Rithy Panh (Cambodge)

Il a déjà été question de Rithy Panh dans la rubrique "Cinéma" mais il est aussi l'auteur de plusieurs livres, chaque fois, je crois, en collaboration avec des écrivains.
Voici L’élimination de Rithy Panh donc avec Christophe Bataille, publié chez Grasset en janvier 2012..
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Un livre insoutenable qui pourtant ne s’attarde jamais sur les scènes d’horreur : énoncer des faits avec des mots simples suffit. Il s’agit pour Rithy Panh, trente ans après la fin du régime de Pol Pot (1975-1979), de questionner Duch (nom de guérilla qui signifie « enfant sage » !), le responsable du sinistre camp de torture et d’exécution S21. Rithy qui avait 13 ans en 74 est un des rares rescapés du génocide. Il précise :

Citation :

Ma chance a été d’être entre deux âges : j’avais la lâcheté d’un enfant ; et la résistance d’un adulte. J’écris « lâcheté », peut-être faut-il penser « ruse ». Plus jeune ou plus vieux, je serais mort d’épuisement, - ou sous les coups des Khmers rouges.

Le texte paraît parfois touffu, sans doute parce qu’il suit les méandres de la mémoire de celui qui essaie d’expliquer sa démarche, lui qui a voulu se retrouver en face de son bourreau. Le livre mêle le récit des horreurs vues et endurées par Rithy Panh et le dialogue avec Duch avant le début de son procès.
Il n’y a rien à comprendre, il est impossible de pardonner, il s’agit avant tout de mettre par écrit (comme il l’a fait avec ses images de cinéaste) tout ce qui a eu lieu durant ces quatre années terribles de pouvoir des Khmers rouges (1,7 million de Cambodgiens sont morts), sans omettre le moindre « détail » et en prenant soin de tout vérifier.
Il s’agit aussi de donner une chance à Duch de s’expliquer sur sa conduite, de dire « sa vérité ». Mission impossible et tragique que s’est donnée Rithy Panh, car son interlocuteur ment, se contredit, s’esquive sans cesse et même, manipule ceux qui l’interrogent y compris l’auteur qui en prend conscience :

Citation :

La vérité m’est apparue cruellement : j’étais devenu l’instrument de cet homme. En quelque sorte son conseiller. Son entraîneur. Je l’ai écrit : je ne cherche pas la vérité, mais la connaissance. Que la parole advienne. Celle de Duch était une ritournelle : un jeu avec le faux. Un jeu cruel. Une épopée floue. Avec mes questions, j’avais participé à sa préparation au procès. Ainsi j’avais survécu au régime khmer rouge, je questionnais l’énigme humaine en la personne humaine de Duch, et il se servait de moi ? Cette idée m’a parue insupportable.

Qui est cet homme, cet intellectuel (professeur de mathématiques), fin lettré, capable de citer Balzac et de réciter La mort du loup ? Pas plus que Rithy, nous n’arriverons à cerner sa personnalité profonde, juste à conclure que cet homme intelligent a su devenir et rester insensible, que jamais il ne se repentira, sûr d’avoir été « l’otage du régime » et, par conséquent, une « victime » !
A de multiples reprises, le livre souligne que Duch parle d’une voix douce et qu’il rit fréquemment. Ce rire devient obsédant pour le lecteur horrifié par tant de cruauté tranquille et d’idéologie implacable.

il y a sans doute des gens qui ont baigné dans la cruauté, l'ont pratiquée eux-même et ont finit par devenir sans âme.... tu ne croit pas ? peut-être que trop de souffrance, de ruses pour l'éviter, de pactes avec l'ennemi, on finit par tuer ce qu'il y avait d'humain en lui ?

Ysandre, ce n'est pas le cas de Duch, qui reste une énigme pour Rithy Panh comme pour nous. C'était un fils de commerçant, brillant élève puis professeur de mathématiques respecté de tous, devenu, au contact de Son Sen, un révolutionnaire, un dialecticien complètement imprégné d'une idéologie meurtrière. Il n'a jamais tué lui-même mais il "n'a cessé d'affiner la machine à tuerie", sans état d'âme, sans remords.

