Tarun J Tejpal

J'ouvre le fil de cet auteur dont je viens de lire le premier roman, le sien... et le mien, car je ne connaissais pas cet auteur !

Quelques mots de présentation :

Tarun J. Tejpal est un Indien qui vit à Dehli. Il est journaliste d’investigation, critique littéraire, essayiste, éditeur et romancier. Fondateur d’un hebdomadaire, il a dénoncé les malversations du gouvernement de son pays ; menacé de mort, il a vécu sous protection durant des années. Comme éditeur, il a notamment publié Le Dieu des petits riens d’Arundhati Roy.
Il avait plus de 40 ans quand est sorti son premier roman, The alchemy of desire (en français, Loin de Chandigarh) ; le succès fut énorme dans son pays et à l’étranger. En France, il a été finaliste du Femina en 2007.

Finalement je l'ai trouvé d'occasion à Becherel, le village breton consacré au livre, où j'etais allé voir une exposition sur Victor Ségalen.

je l'ai acheté, bien qu'il soit un peu gros... 678 P.

Rotko, je suis ravie que tu sois sur le point de lire ce livre, j'attends tes commentaires avec intérêt mais il faut un certain temps pour digérer l'ouvrage !

Loin de Chandigarh : I
Je m’explique mal qu’on n’ait pas conservé le titre anglais, Alchimie du désir, car tel est bien le fil conducteur de ce livre à travers deux histoires imbriquées l’une dans l’autre, outre qu’il est, à mon avis, très beau.
Le roman, que j’ai lu en édition de poche, est un pavé de près de 700 pages, organisé en cinq sous-parties sensiblement égales sauf la première (une soixantaine de pages) et titrées :
I Prima : Amour
II Karma : Action
III Artha (mot sanskrit qui renvoie à la prospérité matérielle) : Argent
IV Karma (dans le sens général de « destin ») : Désir
V Satya (vérité en sanskrit, avec idée d’éternité) : Vérité
Chaque partie est subdivisée en chapitres, eux aussi avec des titres que je vous laisse découvrir !
Le roman se referme sur lui-même, la dernière phrase :

Citation :

Le sexe n’est pas le ciment le plus fort entre deux êtres. C’est l’amour

,
faisant écho à la première :

Citation :

L’amour n’est pas le ciment le plus fort entre deux êtres. C’est le sexe.

Tentative de résumé : Dans l’Inde du Nord, un journaliste écrivain et Fizz, son épouse musulmane, vivent depuis quinze ans une passion de tous les instants, fondée sur le désir ardent que chacun éprouve pour le corps de l’autre. Ils achètent et rénovent une propriété en ruines, perdue au milieu des montagnes. Brutalement, le narrateur s’aperçoit un matin que son désir pour sa femme a disparu. Il remonte le temps et revit les étapes de ses amours avec Fizz. Le récit est entrecoupé de multiples digressions sur l’Inde, ses paysages, son Histoire, le quotidien de la culture de son peuple. D’autres digressions concernent le travail difficile de l’écrivain en mal d’inspiration. Puis on apprend que le couple, en abattant un mur de la maison, a découvert les carnets intimes de l’ancienne propriétaire, Catherine.
S’amorce alors, par le biais d’une mise en abyme, l’histoire de cette femme, découverte par le narrateur au fil de sa lecture des fameux carnets. Catherine est une Anglaise, elle raconte son apprentissage et ses découvertes d’ordre sexuel à travers de nombreuses péripéties romanesques et sensuelles qui l’ont conduite à épouser Syed, un prince indien homosexuel, aux nombreux amants jeunes et beaux, et à chercher son épanouissement dans d’autres bras indiens, en particulier ceux de Gaj Singh, son serviteur. La relation des deux époux est empreinte d’ambiguïté puisque chacun a besoin du regard de l’autre, immobile dans l’ombre de la chambre, pour décupler son plaisir. On est à l’époque post-coloniale et l’auteur livre au passage des bribes d’Histoire ou des réflexions sur un passé encore proche fait de remous, d’assassinats et de corruption mais aussi de couleurs, de beauté et de vie intense.
Quand le roman s’achève, on est revenu au présent du narrateur et de sa femme, sans qu’on parvienne à déterminer laquelle des deux histoires sert de contrepoint à l’autre.

