Zeng Fanzhi, la star chinoise de l’art contemporain, fêté à Paris. Ses grands paysages et ses masques.
Le 5 octobre dernier, Sotheby’s, à Hong Kong, vendait pour le prix record - pour un artiste asiatique contemporain - de 23 millions de dollars "La Dernière Cène" du peintre chinois Zeng Fanzhi. Une œuvre de 2001, exposée actuellement à Paris dans le cadre d’une rétrospective Zeng Fanzhi et inspirée directement de "La Dernière Cène" de Léonard de Vinci. Mais le Christ, les Apôtres et Judas sont ici remplacés par de jeunes pionniers chinois arborant le foulard rouge autour du cou et portant des masques blancs avec des yeux écarquillés. L’œuvre appartenait à la collection de Guy et Myriam Ullens, les grands collectionneurs belges qui ont une des plus belles collections d’art chinois contemporain et ont ouvert, à Pékin, un splendide centre d’art.
On ne sait pas si c’est François Pinault qui a acheté le tableau, mais le milliardaire français est fan du peintre. A Venise, à la "Punta della Dogana", pour l’exposition en cours "Prima materia", il a invité Zeng Fanzhi qui y montre d’immenses paysages (10 m sur 3,5 m) qui sont sa manière actuelle de peindre : une reprise d’une tradition des paysages chinois. Mais ici, l’artiste en fait comme une forêt furieuse, mélangée à des ronces inextricables, empêchant le voyageur d’avancer vers sa vérité. Mais à l’arrière, on devine parfois le ciel, une forte lumière ou même un animal ou un corps flottant sur l’eau.
Il y a quelques années encore, on ne montrait l’art chinois contemporain que dans des expos de groupe, axées par exemple sur la collection d’Uli Sigg. Mais depuis, des noms ont émergé qu’on expose dorénavant seuls dans les grands musées. Zeng Fanzhi est ainsi le premier Chinois à bénéficier d’une exposition monographique au musée d’Art moderne de la ville de Paris (une expo mise sur pied grâce à un sponsor chinois qui a donné près de 800 000 euros !). L’exposition montre le parcours du peintre et les étapes de son œuvre. Il est né en 1964 à Wuhan, au centre de la Chine, dans une famille d’ouvriers. Deux ans après sa naissance, la révolution culturelle éclatait, rendant la vie quotidienne très difficile. Ce passé a longtemps imprégné son œuvre.
Le foulard rouge
Zeng Fanzhi a été formé à l’école du réalisme maoïste. A l’école des Beaux-Arts de Wuhan, il apprend à peindre comme "un travailleur de l’art", dit-il. Une formation exigeante : peindre des modèles de plâtre puis des modèles vivants, recopier les maîtres anciens. Une méthode qui formera toute une génération de peintres contemporains au moment où, en Occident, la peinture figurative était délaissée pour un art plus conceptuel. Après la mort de Mao, les étudiants découvrent au fil des premières expos invitées, Courbet, Manet, Pollock, Warhol.
Le jeune Zeng Fanzhi, solitaire, sans argent, peint d’abord dans le style expressionniste d’un Max Beckmann. N’ayant pas de sanitaires dans sa chambre, il doit utiliser ceux de l’hôpital voisin. Il peint ce qu’il y voit : les malades, leurs cris silencieux. Ses personnages n’expriment rien, mais leur silence contraste violemment avec la situation qui crie de partout. Il les représente avec de grandes mains d’ouvriers, souvent à côté de viande rouge comme il l’a vu peindre par Francis Bacon.
Il entame alors la série des "Masques" qui le fera connaître, celle de la "Dernière Cène", les masques blancs avec des yeux cochés de croix, crucifiés. Seules les grandes mains rouges sont vivantes. Les personnalités se cachent derrière des masques de l’homme blanc apportés par l’ouverture post-maoïste. Derrière le masque, le Chinois garde sa pudeur, sa solitude, sa souffrance.
"Derrière la plupart de ces masques, c’est moi, dit-il. J’avais très peu d’amis car je venais d’arriver à Pékin". Si beaucoup portent autour du cou le foulard rouge des pionniers (les scouts), c’est que lui-même, enfant, n’a pas pu le recevoir, car son grand père était riche et les communistes ont puni le petit-fils de ça.
Autoportraits et bouddha
Zeng Fanzhi multiplie les portraits avec masques, mais aussi les autoportraits ou les portraits de peintres qu’il admire comme Warhol. Zeng Fanzhi s’imprègne littéralement de l’art occidental qu’il n’a pu connaître dans son enfance. Il interprète "La Mort de Marat", "La Dernière Cène" dans laquelle seul Judas ne porte pas le foulard rouge mais arbore une cravate dorée signe de l’argent roi.
Depuis dix ans, sa peinture évolue vers de grands paysages quasi abstraits. Avec un enchevêtrement de ronces aux couleurs saturées et bordées de lignes lumineuses, mélange de Pollock et d’art chinois traditionnel. "Des paysages qui suscitent des sensations d’aveuglement par la couleur mais aussi d’enfermement, qui explosent littéralement de l’intérieur et provoquent un tumulte extraordinaire", écrit Henry Périer.
Si Zeng Fanzhi a une rétrospective dans un grand musée français comme en aurait un artiste allemand ou américain, il reste chinois. Il explique comment ses grands paysages sont peints rapidement, dans la hâte, après une longue période de méditation "qui me permet de m’éloigner des détails, de m’en abstraire, comme devant un grand bouddha. Dans la religion bouddhiste, dit-il, le grand format est la meilleure manière de regarder un bouddha, comme si le grand format créait un meilleur lien avec l’espace, la lumière, la vie".