L'élimination
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Rithy Panh dit qu’il est resté en vie parce qu’il avait la chance d’être « entre deux âges » ; il raconte à plusieurs reprises que certaines personnes lui ont sauvé la vie : d’abord sa mère qui a soigné sa blessure au pied qui le condamnait à mort au point que l’hôpital-mouroir l’a renvoyé chez ses parents : elle a réussi à échanger ce qui lui restait d’or contre un unique cachet de pénicilline qu’elle a broyé pour le saupoudrer sur la plaie, le guérissant en quelques jours, lui réapprenant ensuite à marcher. Il y eut aussi ce jeune garçon qui l’a convaincu de quitter le coin des mourants à l’hôpital, partageant avec lui son lit de bois, ou le cuisinier qui ne l’aimait pas et l’obligea pourtant à effacer le slogan qu’il avait écrit sur un tableau, folie qui risquait de lui coûter cher.
Tout le livre est bouleversant mais la fin est particulièrement frappante et donne à réfléchir : Rithy Panh nous confie :

Citation :

J’ai affronté cette histoire avec l’idée que l’homme n’est pas foncièrement mauvais. Le mal n’est pas nouveau ; le bien non plus – mais je l’ai écrit, il y a aussi une banalité du bien.
Quant à la bonne part, l’enfance, le rire de mes sœurs, le silence de mon père, la course de mes petits-neveux, le courage et la bonté de ma mère, ce pays aux visages de pierres, les idées de justice, de liberté, d’égalité, le goût de la connaissance, l’éducation, elle ne peut être effacée. Ce n’est pas un temps révolu, c’est un effort et un travail : c’est le monde humain.

Passage que je rapproche d’un autre, au début du livre, dans lequel, l’auteur constate :

Citation :

Duch me jauge. Je le jauge moi aussi. Dans ce qu’il est, je découvre peu d’humanité.

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L'élimination
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Quelques citations tirées du livre :

Citation :

[Duch] maîtrise sa vie de bout en bout, jusqu’à sa conversion tardive au christianisme – il est aujourd’hui évangélique. D’une idéologie l’autre.

Mesure tout humaine : je ne trouve chez moi que des sensations. Tout s’imprime en odeurs, en images et en sons. Je suis vivant, mais j’ai peur de ne plus l’être. De ne plus respirer. La tuerie m’a emporté pour partie.

Citation :

[…] la fin de Primo Levi me peine et m’agace – oui, le mot peut surprendre, il est sincère. […] C’est comme si les bourreaux avaient réussi, malgré l’amour et malgré les livres,. Leur main a traversé le temps pour achever la destruction qui ne cesse pas. La fin de Primo Levi m’effraie.

Parmi les slogans de l’Angkar (l'organisation), Duch, invité à en retenir un seul, a hésité puis a lu doucement :

Citation :

A te garder, on ne gagne rien,. À t’éliminer, on ne perd rien.

Une réflexion de Duch qui justifie le titre du livre :

Citation :

Monsieur Rithy, les Khmers rouges, c’est l’élimination. L’homme n’a droit à rien.

Rester vivant : l'obsession du jeune Rithy :

Citation :

Le soir où j’ai fait mon autocritique, je n’ai pas pensé un instant à m’expliquer. À me défendre. J’ai dit ce qui devait être dit. Je me suis conformé au désir des responsables khmers rouges. J’ai parlé pour pouvoir retourner au silence. Être invisible, c’est être vivant ; presque un individu.

Souhait poignant :

Citation :

Je voudrais que ce livre nous rende la noblesse et la dignité.

Je te rassure Nicyrle j'ai lu avec beaucoup d'attention ton commentaire et j'ai fort envie de lire ce roman mais ma biblio ne l'a pas
Elle a Le papier ne peut pas envelopper la braise écrit avec Louise Lorentz et qui, à priori parle de prostitution

J'ai noté ce titre pour en parler à la médiathèque

Natalia a écrit:

Je te rassure Nicyrle j'ai lu avec beaucoup d'attention ton commentaire et j'ai fort envie de lire ce roman mais ma biblio ne l'a pas
Elle a Le papier ne peut pas envelopper la braise écrit avec Louise Lorentz et qui, à priori parle de prostitution

J'ai noté ce titre pour en parler à la médiathèque

Merci de ton attention, chère Natalia, ce n'est pas du tout un roman, c'est un témoignage plutôt, assorti d'une réflexion fort intéressante.

voir aussi le silence du bourreau de François Bizot.