Les Strigidés (chouette et hiboux) jouent un rôle important dans de nombreux écosystèmes terrestres, mais leur biologie et leur taxonomie sont encore mal connues. Cette méconnaissance explique "l'inflation" du nombre d'espèces reconnues récemment : de 146 espèces en 1975, on est en effet passé à 250 en 2008 (lire
Deux nouvelles espèces de chouettes ont été reconnues aux Philippines). Cette augmentation est due à la fois à des révisions taxonomiques et à des découvertes. Les petits-ducs sont les espèces les plus nombreuses au sein de la famille des Strigidés, avec environ 51 connues. Leurs limites spécifiques sont mal comprises en raison de l'existence de variations individuelles et géographiques, de leur rareté (pour certains d'entre eux) dans les collections des musées, et de l'absence d'études taxonomiques détaillées et complètes.
Durant les années 1970, on a découvert que les vocalises des petits-ducs pouvaient constituer des éléments utiles pour établir leur statut taxonomique. Marshall avait alors proposé que les limites spécifiques soient davantage basées sur l'analyse des chants que sur les variations morphologiques, et il avait proposé une nouvelle classification du genre
Otus. Au cours de ces dernières années, les chants et les cris ont donc joué un rôle important dans la révision taxonomique de ces petits hiboux.
Sur le terrain, la voix est en effet souvent le premier élément utilisé pour identifier une espèce.
Les vocalises sont également pertinentes pour mener des études taxonomiques sur les hiboux pour deux raisons majeures :
- d'abord, comme chez la plupart des oiseaux autres que les passereaux, les variations des chants sont rares car leur connaissance est innée, héritée génétiquement. En conséquence, les différences reflètent assez fidèlement l'histoire de l'évolution des espèces. Il a été démontré pour un certain nombre de genres que les taxa étroitement apparentés aux chants distincts sont également phylogénétiquement différents : c'est le cas des genres Glaucidium, Megascops, Otus et Psilopsis;
- d'autre part, les chants des hiboux jouent un rôle dans le choix du partenaire et dans la reconnaissance spécifique : par conséquent, d'éventuelles différences pourraient gêner leur communication.
Situation de l'île de Lombok (Indonésie). Carte : Ornithomedia.com |
En Septembre 2003, George A. Sangster et Jolanda Luksenburg ont visité les contreforts du Gunung (mont) Rinjani près de Sapit, sur l'île de Lombok en Indonésie, pour réaliser des enregistrements de l'Engoulevent de Horsfield (
Caprimulgus macrurus). Le 3 septembre, au crépuscule, ils ont entendu des petit-ducs se répondant entre eux. Ils les ont identifié comme étant des oiseaux appartenant au complexe
Otus magicus / O. manadensis. Le lendemain soir, des petits-ducs poussant les mêmes notes ont été vus et entendus dans une localité différente du parc national de Gunung-Rinjani.
Leur voix était nettement distincte de celle du Petit-duc mystérieux (
Otus magicus), jusque-là la seule espèce connue sur l'île, mais aussi de celledu Petit-duc de Horsfield (O
tus lempiji) sur l'île de Java et du Petit-duc de Manado sur l'île de Sulawesi. La diffusion des enregistrements des chants des Petits-ducs mystérieux et de Wallace (
O. silvicola) (qui sont tous deux présents sur l'île voisine de Sumbawa) n'a pas entraîné de réponse de la part des petits-ducs de Lumbok. En revanche, ils ont vigoureusement réagi après avoir entendu des chants enregistrés sur leur île.
Quelques jours plus tard, Ben F. King a observé et enregistré des petit-ducs de Lombok et il a constaté que leurs vocalises diffèraient de celles de
O. magicus, de
O. lempiji, de
O. m. manadensis et des autres espèces asiatiques du genre
Otus. Ses observations et ses enregistrements ont été faits à proximité du parc national de Gunung-Rinjani. Quinze oiseaux ont été entendus (dont deux observés) pendant environ quatre heures.
Philippe Verbelen et Bram Demeulemeester ont visité les contreforts du Rinjani Gunung en août 2008 et ont utilisé des enregistrements réalisés par George A. Sangster : ils ont photographié des petits-ducs et réalisé d'autres enregistrements. Ils ont constaté que l'espèce était commune dans les localités de Sapit et de Senaru. Ils ont aussi appris des habitants qu'elle était connue localement sous le nom de "Burung pok", un nom qui évoque son chant (composé de "pok" ou "poook").