Emmanuèle Bernheim

J'avoue apprécier très modérément Jean Teulé  .
J'ai commencé Tout s'est bien passé, d'Emmanuèle Berheim, un récit très dépouillé, tout en retenue, d'un auteur qui, je crois, n'a pas encore de fil. J'en reparlerai, c'est certain...

c'est vrai ! Emmanuèle Bernheim a pourtant eu le Prix Médicis 1991 avec Sa femme paru chez Folio 114 p.

3 titres en tout dans ma médiathèque dont Stallone -- Emmanuèle Bernheim

Lise, une jeune femme, prend soudain conscience de la médiocrité de sa vie en allant voir le film Rocky 3 et décide de se reprendre en main, comme le héros du film...

argument inattendu  

Ysandre a écrit:

argument inattendu dixit Rotko
si elle est "toute en retenue" comme le dit Nicyrle, elle a du en sortir de "sa retenue", elle va vers un rôle de composition ?

 
je ne fais que signaler Stallone dont l'argument me surprend mais m'intrigue, au point que je le lirai.  
 
oui, moi aussi j'aime la retenue, par exemple dans les trois lumières où tout est suggéré. Si on m'en dit trop, je m'ennuie, si on me pousse à l'émotion, je freine, craignant d'être manipulé ou racolé.

Stallone 60 p. Folio.

Lise est très impressionnée par le film Rocky III, et le parcours du boxeur "l'interpelle". Après avoir remporté le titre, il se laisse aller, connaît la défaîte, remonte sur le ring, et reconquiert la gloire.

Lise y voit un sursaut d'énergie, et décide, à son tour, de "rebondir". Elle reprend ses études de médecine, paroles du "Tigre" en tête, et films de Stallone à l'appui.

C'est l'histoire d'une obsession, rapidement menée, tant au niveau personel que professionnel. Les décisions sont prises, le culte reste secret, au moins en partie.

L'auteur mène son histoire à grand train, elle évite les écueils de "l'édifiant à tout prix", montre une volonté au combat. Si ce petit récit aide à sortir d'une routine qui fait baisser les bras, il a son utilité.

Ainsi ai-je découvert Rocky:cheese: 

Elle est très curieuse cette recherche de soi, à partir de films considérés souvent comme des navets ! peut-être une preuve que l'on peut toujours tirer quelque chose de positif de films essentiellement commerciaux et saqués par les "grands" critiques intellos ....

A propos de Tout s'est bien passé, œuvre publiée en 2013.

L'auteur, E. Bernheim, écrit son prénom d'une façon particulière : Emmanuèle. Elle est née en 1955. c'est une romancière (cinq romans publiés dont le prix Femina déjà signal, et une scénariste.

Ce court récit autobiographique de 200 pages, est écrit à la 1ère personne et au présent. Des phrases lapidaires avec de constants passages à la ligne : l’auteur est scénariste et, bien souvent, on a en effet l’impression de lire un scénario.
Emmanuèle Bernheim raconte le suicide assisté de son père à Berne, avec l'aide d'une association suisse, suicide qu’elle et sa sœur Pascale l’ont aidé à organiser, à sa demande.
C’est un vieil homme de près de 90 ans qui, après avoir subi l’ablation de la rate, une pleurésie, une embolie pulmonaire, avoir eu le crâne fracassé, vient d’être victime d’un AVC qui le laisse diminué, dépendant pour toujours.
« Je veux que tu m’aides à en finir » dit-il un jour à celle qu’il appelle Nuèle. « Tu ne peux pas me laisser comme ça. Ce n’est PLUS MOI. »
Comment refuser ? Et comment accepter ? Là est tout le problème soulevé par ce livre surprenant car il mêle le tragique au burlesque, la dureté à la tendresse, l’égoïsme à l’amour. L’habileté de l’écrivain tient au fait qu’il n’y a aucun pathos, aucune complaisance, dans ce récit qui pourrait être insupportable et témoigne au contraire d'une pathétique retenue. Il n’y a pas non plus de jugement sur l’euthanasie ; en revanche est mis en valeur le fait que la décision prise par un grand malade ne concerne pas que lui mais nécessairement bien d’autres personnes, à commencer par son entourage immédiat.

