Sorokine [Russie]

Le lard bleu (2002) de Sorokine chez l'olivier



Scènes sulfureuses de sexe et d'anthropophagie font le succès - et le scandale, de ce livre en Russie.
L'auteur s'y moque de Poutine, des institutions et de la littérature russe.

selon arte

Citation :

Vladimir Sorikine est considéré comme le chef de file de la jeune génération, il fut un dissident sous l’ancien régime. Mais il reste dans le collimateur du pouvoir actuel.
Son roman « Le lard bleu », « Der himmelblau Speck », lui a même valu un procès pour pornographie. A cause d’une scène de coït entre Staline et Kroutchev.
« Dostoievski-trip », une pièce de théâtre éditée par les Solitaires Intempestifs, évoque le Manque de la jeunesse russe : manque de perspectives, d’argent, de drogue et de littérature.

La glace de Valadimir Sorokine présente un début éprouvant : scènes de violence : des personnes enlevées et baillonnées recoivent dans la poitrine des coups assénés avec un marteau de glace :

Citation :

"une masse de glace de forme cylindrique et un long manche de bois grossier fixé à celle-ci par des lanières de cuir brut."

On ignore tout de la raison de ces agissements. Le lecteur assiste ainsi à plusieurs scènes, en témoin ignorant et fasciné.

Le roman présente aussi des particularités narratives originales : intervention de répliques comme sur les forums d'internet ou plutôt les "tchats", portraits signaletiques rapides des protagonistes au cours de l'action :

Citation :

Uranov : 30 ans, grand, les épaules étroites, le visage émacié et intelligent, un imperméable beige

la glace
Vladimir Sorokine entraîne le lecteur dans un voyage à trois étapes où il découvre par lui-même « la glace » et ce qu’elle signifie dans le récit :

Première étape : des scènes d’action, parfois brutales et crues, dans le style d’un Brett Easton Ellis passé à l’Est.

Ensuite, un récit, sorte de genèse de la première étape , où (page 211) on a la réponse à la question posée par les protagonistes violents de la 1ére partie :

Citation :

« Tout ce foin pour un banal morceau de glace : la glace, la glace, la glace ! Qu’Est-ce ue c’est que cette glace ? Personne ne le sait. Et en plus ça coûte cent mille. Quelle connerie ! »

p. 144.

Enfin, une partie bouffonne, avec des témoignages individuels variés.

On voit que l’auteur a plus d’une corde à son arc, et manie différentes écritures avec une grande virtuosité.

On suit l’histoire au premier degré, tout en se posant des questions sur ce voyage à travers la Russie et l’histoire contemporaine :

de la brutalité aux techniques commerciales de la troisième partie, on a parcouru le Stalinisme, les purges successives, les clans, et tous les avatars d’une idéologie dévoyée, ouverte à beaucoup de dérives ;

Comme notre monde contemporain, livré tantôt à la violence et à la débauche, tantôt à un illuminisme stupide et criminel.

Citation :

« En Occident, être écrivain est une profession, chez nous, c’est un travail de sape : l’écrivain sape les fondements de l’État. »

déclare l'auteur,et à lire une journée d'un opritchnik, on comprend que l'auteur ne soit pas en odeur de sainteté dans les sphères du pouvoir !

Il décrit les habitudes et les pouvoirs d'un clan tout dévoué aux dirigeants, qui extorque des fonds, fait regner l'arbitraire et la terreur.

Le récit est très visuel : on pense à un père Ubu collectif qui aurait quitté sa Pologne pour une Russie de 2028, mais avec des rites moyen-âgeux, ou qui accepteraient de modernes Raspoutine.

Les cris de "Haida", "parole et devoir", seraient très forts sur une scène de théâtre qui regrouperait desscènes a la fois violentes, cocasses et orgiaques : la bande se livre à des débauches diverses, drogues et sodomie de groupe pour bien souder la troupe !!

La resolution des différends et conflits se fait en général à coups de poings :

Citation :

"
Le vacher chancelle, il renifle à travers son nez cassé, il crache du hachis de dents. Encore un pain, uis un autre. le bougre recule en agitant les bras comme un ours qui chasse les abeilles.

Mais Pagoda ne le lâche pas : il y va encore et encore ! L'opritchnik lui assène des coups précis et puissants. Nos hommes sifflent, hululent.

Un dernier coup, d'une violence à briser menu les dents. Le vacher s'effondre à la renverse.

Pagoda lui pose une botte pîmpante sur la poitrine, il tire sa dague de son fourreau et, en prenant son élan, lui taillade la trogne : Schlak ! Voilà .

Cela lui servira de leçon.

