Diamond et "l'effondrement" des civilisations.

Nymphéa a écrit:

"Evoquer la disparition des civilisations ne peut se faire sans référence à l'oeuvre de Jared Diamond, Effondrement, Comment....
Le livre est une étude comparée de la disparition de certaines civilisations [...] Le chercheur recense cinq facteurs influant sur la disparition-ou la survie-d'une civilisation: un environnement altéré; une modification du climat; des conflits avec les populations voisines; une dépendance liée aux échanges commerciaux; et, enfin, facteur clé, le type des réponses apportées par une société,

Notre amie Nymphéa a pêché un gros poisson avec « Effondrement » de Jared Diamond, et comme nul hameçon appétissant ne laisse un grain de sel insensible, j’ai jeté un œil curieux sur ce pavé de 650 pages, publié chez Gallimard Essais.

La première étude du professeur Diamond (à l’université de Los Angeles) porte sur le Montana dans lequel il voit un microcosme des maux qui frappent les USA. Ce choix du Montana ne peut que réjouir (et inquiéter aussi !) les lecteurs de J.L Burke,
de l’Ecole du Montana, tous ceux qui se souviennent de « et au milieu coule une rivière » de Robert Redford (avec Brad Pitt, Craig Sheffer.)

Pourquoi étudier cet État ? C’est le deuxième État le moins densément peuplé, que fuient les anciens habitants pour des raisons économiques (70% des lycéens s’en vont) et qu’envahissent de riches Américains soucieux d’un paysage de loisirs.

L’auteur examine la responsabilité des mines dans la pollution des paysages et le réseau hydrographique,

Citation :

Les riverains ont remarqué que l’eau de leur puits avait mauvais goût : un énorme jet d’eau provenant des eaux souterraines et contenant une quantité d’arsenic quarante-deux fois supérieure à la norme fédérale se déverse hors du réservoir.

les effets de la salinisation des sols sur la végétation, les conséquences déjà visibles du réchauffement climatique sur les paysages et la végétation.

Les cibles de J Diamond ne sont pas les coupables d’office : il analyse de manière convaincante le rôle des incendies naturels dans les forêts, dus à la foudre, et s’oppose à des préjugés écologiques locaux, parfois naïfs, sur l’intervention humaine dans les milieux naturels.

Oui, je suis contente aussi que Nymphéa en ait parlé. Je l'ai commandé et j'ai hâte de le lire.

C'est un vrai pavé, mais la lecture est facile car le texte bien charpenté.

Il suffit de choisir son sujet, après avoir lu ce qui concerne le Montana qui illustre la methode et les points développés, et on peut s'intéresser à telle civilisation specifique : le passé de l'île de pâques, ou le présent de la Chine censé être d'un équilibre précaire (20 pages environ).

La Chine sera mon prochain thème.

la Chine

Les pages que Diamond consacrent à la Chine donnent un constat vertigineux des problèmes rencontrés : un essor incroyable dans tous les domaines, (dont l’urbanisation et les grands travaux), mais au prix de « techniques inefficaces, dépassées et polluantes ».

La priorité encore donnée au charbon et l’abondance croissante des véhicules à moteurs expliquent le dioxyde d’azote et les monoxydes de carbone qui polluent l’atmosphère. La pénurie et le gaspillage de l’eau, l’érosion des sols dus à l’utilisation massive d’engrais et au surpâturage, figurent sur la liste noire, ainsi que les villes entourées d’ordures.

L’auteur se livre à une étude détaillée de la politique des déchets, notamment électroniques, et déplore que Pékin s’intéresse davantage au développement économique qu’à l’environnement et au développement durable.

Citation :

Saviez-vous que les principaux taux moyens de plomb dans le sang des citadins chinois sont près du double des niveaux considérés ailleurs comme dangereux et comme présentant des risques pour le développement mental des enfants.

Autre point noir, mais dans le domaine de l’éducation :

Citation :

Avec 20% d e la population mondiale,, la Chine ne contribue qu’à 1% des dépenses mondiales d’éducation mondiales. Payer des études au lycée ou à l’université est au-delà de moyens de la plupart des parents, parce que les frais scolaires annuels absorberaient le salaire moyen d’un travailleur citadin ou de trois travailleurs ruraux.

Toutefois l’auteur termine sur des signes encourageants :
une gigantesque ceinture d’arbres entoure Pékin pour la protéger des tempêtes de poussière et de sable ; des lois énergiques visent à la propreté des véhicules.

Il applaudit aussi à l’introduction de poissons (gros problème que l’aquaculture, préférée à la pêche au poisson sauvage) dans les rizières irriguées, et à des efforts de reforestation.

