'argent joue son rôle dépravateur, trahissant les nobles causes (l'insurrection) et les grands sentiments (l'amour, l'amitié) pour avilir tout ce qu'il touche.

analyse et prises de vues

le film date de 1954. A chaque fois je découvre des aspects nouveaux dans cette oeuvre, par exemple les scènes de moisson et de batailles, les vues exterieures sur les paysages, ou ce tableau de Venise au petit matin;