Le lecteur se sent très proche de l’auteur-narratrice parce que, jusqu’au bout, elle espère que son père reviendra sur sa décision alors que justement, plus son état s’améliore (de façon infime) et plus s’affirme sa détermination, comme si son but ultime était de bien réussir sa sortie.
Elle raconte son propre quotidien, le dérisoire de détails infimes (un poireau dans un cabas, de vieux magazines dans une salle d’attente), la nécessité de prendre du Lexomil et du Prozac pour tenir le coup, et surtout sa complicité avec sa soeur, leur tendresse, leurs rires, leurs souvenirs d’enfance, tout ce qui fait leur force.
Elle raconte aussi son père et brosse le portrait saisissant d’un original, exigeant, égoïste ou généreux, passionné d’art et de voyages, curieux de nature, souvent cruel, qui reste égal à lui-même jusqu’au bout.
Aucune longueur dans ce livre, au contraire, les événements et les non-événements se succèdent en accéléré, à un rythme parfois haletant. Surgissent des épisodes qui relancent l’intérêt comme dans le meilleur polar, je pense, par exemple, à la convocation au commissariat et à l’audition séparée des deux sœurs, avec un capitaine qui

Citation :

se tient fesses appuyées contre le bord du bureau, pieds croisées.
Une héroïne de série policière américaine.

La fin offre un beau suspense, ponctué d’étapes parfois cocasses : ainsi, on se demande si le père va finir par partir en Suisse ou non, puis on apprend avec Nuèle l’hésitation des deux ambulanciers, quand ils entendent de la bouche du vieil homme ce qu’il va faire à Berne, c’est contraire à leur religion, ils ne veulent pas être complices, ce sont des musulmans !

La dernière page justifie le titre : « Tout s’est bien passé. » annonce au téléphone la dame suisse. L’expression utilisée plutôt pour annoncer une naissance vient conclure ce qui a été programmé.
Les larmes de Nuèle coulent, elle appelle sa sœur au téléphone.

Bernheim, tout s'est bien passé, Gallimard.

André a écrit:

« Dans un mois, j’aurai quatre-vingt-neuf ans. Si j’en avais dix de moins, je me battrais peut-être Et encore, je n’en suis même pas sûr. Par contre, ce dont je suis certain, c’est que je ne veux pas de cette vie-là. Ça ne m’intéresse pas. C’est fini. Je ne peux pratiquement plus bouger, je ne peux plus faire les gestes les plus simples de la vie normale. Je ne peux plus profiter de ce que j’aimais. »

Les premières pages traduisent la stupeur devant le malaise du père, d’où un style haletant, des phrases brisées censées nous plonger dans le contexte. La suite par contre est prenante puisqu’on voit sur le vif les réactions des enfants et des proches, le désarroi aussi de la narratrice à qui le père a demandé de l’aide pour « en finir »

« Nuèle » n’est pas si solide, elle a besoin d’antidépresseurs pour affronter l’épreuve qui se révèle fort compliquée, psychologiquement et même matériellement.

Incertitudes sur la conduite et la détermination du père qu’on découvre inattendu dans ses relations, même si son caractère paraît bien trempé.

On serait tenté d’avoir un avis sur la décision et la méthode choisie par le père, mais est-ce bien le rôle du lecteur ? On écoute ce récit prenant, avec les réactions des différents personnages, bien surprenants parfois, voire sujettes à des revirements, dues aussi aux difficultés légales du « suicide assisté ».

Le récit est sobre, mais les péripéties s’accumulent, les humeurs varient, passant de l’abattement aux fous rires incongrus, tout en faisant bien sentir la pression exercée sur les enfants.

Une autre méthode était-elle possible ? C’est suggéré par des conduites différentes, plus « expéditives », choisies par des proches ou envisagées par André lui-même dans le passé.

Oui, certains passages tendent au burlesque, compte tenu de la situation, mais les protagonistes, comme le lecteur font montre, pour la plupart de compréhension, voire d’affection.

J’ai eu l’occasion de voir un court métrage privé, présenté à la maison européenne de la photographie : une scène d’adieu familial. Dans la petite pièce où nous étions, les larmes des regardeurs coulaient plus que chez les protagonistes, soucieux d’un retenue chaleureuse. Très impressionnant.