La Chine serait donc un « géant qui titube » au sens où « elle va d’un coté ou de l’autre en marchant. »

Merci Rotko, bientôt je n'aurai plus besoin de lire le livre, tu auras tout raconté sur le fil...
Non, je plaisante Tes commentaires alimentent ma curiosité. Et chacun ne trouve-t-il pas dans une lecture ce qu'il y cherche plus ou moins inconsciemment selon sa personnalité?

Rassure-toi, je ne dirai pas tout !

j'ai regardé le montana et la chine parce qu'ils m'interessent, mais je ne devoilerai pas les secrets de l'île de pâques .

je suis sceptique sur la résolution de la disparition d ela civilisation pascuane : comment savoir ? et tant d'explications - dont des plus fumeuses, ont été avancées !

je te laisserai donc explorer le terrain, et me dire au besoin que j'ai grand tort dans mes actuelles réticences. Un petit coup sur mon grand bec me fera le plus grand bien : avoir des préjugés, n'est ce pas avouer qu'on veut rester aveugle ?

je bats déjà ma coulpe....

Rotko, ne t'inquiète pas je n'achèterai le livre qu'à la fin du mois, puis le temps que je le lise...tu peux encore dormir sur tes deux oreilles quelque temps!!! . Après, c'est une autre histoire
Heureusement que nous sommes là pour alimenter ce fil...?!

Jared Diamond est biologiste et physiologiste de formation. Il enseigne actuellement la géographie à l’Université de Californie à Los Angeles. Comme il nous l’indique dans sa préface, il étudie les oiseaux depuis l’âge de sept ans, fait de la recherche sur l’avifaune de la forêt pluviale de Nouvelle- Guinée depuis 1964, est directeur depuis dix ans de la branche américaine du Word Wildlife Fund ; mais il a aussi une expérience des grandes entreprises, dirigeant notamment des études d’impact sur l’environnement. Ainsi :

Citation :

«Si les écologistes refusent de s’engager auprès des grandes entreprises, qui pèsent d’un poids considérable dans le monde moderne, on ne pourra pas résoudre les problèmes environnementaux. »

Les facteurs d’effondrement ou de survie
1) Problèmes environnementaux. Aux huit processus en cause dans les sociétés anciennes (déforestation gestion et restructuration de l’habitat, érosion ou salinisation ou perte de fertilité des sols, gestion de l’eau, chasse excessive, pêche excessive, introduction d’espèces allogènes, croissance démographique et augmentation de l’impact humain par habitant) s’en ajoutent quatre nouveaux : les changements climatiques créés par l’homme, l’émission de produits toxiques, les pénuries d’énergie et l’utilisation maximale de la capacité de photosynthétique de la terre.
2) Les changements naturels du climat qui peuvent améliorer ou dégrader les conditions de vie d’une société humaine particulière.
3) Des voisins hostiles.
4) Un soutien de plus en plus réduit de la part de voisins amicaux.
5) Les réactions d’une société face à ses problèmes : des sociétés différentes réagissent de façon différentes à des problèmes similaires.
Or à l’heure de la mondialisation,

Citation :

« Pour la première fois dans l’histoire, nous courons le risque d’un déclin mondial. Mais nous sommes également les premiers à pouvoir rapidement tirer les leçons des évènements qui se produisent partout ailleurs dans le monde aujourd’hui comme de ce qui s’est produit pour n’importe quelle autre société du passé. Telle est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre. »

Le livre de Jared Diamond est passionnant. Erudit, bien documenté, il se lit pourtant avec facilité car le propos, même si complexe, est clair et simplement expliqué, le discours est planifié avec rigueur. Je pense, à mon humble avis, que ses sources sont fiables : des références bibliographiques solides, des rencontres et comparaisons avec d’autres chercheurs et des recherches personnelles sur place.
Le premier chapitre traite du Montana (que Rotko nous a présenté). Parce que l’auteur connaît bien la région, mais surtout parce qu’elle représente un condensé des cinq raisons amenant à l’effondrement ; cet effondrement pour le moment différé tant que fonctionne l’interdépendance avec les autres états.

