Jeffrey Eugenides

Jeffrey Eugenides, Virgin suicides, J'ai lu.

Des mondes clos.

On connaît la fin, dès le titre et les premières lignes de l'incipit : le suicide de jeunes filles. Pourtant ce récit prend aux tripes, et nous partageons les chagrins et les interrogations des adolescents, amoureux des filles Lisbon.

Bien après les issues tragiques, ils cherchent à assembler les pièces d'un puzzle qui leur a complètement échappé. Ils rêvaient d'elles, les observaient, les aimaient à distance, mais n'ont pas su les comprendre. Le récit est donc fait a posteriori, avec des imaginations, des souvenirs, des ragots, des hypothèses, mais les jeunes filles gardent leurs mystères, angoissants.

Les adultes américains, eux, ne manquent pas d'explications toutes faites, chacun en trouve dans son domaine, tandis que les esprits vides se raccrochent aux versions pleines de clichés des medias. En revanche, sur le terrain, ils furent bien-pensants, aveugles et passifs , attendant sur le seuil que l'horloge tragique egrène ses coups funèbres. Au moins les jeunes ados étaient-ils préoccupés, et conscients de leur impuissance.

Jeffrey Eugenides, Virgin suicides

De ce récit qui bascule parfois dans le fantastique ou le surréalisme macabre, émane une émotion prenante. La maison meurt, les corps se décharnent, et les appels au secours ne sont pas entendus.

L'humour noir des premières pages - notamment la grève des fossoyeurs, laisse place à une grande compassion pour les principaux protagonistes de cette histoire. Par leur récit distancié, les narrateurs ne tombent jamais dans le melodrame, et ils font partager au lecteur les émotions que chacun a vécues, isolément.

Jeffrey Eugenides, Middlesex, Editions de l'olivier.

Génèse d'un gène récessif .

"Ce récit singulier et hors du commun" (p 656) déroule deux fils concomitants qui tiennent le lecteur dans le ravissement. L'histoire d'une mutation sexuelle : le narrateur prévient dès le départ de son double sexe : fille au départ, homme à l'arrivée. Les aventures aussi d'un couple grec émigrant aux Etats Unis, et s'insérant dans ce pays, sur trois générations.

Il y a des heures sombres : l'incendie de Smyrne par les Turcs, les émeutes raciales de Detroit ; mais des heures plus claires, les bonheurs familiaux, les phases ascendantes de la fortune, les amours récompensées. Tout bascule, dans ce feuilleton haletant qui jamais ne tombe dans la vulgarité, et qui sait trouver le ton juste à chaque épisode.

Jeffrey Eugenides, Middlesex.


La narratrice/narrateur est omniprésente, impatiente d'avancer dans l'histoire, annonçant les suites possibles, elle mène son histoire à grand train, avec des personnages qui réapparaissent, trop contents,- et nous aussi, de se retrouver dans le récit. On a droit à des équipées grandguignolesques en voiture sur des lacs gelés, ou des carambolages tragiques à la frontière canadienne. N'attendez jamais un ton "convenu", le rire et la fantaisie sous-tendent les émotions.

En même temps, on sape de l'intérieur des idées reçues sur les spécificités des sexes ; Les théories en vigueur, on s'en moque vertement. En revanche, les expériences vécues nous touchent.

Middlesex réserve donc à qui le veut de très bons moments de lecture.

Le style regorge de formules amusantes et inventives.

[l'héritage personnel]

Citation :

"Il y a des gens qui héritent de maisons, d'autres de tableaux ou d'archets de violon assurés pour une fortune. D'autres encore d'un bonzaï ou d'un nom célèbre. J'ai hérité d'un gène récessif sur mon cinquième chromosome et de bijoux de famille d'une extrême rareté".

[Vaine attente du surgissement des seins]

Citation :

"Le soutien-gorge que j'avais fini par obtenir de Tessie [sa mère] était toujours, comme la physique quantique, à usage uniquement théorique..."

