Liao Yiwu, l'empire des bas fonds

Liao Yiwu a voulu transformer une élegie des victimes de tian' anmen : quatre ans de prison qui lui font découvrir les éloignés, les dissidents, la pègre.

des proxénètes, des putains et des condamnés à mort, dans L'empire des bas fonds ! Mais s'y trouvent également relégués des instituteurs de campagne, de vieilles intellectuelles, des gastronomes d'un genre particulier... En une série de portraits, Liao Yiwu décrit une réalité surprenante, à des années-lumière de la Chine du business et des quartiers riches de Shanghai ou de Pékin.

Le livre a bien entendu été censuré, mais on peut lire l'entretien avec Madame Zheng pratiquante du falungong, cible du pouvoir chinois, un entretien avec un ex-directeurde banque qui, temoin des evenements de tian' anmen, est poursuiv ipar la Sécurité chinoise : elle le somme de se retracter sur son témoignage, fait intervenir son propre père etc...

Ces entretiens relativement courts font entendre la voix des "bas-fonds", et outre les bannis "politiques", les propos de "marchands de femmes", notamment, dressent de la Chine, un portrait effrayant.

La préface présente Liao Yiwu, écrivain mis à l'écart (prison) et qui sombre lui-même dans la débine, car tout s'accumule : les crapuleries officielles engendrent les déchéances privées... on apprend aussi que l'auteur défend dans les entretiens des idées "correctes" ou "reçues" pour mieux accoucher son interlocuteur et faciliter son dévoilement.

On a ainsi droit aux pires sophismes, aux progressions entre l'entraîneuse "végétarienne" (sans viande !) et celle qui "monte" avec les clients.
Toutes ces trajectoires privées mettent en cause les errements d'une politique chinoise, qui tire tantôt à babord toute, puis à tribord, demandant une docilité parfaite.

En sous-main ont lieu les petits arrangements : le trafiquant de femmes bénéficie de complicités officielles :"corrompus de tous poils", unissez-vous

C'est à coup sûr l'entretien (remis en forme par Liao Yiwu) avec Wan Baosheng le dissident qui m' a le plus marqué. Rien n'indiquait que ce directeur de banque, compétent et apprécié de tous, membre du Parti, et fils de révolutionnaire, soit présenté comme un contre-révolutionnaire dangereux, à écarter...

L'histoire du pigeon qui s'abat dans la cour de la prison est symptomatique d'un enfermement : enfin les prisonniers ont un but, rendre la liberté à cet oiseau blessé, et ils rivalisent d'adresse et de petits soins. Tout cela sera retenu contre eux.

la fin ?

Wan Baosheng : Je ne pourrai plus travailler dans le secteur économique. D'ailleurs le gouvernement ne souhaite pas que des hommes comme moi s'enrichissent. J'ai fait pas mal de choses dans ma vie, alors je pense que par la suite, je n'aurai plus qu'à me consacrer complètement au mouvement démocratique.[...]

Quoi qu'on dise, mon passé de contre-révolutionnaire et "l'affaire du pigeon" sont tout aussi absurdes l'un que l'autre., mais j'ai été acculé progressivement dans un angle mort par mon parti. Il était dans mon destin d'être l'une de ces pierres qui pavent la route, alors je me sacrifie.

Ca me fait plaisir de savoir que cet auteur a reçu le prix des libraires allemands. Il lui sera remis en octobre à Francfort.

Né en 1958 à Chengdu dans la province du Sichuan (sud-ouest), Liao Yiwu s'est notamment inspiré des événements de la place Tiananmen, le 4 juin 1989, pour rédiger son poème intitulé "Le Grand massacre" qu'il a propagé en Chine avant d'être arrêté en février 1990 et condamné à 4 ans de prison pour "diffusion de propagande contre-révolutionnaire".

En 1987 les autorités chinoises l'avait inscrit sur une "liste noire" et lui avait interdit l'écriture. Certaines de ses oeuvres n'ont circulé que sous le manteau.

Il s'était servi de la flûte découverte en prison, qui lui permet à sa sortie de jouer dans la rue pour rédiger "la société des bas-fonds", une série de 60 entretiens initiés par ses rencontres.

Liao Yiwu était un poète beatnik. Quatre années d'emprisonnement, dix ans d'écriture, d'interpellations, de solitude l'ont transformé en dissident. Puis en exilé au verbe haut. Son livre, Dans l'empire des ténèbres, raconte les sans-grade d'un terrible système pénitentiaire et l'envers du décor de la Chine nouvelle. Entretien vidéo et bonnes feuilles

médiapart lui consacre un article qui ne m'est pas accessible.