Citation :

« A l’heure actuelle, l’économie du Montana peine déjà à faire vivre ses propres habitants, qui sont entretenus par le reste des Etats-Unis et en dépendent. Si le Montana était une île coupée du monde, comme l’était l’île de Pâques dans l’océan Pacifique, son économie actuelle, qui est celle d’un pays développé, se serait déjà effondrée- en admettant même qu’une économie aurait été possible. »

Puis l’auteur va se pencher sur des sociétés du passé pour nous montrer cette interdépendance des facteurs environnementaux et de l’intervention humaine, cette imbrication de un ou plusieurs des différents facteurs évoqués et toujours du rôle des décisions humaines. Des analyses pertinentes et convaincantes (certaines données recoupent des analyses que j’ai déjà vues évoquées dans d’autres ouvrages) de plusieurs civilisations : l’île de Pâques, les îles polynésiennes de Pitcairn et d’Henderson, les amérindiens Anasazis, les Mayas ; un chapitre de descriptions et d’analyses historiques, sociales, économiques, environnementales et climatiques, scientifiques, etc, pour chaque civilisation et le comment et le pourquoi de leur effondrement. Avec toujours de références pour comparaison avec notre monde moderne.
Les trois chapitres suivant traiteront des Vikings et je crois des raisons qui ont fait que certaines implantations se sont effondrées tandis que d’autres ont su perdurer.
A suivre…

Après les sociétés vikings, Jared Diamond évoque deux sociétés anciennes qui ont su perdurer. Pour lui deux manières de traiter les problèmes écologiques : par le bas, bottom-up, quand les habitants oeuvrent ensemble à la préservation, avec l’exemple de la petite île de Tokiapi ; ou par le haut, top-down, quand les décisions sont prises voire imposées par les chefs ou gouvernants comme au Japon sous les Tokugawa.
La partie suivante traite des sociétés contemporaines. Le Rwanda et le génocide, Hispanolia avec en parallèle Haïti effondrée et la République Dominicaine qui résiste mieux, La Chine, l’Australie qui

Citation :

« est le pays industrialisé qui occupe le milieu le plus fragile et connaît les problèmes environnementaux les plus graves. C’est pourquoi elle fait partie des pays qui aujourd’hui envisagent de se restructurer de façon radicale afin de remédier à ces problèmes. »

Tâche titanesque à mon humble avis…
Dernière partie qui essaie de donner des leçons pratiques.
-« Pourquoi certaines sociétés prennent des décisions catastrophiques ? » Quatre catégories pour l’auteur

Citation :

« En premier, un groupe peut échouer à anticiper un problème avant qu’il survienne vraiment. Deuxièmement, lorsque le problème arrive, le groupe peut échouer à le percevoir .Ensuite, une fois qu’il l’a perçu, il peut échouer dans sa tentative pour le résoudre. Enfin, il peut essayer de le résoudre, mais échouer. »

-Dans le chapitre suivant sur « la grande entreprise et l’environnement », par l’analyse des exploitations du pétrole, des minerais, de la forêt, de la pêche, sont pointés les mécanismes qui font la différence entre les entreprises qui respecteront l’environnement et celles qui n’en tiendront pas compte. Quoique que J. Diamond veuille se montrer optimiste et positif, je perçois que face au libéralisme et au profit, l’opinion publique est la force qui permettrait la prise de conscience et doit faire pression : quelle belle utopie ?!
-« Le monde est un polder » et les douze raisons invoquées au début de l’ouvrage sont reprises à la lumière des exemples précédents et l’auteur insiste sur leur imbrication et de nouveaux exemples et des solutions envisageables. Jared Diamond est résolument optimiste!!!

De houleuses controverses ont suivi la parution de ce livre, notamment en France. Mes faibles connaissances ne me permettent pas de juger ces débats ; je renvoie ceux que cela intéresse aux articles du Monde Diplomatique.

Pour moi, j’ai beaucoup appris sur les données environnementales. Si certaines analyses m’ont parues pertinentes et convaincantes, j’avoue que d’autres m’ont laissées plus sceptiques et perplexes (par exemple, le réchauffement de la planète n’est pas beaucoup évoqué ; le fait que la surpopulation soit avancée comme une raison majeure du génocide rwandais ; l’optimisme de l’auteur qui me semble à double tranchant ;…). Cependant ce livre permet une prise de conscience et peut susciter une réflexion et une avancée.

Nymphéa a écrit:

De houleuses controverses ont suivi la parution de ce livre, notamment en France. Mes faibles connaissances ne me permettent pas de juger ces débats ; je renvoie ceux que cela intéresse aux articles du Monde Diplomatique.

oui, j'en ai entendu parler, mais effectivement comment prendre position ? ce serait bien imprudent...

voici un article de jared D dans le monde diplomatique.

le pb de la surpopulation semble le tracasser beaucoup.
voici un autre article

Tu as fait un beau travail de lecture - et de défrichage pour nous, Nymphéa

Merci
Je signale que le livre est paru fin février en format poche en Folio classique (792 pages +une petite centaine de cartes, notes, bibliographie et annexe)

Nymphéa a écrit:

le pb de la surpopulation semble le tracasser beaucoup.
voici un autre article

Sujet tabou, mais on peut quand même l'évoquer, ce que faisait gilles Clément dans une récente conférence.