[Une belle rousse]

Citation :

"Jamais auparavant je n'avais vu une une créature avec autant de taches de rousseur. Il y avait eu un big bang, dont l'origine se situait sur l'arête de son nez, et lapuissance d el'explosion avait propulsé des galaxies jusqu'aux confins de son univers courbe au sang chaud. Il y avait ades amas de taches sur ses avant-bras et ses poignets, toute une voie lactée sur son front et même quelques quasars éparpillés dans les replis de son oreille".

[La biologie évolutionniste].

Citation :

Sous son influence, les sexes se trouventerent de nouveau séparés, les hommes en chasseurs et les femmes en cueileuses. [...] C'est ainsi que la television et les magazines aujourd'hui nous servent les simplifications à la mode. Pourquoi les hommes sont-ils incapables de communiquer ? (Parce qu'il faut se taire quand on chasse). Pourquoi les femmes communiquent-elles si bien ? (Parce qu'il faut s'indiquer où se trouvent les baies.) Pourquoi les hommes ne trouvent-ils jamais rien dans une maison ? (Parce que leur champ de vision est étroit, pour suivre les traces du gibier.) Pourquoi les femmes les trouvent-elles si facilement ? (Parce que la protection du nid force à élargir le champ de vision.) etc... etc..

j'ai beaucoup aimé la lecture de Middlesex.
L'auteur parvient à nous faire traverser des dizaines d'années, à nous montrer l'évolution du monde et de ses personnages avec talent, loufoquerie, et une grande tendresse.

Dans ce roman Eugenides varie les styles de narration, s'implique ou prend de la distance, amène de la légereté ou laisse une certaine gravité envahir ses pages.

J'avais peur en lisant ce roman, parce que je n'ai pas du tout aimé l'histoire de Virgin Suicides - en tout le traitement cinématographique effectué par Sofia Coppola, puisque je n'ai pas lu le livre.

Mais finalement j'ai vraiment beaucoup aimé ce livre, et il restera parmi un des plus agréable et intéressant que j'ai pu lire ces derniers temps.

Je l'ai même chroniqué sur mon site

Virgin suicides m'a beaucoup interessé pour les thèmes qu'il vehicule et pour la manière dont il les traite. Dans cette appreciation la personnalité du lecteur intervient certainement : les suicides d'adolescents posent problème à la société, et on sait que les milieux les plus "respectables" ne sont pas épargnés, je dirais même au contraire.

Toute l'histoire est le fruit d'un regard d'ado garçon sur un monde inaccessible, celui des filles dont il rêve de comprendre les ressorts. Il s'interroge donc sans cesse, au milieu des rumeurs qui courent.

Quant à la musique comme moyen d'expression, une chanson ou un morceau qu'on envoie sans un mot à un destinataire, n'est-ce pas une pratique courante ?

Jeffrey Eugenides Le Roman du mariage Traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Olivier Deparis. L’Olivier, 540pp

Jeffrey Eugenides réinvente les règles du triangle amoureux. Il y a Madeleine donc, qui dévore tout à la fois les romans anglais du XIXe siècle sur le mariage et s’interroge de plus en plus sur l’amour à travers Roland Barthes et Jacques Derrida. Il y a Leonard aussi, brillant chercheur, qui ne se remettra jamais de ses épisodes maniaco-dépressifs. Et puis Mitchell, peut-être l’alter ego d’Eugenides, avec ses origines grecques, dans le rôle de l’amoureux transi et insatisfait, à la recherche de réponses à travers la religion

entretien de l'auteur avec Libé.

des réactions au roman du mariage au Cercle de lecture des Français de New-York.

Eugenides met une citation de La Rochefoucauld en exergue de son roman : «Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour », récite Simone. Ce genre de citations flatte beaucoup les Français qui vivent aux Etats-Unis. On a toujours tendance à penser que notre sens du sentiment amoureux est supérieur.

«A cette prétention répond un complexe :» Les Américains ont un rapport plus simple, plus distancé avec le mariage. C'est étonnant de voir un auteur américain se poser des questions sur l'engagement, explique Hector. Eugenides a lu Roland Barthes et ça se sent.

«Outre la question du mariage, négociée de manière exquise, entremêlant les points de vue de trois personnages à différentes époques de leur vie, Eugenides tente de dénouer le nœud gordien de la primauté du sentiment vécu sur le fantasme de la sensation.»
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