Toshiyuki Horie

Nous y rencontrons deux amis, l'un français, l'autre japonais et traducteur, au moment de leurs retrouvailles en Normandie, et nous suivons leurs discussions et interrogations au gré de leurs pérégrinations au pays du championnat de lancer de camemberts. Mais nous voyageons aussi en compagnie d'Émile Littré, de Primo Levi ou de Jorge Semprun, dans ce récit composé au «fil du pinceau», d'une fantaisie et d'une drôlerie remarquables, où se dessinent en creux des réflexions autour de la transmission de la mémoire familiale ou de l'utilité de l'amitié.

j'ai emprunté ce livre en attente du marais des neiges, recueil de nouvelles, dont Arun disait vouloir lire quelques histoires courtes.

Le pavé de l'ours

roman assez court qui passe de rêves à la réalité, de souvenirs d'amitiés à de brèves retrouvailles, au hasard de la route et du récit. Il y est question de la Normandie, où vécut Littré qui se voua pendant dix ans à un travail de bénédiction pour son dictionnaire. L'ami français de l'écrivain japonais loue près du mont Saint Michel une maison rudimentaire où il se réfugie parfois, quittant son studio parisien où il fait des photos.

C'est en feuilletant des photos et en parlant avec le photographe que le narrateur prend conscience de ressemblances curieuses entre des vues et la propre histoire du photographe. Le champ en friche où ont été photographiés 16 tuyaux coudés, qui ressemblent à des silhouettes humaines, rappelle au Français sa famille juive. Une conversation "à sauts et à gambades", comme le récit, s'instaure sur la vie des hommes, dont une réflexion peut changer le cours, voire l'itinéraire de toute une lignée.

En même temps on s'étonne sur l'expression de "chez soi" qui amenait des Juifs à rester chez eux, avec les plus grands risques de déportation, de même que des Palestiniens regagnent leur maison en ruines, parce qu'ils y ont des souvenirs ou pour d'autres raisons.

L'ensemble est décousu comme une conversation, on y relève une réflexion qui frappe, une anecdote qui déclenche une recherche : une lecture facile qui propose un arrêt ici, ou vous emmène ailleurs, chacun fera ce qu'il voudra.

j'ai le marais des neiges et serai donc opérationnel à la première alerte.

le recueil le marais des neiges a reçu le prix Tanizaki.

la première nouvelle, les points de repère met en scène un vieux bowling et son propriétaire, lequel, faute de fréquentation, doit fermer discrètement le soir même son établissement, "en cessation d'activité". Or un jeune couple arrive, nullement motivé au premier abord par l'amour des quilles...

La nouvelle est étonnante de virtuosité, car elle fait intervenir le passé personnel du propriétaire, son amour des boules, sa connaissance des techniques fondée sur des rencontres.

En même temps, on a connaissance des sensations du vieil homme, des réactions du jeune joueur et du couple... Tout s'interpénètre et se chevauche, mêlant les plaisirs de l'instant avec une nostalgie du passé, recréé par l'auteur. Son art délicat montre un monde en marge, dans les ultimes résonances de sa fin.

Pour donner une idée de la finesse de touche de Toshiyuki Horie, voici le début de la 2 e nouvelle : au jardin des orties.

A chaque fois qu’elle bougeait, même légèrement, le plancher en marqueterie de chêne grinçait, au milieu d’un silence tel que le déplacement d’un petit insecte n’aurait pu passer inaperçu.[…] On entendait à peine la pluie tomber de l’autre côté des portes coulissantes vitrées, qui même soigneusement fermées, révélaient doucement le paysage extérieur.

Tous les gens du coin savaient discerner le bruit de cette pluie de printemps, cette brume aux fines particules incapable de résister à son propre poids et inexorablement attirée vers le bas jusqu’à dessiner des traits d’eau qui se défaisaient en heurtant le sol mêlé de neige avant d’avoir atteint leur forme définitive, mais ce jour-là le son était encore plus faible que d’habitude.

Si ce n’est que parfois résonnait un grand bruit d’eau, comme si tombaient des morceaux d’ouate trempée, formant là seulement images acoustiques très distinctes et étrangement pesantes. Non un souffle de vie, mais un souffle de pluie.


Images acoustiques, c’est dans le texte.