Tchicaya U Tam'Si
Biographie en résumé
Un des plus grands écrivains africains par la qualité et les densités de son oeuvre.
Jacques Chevrier
Poète, romancier et journaliste congolais, Tchicaya s'engage très tot dans la lutte pour l'indépendance de son pays. Au concept de « négritude » qu'il juge très idéaliste, il oppose l'image d'une terre meurtrie par plusieurs siècles de domination coloniale.
« Parmi les maîtres de la littérature congolaise francophone Tchicaya U Tam'si est le plus grand. D'abord connu comme poète dans les années cinquante, tout en poursuivant son oeuvre en ce domaine, il s'est intéressé au théâtre, au conte, et, dans les années quatre-vingt, il s'est lancé dans une oeuvre romanesque qui a révolutionné l'écriture francophone africaine. Affirmons sans crainte qu'il est le seul écrivain dont l'oeuvre parte des années de la négritude et aboutisse au réalisme magique sans que la symbiose de son écriture et de ces styles cesse d'être d'une irréductible originalité. » (Michel Naumann (Université de Metz), « Culture orale traditionnelle et contemporaine et écriture d'une nouvelle de Tchicaya U Tam'si », Mots Pluriels, no 9, février 1999)
Vie et œuvreIl vise ainsi à y repérer les systèmes de sens soutenant le regard critique que l'écrivain pose sur l'Histoire, celle de l'Afrique moderne et celle de son Congo natal, et faisant apparaître la même démarche militante qui, depuis presque un siècle d'histoire littéraire, accompagne la pratique littéraire des écrivains africains.
Tchicaya U Tam'Si est avant tout poète, et poète majeur au sein de l'institution littéraire africaine francophone, mais son oeuvre est également riche de la plupart des genres qui composent la littérature africaine : poésie, théâtre, récit, nouvelle et roman. C'est une oeuvre dont la richesse lui fait également traverser l'Histoire coloniale et postcoloniale de l'Afrique francophone en réactualisant les rapports souvent antagoniques de la littérature à ses univers de production.
Si l'étude de la pertinence idéologique de cette oeuvre se limite cependant aux quatre textes constitutifs de la production romanesque de l'auteur, Les Cancrelats, publié en 1980, Les Méduses ou les orties de mer, publié en 1982, Les Phalènes, publié en 1984, et Ces fruits si doux de l'arbre à pain, publié en 1987 c'est que ces quatre romans composent un ensemble homogène dont l'écrivain précise la parfaite structuration. Ils constituent en outre le point d'aboutissement de son oeuvre littéraire. À ce titre, ils répondent valablement à une analyse qui met en relation l'écriture et ses conditions - idéologiques - d'inscription dans un discours social, au sens où Marc Angenot entend ce dernier.
Dans leur homogénéité structurelle, pour ainsi dire, les quatre romans totalisent une vaste chronique socio-politique que l'écrivain élabore à partir de l'Histoire coloniale et postcoloniale de l'ancien Congo français, aujourd'hui Congo-Brazzaville. Il y réapproprie l'Histoire pour comprendre la société contemporaine dans une démarche qui reprend le regard qu'il portait déjà, dans sa poésie et dans son théâtre, sur le réel problématique de l'Afrique moderne et son expression littéraire. Par ce biais, il apporte à son tour dans le champ littéraire africain les spécificités d'une voix qui se réclame, elle, de l'objectivité historique. Chez Tchicaya U Tam' Si, l'interrogation de l'Histoire du Congo et sa réécriture deviennent les voies d'exploration des tensions du référent sociologique.
La littérature africaine, en tant que champ discursif, a évolué à travers des discours de groupe historiquement datés, eux-mêmes en constante mutation, qui lui auront permis de prendre en charge les diverses crises de ses univers de production. Cette expression du réel et de ses crises par le biais de discours repris, réfutés ou endossés, nourrit ce qui a été longtemps considéré comme la révolte des écrivains et, partant, leur engagement. Que ces derniers perçoivent leur engagement comme une mission ou comme la simple aspiration ontologique à la base de toute production artistique, il ne fait aucun doute qu'ils en'viennent à dire le réel dans des structures axiologiques, idéologiques, dont l'Histoire porte les traces et que l'analyse peut décrire.
Et, enfin, à travers le moule esthétique occidental de son écriture, c'est tout le nationalisme progressiste qui s'exprime aux conditions de l'aventure ambiguë de l'intellectuel africain.
Autour de la question existentielle du « comment vivre ? », thème de sa vie et de sa pratique littéraire, l'héritage de Tchicaya U Tam'Si reste certainement le dépassement des questions de race et de culture, celles du pays et celles de l'Occident. Il aura « vaincu les pesanteurs du passé et dominé les contraintes reçues de l'Occident », rappelait Arlette Chemain-Degrange. Par la diversité de son oeuvre - l'une des plus riches de l'histoire de la littérature négro-africaine d'expression française -, il aura non seulement réhabilité les genres littéraires qui cessent d'appartenir uniquement à l'ancien colonisateur, ouvrant la voie à l'avenir, mais aussi donné le ton à un foisonnement littéraire sans précédent dans son pays natal. L'admiration et la vénération que lui témoignait de son vivant Sony Lab'Ou Tansi en sont une indication. Pour ce dernier, il était le seul à avoir compris par exemple le nationalisme de Patrice Lumumba en 1960, le seul à avoir enseigné l'art d'être poète et homme sans compromission, au point de prendre l'envergure d'un prophète, d'un dieu Kongo
Un est d'abord un homme de pères inconnus, qu'on le veuille ou non. Tchicaya m'a dit un jour : « tu es un peu mon fils ». Un peu ne suffisait pas, j'ai décidé tout bonnement de l'appeler « l'ancêtre », avec tout ce que cela impose d'amour, de souvenir, de respect, d'admiration, de connivence, de clins d'oeil.
« Culture orale traditionnelle et contemporaine et écriture d'une nouvelle de Tchicaya U Tam'si »