Loin de Chandigarh : II

C’est peu de dire que ce roman est foisonnant malgré une construction rigoureuse. Il est à l’image de ce pays contrasté qu’est l’Inde avec sa beauté colorée, sa foule, son mélange de douceur, de violence et de mystère.

La sensualité est omniprésente, les descriptions de relations sexuelles sont minutieusement détaillées mais l’auteur parvient à ne jamais sombrer ni dans la pornographie ni dans la vulgarité et à exalter au contraire le raffinement et l’élégance d’une relation charnelle réussie.

Comme souvent quand je lis un pavé, j’ai eu le sentiment que Tejpal aurait pu s’attarder un peu moins sur tel ou tel passage. On tourne en rond, si j’ose dire, dans les pages consacrées aux ébats du narrateur avec son épouse !
Le héros-écrivain rêve d’écrire son grand roman de l’Inde (comme l’auteur lui-même à l’évidence) mais il est en panne d’inspiration et le thème est amplement développé avec, toutefois, des observations très fines à plusieurs reprises.
Certaines descriptions sont magistrales, je pense que l’auteur s’est fait plaisir ! Mais là encore, des longueurs apparaissent, ainsi en est-il à propos d’un gigantesque embouteillage qui se déroule tel un serpent à un passage à niveau.

Bref un roman qui vaut le détour mais que, je l’avoue, j’ai parfois trouvé un peu lassant.

Loin de Chandigarh : III

Quelques citations révélatrices, à mon avis, de l'écriture de Tarun J. Tejpal :

Sur l'art de l'écrivain :

Citation :

Contrairement à la croyance populaire, la poésie n’est pas un processus d’inspiration instantanée. Les bons poètes, une fois que l’éclair a jailli en eux, s’accroupissent pour attendre patiemment. Ils laissent les ingrédients aromatiser et mijoter jusqu’à ce que la saveur et la texture soient parfaites, avant de les retirer de la plaque chauffante de leur imagination et de les servir sur le papier.

A résonance philosophique :

Citation :

La loi universelle des hommes. On n’est pas celui que l’on voit dans le miroir. On est celui qui brille dans le regard d’autrui.

Sur l'influence néfaste de l'Occident :

Citation :

Dans les deux années qui suivirent la guerre du Glolfe, la télévision par câble avait poussé dans les chambres à coucher indiennes comme autrfois la monnaie du pape dans les vieilles bouteilles de scotch au milieu des salons indiens de nos parents. On se préparait avec entrain à mourir de divertissement.

Je me persuadai que les journaux télévisés 24h. sur 24 étaient une maladie occidentale qui menaçait de submerger l’Orient. Il fallait l’éradiquer comme une petite vérole.

L’Indien vu par un Américain voyageur au temps de la colonisation :

Citation :

L’indigène échappe à tout examen rigoureux. Il suscite l’admiration la plus profonde et le mépris le plus absolu. Il ne se laisse pas percer à jour. Il baigne tout autant dans le charnel que dans l’occulte. Il érige des édifices époustouflants et vit dans des huttes de terre. Il mange très peu et refuse beaucoup. Il est dénué de dignité et en est pourtant imprégné. Il n’a rien à donner mais donne tout volontiers. Il est sous la botte de l’homme blanc mais ne se laisse pas dompter. Il défie l’entendement.

Un passage érotique :

Citation :

Je plonge au fond de sa chair épanouie, fluide, enveloppante. M’immobilise pour un instant d’éternité humide. Et explose. […] ma joue effleure sa hanche fraîche. J’entends son souffle rauque. Elle revient. Elle passe une main derrière et ébouriffe mes cheveux mouillés. Reprend contact avec le sol. Je dérive. Je laisse les fragments éparpillés de moi se recomposer doucement. […]

Un autre !

Spoiler:

je l'ai dans l' édition Buchet Chastel, et j'ai lu environ 120 pages, je suis dans les héritiers, 2e chapitre de la première partie.

le livre se lit facilement, alors qu'on sait au départ peu de choses sur les personnages, leurs professions ; tout semble aller de soi, avec séjours à la campagne, intempéries comprises, chien en plus, et des anecdotes sur des panthères qui rôdent.