Gors succès de Sorokine en Russie, selon le journal lemonde du 12 août.

Journée d'un opritchnik a été réédité cinq fois en Russie depuis sa parution en 2006 et traduit en dix langues.

Citation :

Son tirage, 20 000 exemplaires, le laisse loin derrière les histoires de détective de Boris Akounine (600 000 exemplaires pour le Chapelet de néphrite sorti en 2006), ou encore les romans de Lioudmila Oulitskaïa (220 000 exemplaires pour Daniel Stein, interprète, en 2006).

Pourtant, Journée d'un opritchnik a marqué les esprits. Mark Lévine, enseignant à l'école supérieure d'économie de Moscou, le voit comme "un bon descriptif de ce qu'est une société corrompue".

Les Russes apprécient sa prose cynique : quand un des personnages qui vient de violer l'épouse d'un oligarque en délicatesse avec le pouvoir, il s'écrie :

Citation :

"qu'il est doux de déposer sa semence dans le sein de l'épouse d'un ennemi de l'Etat !"

.

Victime d'un autodafé en 2002, par l'organisation des jeunesses poutiniennes, autodafé retransmis à la télévision pour prendre plus d'ampleur, Sorokine ne ménage pas le pouvoir qui le lui rend avec usure.

l'article entier.

Citation :

Dans Roman, publié chez Verdier (598 pages), on redécouvre la Russie de la fin du XIX° siècle avec le personnage éponyme qui va se mettre à décapiter à la hache tout ce qui se trouve en travers de son chemin. Une métaphore de la fin du régime tsariste pour l’auteur…

La voie de Bro, sorti aux Editions de l'Olivier (297 pages), deuxième tome de la trilogie qui commençait avec La Glace, les scènes décrites ne sont guère plus tendres. Le personnage principal part à la recherche de ses frères pour les réveiller à coups de pic à glace…, c’est l’illustration de toute l’horreur du régime stalinien qui convertit l’être humain à du simple matériel de construction…

Sorokine était à Lyon pour les assises du roman.

Le Kremlin en sucre chez l'Olivier.

imagination délirante et sa totale absence de censure, ce livre se lit comme une encyclopédie de l’âme russe, « un mélange de vodka, de neige et de sang, avec six cuillerées de sucre ».

dit l'éditeur.

C'est la suite de Journée d'un opritchnik.

Selon les connaisseurs, Sorokine bâtit un monde de science-fiction qui s'inspire étroitement de la Russie de Poutine.

Eh bien cet auteur semble vraiment explosif. Je vais essayer de me procurer ses oeuvres. Merci pour la découverte.

Vladimir Sorokine, le Kremlin en sucre, L’olivier.

Faire du symbole de l’État une friandise pour enfants montre le racolage politique de la Russie, mais aussi l’inventivité de Sorokine. Si le titre démarre comme un conte , il fait bientôt intervenir des chœurs de mendiants déjantés, de dangereux opritchnicks au service de dirigeants paranoïaques ; le lecteur passe de la cruauté froide des tortionnaires à la séquence érotique de la Souveraine (1), à la scène de flagellation des prisonniers de camps etc.

Sorokine écrit comme d’autres délirent. Il invente des machines diaboliques (la « tristouille » ou la mallette du tortionnaire, la « petite Tania » ou le chevalet pour la flagellation) dans un contexte futuriste qui nargue le présent. Les abus de pouvoir sont quotidiens, les Russes vivent une violente farce qui excite la verve de l’auteur : il fait feu de tous les mots (accumulation, néologismes, mots argotiques ou chinois) et de tous les styles, pour ce jeu de massacre contre la Sainte Russie, si mal incarnée !

(1) qui a entendu parler de Madame Poutine ?

Dis-donc, c'est de la transmission de pensée ou quoi ?

Je reviens ce jour de la médiathèque avec La glace.
Ca y est, je suis accro.

Je ne connaissais pas et ça me plaît beaucoup.


Mais comme tu le dis, le début est hard !


Une sorte d'initiation ? Chut, je n'ai pas lu tous tes posts pour ne pas deviner la suite.

La glace

L’exploitation de la « mythologie » nazie.

Avec l’idée de cette secte cruelle, qui choisit ses adeptes en leur défonçant la cage thoracique à coup de marteau glacé.

On ne peut pas ne pas penser aux recherches qu’effectuaient en catimini les proches du Führer, qui rêvaient de trouver cette Thulé mystique, selon eux, source du plus pur des peuples : les Aryens.

L’auteur a été très habile dans le montage de sa fable, qui n’est pas si éloignée de la réalité, qui confine à la folie et à la démesure quand on sait qu’à côté de la barbarie quotidienne du régime hitlérien, il y avait une vraie obsession de la vérité.