Sommes-nous trop nombreux sur la terre ?

Citation :

La population mondiale est estimée à 6,785 milliards au 21 septembre 2009, alors qu'elle n'était estimée qu'à 6,1 milliards en 2000, entre 1,55 et 1,76 milliard en 1900 et à seulement 600 à 679 millions d'habitants vers 1700

Hop,

nous voilà donc 3 à parler de ce vieux Jared.

Contrairement à vous, j'ai trouvé les livres assez compliqués à lire.
Ca se voit clairement que c'est un chercheur universitaire. Son style d'écriture est lourd et ça ne semble pas être son plus grand souci.
Ce n'est pas un reproche ceci dit, son oeuvre (Le Troisième Chimpanzé, De l'Inégalité Parmi les Sociétés et Effondrement) est très complète, regorge de détail qui doit être une sorte de Caverne d'Ali Baba (désolé pour l'image) pour l'amateur averti. Pour le profane que je suis, c'est un peu comme plonger dans un Océan sans trop bien savoir nager, on finit un peu noyé, en se rappelant qu'en gros c'était froid et mouillé. La hauteur des vagues, la puissance de la houle, la profondeur, le taux de salinité de l'eau, le taux de plancton, tout ça nous passe un peu au dessus.

L'ensemble reste évidemment une immense mine de connaissances, mais un peu difficile à aborder, plus par sa complétude.

Pour les intéressés, l'ordre de lecture (et d'écriture il me semble) est le suivant :
- Le Troisième Chimpanzé
- De l'Inégalité Parmi les Sociétés
- Effondrement

Dans cet ordre-là, Jared Diamond apporte des pistes de réponses aux questions :
- D'ou venons nous ? Au sens évolutionniste de la question
- Comment en sommes-nous arrivés là ? Dans nos sociétés fortement hiérarchisés, inter-dépendantes, techniquement, économiquement et intellectuellement développées
- Où sommes-nous susceptibles d'aller ? Dans quel modèle social, évolutionniste et comportemental.

Merci Rotko, Nymphéa et Jared de m'avoir donné un grand coup sur ma queue de lémurien ! quelle prétentieuse je suis d'avoir pensé que j'étais... une des seules à me préoccuper de la chute des civilisations

Diamond a dégagé de ses études des "collapsus" (du latin lapsus, "la chute") "cinq facteurs décisifs", qu'il dit retrouver dans chaque effondrement, et parle d'un "processus d'autodestruction la plupart du temps inconscient". Quels sont ces facteurs ?

Un : les hommes infligent des dommages irréparables à leur environnement, épuisant des ressources essentielles à leur survie. Deux : un changement climatique perturbe l'équilibre écologique, qu'il soit d'origine naturelle ou issu des suites des activités humaines (sécheresse, désertification).

Trois : la pression militaire et économique de voisins hostiles s'accentue du fait de l'affaiblissement du pays. Quatre : l'alliance diplomatique et commerciale avec des alliés pourvoyant des biens nécessaires et un soutien militaire se désagrège.

Cinq : les gouvernements et les élites n'ont pas les moyens intellectuels d'expertiser l'effondrement en cours, ou bien l'aggravent par des comportements de caste, continuant à protéger leurs privilèges à court terme.

Un article très complet dans le Monde.

Quelques hypothèses qui font réflechir :

l'agriculture, dès son apparition, n'a pas eu que des conséquences favorables : "Des études paléo-alimentaires montrent que les chasseurs-cueilleurs d'avant l'agriculture étaient en meilleure santé et mieux nourris que les cultivateurs. Leur régime était plus varié en protéines et en vitamines, ils disposaient de plus de temps libre et ils dormaient beaucoup."

Du reste, les populations se méfiaient de l'agriculture. Elle n'a été que lentement adoptée en Europe (un kilomètre par an) comme aux Etats-Unis (les Amérindiens de Californie s'y refusèrent jusqu'au XIXe siècle). Elle est synonyme, dès le début, de mauvaise nutrition, d'épidémies et de maladies parasitaires, du fait de la promiscuité et des eaux rejetées.

Ajoutons que l'agriculture a fait naître une stratification sociale entre la masse des paysans en mauvaise santé, où les femmes s'épuisent à enfanter et besogner (les lésions sur les squelettes et les momies l'attestent), et une élite peu productive qui gouverne (fonctionnaires, commerçants, princes, prêtres, chefs de guerre).