Je sens venir le thème de l'échec : Après les grands appétits sensuels, se manifeste une absence de désir assez curieuse qui menace le couple et crée le drame. Bientôt, retour en arrière, et l'échec de l'écriture pointe son nez.

oui, il y a des répétitions, je pourrais trouver des pages où certaines formules sont répétées à l’envi, comme "le cul dans la nuit ressemble à un visage", pour caractériser le paysage de l'après colonialisme anglais.

Rien de vulgaire ou de pornographique, on effleure avec naïveté semble-t-il, le domaine amoureux, mais - présent ou absent, le désir amoureux est la grosse affaire.

( à suivre) je ne rentrerai pas dans les détails, c'est juste pour dire que je suis la lecture avec plaisir.

Mes premières impressions se confirment, un livre intéressant à lire, un peu délayé, mais agréable.

Par moments je pense au début du roman de Djian 37°2 le matin, C’est un récit d’amour où la jeune femme occupe la place principale, objet d’un véritable culte de la part de son amoureux qui voudrait devenir écrivain. Désir et plaisir sont traduits par des métaphores d’escalade pour atteindre la béatitude érotique.

En arrière-plan les transformations de l’Inde, de la période coloniale aux années 80 où règnent individualisme et corruption. Le narrateur amoureux raconte la vie quotidienne, ponctuée de rencontres avec des personnages ( souvent des âmes pures refusant "un monde pourri"), et d’aventures cocasses (comme celle d’un bus archaïque et capricieux dans la ville de Delhi).

La critique sociale est légère, et marquée agréablement par l’image d’un « mât glissant de la réussite » auquel certains veulent grimper à tout prix.

On suit les aventures du couple ; possible que le navire prenne l'eau, comme dit dès le début du livre.

rotko, je te rejoins tout à fait dans tes impressions sur ce livre

Chère amie Nicyrle: pour moi avoir lu ton commentaire, si bien rendu, me fait l'impression de l'avoir lu moi aussi,chose impossible de le trouver; excellentes les citations choisies
le livre est exotique, l'Inde presque inconnue, mais les désirs, les frustrations, sont universels.
Ce livre volumineux, doit ètre remarquable, puisque tu as entraîné Rotko à sa lecture, j'ai lu son commentaire aussi.

Dommage, Amadak, que tu ne le trouves pas. Peut-être un jour ???

pour Nicyrle: il ne faut pas perdre l'espoir, jamais. Ma nièce est de retour de son voyage au sud de la France et elle n'a trouvé pour moi qu'un seul l ivre de Cyntia Osick " corps étrangers" "le chale" qui m'intéressait non plus, Roseta Loy, non plus et les tiens chère Nicyrle, que j'avais envie de lire, non plus
Vous avez la chance d'avoir tant de biliothèques

Nous avons de la chance, c'est vrai, Amadak, ta nièce a fait au mieux, n'est-ce pas ? Comme tu le dis, il faut continuer à garder l'espoir et, comme tu sais si bien le faire, s'obstiner ! Je t'embrasse

Chère Nicyrle; merci à toi, de m'encourager, de ne pas me laisser tomber les bras
tu sais que je t'aime bien""

Ce roman est une sorte de fable sur tous les totalitarismes, sur toutes les dérives des intégrismes.[...]
Là où l’auteur est très fort et réussit une vraie prouesse, c’est qu’il décrit des scènes terribles, des pratiques odieuses et détestables, notamment le sort réservé aux femmes -mesdames féministes, vous allez frémir et bouillir- sans jamais avoir recours à des descriptions minutieuses. Il pourrait aisément écrire des paragraphes insoutenables, mais son écriture est là qui, sans minimiser les souffrances, permet aux lecteurs des les lire sans défaillir. Il procède par images, par détours...

c'est là, en plus développé.

Après renseignements sur le site de ma bib', j'ai un titre disponible Histoire de mes assassins
Je le note pour une future lecture et merci de nous faire connaître tous ces auteurs