Une sorte de quête occulte (d’ailleurs la bibliothèque du Führer était emplie d’un salmigondis d’écrits sur les civilisations passées et mythiques) menant à une connaissance originelle.

Mais en outre, le talent de l’auteur réside dans le fait qu’il réussit à faire un parallèle entre les délires nazis et le totalitarisme russe.

Notamment en présentant son histoire sous diverses ères politiques (dont Staline, Kroutchev, etc…). Avec une belle description des méthodes d’épuration du parti, de tortures, de terreur, etc.

Barbarie au nom du communisme chez les Russes
Barbarie au nom d’une croyance parareligieuse chez les nazis.

L’intrigue principale, c'est-à-dire les quelques personnages qui se font « marteler », relie deux idéologies, a priori antithétiques dans leur substance, mais totalement identiques dans leurs moyens : le meurtre.

J’ajoute malgré cela, que le livre se lit également comme une utopie.

Cette utopie du langage du cœur, que Sorokine décrit avec passion.

Il nous touche quand même avec cette virtualité : transcender la chair pour ne ressentir l’existence qu’à travers le cœur. Ce qui implique un univers idéal, sans souffrance et strictement végétarien. Mais le serpent se mort la queue : pour arriver à créer cette réalité sublime, il faut massacrer les « indésirables », c'est-à-dire…à peu près tout le monde !

Bref, c’est tout le principe des sectes et des partis politiques (pléonasme, comme chacun sait…).

Divers degrés de lecture donc pour ce livre complexe et tentaculaire. Je peux comprendre toutefois qu’il ne séduira pas tout le monde tant par son mélange de style : froid, concis et neutre quand il évoque les personnages, de vraies marionnettes, que lyrique quand il parle de paradis retrouvés, de langage primordial et de lumière céleste, que par certaines scènes éprouvantes.

Une approche magistrale de …l’enfer !

Pour moi, un très grand écrivain.

Sorokine est un vrai bulldozer qui charrie tout dans son élan : on trouve des moments farcesques, de l'humour noir, du porno, de la satire féroce, du mauvais goût aussi, mais il avance sur sa lancée.

On trouve les mêmes ingredients dans plusieurs de ses livres.

Le kremlin en sucre

Extraits :

Dans le Kremlin.

« Nue, mais chaussée de souliers à talons aiguilles, elle pénètre dans le Kremlin par la porte du Sauveur. C’est un jour ensoleillé, chaud étouffant même. L’illumination du Kremlin est idéale, sa blancheur fulgure au point d’éblouir la Souveraine. Mais cette lumière est extrêmement agréable elle est vivifiante, elle remplit son corps de joie…. »La suite est bien plus chaude.

Dans la Loubianka

« Sevastinov enfonça l’extrémité du tisonnier dans les fesses décharnées de l’inculpé. Le métal rouge et incandescent brûla tout de suite la toile grossière du pantalon et pénétra dans la chair [….]

- qu’on ramène le prévenu dans sa cellule. »

J'ai commencé ce jour Journée d'un opritchnik.

Ca part fort ! Cet écrivain a une technique narrative éblouissante, je trouve. Comme tu dis "visuelle", très allusive et arrive à nous plonger simultanément dans le passé et le contemporain.

Introduisant un cordon ombilical entre le fanatisme d'antan et la folie du pouvoir actuel.

En organisant un autodafé sur ce livre, les jeunesses poutiniennes se confessent...et se trahissent !

J'ai aussi pris à la médiathèque "Roman".

Rotko, c'est quoi cette histoire de sterlets en or qui nagent dans les veines ?

Crevette a écrit:

, c'est quoi cette histoire de sterlets en or qui nagent dans les veines ?

je ne sais pas de quoi tu parles. Si c'est un détail de lecture chez Sorokine, je l'ai oublié.

C'est une des scènes de shoot collectif. J'en reparlerai (dis moi seulement que c'est de la fiction... )

Il est éprouvant ce livre.

Journée d'un opritchnik

Un livre qui tourne complètement en dérision le pouvoir totalitaire Russe, même si, pour la forme, Sorokine place son récit dans le futur.

Des scènes à la fois glaçantes et drôles. Ainsi, la mafia de dingues qui dirige le pays possède certains rites de fraternité à mourir de honte (la fameuse chenille ou enfilade à la queue leu leu des oligarques). Un moment surréaliste !

La figure d'Ivan le Terrible plane sur le livre. Je comprends que ça déplaise aux autorités. Mais on se rend compte que Lénine ou Staline n'ont rien inventé !

Dans les images, un mélange d'hyperréalisme et de fantaisie macabre. Ce qui donne un livre explosif et qui met mal à l'aise.

J'avoue avoir moins aimé que La glace, qui ménage du suspens.

Alors, que là, c'est une simple narration.

Roman

Roman est le nom du héros et le livre s’ouvre sur une merveilleuse description champêtre : celle d’un cimetière.

Heureux présage n’est-ce pas ?

Oui, mais qui nous laissera un répit de quelques 400 pages, le temps de suivre les mésaventures paysannes de Roman, qui vient de la capitale Russe et décide d’abandonner sa carrière d’avocat pour celle de peintre.

Il lui faut pour cela les grands espaces, la lumière la plus primordiale et l’affection des siens, de l’oncle et de la tante qui l’ont élevé, lui, l’orphelin.

Sorokine se lance dans une pittoresque description de la Russie profonde du 19è siècle, dans le ton des plus grands auteurs (de Tourgueniev à Dosto).

On trouve des dialogues très vifs, de nombreux personnages au nom et au destin compliqués, des beuveries et des ripailles, de bons moments de chaleur humaine sur fond d’une nature omniprésente, terrain de chasse pour ces âmes simples, un peu rustres mais si solidaires.

On retrouve les habituelles tirades métaphysiques chères à l’âme Slave : sur la beauté du monde face à laquelle on s’extasie, sur la richesse de l’histoire Russe, sur l’habileté d’un peuple résistant et pugnace…

Quelques scènes retiennent l’attention par leur violent lyrisme. Ainsi, Roman est ému jusqu’aux larmes face à un tapis de champignons qui semblent crier la grandeur de l’univers.

Egalement héroïque, notre jeune homme n’hésite pas à entrer dans une maison en feu pour sauver l’icône très sainte. En voilà un noble Russe, un vrai…

Enfin, il se distingue dans un combat homérique contre un loup, qu’il surprend en train de dévorer un chevreuil. Ecoeuré par la sauvagerie de la bête, il s’ensuit un combat au corps à corps, Roman, gagne.
Il n’ a pas pu supporter la prédation sanglante…

C’est d’ailleurs à cette occasion que le garde forestier lui sauve la vie. Et lui présente sa fille adoptive, Tatiana, que Roman va s’empresser d’aimer à la folie…

Tout cela est très idyllique, rondement mené, animé et traversé par un souffle magique qui nous ramène à la grande littérature Russe.

Pourtant…

Pourtant…

Le lecteur n’est pas dupe. Il se demande, justement, si Sorokine ne le prend pas pour un dindon !

Car enfin, qui peut croire en cette vision platonique du genre humain, bienveillante de la forêt, protectrice des saints et des saintes ?

Roman agace.

Serait-il benêt ? Cacherait-il quelque secret ? Lui qui est si sensible, si réceptif et en même temps, comment dire, si vide ?

Les 100 dernières pages du livre nous tuent !

Elles ne répondent à aucune de ces questions, mais transforment le tableau bucolique

Spoiler:

Faut-il lire seulement les 100 dernières pages ?

n'y a t-il pas des indices, genre clins d'oeil, qui dans les 300 premières mettraient la puce à l'oreille du lecteur ?

la hache ! c'est le symbole de la politique russe, selon ANDRE MARKOWICZ, qui l'aurait trouvée chez Pouchkine...

La hache se trouve chez Dosto aussi, ce n'est pas un hasard.

Oui, il y a des indices et dans le climat, quelque chose qui ne tourne pas rond puisque tout est traversé par un flux de bons sentiments, auxquels personne ne croit.

Mais l'auteur est si talentueux qu'il nous enveloppe d'un confort douillet, quasi physique, notamment lors des repas (on en sent les odeurs !), des moments de détente et de conversation, du sauna...

Le thème de la chasse en toile de fond est annonciateur du carnage.

Il y a aussi une scène de roulette Russe. Roman et le père adoptif de Tatiana parient sur la jeune fille. Celui qui survit la gardera. Les 2 survivent mais la tension monte, monte et de nombreux symboles préparent le lecteur.

N'empêche qu'à la fin, il est face à l'innommable.

En fait, j'ai été très bête de vous dire la fin.

Si tu ouvres ces 100 dernières pages, tu te flingues ! C'est comme de regarder les charniers actuels en Lybie ou autres.

je vais mettre les 100 dernières pages de ton compte rendu en spoiler, et si tu n'es pas d'accord, tu m'envoies un MP.

Mets uniquement la dernière page du livre.

Ca devrait déjà éloigner pas mal de monde.

Au-delà du thème, gore, il y a une furie, même un chaos des mots qui me plaît beaucoup.

Sorokine est un maître et est unique.